Commentant la récente analyse de Jacques Parizeau sur l’importance de notre endettement, un lecteur du Devoir suggère qu’une façon simple de couper dans la complexité des changements d’approche comptable au fil des ans est de se pencher sur l’importance du service de la dette par rapport aux dépenses du gouvernement. Actuellement, ce rapport serait de 8,6%. Le lecteur conclut qu’un tel coût pour notre dette «n’est pas dramatique», sans fournir les critères pour comprendre son jugement.
Le long texte de Parizeau, «Les finances publiques du Québec, un désastre ?», reprend la présentation de la situation telle que faite à plusieurs reprises par Louis Gill, professeur retraité de l’UQAM. Elle se justifie par l’effort de se situer dans l’actualité, soit la réaction aux décisions du gouvernement de couper dans les subventions aux universités, dans les fonds de recherche gouvernementaux, dans l’aide sociale, dans le budget d’Emploi-Québec, dans les services de garde, etc. «Ne surdramatisons pas notre endettement», propose Paarizeau dans la première partie du texte.
Par rapport à ce qu’en dit le gouvernement, Parizeau propose de faire des distinctions pour mieux voir la situation, en revenant sur les différences entre la dette brute, la dette nette, la somme des déficits cumulés et la prise en compte du déficit actuariel des fonds de pension des employés du secteur public suite à une réforme comptable qui a eu lieu en 1997, et en y ajoutant la part du Québec dans la dette fédérale. Il s’est proposé de regarder les dépenses et les revenus consolidés de chaque année, pour conclure que «les gouvernements du Québec ont réussi à maintenir des «équilibres budgétaires satisfaisants» depuis environ 15 ans.
Parizeau ajoute à ce bilan en suggérant qu’il n’y a pas de déficit pour le budget 2013-2014, mais un surplus d’un milliard. Il note que, «profitant de la croissance de l’économie et donc de la hausse des revenus budgétaires», le gouvernement a pu instaurer à partir de 1998 l’assurance médicaments et les garderies à 5$. Dans ce contexte, il insiste que le débat devrait être ouvert quant à la gratuité à l’université, par exemple. Surtout, «il faut aborder de front les vrais problèmes économiques du Québec : sa croissance économique trop lente, la sérieuse détérioration de sa balance des échanges extérieurs» et une litanie de préoccupations des économistes.
On peut être contre, dit-il, mais il faut trouver d’autres arguments. En effet, Parizeau ne soulève le véritable défi que dans les deux derniers paragraphes de son texte. L’endettement actuel des pays et des individus ne constitue un problème que si la croissance économique n’y sera pas pour en réduire l’importance relative et fournir une hausse des revenus. Les économistes n’en parlent tout simplement pas, mais tout indique que la croissance connue par les pays riches depuis la Deuxième Guerre mondiale est presque terminée. C’est clairement la tendance au Canada et au Québec, comme le montre la figure. Tim Morgan, analyste d’une firme d’investissement de la City de Londres, suggère que, selon une comptabilité raisonnable, elle est déjà terminée, et cela depuis longtemps.
Dans mon dernier article, j’ai commenté la préoccupation des économistes (et d’autres) face à la situation au Japon (et on peut y ajouter l’Europe), qui n’arrive pas à relancer son économie . Ce qui est fascinant dans le débat, étendu à l’ensemble des pays riches (pour les pays pauvres, c’est un débat différent), c’est que les économistes se montrent incapables d’intégrer les facteurs sociaux et environnementaux dans leur vision de l’avenir, voire du présent. Le niveau de vie, et de consommation de ressources, au sein de ces pays riches est sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Également sans précédent est la capacité de l’humanité d’influer, aujourd’hui, sur le fonctionnement des écosystèmes planétaires, alors que dans le passé les activités et les effondrements des sociétés étaient restreints à ces sociétés, assez localisées dans l’espace et dans le temps.
L’argument qui ne vient pas à l’esprit de Parizeau – ni à bon nombre d’entre nous – est que les sociétés riches sont déjà trop riches, que leur niveau de «richesse» a déjà entraîné une dégradation des écosystèmes planétaires qui donne toutes les indications d’être irréversible. Notre endettement ne se paiera pas par la croissance, qui ne reprendra vraisemblablement pas. Il est fort à parier qu’il ne se paiera pas, tout simplement.
Reste donc la préoccupation du lecteur du Devoir, qui pense que le coût du service de la dette de 8,6% des dépenses publiques «n’est pas dramatique». Ce coût est le reflet de taux d’intérêt historiquement bas à l’heure actuelle, et la raison de cela est que les banques centrales maintiennent leur taux bas dans un effort de stimuler une reprise, un retour de la croissance et des revenus en hausse pour les gouvernements. J’en parle autrement dans mon dernier article : si la croissance reprend et les taux d’intérêt augmentent, la part du service de la dette dans les dépenses du gouvernement augmentera aussi – à moins que la hausse des revenus soit plus importante que la hausse du coût du service de la dette, et à moins que l’effondrement des systèmes ne soit pas déjà en cours pour rendre illusoire et finalement dévastatrice cette croissance.
Dans un autre registre, la réaction à l’intervention de Parizeau par Françoise David de Québec solidaire semble préciser des ambiguïtés dans le Plan Vert de QS, qui vise à «transformer l’économie». Quitte à suivre d’autres interventions, il est à craindre que QS est sur la même page que l’ancien Premier ministre. Pour QS, il ne s’agit plus «de la croissance pour la croissance, mais bien de se servir de l’économie pour bâtir le Québec qu’on veut : un Québec vert, solidaire et démocratique» – mais de la croissance quand même. Il est à espérer que QS continue à évoluer dans sa réflexion, assez bien amorcée pendant la campagne électorale de l’an dernier.
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Bonjour M. Mead,
Je suis honoré que vous ayez pris mon texte comme point de départ pour votre blogue.
D’abord, j’aimerais apporter une précision. Dans la version papier du Devoir, il est vrai que j’ai écris « … pencher sur l’importance du service de la dette par rapport aux dépenses du gouvernement. ». C’était incorrect. J’aurais dû écrire «… pencher sur l’importance du service de la dette par rapport aux REVENUS du gouvernement». D’ailleurs, j’ai reconnu cette erreur dans le blogue du Devoir.
Pour ce qui est du ratio de 8.6%, ma référence était ce que je payais en intérêt sur mon hypothèque. Dans les premiers 10 ans, j’aurais été fort heureux de ne payer que 8.6% de mes revenus en intérêt. Je reconnais que l’on ne gère pas un budget personnel de la même façon que le budget d’un pays. Il se peut donc que j’aie été dans le champs, en disant que cela m’apparaissait comme raisonnable.
Cela est toutefois assez secondaire. Le but de ma lettre était de dire qu’un ratio «Intérêt sur la dette / revenus» me semblait pas mal plus parlant que «Dette / PIB». Particulièrement quand on considère les différentes définitions du mot «dette». Par exemple, si le taux d’intérêt double, le ratio «Dette / PIB» ne bougera pas. Par contre, le ratio que je proposais signalerait immédiatement une situation urgente, sinon précaire. De plus, la comparabilité avec d’autres provinces ou pays serait plus fiable.
Voilà qui clarifie ma position. Maintenant, je vais vous faire part de mes commentaires sur votre texte. À suivre…
Si j’ai bien compris votre texte, vous soutenez que la croissance économique est chose du passé. Il serait donc illusoire de penser rembourser une dette grâce à une croissance qui ne se matérialisera pas.
J’avoue que je partage beaucoup de votre pessimisme à cet égard.
Mais alors, comment devrions-nous agir?
Certains économistes disent qu’il faut cesser de dépenser et d’emprunter, et commencer à rembourser notre dette. Avec cette recette, c’est sûr que la croissance économique n’est pas pour demain. Ou, plutôt oui, elle sera là, mais elle sera négative. On peut donc envisager que des ajustements structurels dévastateurs seront au rendez-vous (un peu comme en Grèce).
D’autres économistes (comme M. Parizeau) disent qu’il faut emprunter davantage afin de relancer l’économie. La gageure est que cette relance va apporter de nouveaux revenus au gouvernement (croissance), qui pourront alors servir à réduire la dette. Et on repart pour un autre cycle!
Si cette dernière option ne fonctionne pas (tel que vous le pensez), alors nous serons dans la schnoutte pas à peu près. La première option n’est pas beaucoup plus rose.
Voyez-vous une troisième option?
En l’absence de « troisième option », nous sommes réduit à choisir entre les deux options que j’ai citées. Dans ces conditions, je crois que je me rabattrais sur les dernières parcelles d’optimisme qui me reste, et tenterais la seconde option, comme le propose M. Parizeau.
Et vous, M. Mead, quelle serait votre stratégie?
Mon blogue est fondé sur plusieurs constats, dont (i) l’échec du mouvement environnemental et (ii) l’imminence d’effondrements contre lesquels le mouvement s’est créé il y a 40-50 ans. Ils étaient le sujet du premier article du blogue. Suivre le débat pour ou contre l’austérité me paraît rentrer directement dans le théâtre de ces effondrements. L’austérité s’attaque aux acquis sociaux des dernières décennies dans l’effort d’éviter un endettement accru, l’endettement délibéré, suivant un modèle en place depuis des décennies, recherche une reprise de la croissance qui est directement responsable des atteintes aux écosystèmes planétaires.
On doit constater que le modèle est dépassé, que ses assises dans l’exploitation à outrance des écosystèmes et des ressources non renouvelables disparaissent presque à vue d’œil, que les acquis sociaux sont à risque. J’ai mentionné dans un article antérieur que je coordonne un collectif d’auteurs pour la publication en fin d’année d’un livre qui cherchera à décrire une sorte de troisième voie pour le Québec. Le livre partira d’une mise au rancart du modèle actuel devant le constat d’un dépassement important de la capacité de support de la planète, à l’échelle planétaire d’abord, ensuite et surtout dans les pays riches, où c’est outrancier. Le portrait d’un Québec qui pourrait passer à travers les effondrements comporte un recours à des assises énergétiques beaucoup moindres (et non fossiles), une vie urbaine et une vie rurale transformées, une vie en société plus généralement où la commercialisation sera domptée en cédant une large place à une économie sociale et solidaire et à un travail qui se situera en relation avec le loisir et l’implication communautaire, où les systèmes de santé et d’éducation cibleront les fondements, l’essentiel. Nous fournirons, dans la mesure du possible, les assises financières de cette société, soustraite en bonne partie aux jeux de la spéculation dans les marchés internationaux et – à voir en fin de course, la façon dont la dette affectera notre avenir.
Bonjour M. Mead,
Je viens de lire le premier article de votre blogue. Je constate que nous sommes pas mal sur la même longueur d’onde.
Dans votre projet de livre, vous devriez peut-être inclure un chapitre expliquant comment la société devra se reconstruire après qu’on eut laissé l’effondrement se produire sans réagir. Cela pourrait constituer une autre motivation pour faire réfléchir certains.
Merci de partager votre réflexion.
Donc, M. Mead, vous dites que si nous ne changeons pas radicalement nos comportements, l’effondrement sera inévitable.
Par la suite, vous semblez dire que qu’il est possible d’éviter cet effondrement. Vous avez un projet de livre pour expliquer comment: « Le livre partira d’une mise au rancart du modèle actuel devant le constat d’un dépassement important de la capacité de support de la planète,… »
Vous pensez donc qu’il serait possible de faire une transition « en douceur » du système actuel vers un nouveau système plus soutenable. Vous affichez donc un certain optimiste envers la race humaine.
Pour ma part, je suis loin d’être convaincu que la population acceptera volontairement de changer son mode de vie. Les changements requis seront tellement importants, qu’ils préféreront prendre la gageure que le système actuel va s’en tirer encore une fois. J’en suis donc venu à la conclusion que le système actuel n’est pas réformable. Il va falloir attendre son effondrement, avant de pouvoir en créer un nouveau de toutes pièces.
Pour l’instant, je me suis en quelque sorte résigné à ce destin. J’espère simplement qu’il se produira après mon départ de cette terre. Pour l’instant, le seul choix qu’il nous reste est de souffler un peu plus dans la balloune, en espérant qu’elle résiste encore quelques années.
Peut-être que vous devriez intituler votre livre « Le jour d’après »