La chronique de Josée Blanchette dans Le Devoir du 26 février reprend un thème qui me préoccupe depuis longtemps, soit l’incapacité des groupes de la société civile à intervenir là où ils savent que c’est essentiel. Je notais dans mon dernier article que les questions de démographie semblent aboutir souvent à des dérapages dans les analyses même des experts. Dans la chronique de Blanchette, c’est la question de la viande et des impacts des élevages, et donc de la consommation de la viande elle-même. Le visionnement de Cowspiracy (une heure et demi qui valent la peine) est déconcertant par la masse d’informations fournies que nous connaissions déjà en bonne partie, mais qui insiste.
Dans les entrevues qu’elle a faites avec Laure Waridel et avec Karel Mayrand pour la chronique, ces deux soulignent la difficulté d’intervenir face aux défis, Mayrand ajoutant celui du rôle de l’automobile dans notre civilisation. Dans mon prochain article, je vais revenir sur cette problématique en commentant le document de Greenpeace International sur le potentiel des énergies renouvelables (100% de capacité à fournir l’énergie requise par l’humanité…).
Ce qui frappe dans la brève citation de Mayrand est son constat que la population ne tolère pas des interventions touchant les «dogmes» de la société – et son rejet des critiques des groupes par Cowspiracy, critiques difficiles à contourner. Ensemble, l’attachement à la viande et à l’auto représente quand même des enjeux touchant une bonne partie des émissions responsables pour les changements climatiques, mais aussi – c’est l’accent de Cowspiracy – la perte directe de biodiversité dans toutes ces formes pour produire la viande, en complément à la perte «indirecte» que représente la menace des changements climatiques. Ajouter à cela un discours insistant sur une réduction dramatique de notre consommation de produits de l’industrie et nous sommes devant une situation où on comprend plus facilement l’incapacité des gouvernements à développer des plans d’action en la matière : les populations des pays riches sont fortement investies dans des comportements qui sont en contradiction avec les changements requis pour éviter la catastrophe.[1]
Rôle de la société civile – et des individus
Par pure coïncidence, je viens de commencer la lecture du livre de Gar Alperovitz, America Beyond Capitalism (2005), suite à des références de Gus Speth. Et voilà, dès les premiers paragraphes, ce militant de la première heure se situe, nous situe :
It is not only necessary but possible to « change the system ».. When I worked in the Senate in the early 1960s, it was for Gaylord Nelson – the founder of Earth Day. The idea that environmental issues might one day become important in America seemed far-fetched then. Everyone knew this was a nonstarter. I witnessed close at hand the rise from « nowhere » of what once had been called « conservation » to become the « environmental movement ». I view current setbacks and political obstacles with a certain historical sense of the possible, and I view long-run change coming « out of nowhere » as always – minimally! – conceivable.[2]
Derrière les brefs commentaires de Waridel et Mayrand dans la chronique de Blanchette se trouve un constat troublant. Quand les groupes constatent que les défis qu’il faut relever vont à l’encontre de «dogmes» de la population (tels qu’ils les conçoivent), ils réorientent leurs interventions pour éviter de se «faire ramasser». Ils interviennent régulièrement maintenant – depuis longtemps, en fait, et vertueusement – pour un meilleur aménagement de nos villes et pour un transport en commun plus efficace. Ils savent en même temps que de tels objectifs sont devenus des priorités parce que notre affaire avec l’automobile a fait dévier nos interventions sociétales depuis des décennies, et vont empêcher la reconnaissance des objectifs qu’ils prônent. Cela tant que l’automobile restera au cœur de notre société de consommation.[3] Il est impératif que le «mouvement environnemental» cible aujourd’hui des changements systémiques nouveaux par rapport à ceux des années 1960.
Je viens de recevoir un message de la Fondation David Suzuki, où Mayrand est le directeur général, intitulé «Accumulez-vous des milles Aéroplan?». Je m’attendais naïvement à une intervention soulignant que la vie des babyboomers à la retraite (probablement pas leur membership de base…) centrée sur des voyages se bute à une autre source d’émissions importante: le transport aérien constitue le secteur des transports le plus difficile à gérer en matière de réductions de gaz à effet de serre (GES). Il n’en était rien pour le message : la Fondation sollicite le don des milles de ses membres pour permettre les «déplacements essentiels» de ses dirigeants (comme pour la COP21 en novembre-décembre). Ces dirigeants peuvent appuyer les constats de Blanchette, et aller plus loin pour constater que l’agriculture est peut-être même la plus importante source d’émissions de GES, avant les transports (lire : l’automobile); leurs interventions en matière d’agriculture et d’alimentation restent bien timides à cet égard, comme celles face à l’auto.
Je ne sais même pas comment me situer moi-même dans tout ceci. J’ai soupé avec les responsables de l’Association humaniste avant ma présentation chez eux il y a deux semaines, et j’ai commandé un repas d’agneau, viande que j’aime beaucoup et qui n’est pas souvent au menu. Un peu plus tard, un membre de l’Association s’est joint à nous. C’est quelqu’un qui commente mon blogue de temps en temps, et il s’est exclamé en voyant mon assiette : vous mangez de la viande?! Lors du dîner le même jour, un autre ami a noté que j’avais choisi le couscous aux merguez, alors qu’il s’était permis de présumer que j’aurais choisi le couscous végétarien, juste au-dessus dans le menu. Comme pour l’agneau du souper, je ne mange pas souvent le merguez, et je profitais de l’occasion. Finalement, comme Mayrand, je suis omnivore, et comme Pineau, pas végétarien en partie pour des raisons familiales. Cela ne diminue pas le fait que, au minimum, la limitation de la viande à un rôle de condiment pour des plats surtout végétariens est incontournable dans nos sérieux efforts de concevoir l’avenir.
Pire, comme Mayrand, je me suis permis plusieurs voyages ces dernières années, voyages dont les GES qui leur étaient associés étaient probablement à chaque fois plus importantes par deux fois que celles de ma Prius pendant l’année. Je sentais une certaine culpabilité en faisant ces voyages «essentiels» en Chine, mais mon alternative était de tout simplement rester chez nous. J’y suis allé donc quatre fois, et peu importe qu’ils n’étaient pas pour le plaisir, mais pour mieux comprendre le fonctionnement de ce pays où mon journaliste d’antan ne voit que celui d’un pouvoir dictatorial mais que je vois comme offrant des pistes pour le changement systémique qui s’imposera, je fonçais dans les émissions.
À la fin de mon voyage de 2011, lors d’une rencontre avec le directeur de l’Institut d’études urbaines et environnementales de la Chinese Academy of Social Sciences à Beijing, j’échangeais avec lui sur le rôle de l’automobile en Chine. Le contexte : sa correction de mon sens que les réserves de charbon de la Chine étaient de près de 200 ans, réserves qu’il ramenait à environ 45 ans. Le charbon est pourtant presque inévitablement la source de l’électricité pour alimenter la flotte d’automobiles que la Chine voudrait augmenter dramatiquement. Et face à notre constat de la congestion déjà impressionnante dans les villes chinoises, il ajoutait : le Chinois de la classe moyenne pourra facilement se satisfaire de tout simplement voir et faire voir son auto stationnée dans sa petite cour en avant, sans même l’utiliser…
Les travaux récents du DDPP et de Greenpeace International mettent de l’avant, parce que c’est incontournable, un changement «systémique» – pour reprendre le terme d’Alperovitz – dans les transports, mais c’est fascinant de voir comment cela est saupoudré d’une reconnaissance un peu partout que l’automobile domine et va continuer à dominer, de toute évidence. Le changement systémique relève du rêve dans ces travaux, qui cherchent à formuler les pistes pour permettre d’atteindre non seulement les pistes de l’Accord de Paris, beaucoup trop restreintes, mais un changement systémique dans la société elle-même. Ils n’y arrivent qu’à force d’énormes efforts de l’imagination.
Nos vies remplies de contradictions appellent une meilleure prise de conscience et un meilleur comportement. Reste que nos gestes comme individus, même dans les pays riches, ne représentent pas le changement systémique qu’il faut tant que nous n’aurons pas atteint la masse critique, le rejet des dogmes et des comportements en train de saccager notre seul milieu de vie, non seulement chez nous, mais sur la planète entière.
Le «dogme» démographique
Reste donc à comprendre les groupes, qui semblent ainsi reconnaître, par deux de ses intervenants les plus connus, qu’ils ne s’attaquent pas aux principaux défis qui menacent quand même la civilisation elle-même. Pierre-Olivier Pineau complète le portrait assez bien dans la chronique, soulignant l’intertie qui nous empêche de prendre les décisions qui s’imposent. C’est intéressant à cet égard de revoir un autre échange dans la chronique de Blanchette pendant la COP21 au début de décembre. Waridel et Mayrand y étaient encore en cause.
Blanchette racontait la réflexion d’une étudiante dans le cours qu’elle avait visité : «Isabelle soulève la question des enfants : « Le géographe et professeur Rodolphe de Koninck dit que, dans un monde ‘soutenable’, on ne devrait pas avoir d’enfant. En tout cas, pas plus qu’un »». La semaine suivante, De Koninck corrigeait le tir pour Blanchette :
La semaine dernière, une étudiante interviewée ici a prêté des propos sur la natalité et la surpopulation au professeur et géographe Rodolphe De Koninck. Celui-ci m’a écrit pour rectifier les faits et me dire qu’au contraire, il ne préconise en rien la dénatalité : «Je pense plutôt qu’il faut fournir aux familles qui le souhaitent la possibilité d’avoir au moins deux enfants. […] La surpopulation est un mythe, le problème démographique, s’il en est un, ne relevant nullement du nombre d’habitants de la planète, mais bien de la façon dont une minorité d’entre eux l’habitent. Cette minorité prédatrice se retrouve essentiellement dans les pays riches.» Toutes mes excuses au nom de l’étudiante pour cette interprétation imaginative.
Finalement, De Koninck revient indirectement dans ce commentaire sur un court texte qu’il a écrit dans Les nouveaux cahiers du socialisme : La décroissance pour la suite du monde (n.14, 2015). «Une décroissance de la production agricole mondiale est-elle souhaitable?» souligne le caractère prédateur et destructeur de l’agriculture industrielle et propose qu’une agriculture paysanne pourrait mieux nourrir la population humaine. Sous-entendu dans le texte, en partie, et qu’il ne rend pas explicite, est ce qui est présenté directement dans Cowspiracy. C’est que l’on ne peut proposer cela, et se permettre des familles «normales», que dans une perspective qui réduit dramatiquement l’empreinte écologique de la minorité prédatrice de l’humanité, les populations des pays riches.
On voit ici une sensibilité envers une autre des problématiques («s’il en est une», dit De Koninck) marquant notre civilisation, où on a vu la population humaine tripler pendant une seule vie humaine (la mienne); c’était un comportement de cervidés dont on connaît le cycle de vie… On voit la même sensibilité dans les sources de l’article d’Yves-Marie Abraham que j’ai commenté dans mon dernier article et même chez Abraham lui-même. Le titre de son article, «Moins d’humains ou plus d’humanité ?» signalait par indirection et suggestion, comme chez DeKoninck – par le questionnement – , une profonde critique de notre style de vie prédateur, sans pour autant rejeter du revers de la main le défi que représente l’effort de bien vivre de la part de 7,5 milliards d’humains (avec plus à venir) sur cette planète sérieusement endommagée.
L’UQCN (ancien nom de Nature Québec) s’est «faite ramasser» – pour utiliser l’expression de Mayrand – en intervenant sur la question en 1991 dans son magazine Franc-Nord par une chronique «Une politique familiale … ou nataliste ?» de Luc Gagnon et Jean-Pierre Drapeau (vol.8. n.4, p.9-12), cela faisant suite à un éditorial de son CA l’automne précédent (j’en étais président). La réponse d’un chroniqueur du Journal de Montréal : les deux auteurs étaient des crétins… Les crétins sont toujours à l’œuvre et même si, comme pour Alperovitz, ils ne semblent pas réussir, cela ne semble pas être une justification pour poursuivre dans des efforts de sensibilisation de la population et des décideurs qui détournent l’attention des véritables objectifs qui s’imposent…
MISE À JOUR (en fait, c’est du rattrapage…) le 15 mars 2016
Dans une intéressante note de recherche publiée au début de février, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) intervient là où certains groupes semblent réticents. La note, «Le transport en commun comme solution à la relance économique et à la crise environnementale au Québec», fournit une analyse de stratégies économiques en matière de transports, pas mal dans la lignée des efforts des économistes hétérodoxes de maintenir le modèle économique actuel, et la contribution la plus intéressante est plutôt ailleurs.
La note de l’IRIS montre que la voiture électrique ne représente pas une piste intéressante pour répondre aux enjeux touchant le transport des personnes et sa dépendance totale aux énergies fossiles; en fait, il montre que le transport par véhicule privé ne représente pas une piste intéressante. Comme la note le souligne, une telle orientation est à l’envers de celles marquant les projets d’investissements du gouvernement du Québec pour la prochaine décennie. Par contre, un remaniement ministériel récent a mis un membre de l’équipe économique du gouvernement Couillard à la tête du ministère des Transports…
Cela est dans le contexte québécois, et lorsque la réflexion est étendue aux défis globaux, le constat est encore plus frappant dans son rejet de l’approche technologique en appui à l’intérêt individuel. La note sert de rappel pour d’autres interventions antérieures dans le domaine. En 2011, Vivre en ville et Équiterre ont publié Changer de direction : Pour un Québec libre de pétrole en 2030. Il s’agissait d’une belle synthèse des connaissances acquises à travers le monde doublée d’un ensemble de propositions tout à fait cohérentes et qui allait dans le sens d’une réduction dramatique du recours à l’automobile privée. Il insistait qu’«assumer pleinement l’objectif de réduire l’utilisation et le nombre d’automobiles» n’était pas «une déclaration de guerre à la voiture, qui a tout à fait sa place au sein d’un ‘cocktail transport’ bien dosé» (69) mais le rapport est quand même assorti de suggestions sur des «dissuasions concrètes à l’endroit du trafic automobile» (85). Le travail était également assez perspicace face à l’idée que l’électrification va régler les problèmes (99-10. Il termine, comme c’est le mot d’ordre depuis des années maintenant et presque sans effet, avec une conclusion intitulée «L’urgence d’agir»…
Il semble que presque tout ce qui a été retenu des interventions visant des changements radicaux dans les transports depuis cinq ans est justement le rêve technologique et l’idée d’électrifier les transports. En 2013, Pierre-Olivier Pineau était intervenu déjà dans le journal Nouveau projet (…) pour souligner que c’était une fausse piste, ce qui devient encore plus évident avec cette récente note qui sert, finalement, de rappel. Même si les groupes ne se font pas toujours ramasser, ils n’ont pas toujours beaucoup d’impact.
Pour le sens contraire de la situation venant des promoteurs de l’économie verte, dont Dialogues pour un Canada vert, voir le blogue de Pierre Langlois du 7 mars dernier, fondé sur l’expansion énorme du transport électrique.
[1] Dans mon article sur le post COP21, je note la critique de Marc Jaccard à l’effet que le marché de carbone et les taxes sur le carbone ne représentent pas des interventions efficaces parce qu’ils exigent aux gouvernements d’aller à l’encontre, et explicitement, des dogmes de la population – ce qu’ils ne feront pas. Sur cette question, voir aussi l’article de Christian Simard mentionné dans la note 2.
[2] Alperovitz se penche sur des enjeux socio-politiques, et a publié un autre livre en 2013, What Then Do We Do?. Un récent article de février 2016 commente même la campagne de Bernie Sanders. Évidemment, le défi pour ceux qui s’attaquent aux enjeux touchant les fondements écosystémiques de tout développement socio-politique sont différents, peut-être encore plus exigeants.
[3] Le matin même que j’écrivais ces lignes, Christian Simard de Nature Québec intervient avec un texte dans Le Devoir qui associe justement une diminution du nombre d’autos avec les questions d’aménagement et de transport en commun.
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Rodolphe De Koninck m’a transmis le commentaire suivant:
Le film Cowspiracy, même s’il soulève une question importante, est en réalité très mauvais car il induit en erreur en faisant usage de données confuses et même carrément erronées. On y laisse entendre que le secteur agricole est le premier responsable des émissions de GES – contribuant à 51% des émissions mondiales – ce qui est faux, archi-faux!
Même si, à l’échelle planétaire, l’on additionnait toutes les émissions de GES attribuables à l’agriculture (celles de dioxyde de carbone, protoxyde d’azote, méthane), directement ou indirectement, entièrement ou partiellement, c’est-à-dire : l’activité de production elle-même, dont l’usage excessif d’intrants d’origine industrielle (10%?), la déforestation (15%?), le transport des intrants et des produits (5%), l’on n’atteindrait pas le tiers du total. Et cela, même si, à l’heure même où nous échangeons, cette contribution est sans doute en croissance à travers la dangereuse et destructrice expansion territoriale de l’agriculture industrielle. Je te rappelle que cette expansion se réalise sous de faux prétextes, notamment celui d’un soi-disant déficit alimentaire mondial (cf. mon article récent dans le numéro spécial des Nouveaux cahiers du socialisme consacré à la décroissance).
Certes l’agriculture, l’élevage industriel en particulier, est responsable de près de 50% des émissions de protoxyde d’azote et de méthane. Même si, à quantité égale, ce dernier est beaucoup plus puissant que le CO2, les quantités émises à l’échelle planétaire, toutes sources confondues, sont nettement inférieures à celle du CO2. Celui-ci demeure de loin le GES le plus responsable du réchauffement.
Bref, en jouant sur ce 50% ou 51% du méthane émis par l’agriculture, les responsables du film Cowspiracy se révèlent être des manipulateurs d’opinion, misant sur la paresse intellectuelle de la majorité, en particulier des intellectuels eux-mêmes et de bien des journalistes. L’une des conséquences de cette manipulation est de détourner l’attention du principal coupable : notre modèle de société, au centre duquel trône le couple mortifère que forment l’industrie pétrolière et l’industrie automobile.
Cela dit, en elle-même, l’agriculture moderne est aussi un secteur de tricheries, de mensonges, de gaspillages, d’erreurs et de manipulations éhontées. Mais pour les combattre, il ne faut pas simplifier l’analyse mais plutôt l’élargir et l’enrichir, voir large. C’est ce que je tente d’enseigner.
Tout au long du film, les chiffres passent rapidement et en grande quantité; même en arrêtant le déroulement, on n’est pas en mesure de tout assimiler. Merci à Rodolphe pour ces précisions et corrections. Cowspiracy réfère à un rapport du Worldwatch Institute de 2009 pour plusieurs de ces chiffres, et je me permets de citer ici quelques éléments du rapport, « Greenhouse Gas Emissions from Land Use » (p.32) dans State of the World 2009:
Carbon dioxide (77%), nitrous oxide (8%) and methane (14%) are the three main greenhouse gases that trap infrared radiation and contribute to climate change. Land use changes contribute to the release of all three of these greenhouse gases. Of the total annual human-induced GHG emissions in 2004 of 49 billion tons of carbon-dioxide equivalent, roughly 31 percent – 15 billion tons – was from land use. By comparison, fossil fuel burning accounts for 27.7 billion tons of CO2-equilvalent emissions annually.
Peu importe l’erreur dans les chiffres de Cowspiracy en ce qui a trait aux émissions de GES, je suis plus impressionné de toute façon par la partie du discours du film qui souligne la perte de biodiversité, la perte de territoires à l’échelle planétaire pour les élevages et pour les cultures requises pour les alimenter. Bien sûr que le film est orienté, comme De Koninck souligne, l’orientation semble néanmoins assez proche de celle sur laquelle insiste De Koninck, soit un style de vie dans les pays riches incompatible avec l’habitation de la planète. Aux groupes à élargir et enrichir l’analyse, en ciblant les énormes failles dans notre modèle de société.
Pour nourir ce débat, je vous invite à lire dans le numéro courant de la revue LIBERTÉ (no 311, printemps 2016) l’article de Gabriel Nadeau-Dubois intitulé « Margaret Thatcher, les melons d’eau, la société ». Il y développe un point de vue critique des ambiguïtés de certains groupes écologistes ne se réclamant ni pour ni contre l’ordre économique actuel.
J’avais déjà acheté le numéro pour voir ce qui accompagnait l’article « Perdre le Nord » de Julia Posca qui y paraît et qui avait été repris par Le Devoir. Il y a en effet plusieurs articles intéressants dans ce numéro de Liberté, dont celui de Nadeau-Dubois. Par contre, et comme beaucoup de critiques ègalement intéressants – économistes hétérodoxes et sociologues surtout -, il cible les néolibéraux pour sa réflexion. Bien correct, sauf qu’il ne semble pas voir – ils ne semblent pas voir, d’après de nombreuses recherches de ma part – que c’est le modèle économique fondé sur la croissance qui est en cause.
Posca est chercheure à l’IRIS, et la transcription d’une entrevue avec Simon Tremblay–Pepin se trouve également dans le numéro. Tremblay–Pepin a coordonné pour l’IRIS l’an dernier la production d’un premier volume de Dépossession (un deuxième est en préparation). Même si ce n’est pas en cause dans l’entrevue, et tant mieux, l’IRIS cherche des fois à passer outre les fondements de la crise dans le modèle économique lui-même, comme dans Dépossession. Ma plus récente expérience en la matière était la lecture de The New Normal (2012) de John K. Galbraith, qui se montre, après 200 pages intéressantes et qui y aboutissent, incapable de se résigner à un avenir sans croissance; la nouvelle normale en sera une de faible croissance…
Dans la revue LIBERTÉ de ce mois, le propos de Gabriel Nadeau-Dubois cible toutefois assez bien les véritables responsables du productivisme lorsqu’il écrit: « Il est malhonnête et contre-productif de culpabiliser les gens ordinaires pour des décisions qui, pendant des décennies, ont été prises au-dessus de leurs têtes par les dirigeants politiques et économiques. Les statistiques à cet égard sont stupéfiantes. Une étude de 2013, publiée dans la revue Climatic Change, dévoilait qu’à elles seules, « les 90 entreprises les plus polluantes au monde sont responsables des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre planétaires depuis la révolution industrielle ». La moitié de ces émissions, comme le soulignaient les chercheurs, ont d’ailleurs été générées dans les vingt-cinq dernières années, soit bien après qu’entreprises et gouvernements aient été mis au courant des dangers liés à la combustion des énergies fossiles. Même constat du côté des matières résiduelles: aux États-Unis, 99% des déchets solides sont issus des procédés industriels. Les déchets domestiques (produit par les familles) comptent donc pour moins de 1% du total! Il faut bien sûr encourager les gens ordinaires à prendre le métro et à faire du compost, mais ne soyons pas naïfs : à eux seuls, ces changements d’habitudes de vie ne pèsent pratiquement pas dans la balance. Qu’on le veuille ou non, la crise écologique nous renvoie à la manière dont nous organisons, collectivement, nos rapports aux ressources naturelles et au territoire. Ces enjeux dépassent le champ d’action des individus. »
En fait le productivisme n’est qu’un accessoire mis au service du capital. Dans le sens que A-> M -> A’ où le capital (A) se sert de la production (M) purement pour accroître sa valeur (A’), alors que ce devrait être l’équation inverse qui prédomine, c’est-à-dire M -> A -> M’ où une personne produisant un service ou un bien (M) se sert comme outil d’échange du numéraire (A) pour fournir ce service ou ce bien à une autre personne (M’). La différence est de taille. Dans une logique d’accroissement continuel de la valeur du capital toutes les stratégies sont bonnes, par exemple l’obsolescence programmée, alors qu’une économie au services des gens vise d’abord à répondre à leurs besoins. Je ne crois pas qu’il soit dans « leurs besoins » de mettre en péril leur habitat ou de manière plus générale l’environnement dont ils dépendent. On ne peut donc isoler la dimension économique des échanges entre humains de sa dimension écologique.
Aussi faut-il remettre en question le capitalisme et ses dérives pour lui proposer d’autres formes et ici je fais, pour conclure, appel à Frédéric Lordon qui dans l’édition de mars du Monde diplomatique écrit: « Dans une république complète, rien ne peut justifier que la propriété financière des moyens de production (puisque, bien sûr, c’est de cette propriété-là seulement qu’il est question) soit un pouvoir — nécessairement dictatorial — sur la vie. Le sens politique de la république sociale, éclairé par le cas Klur (NOTE de PAC: personnage du film « Merci patron »), c’est cela : la destitution de l’empire propriétaire, la fin de son arbitraire sur les existences, la démocratie étendue, c’est-à-dire l’autonomie des règles que se donnent les collectifs de production, leur souveraineté politique donc. Disons les choses plus directement encore : ce qu’il appartient à la Constitution d’une république sociale de prononcer, c’est l’abolition de la propriété lucrative — non pas bien sûr par la collectivisation étatiste (dont le bilan historique est suffisamment bien connu…), mais par l’affirmation locale de la propriété d’usage (6), à l’image de tout le mouvement des sociétés coopératives et participatives (SCOP), des entreprises autogérées d’Espagne ou d’Argentine, etc. : les moyens de production n’« appartiennent » qu’à ceux qui s’en servent. Qu’elle s’adonne à l’activité particulière de fournir des biens et services n’empêche pas une collectivité productrice de recevoir, précisément en tant qu’elle est une collectivité, le caractère d’une communauté politique — et d’être autogouvernée en conséquence : démocratiquement. »
Lors de ma lecture de l’article de Nadeau-Dubois citant une publication de Climatic Change, j’étais plutôt convaincu qu’il partait justement d’une réflexion intéressante pour embarquer par la suite dans des propositions problématiques. L’article de Climatic Change n’est pas accessible en ligne (Nadeau-Dubois n’en fournit pas la référence de toute façon), mais certains constats semblent clairs à la lecture.
D’une part, pour les déchets, cette sorte de chiffre arrive lorsqu’on inclut les résidus de l’exploitation minière dans le total. Ces résidus sont en quantités énormes, mais représentent une toute autre problématique que celle pour ceux résultant de la consommation au sein des établissements humains. À titre d’exemple, ces derniers résidus sont suffisants pour occasionner ce qui semblent être des atteintes importantes aux écosystèmes océaniques, soit des «continents flottants» composés de ces résidus ayant été répertoriés dans tous les océans ces derniers années. Une telle situation découle d’une mauvaise gestion des déchets municipaux dont la responsabilité me semble partagée dans les sociétés modernes, à divers degrés. Il ne sert à rien de blâmer les entreprises qui produisent les plastiques, par exemple.
D’autre part, la proposition à l’effet que les deux tiers des émissions de GES proviennent des activités de 90 entreprises parmi les plus polluantes doit certainement inclure donc les pétrolières. L’article, et Nadeau-Dubois, sembleraient suggérer que ce sont les pétrolières qui sont responsables des impacts des transports (par exemple) dans le monde contemporain à cet égard. Encore une fois, il me paraît évident qu’il s’agit bien plutôt d’une responsabilité partagée, justement en mettant un accent sur la combustion d’énergie fossile dont les impacts sont connus de la société entière – et non seulement les pétrolières – depuis 25 années.
Finalement, la proposition qu’il «est malhonnête de culpabiliser les gens ordinaires pour des décisions qui, pendant des décennies, ont été prises au-dessus de leurs têtes par les dirigeants politiques et économiques» frôle elle-même la malhonnêteté. Nous comprenons assez bien la main-mise des pouvoirs financiers et économiques sur les gouvernements, même ceux jugés les plus démocratiques (comme celui des États-Unis, et celui du Canada). Proposer quand même que les citoyens de ces pays ne détiennent aucune responsabilité réduit l’activité humaine dans de telles sociétés à une sorte de robotisation. Les propos des écologistes dans la chronique de Josée Blanchette ici vont dans le sens contraire et reconnaissent au moins une responsabilité limitée des populations qui insistent sur le maintien de ce qu’ils considèrent comme les bénéfices des activités de la société.
Bien sûr, les responsabilités pour les crises actuelles «dépassent le champ d’action des individus», mais, justement, comportent la reconnaissance des actions de ces individus en société. Les critiques du néolibéralisme manquent trop souvent leur cible en cherchant à mettre la responsabilité pour notre situation actuelle, sociale aussi bien qu’environnementale, voire économique, sur le dos de nos dirigeants politiques et économiques. (Voir à cet égard la chronique «Qu’est-ce que je peux faire?» d’Alain Deneault dans le même numéro) Il n’y a pas lieu de critiquer les écologistes pour leur prise de position «apolitique» s’il n’y a pas de responsabilité citoyenne impliquée dans l’effort de sortir des crises.
Nadeau-Dubois ne fait pas référence explicitement au néolibéralisme et on peut donc lui donner le bénéfice du doute. Il n’est certainement pas loin d’une critique des «dérives du capitalisme», pour revenir au commentaire de Pierre-Alain Cotnoir.
Je ne soutiendrai pas que les États-Unis sont un modèle de démocratie quand on sait que les dépenses électorales sont loin d’être contrôlées et que la collecte de fonds relève de la plus parfaite collusion entre l’oligarchie et des politiciens de carrière; quand on sait que les listes électorales sont dans bon nombre d’États produits par des firmes privées mandatées par des politiciens intéressés; quand on sait que les délimitations des districts électoraux sont laissées entre les mains de politiciens qui ne se privent pas de faire des découpages à leur avantage. Et que dire, des congrès des deux pseudos partis politiques contrôlant la vie électorale américaine où des simulacres de débat sur un programme sont adoptées « au son de la voix dans la salle » au cours d’un carnaval électoral menant au choix du candidat à la présidence. Et que dire de ces listes de « membres » autodéclarés pour les votes lors des primaires. Non, la démocratie tel que pratiquée aux USA est digne d’un pays du tiers monde.
Or, au Canada, ce n’est guère mieux. Un monarque fantoche qui possède seul la souveraineté (le peuple n’est pas souverain au Canada, c’est la raison pour laquelle les référendums ne sont que consultatifs et que la reine ou ses ministres ne peuvent être poursuivis). Dans les faits, un premier ministre qui bénéficie des pouvoirs d’un despote (plus puissant que le président américain dans sa propre fédération) cumulant le pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif, nommant comme juges qui il veux pour toutes les cours importantes dont cette Cour fédérale désignée par l’ex-colonie, Cour Suprême, à la suite du traité de Westminster. Un premier ministre pouvant désavouer toute loi provinciale, envahir n’importe quel champs de juridiction provincial, bref se moquer des États composant cette simili-fédération. Enfin des partis politiques dominants inféodés aux intérêts de l’oligarchie. Non le Canada n’est pas une démocratie exemplaire.
Cette mascarade de démocratie représentative n’a rien à voir avec une véritable démocratie. Et ce ne sont pas les seuls États à tronquer ainsi la démocratie dans des farces électorales. Je suggère la lecture de Frédéric Lordon pour mesurer l’ampleur de cette comédie qui a plus les allures d’une tragédie. Voir http://www.monde-diplomatique.fr/2016/03/LORDON/54925
On s’emporte! La question n’est pas du rôle de modèle de ces démocraties, mais de la responsabilité limitée mais réelle des citoyens dans ces pays pour ce qui s’y passe.
Merci du lien pour l’article de Lordon.
Hey ho Harvey! On ne s’emporte pas. Je trouve intéressants les propos de PA Cotnoir.
Moi aussi. Ma réponse indiquait tout simplement que ses propos ne s’adressaient pas à mon point principal, que nous ne sommes pas des robots face à ces dérapages dans les démocraties.