Une récente étude du Conference Board conclut qu’il n’y a pas moyen d’atteindre les réductions d’émissions de GES requises dans les transports sans un bouleversement dans nos mœurs en ce qui concerne les transports. Un rapport synthèse 2015 du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) aboutit à la conclusion qu’en dépit de ses meilleurs efforts à date pour imaginer des trajectoires, dont la contribution des technologies dans l’ensemble des secteurs, il ne trouve pas suffisamment de réductions pour atteindre les cibles du GIÉC; le travail du DDPP pour le Canada, le DDPC, se trouve devant un défi irréaliste dans ses exigences … Il s’agit de contributions à la compréhension de l’échec prévisible de la COP21 et peut-être le début d’un processus qui met en question le rôle non seulement des combustibles fossiles mais également de l’auto dans nos sociétés. Un changement à cet égard risque d’avancer assez rapidement.
Il était fascinant de lire (ce n’est pas toujours le cas…) trois récentes publications ayant des liens avec les préparatifs pour la COP21 à Paris à la fin du mois. D’une part, et discrètement – j’étais sur leur liste d’envoi pour les mises à jour et n’ai rien reçu, et des contacts avec les membres de l’équipe canadienne sont restés sans réponse – , le Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) a sorti en septembre le résumé exécutif du rapport 2015 promis pour le début de l’année (quelques jours donc après mon constat que non seulement ils étaient en retard avec la publication, et que leur site web n’était pas à jour, à toutes fins pratiques abandonné); le rapport pour le Canada a également été mis en ligne.
En fouillant sur le site, maintenant réactivé, on finit par apprendre (pas dans la section Rapports, mais à la fin de l’article sur l’augmentation des émissions de la Chine sur la page d’accueil…) qu’ils promettent toujours le rapport complet avant la COP21, donc d’ici 10 jours, arrivant trop tard pour que les détails soient pris en compte par les négociateurs, ce qui ne changera vraisemblablement rien). Le projet fonce dans l’optimisme en cherchant, pour les 16 pays pour lesquels il y a un groupe d’experts au travail, l’ensemble des technologies et d’autres mesures dont la mise en place permettrait d’atteindre les réductions massives nécessaires pour respecter les cibles établies par le GIÉC. La lecture du rapport de 2014 était presque hallucinante.
D’autre part, et tout récemment, le Conference Board du Canada a publié un rapport de recherche sur les enjeux pour les transports face à la nécessité de réduire dramatiquement les émissions dans le secteur. C’était grâce à un article d’Éric Desrosiers du Devoir, «Réduction des GES : Des cibles inatteignables pour le transport», que je l’ai découvert, même si je suis sur leur liste d’envoi aussi. La lecture du document fournit une toute autre expérience, assez intéressante, proche, peut-on croire, de celle de l’ensemble des décideurs qui se préparent actuellement pour la COP21, et en contraste marqué avec l’expérience de lecture du rapport du DDPP. Comme ce dernier, le document débute avec une indication de sa conclusion, l’échec. Ensuite, et chapitre par chapitre, il passe à travers un ensemble d’informations largement connues et des scénarios pour dresser le portrait de l’avenir.
Le Conference Board sur les émissions associées aux transports
L’objectif du travail est de voir jusqu’à quel point l’objectif d’une réduction des émissions de 80% en 2050 – le 80 en 50 – semble atteignable. Le tout part du dernier rapport du GIÉC pour l’identification des cibles, mais l’approche est celle de décideurs bien normaux pas encore atteints par le sentiment de l’urgence de la situation, planifiant en fonction des habitudes des dernières décennies.
Plutôt que de se trouver comme dans les rapports du DDPP face aux merveilles technologiques et des lubies administratives et politiques essentielles pour que nous atteignions notre cible, nous nous trouvons face aux calculs presque minitieux marquant l’approche de l’amélioration continue largement répandue dans les milieux de l’ISO, de Six Sigma et d’autres programmes d’administration d’affaires. La recherche ne comporte pas de biais quant aux options, couvrant mêmes certaines que les milieux écologistes savent n’avoir aucun avenir. Les préoccupations des chercheurs incluent la question de coûts comme déterminante pour la rapidité de pénétration des marchés (jusqu’en 2050) – ou même pour l’absence d’une telle pénétration.
Dès le départ, le document établit la cadre pour le travail, soit l’identification par le GIÉC d’émissions cumulatives maximales de GES nous donnant une chance de limiter la hausse de la température à un maximum de 2°C. Pour le rappeler:
On croit généralement que l’atteinte de ce niveau cible requiert la stabilisation à 450 parties par million de la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Dans son quatrième Rapport d’évaluation, lè Groupè d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIÉC) a laissé èntendre què pour atteindre ce niveau de concentration, les pays industrialisés devraient réduire leurs émissions de 80% par rapport aux niveaux de 1990. Entre 1990 et 2013, les émissions dues aux transports ont représenté près de la moitié de l’augmentation des niveaux d’émission du Canada, la part la plus élevée de ces émissions étant attribuable au transport routier. La réduction des émissions attribuables au transport routier au Canada de 80% par rapport aux niveaux de 1990 nécessiterait une baisse d’environ 117,5 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone (Mt CO2 eq.) comparativement aux niveaux de 2013. Le présent rapport vise à donner un aperçu probant des mesures concrètes que le secteur du transport routier pourrait prendre pour que le Canada atteigne le niveau cible de «80% d’ici 2050» (page b).
En effet, le chapitre 5, portant sur les fuels alternatifs [1] et les technologies liées aux différentes possibilités pour les véhicules, est clé pour l’aspect prospectif du travail. La recherche s’insère dans un processus où l’on ne vise, comme dans beaucoup de domaines, que des améliorations incrémentales, normales en temps normal, tout à fait sans pertinence face aux défis soulignés par le GIÉC. C’est la perspective néanmoins retenue par le Conference Board, intimement lié aux milieux d’affaires.
Afin d’examiner les réductions d’émissions potentielles pouvant résulter d’un large éventail de tendances et technologies, ce rapport analyse deux scénarios, soit un scénario de référence et un autre faisant état de progrès constants. Le scénario de référence projette des réductions d’émissions jusqu’en 2050 en se fondant sur les tendances en matière de véhicules, les choix d’essence et la réglementation. Bien que les niveaux d’émissions soient appelé à baisser constamment jusqu’en 2025 – dernière année de référence sur laquelle portent les normes d’émission des véhicules légers –, les émissions attribuables au transport routier auront augmenté de 12 % par rapport aux niveaux actuels d’ici 2050. Le scénario faisant état de progrès constants repose sur les mêmes hypothèses que le scénario de référence en ce qui concerne les niveaux de population et de PiB, mais il rend compte de deux tendances additionnelles, soit la diminution des distances parcourues par véhicule et l’amélioration du rendement énergétique. Les résultats à court terme du scénario faisant état de progrès constants sont semblables à ceux du cas de référence, et les émissions diminueront continuellement jusqu’en 2025. Après 2025, le taux de diminution se stabilise, les émissions totales des véhicules de transport routier tombant à 86 millions de tonnes d’ici 2050, soit tout juste 12% de moins que les niveaux de 1990 (97,7 Mt). (page d)
Pour le scénario de référence, on ne change même pas les calculs de tendances pour l’après 2025, en présumant – c’est étrange – que la réglementation qui termine à ce moment-là ne sera pas renouvelée et que les tendances de réductions retourneront à 1% par année… La scénario faisant état de progrès constants reste dans le cadre des analyses habituelles, mais ajoute des améliorations.
La COP21 se bute à un système bien enraciné
L’intention semble être de démontrer que d’importantes interventions sont requises, puisque les meilleurs résultats venant des scénarios aboutissent en 2050 à des réductions des émissions dans le secteur des transports de -12% plutôt que -80%. L’argument teste d’abord les mesures normales, à la limite en faisant des améliorations progressives et – à leurs yeux – peu réalistes, mais suivant l’expérience des dernières années, pour conclure qu’il va falloir faire beaucoup plus.
L’ajout de la possibilité d’une plus grande pénétration des technologies augmente les réductions, possiblement assez pour annuler les augmentations des émissions associées à l’augmentation de la population et du PIB, mais n’atteint des réductions que d’entre 22% et 27% plutôt que 80%. Le document va encore plus loin, estimant les réductions qui viendraient de l’électrification de tout le transport de passagers (voir la page 117); même cela ne permettrait pas d’atteindre la cible: il y aurait encore deux fois trop d’émissions, en raison du transport des marchandises…
Une analyse des coûts associés à l’ensemble des mesures discutées aboutit au constat que ces coûts pourraient être très élevés. Ceci amène le Conference Board à une conclusion plutôt vacillante, probablement le reflet de la réflexion des participants à la COP21 qui arrive…
Somme toute, la recherche de l’équilibre est fondamentale. il existe des options pour réduire sensiblement les émissions de GES attribuables au transport routier au Canada. Un grand nombre d’entre elles sont néanmoins coûteuses. Même dans un contexte de diminution des coûts unitaires, il est vraisemblable que les réductions futures d’émissions atteignent un plafond pratique ou économique avant que les niveaux de réductions évoquées dans ce rapport puissent être atteints. (p.g)
Rien dans notre expérience des dernières décennies en matière de transport, rien dans ce que nous voyons possible en termes d’intégration de nouveaux coûts importants dans le maintien de notre mode de vie, rien, finalement, dans le comportement de la société et de ses administrations face à l’automobile et à un commerce défini par le transport sur de longues distances, rien de tout cela de permet de cerner des pistes de sortie d’une crise qui s’annonce, même pour les plus normaux d’entre nous.
Les recommandations à la fin du document commencent avec le maintien des mesures d’amélioration continue esquissées dans les deux scénarios, mais celles-ci sont suivies par trois qui ressortent et qu’il faut presque lire comme indiquant un ordre de priorité : Get People Out of Cars/Sortir les gens de leurs autos (121); Focus on Freight/Mettre un accent sur le transport des marchandises (122); Reduce Demand for Transportation/Réduire la demande pour le transport.
Devant cette approche inimaginable pour le Conférence Board, la série termine avec le rêve qui risque d’être celui de l’échec de la COP21 : Find the Balance/Rechercher l’équilibre (123)… On a un sens de ce rêve en voyant les autos dans les photos ci-haut, prises à Xi’an, mais qui auraient pu être prises ailleurs en Chine (même si ce n’est pas la situation tous les jours…). Comme nous, les Chinois semblent insister sur le signe de statut que l’auto représente, une BYD plus qu’une Mazda, par exemple, et n’importe quelle auto plutôt qu’une mobylette ou une moto. Reste que l’on ne voit pas beaucoup d’autos privées sur les autoroutes de la Chine, où dominent les taxis, les autobus et les camions. Les autos de parure se concentrent surtout dans les boulevards congestionnés dans les villes.
Des transformations profondes dans l’économie mondiale qui s’annoncent
Posséder une auto est quand même un geste que seul un faible pourcentage des Chinois peut poser pour le moment, et cela peu importe le coût en impacts environnementaux et sociaux que cela représente, comme la poussière épaisse ici, une version chinoise des précurseurs des changements climatiques un peu partout. Il est difficile de concevoir quand même, à l’image des Nord-Américains comme nous, une auto pour chaque Chinoise. Et les Indiens? les Africaines?
On peut avoir une idée de la profondeur du rêve qui risque de constituer la vraie cible des transformations qui s’annoncent en jetant un coup d’oeil aux corporations à la tête de la Fortune 500, où notre surconsommation en général réussit è se tailler une place entre la surconsommation d’énergie fossile et l’auto…
Onze des douze plus importantes corporations du monde en 2012 étaient dans le secteur de l’énergie (fossile) et de l’automobile; seule Walmart a réussi à pénétrer ce bloc. Même si le palmarès a changé quelque peu dans les deux années suivantes, le portrait est toujours le même, et définit presque sans analyse les liens entre les crises actuelles et les échecs des efforts à les gérer.
J’y reviens dans un prochain billet: L’automobile en question: pour le Canada, la décarbonisation profonde est illusoire
[1] La liste des alternatives possibles dans les transports est complète (et il y a un étrange rappel au Québécois de l’héritage de Stéphane Dion et l’exigence, en place ailleurs au Canada, d’au moins 5% d’éthanol dans l’essence, alors que l’éthanol vient de cultures alimentaires et représente un ÉROI de probablement 0, si ce n’est pas négatif…).
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