Comme le dernier article, une sorte de travelogue, sans beaucoup d’apprentissage sur le plan du développement. Pour ceux et celles qui seraient peut-être intéressés par un petit récit venant des entrailles de la Chine. Je mettrai des photos en galerie à mon retour à la mi-mai.
Le passage du Hunan au Henan est plutôt frappant. Le Hunan abonde en rizières, dont le modèle un peu partout est un groupe de maisons, jusqu’à un petit village, autour ou en face des rizières cultivées par les résidants. En entrant dans le Hubei (Hu réfère à un grand lac du centre de la Chine, et bei = nord, nan = sud), le terrain devient régulièrement ondulant avec collines coupant ce qui aurait été au Hunan des sites de production de riz, ce qui n’est pas le cas ici. En passant au Henan (He = le fleuve Jaune qui domine l’histoire et la géographie du nord de la Chine), nous nous trouvons clairement dans le North China Plain, et de très grands terrains sous culture passent régulièrement, devenant la norme. La culture ne semble pas être le riz et nous soupçonnons le blé, dont notre guide avait indiqué l’importance au Henan. Je me demande si je suis finalement devant une agriculture industrielle, pas encore vue lors de mes voyages antérieurs.
Zhengzhou
Notre TGV arrive, surprenamment, dans la vieille gare de Zhengzhou, alors que presque partout on ne voit que des aérogares et des gares de train neuves. Nous n’avons pas vu non plus d’immenses étendues de grands édifices comme ceux qui ornent l’entrée de toutes les villes chinoises. En dedans et autour de la gare, nous nous trouvons à travers des sans-abri qui, selon notre guide, vivent dans la gare et aux alentours, même si c’est plutôt en hiver qu’ils se mettent à l’abri. C’est le soir, et le transfert à l’hôtel est comme souvent plutôt mystérieux quant à ce qu’il nous montre de la ville. Je me donne comme objectif d’y revenir le lendemain, histoire de voir si je suis tombé sur mon premier bidonville en Chine.
Le lendemain matin, c’est une tout autre ville. Comme dans toutes les grandes villes que je visite, mon idée est de me promener dans différents quartiers pour voir comment les gens y vivent. Le quartier autour de l’hôtel semble déjà intéressant, et nous y partons en direction de la gare du train de la veille. Finalement, il n’y a pas de bidonville, à peine quelques sans-abri. Les espaces sous les viaducs qu’ils occupent pendant l’hiver sont sans occupants alors que le printemps est arrivé, mais nous nous savons dans le quartier où se trouve ce qui reste d’une vieille Zhengzhou, la ville ayant été presque démolie par les Japonais pendant les années 1930. C’est une vraie Chinatown comme on connaît dans les villes nord-américaines comme Vancouver et San Francisco, l’activité est intense et variée et il y a beaucoup de monde qui manifestement y vit de façon tout à fait normale. C’est une découverte pour notre guide, qui a grandi dans cette ville, et il s’agit d’un quartier de la classe moyenne plutôt pauvre.
En fin d’après-midi, je pars avec le guide pour une cité-village à 20 minutes du centre-ville où se trouve notre hôtel, et voilà, nous trouvons les grattes-ciels qui manquaient la veille, sans arrêt et à perte de vue à vitesse d’autoroute. La cité-village est une autre Chinatown; même si les édifices ici sont plus haut (environ 10 étages assez souvent) et la population plus grande, c’est une copie-conforme de ce que nous avons vu plus tôt dans la journée. Le guide, qui a vécu ici pendant un certain temps après ses études, souligne que les rues sont bondées dès la fin de la journée de travail et la descente dans les rues des résidents pour acheter ce qu’il faut pour leur souper ou pour acheter leur souper tout court. Et il y a, comme partout, des boutiques pour tous les besoins, voire pour le luxe.
Zhengzhou est encore une de ces villes chinoises de seulement 5 millions, censée atteindre 13 millions d’ici peut-être 2030, mais pour les quelque 70% des résidents qui vivent dans les quartiers comme nous avons vus (estimé de notre guide), la grande ville ne semble pas comporter une destructuration du comportement et de la culture. Le problème – je n’ai pas vraiment envie de vérifier – serait pour les gens qui vivent dans les tours de 40 étages qui se trouvent partout et où la vie communautaire risque d’être sérieusement atteinte. La ville, située près d’un fleuve Jaune qui ne s’y observe nulle part, est parmi les dix villes chinoises les plus polluées, et le smog pendant la journée est assez évident. Les motocyclettes et scooters sont obligatoirement électriques, ce qui fournit une certaine paix dans les rues, mais ce geste est loin de suffire! Nous passons devant la seule centrale au charbon dans la ville en allant à la cité-village, et le chauffeur de taxi nous dit que la centrale est fermée – en effet, il n’y a aucune fumée sortant de ses cheminées – et que sa démolition pure et simple est imminente.
Les rizières de Yuanyang – Je ne puis travailler sans une terre.
L’objectif des deux prochaines journées est de rentrer dans la campagne, cherchant comme dans le Hunan un aperçu de la vie des paysans. Nous nous dirigeons vers Yuanyang, au coeur de la principale région productrice de riz de la région, selon le guide (qui n’y a jamais été), nom qui, curieusement, sort d’une recherche web comme le nom d’un site d’immenses et spectaculaires terrasses de riz dans le sud du Yunnan, plus à l’ouest. La petite ville/presque village est fascinante, en voie d’une transformation vers une de ces nombreuseses grandes villes de plusieurs millions de personnes en train de parsemer le paysage chinois d’un bout à l’autre du pays. Pour le moment, Yuanyang est une agglomération poussièreuse qui rappelle presque le Wild West où la petite ville d’origine reste la seule partie d’un certain intérêt et où il y a de la vie.
C’est déjà réglé que les grands champs vus du train sont du blé. La petite phrase en titre m’a été livrée par une paysanne en train de sècher du fumier dans la rue, et me paraît presque définir le paysan chinois (et d’autres). Nous engageons un chauffeur de taxi pour passer du temps à mieux voir et un peu mieux comprendre ce qui s’y passe. Les six heures avec lui, un local qui travaille encore dans les champs en complément a son travail de chauffeur, fournissent réponse à de nombreuses questions restées en suspens au Hunan. Les grands champs de blé sont cultivés comme ailleurs par des fermiers individuels et leurs familles, atteignant peut-être les 10 mus (un acre et demi) par famille même si les champs ne montrent pas les divisions. En contrepartie, un fermier entrepreneur a acheté les droits de culture d’un nombre important de paysans, et cultive 1500 mus; un échangeant avec le chauffeur, j’apprends que ce fermier travaille avec de la grosse machinerie et représente une sorte d’intrusion d’agriculture industrielle, en contraste avec la norme un peu partout.
Le blé a été semé en octobre-novembre et sera récolté d’ici la fin mai. La terre est préparée pour les paysans par la machinerie, tout comme l’ensemencement et la récolte. Quant au riz, la terre est travaillée par de la machinerie, mais les plants de riz sont piqués manuellement, selon l’approche traditionnelle. Il n’est donc pas évident comment les paysans passent leur temps dans leurs champs, à part la période intense de plantation du riz… Pour le moment, ils s’activent pour préparer les pépinières pour le riz, des parcelles laissées à nu un peu partout à travers les champs de blé. Le riz sera semé dans les pépinières d’ici 10 jours et les plants de riz seront piqués dans les champs dégagés du blé à partir du 1er juin. Voilà donc: le Henan réussit à faire deux cultures, blé et riz, au cour d’une année.
L’introduction de la machinerie au fil des années a éliminé beaucoup du travail que faisaient les paysans avant, mais le chauffeur souligne la plus grande efficacité que cela introduit dans la production. Selon lui, la vente du blé et du riz permet toujours un revenu adéquat aux paysans, même si ceux-ci complètent l’ensemble par du travail dans la construction ou ailleurs pendant les pérodes mortes. Les paysans ne semblent pas stressés et je dois bien reconnaître qu’ils jouent aux cartes et à Mahjong en grand nombre pour terminer leurs après-midis.
Notre visite ne s’arrête pas là. S’ensuit toute une série d’arrêts: une usine qui décortique le riz (la gérante souligne que les Chinois ne seraient pas intéressés à manger du riz à grain entier (comme chez nous, pour plusieurs), et l’imagineraient même pas comme une option – c’est pourtant là où se trouve une partie importante de la valeur nutritive du riz, et cette pratique m’est toujours restée un mystère; une usine à l’air libre qui transforme la paille du blé en tapis à multiples usages, dont une sorte de couvert isolant pour les pépinières pour les garder au chaud (il ne fait qu’environ 80 degrés lors de notre visite…); échange avec des gens qui passent (sans masque) avec des pesticides dans les champs de blé ou qui préparent le fumier qui sera déposé directement sur la semence de riz dans les pépinières; une usine qui travaille la paille de riz pour la transformer en innombrables produits, utilisant des machines assez rudimentaires (galerie de photos à mon retour) mais tout à fait efficaces et dont l’une ressemble carrément, en termes de principes, à un metier à tisser comme utilise mon épouse, en beaucoup plus élémentaire. Le propriétaire de cette dernière fabrique nous explique le tout (et veut même me recruter comme contact pour les affaires en Amérique…), et c’est fascinant. Il y a des paillasses de différentes formes pour servir de protection de marchandise dans les trains et dans les camions; il y a de la corde à multiples usages, dont celle qui entoure les troncs des arbres qui sont plantés partout en Chine en quantités à la chinoise. Une dernière machine prend la petite corde pour faire une corde qui doit avoir cinq ou six pouces de diamètre.
Notre chaffeur intervient un moment donné pour demander au propriétaire combien les gens gagnent. Le propriétaire prend l’exemple d’une femme devant nous (avec masque, comme tous les travailleurs ici) qui reçoit 5 yuans pour chaque rouleau de corde qu’elle produit, et qui en produit environ 20 par jour. Voilà un revenu de 100 yuans (ou $15 US) par jour, ce qui ne paraìt pas à dédaigner, et qui contraste avec le caractère plutôt l0w-tech de son travail qui suggère une pauvreté peut-être extrême.
Le Huang He – le fleuve Jaune
Une sorte d’objectif ultime de notre promenade est un contact avec le fleuve Jaune (le Huang He). Je vois le système de canalisations qui amène l’eau du fleuve un peu partout dans les champs. Le blé reçoit de l’eau seulement deux ou trois fois pendant sa période de croissance, alors que le riz exige l’eau en permanence quand il occupe les champs. Le Huang He lui-même appelle après tout ceci, et nous prenons probablement une demi-heure pour faire la dizaine de kilomètres à travers villages et champs pour nous nous en rapprocher. En route, nous arrêtons au poste de contrôle du système de canalisation, mais nous sommes encore assez loin du fleuve.
En quittant Yan Cun (village du cygne), dernier village de notre route de terre et celui où notre chauffeur a grandi, nous nous trouvons devant de grands champs de blé cultivé dans la pleine inondable du fleuve, dont il est plutôt difficile d’identifier les limites. Je mentionne pendant notre marche que le fleuve Jaune est plus haut par une dizaine de mètres en raison des énormes quantités de sédiments qu’il accumule tout le long de son parcours, entre autres et probablement surtout lorsqu’il passe à travers le Plateau du loess, où nous allons faire des visites dans une semaine. Le chauffeur me corrige en soulignant qu’il s’agit plutôt d’une vingtaine de mètres de sédiments. En fait, plus bas, il coule plus haut que les terres avoisinantes.
Le soleil est couchant quand je mets les pieds dans le fleuve pour une deuxième fois, et c’est un moment assez émouvant, devant l’énorme rôle que joue et qu’a joué le fleuve, semblable de plusieurs façons à celui de notre Saint-Laurent. À noter que le niveau du Saint-Laurent est finalement contrôlé par un système de barrages en amont, alors qu’il y a – de mémoire – quelque 1100 barrages dans le bassin versant du fleuve Jaune…
Prochaines destinations, les provinces du Shanxi et du Shaanxi, le premier dominé par l’exploitation du charbon, les deux au coeur du Plateau du loess où le gouvernement a entrepris un grand projet de reforestation il y a plusieurs décennies pour essayer d’arrêter l’érosion.
by
Denis Lafrance, ami et expert en agriculture biologique, donne des cours sur le sujet en Chine chaque année. Il m’a fourni ce complément de perspective: «Dans le nord, Hebei par exemple, le riz est rare. Le blé d’hiver est alterné avec le maïs dans ce climat qui est pas mal sec.Il y a des grosses fermes, mais aussi beaucoup de petits paysans qui sèment tous la même chose et ça finit par être 90 % de monoculture de maïs en été et de blé en hiver.»
Denis La France
Expert en agriculture biologique
Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité
Enseignant en agriculture biologique
Cégep de Victoriaville
Je cherchais surtout à voir ce qui se passe sur le plan social, pour apprendre que les petits paysans sont toujours là, mais que les jeunes – la relève – semblent quitter les milieux ruraux un peu partout pour aller en ville, même si les emplois ne s’y trouvent pas toujours. Denis souligne la situation qui, sur le plan environnemental, comporte déjà certains des impacts d’une agriculture industrielle. Ce que je puis ajouter est que le délaissement de la campagne par les jeunes semble ouvrir la porte à moyen terme à une transformation de tout le territoire en un lieu d’agriculture industrielle.