Glouton impénitent bis

L’interlude occasionné par la chronique de Josée Blanchette m’a permis de poursuivre la lecture du rapport de Greenpeace international sur le potentiel des énergies renouvelables pour remplacer l’énergie fossile et permettre à nos sociétés à se maintenir. Venant du groupe parmi les plus radicaux, il consacre l’échec – déjà en cours depuis une décennie avec cette initiative – du mouvement à s’attaquer de front aux défis du modèle économique actuel, s’inscrivant directement et explicitement dans le processus. Typiquement, il laisse de coté toute une série de questions sinon préalables au moins complémentaires à celle qu’il pose: est-ce qu’il est possible d’imaginer un monde comme celui d’aujourd’hui alimenté par les énergies renouvelables?

Cela fait longtemps que je prône une meilleure compréhension de la pensée économique chez les groupes de la société civile, pour mieux pouvoir la contester. Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion de voir deux responsables de groupes montrer leur compréhension lors d’un panel, mais ce qui était frappant est que les deux avaient l’air d’être des représentants du secteur. Non seulement ils montraient une certaine compréhension de la pensée, mais ils y adhéraient. Et ils ne sont pas seuls.Ho Chi Minh Ville 4

Voilà que Greenpeace International, le groupe qui à ses débuts incarnait la marginalité et les revendications radicales, est rendu à ce même stade, finalement, un promoteur du modèle économique. Je trouvais Yves-Marie Abraham presque méprisant dans sa critique des économistes et (bon nombre) des écologistes, alors qu’il les associe à des «gloutons impénitents». La lecture de la cinquième édition du projet de Greenpeace International sur une révolution énergétique est déconcertante, tellement l’image du glouton décrit l’esprit des auteurs, suivant le portrait d’Abraham à la lettre. Pour rappeler ce qu’il appelle la «goinfrerie atavique» associé à cet esprit :

L’approche [qu’il attribue aux économistes et à bon nombre d’écologistes] présente deux avantages très appréciables : elles n’impliquent aucune remise en question fondamentale de l’ordre en place et n’imposent d’efforts véritables qu’aux habitants des pays pauvres. Elles permettent ainsi aux plus riches occidentaux … d’espérer pouvoir continuer à s’enricher, notamment du fait de l’exploitation des ressources naturelles de ces pays du Sud, sans craindre d’avoir à partager ces richesses avec un nombre grandissant d’humains ni à subir les conséquences d’un effondrement civilisationnel. (Creuser jusqu’où?, p.373)

Des questions fondamentales qui ne s’y posent pas

Le rapport ne se pose pas la question, au départ, concernant la volonté même de procéder à la production de ces énormes quantités d’énergies (renouvelables). Il est pris pour acquis qu’il faut maintenir la croissance de l’économie. Le contexte pour cette production proposée est la nécessaire disparition des énergies fossiles – et de l’énergie nucléaire – de nos sociétés, à assez brève échéance. Pour Greenpeace International, il faut bien les remplacer (et plus).

On ne trouve nulle part, par ailleurs, une réflexion sur les coûts des externalités de cette énorme masse d’infrastructures, peu importe qu’il soit pris pour acquis que la mise en œuvre va éliminer la menace d’une de ces externalités parmi les plus importantes, le réchauffement et les changements climatiques. Nulle part (ou presque) dans le document ne trouve-t-on cette sensibilité aux massacres planétaires qui motivaient l’organisme à ses débuts, et depuis longtemps. Pourtant, les énergies renouvelables dont il est question dans le document doivent sortir de la machine à production industrielle derrière bien trop de massacres déjà faits.

À cet égard, et c’est étonnant, le document ne semble pas inclure dans ces modèles une prise en compte de l’énergie qui serait requise pour la production et l’installation de ces infrastructures. Il s’agit du rendement énergétique que le concept de l’ÉROI capte bien.  J’ai fait confirmer ma lecture à cet égard par un commentateur occasionnel de ce blogue, Raymond Lutz, et il va dans le même sens, surpris. L’ensemble de cette «transition» vers un monde vert fonctionnant à l’énergie renouvelable semble être prévu sans une comptabilité des besoins énergétiques réels pour le soutenir, dont une bonne partie serait dépendante d’énergie fossile. Il ne se pose même pas la question quant à la façon dont ces énergies renouvelables mais très différentes permettront le fonctionnement des sociétés comme l’énergie fossile le permet actuellement. La mise en place de réseaux électriques, de systèmes d’entreposage et d’autres infrastructures semble constituer tout ce qui est requis.

Viet Nam 1 13.31.53

La marche est dominante dans de nombreux pays pauvres. Photo Harvey Mead, région des minorités dans le nord-ouest du Viet Nam 2004

[Révolution] énergétique?

A Sustainable World Energy Outlook 2015 – 100% Renewable Energy for All intervient donc dans le débat sur l’énorme enjeu que représente les changements climatiques en offrant comme principale contribution la présentation des capacités, sur le plan économique et technique, de ces énergies renouvelables de pénétrer les marchés à un coût raisonnable. Ses partenaires fournissent les perspectives économiques en fonction des marchés qui seront fondamentaux dans la transition imaginée. Le document constitue, en effet, une caractérisation du mouvement favorisant une «économie verte» fondée sur la production de ces énergies. Il reconnaît le budget carbone au départ, mais n’en fournit aucune explication ni de sa compréhension de ce budget ni de l’allocation qu’il juge appropriée; le titre souligne que l’initiative est «pour tout le monde» mais les résultats des travaux sont loin d’arriver à cela; il reconnaît par ailleurs que les avancées à date ne rencontrent pas ses exigences. L’objectif de l’intervention est clair : trouver une façon de maintenir le modèle économique actuel tout en évitant un changement climatique catastrophique.

Le document est une intervention liée à la promotion des énergies renouvelables (avec l’IRENA – International Renewable Energy Agency – et REN21) et signé par deux importants secteurs de cette industrie, le Global Wind Energy Council et Solar Power Europe. Dans l’Introduction, une curieuse note ouvre la réflexion sur ce qui ne sera pas une priorité dans le document, en dépit de plusieurs références à la volonté de cibler une «convergence» dans l’accès à l’énergie :

Between 2005 and the end of 2014 over 496,000 MW of new solar and wind power plants have been installed – equal to the total capacity of all coal and gas power plants in Europe! In addition 286,000 MW of hydro-, biomass- , concentrated solar- and geothermal power plants have been installed, totaling 783,000 MW of new renewable power generation connected to the grid in the past decade – enough to supply the current electricity demand of India and Africa combined. (p.8, mes italiques)

On note, tout de suite après ce paragraphe, que pendant la décennie en cause, la capacité des centrales au charbon installées est l’équivalente à celle des énergies renouvelables. Beaucoup plus frappant, c’est à peine que le document reconnaît le fait que l’Inde et l’Afrique ensemble représentent probablement un milliard d’êtres humains qui n’ont même pas de l’électricité en 2015; à la page 32, il note – pour la seule fois dans le document, je crois – qu’il y a 1,3 milliards d’humains sans électricité, et 2,6 milliards avec un chauffage et une cuisson rudimentaires.

Cette préoccupation, difficile à éliminer de la réflexion mais renvoyée presque à un statut de fait divers tellement les impératifs économiques dominent l’analyse, mène à la recherche dans le document d’un portrait de la situation en 2050 par rapport à l’année de référence 2012. On n’en trouve tout simplement pas. Dans les sections couvrant les 10 régions identifiées pour les calculs, il y a, au tout début, un sommaire des réductions projetées pour 2050, en termes globaux et ensuite par région. Il est tentant d’essayer d’estimer ce que cela comporte en termes de l’accès à/l’utilisation de l’énergie par personne. Je l’ai fait (aucune idée comment définir l’unité, qui est calculée ici juste pour permettre des comparaisons).

100% renouvelables en 2050

Les pays du groupe de gloutons qui compteront environ 2 milliards de personnes en 2050 auront réduit de façon importante quand même leur consommation d’énergie per capita par rapport à 2012; les pays de l’Europe de l’Est et de l’Eurasie, comme les pays du Moyen Orient, connaîtront une moins grande réduction, et reste dans le groupe de gloutons en 2050. Dans le deuxième groupe de pays toujours pauvres après presque 40 ans de croissance économique mondiale se trouvent l’Inde et l’Afrique qui, avec les pays de l’Amérique latine et de l’Asie autre, ont une population projetée en 2050 de 6 milliards de personnes. La Chine réussit à se tailler une place entre les deux. La lutte aux changements climatiques à la faveur des énergies renouvelables «réussit» mais laisse près des deux tiers de l’humanité dans la dèche. (divisions de l’auteur)

Les améliorations technologiques recherchées et ciblées partout dans le document s’appliquent avant tout aux pays rencontrant en 2012 la description de «gloutons impénitents», et ils restent gloutons en 2050 selon le travail de Greenpeace. On est devant une absence totale de prise en compte disons sociologique par ce travail du fait que plusieurs des pays en cause ont des populations actuellement dépourvues d’un minimum des besoins. On doit même soupçonner que, devant la machine économique qui sert de modèle pour l’étude, même dans les pays pauvres ce sera surtout un faible pourcentage des populations qui «profitera» de l’augmentation de l’énergie utilisée per capita.

La question des transports

Le défi occasionné par les transports refait surface régulièrement, et le sujet est traité dans le dernier chapitre du rapport, dont la conclusion est, finalement, celle de tout le document. Ce défi est essentiellement celui des pays riches, qui ont occasionné les changements climatiques qui en découlent, et tout l’imaginaire du travail porte là-dessus. Reste que l’application de toutes les mesures préconisées laisse un certain libre jeu à ces mêmes pays; l’avant dernière figure du document, 12.16 (303: les figures suivantes peuvent se lire mieux à même le document, surtout pour voir les chiffres des deux dernières), montre que pour l’OCDE Amérique du Nord (lire les États-Unis et le Canada), les petits véhicules n’atteignent même pas le 50% des ventes en 2050…

Greenpeace 12.16

Finalement, en regardant le défi du coté des pays pauvres, «un ralentissement de la croissance des ventes de véhicules et une limitation ou même une réduction dans la possession de véhicules per capita par rapport au scénario de référence étaient requis. … Aller à l’encontre d’un comportement global qui dure depuis un siècle aurait besoin d’une intervention politique massive en faisant la promotion de transferts modaux et d’utilisation différente des véhicules» (304).

La mobilité dans les pays pauvres se fait actuellement avec – au mieux, en termes «modernes» – des motocyclettes, bon nombre parmi leurs populations restreint toujours aux déplacements à pied. Chaque traitement régional de l’étude débute, suivant le constat global, en soulignant qu’il faut mettre l’accent sur «des incitatifs à conduire des véhicules plus petits et d’acheter de nouveaux concepts, plus performants» (91). Sauf deux :

In 2050, the car fleet in Africa will be significantly larger than today. Today, a large share of old cars are driven in Africa. With growing individual mobility, an increasing share of small efficient cars is projected (131). … In 2050, the car fleet in India will be significantly larger than today. Therefore, a key target is the successful introduction of highly efficient vehicle concepts. In addition, it is vital to shift transport use to efficient modes like rail, light rail and buses, especially in the expanding large metropolitan areas (161).

Les résultats, qu’il faut finalement imaginer

La révolution est, finalement, presque exclusivement technologique, même si sa mise en oeuvre dépend de changements fondementaux dans le comportement des populations. On obtient une idée de la «révolution» en cause en regardant deux figures qui encadrent le chapitre sur les transports. Le chapitre débute en soulignant : «[Les transports représentent] une des parties de la révolution la plus difficile et requièrent une vraie révolution technique» (287); il se restreint aux technologies déjà disponibles. C’était clairement un moment pour une réflexion sur la «transition» dans les pays où dominent toujours des modes de transport qui n’incluent même pas l’automobile et où c’est clairement autre chose que de nouvelles technologies qui vont déterminer l’avenir. Il n’en est rien.

Le travail conclut qu’il faut que cette révolution dans les transports commence dans les mégavilles, en ciblant des systèmes de transports en commun, qui peuvent selon les auteurs être imaginés dans le court terme. «Le transport de personnes dans les mégavilles et autres régions urbaines devra être réorganisé presque entièrement, et le transport individuel doit être complété, si non remplacé, par le transport public en commun». C’était un des points de mon dernier article, et le rapport de Greenpeace souligne que «le principal obstacle est celui des décisions politiques»… Tout ce mouvement favorisant une économie verte plutôt qu’une reconnaissance de la nécessité de changer le modèle dépend finalement d’un changement radical dans le comportement des décideurs politiques pour lequel il n’y a presque aucun fondement. On commence déjà à en avoir une idée en regardant les efforts de préparer un plan canadien pour respecter l’Accord de Paris et qui devra nécessairement, selon le nouveau gouvernement, inclure le maintien de l’exploitation des sables bitumineux.

Presque sans relâche, la discussion par la suite porte sur les changements à apporter aux modes de vie dans les pays de l’OCDE, en élaborant les deux scénarios de la révolution préconisée. On ne trouve aucune discussion sur la façon dont l’Afrique et l’Inde vont passer de la marche et de la bicyclette à autre chose, pour ne parler que des transports. Finalement, ce sont justement les grands utilisateurs qui doivent être ciblés, pour obtenir les réductions dans les émissions qui sont prioritaires. En dépit de quelques phrases sur la nécessité de changements profonds, le document projette une croissance énorme dans les véhicules légers (303), sans nulle part fournir des projections en nombres absolus.

La première figure qui encadre (faute de mieux) la vision de l’ensemble est la 12.2 (289) qui fournit les perspectives pour le scénario de référence; il s’agit de celui bâti sur les travaux de l’Agence internationale de l’énergie et du World Energy Outlook de BP, ni l’une ni l’autre ne cherchant à corriger les tendances lourdes. Nous sommes dans le dernier chapitre, et en dépit de son sujet, les transports, on est toujours à la recherche des résultats per capita. (Il faut chercher avec attention dans le texte pour confirmer que la figure porte seulement sur les transports.)

Greenpeace 12.2

La figure 12.18 (305, pas affichée ici) fournit le portrait de la consommation énergétique dans les transports selon les trois scénarios du rapport et selon les technologies, montrant la folie des tendances actuelles par rapport à ce qui est proposé par Greenpeace dans ses scénarios de révolution énergétique et de révolution énergétique avancée. La figure 12.19 (306) conclut la présentation, et le document, et contraste avec la figure 12.2 ci-haut. On introduit la figure en soulignant que ces scénarios exigent une combinaison de changements de comportement et d’énormes efforts technologiques pour atteindre les cibles. Et la dernière phrase de la section : «La principale différence [par rapport au scénario de référence] est une distribution plus égalitaire de la demande en énergie pour les transports dans les différentes régions, cela en fonction de l’énergie utilisée par personne pour les transports» (306).

Greenpeace 12.19

 

C’est la dernière page du document, il ne fournit pas les chiffres pour «l’énergie utilisée par personne» et il ne cherche même pas à commenter ce qui est très loin d’être une distribution égalitaire» selon la figure. Il n’y a pas de conclusion pour le tout…

 

 

 

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8 Commentaires

  1. Évidemment que la poursuite de l’automobilisation des sociétés selon le mode actuel mène vers une impasse. Dans plusieurs pays, toutes sortes de taxis collectifs assurent déjà la mobilité du plus grand nombre. Ici, en milieu urbain, se développe lentement l’autopartage. Imaginons à partir de ces modèles d’autres formes de déplacement. D’ici une dizaine d’années des automobiles autopilotées sillonneront les routes. Plus sécuritaires que celles conduites par des « primates avec des clés de chars », elles ne nécessiteront plus de n’être utilisées en moyenne que 2 heures par jour. Peut-on concevoir des flottes d’autopartage composée de voitures autopilotées desservant un moyenne chacune une vingtaine d’usagers et qui iraient cueillir ceux-ci pour les déposer à leur lieu de destination d’une simple commande vocale sur son « smartphone »? Au lieu de 4½M de véhicules on pourrait couper ce nombre de plus de la moitié, voire plus. Je le sais, je rêve. Mais, étant en train de lire le livre de Clive Hamilton, « Requiem pour l’espèce humaine » publié en 2010 (édition française 2013), je me plais à espérer!!!

    • En rédigeant le chapitre sur l’énergie pour le livre du collectif Les indignés sans projets? des pistes pour le Québec que j’essayais d’organiser en 2013-2014, j’étais fasciné de me trouver devant la même sorte de cheminement. Partant de l’idée d’électrifier rapidement toute la flotte de véhicules personnels au Québec, ce qui semblerait envisageable ici, j’ai dû confronter le fait que cela ne représente pas aussi évidemment une approche valable pour des pays où l’électricité est produite à partir du charbon. Passant à une évaluation des besoins de mobilité réels, je me trouvais presque aussitôt à cette même idée d’une flotte de taxis circulant partout en répondant aux appels en fonction des technologies de pointe.

      On reste avec l’auto personnelle et privée comme symbole de présence sociale pour bloquer la mise en œuvre d’une telle approche à la mobilité – comme Karel Mayrand le souligne dans ses remarques à Josée Blanchette.

      Pendant mon adolescence, quand je travaillais au magasin de ma mère à San Francisco, je m’y rendais en prenant l’autobus pour traverser le pont et ensuite, sur Market Street, les jitney qui y passaient sans arrêt. Il s’agissait justement de cette sorte de taxi communautaire. Au milieu de Market Street à l’époque, en complément, il y avait des tramway mus à l’électricité… (À noter qu’en même temps le smog (mixe de smoke et fog dont la Baie de San Francisco donnait le nom) était tel que, des collines entourant la Baie, on ne voyait même pas l’eau, complètement bloqué par une immense couche gris foncé).

  2. Philippe Gauthier

    J’ai analysé ce document dès la fin de novembre avec quelques amis et je partage votre consternation. Il est étonnant – et décevant – de voir Greenpeace venir appuyer le modèle courant de croissance infinie. De plus, ses «projections» n’en sont pas – les moyens à mettre en oeuvre n’étant jamais précisés, on a toujours l’impression de chiffres mis sur le papier de manière arbitraire, pour prouver que le programme est impossible. Les problèmes sont sommairement évacués – on tient chaque fois pour acquis que les technologies nécessaires, et si elles n’existent pas encore, seront toujours mises au point au moment voulu, ce qui permet d’éviter de soulever des problèmes comme ceux du stockage et de l’intermittence.

    Par ailleurs, en ne se concentrant que sur les émissions de GES, Greenpeace laisse de côté tout le problème de l’extractivisme. Comme le souligne Philippe Bihouix, les énergies dites «renouvelables» sont en réalité beaucoup plus intenses en utilisation de minéraux que les énergies fossiles, ce qui accroît les pressions sur les métaux (dont certains s’épuisent rapidement, rappelle Ugo Bardi) et sur certaines ressources comme le sable (les éoliennes réclament beaucoup de ciment) dont la disponibilité est déjà réduite dans de nombreuses parties du monde.

    Comme vous le relevez de manière très pertinente, il est curieux de voir Greenpeace proposer un plan qui reproduit pour l’essentiel les inégalités du monde actuel.

    Mais en définitive, le plus curieux est sans doute la vision du monde complètement dépolitisée qui ressort de ce document. On y a l’impression que les politiciens sont 100% acquis aux énergies soit-disant renouvelables, que les financements seront toujours disponibles, que l’industrie pétrolière acceptera passivement de se faire déposséder, que les producteurs d’énergie accepteront joyeusement de radier une grande partie de leurs actifs financiers, etc. À la lecture du document, j’ai eu la curieuse impression de lire un conte de fées, pas un document exposant des voies praticables vers un avenir durable.

    • Raymond Lutz

      C’est fou hein? Devant un tel manque de justesse (cela frôle l’imposture intellectuelle), j’émets l’hypothèse suivante: le but premier (et unique?) de Greenpeace est maintenant de maximiser son financement en accroissant sa base d’adhérents, quitte à débiter n’importe quelle ânerie, en autant que l’on suive les experts en marketing et branding qu’ils ont embauchés.

      Passé une certaine taille, on dirait que les organisations sociales (quelles soient ouvrières comme les centrales syndicales ou commerciales comme les corporations) pervertissent leur finalité originelle jusqu’à, dans les faits, agir à contre-sens.

      « Il a fallu détruire le village pour le sauver » – bien qu’inventée, cette citation illustre l’incohérence de certaines actions humaines. Comme la police anti-émeute qui fesse sur les jeunes pour maintenir l’ordre et la sécurité. Dérive des sens.

      • Raymond m’a fourni par une communication personnelle deux liens qui méritent attention, en se posant la question: comment peut-on évaluer la faisabilité d’une transition énergétique sans évaluer l’énergie que requiert cette transition?

        Pour une discussion physique du défi de cette transition, lire
        http://physics.ucsd.edu/do-the-math/2011/10/the-energy-trap/

        Pour une discussion de l’efficacité:
        http://physics.ucsd.edu/do-the-math/2011/09/dont-be-a-pv-efficiency-snob

        • Raymond Lutz

          Ah! merci de les rementionner: ça m’a permis d’y découvrir de l’information qui m’avait échappée lors des premières lectures et que j’avais pourtant cherchée un peu partout: l’EROI du PV!

          J’avais alors recensé trois auteurs qui avaient établi un EROI du PV: Prieto, Weißbach et Raugei. Mais dans le billet du physicien Murphy sur the Energy Trap, il cite en introduction le document « What is the energy payback for PV? » rédigé par The National Renewable Energy Laboratory des É-U.A. [1]

          Ce document fait état de 5 études et auteurs distincts (Yé, une de mamelles de la science est la reproductibilité des résultats) qui font conclure à Murphy:

          Meanwhile, solar photovoltaics are estimated to require 3–4 years’ worth of energy output to fabricate, including the frames and associated electronics systems. Assuming a 30–40 year lifetime, this translates into an EROEI around 10:1.

          C’est techniquement possible de faire une transition énergétique mais il faut la faire maintenant et l’alimenter par les dernères réserves fossiles conventionnelles QUI DEVRONT ÊTRE REQUISITIONNÉES à cette fin.

          Hors du contrôle des prix et de la nationalisation complète et globale de l’industrie pétrolière, point de salut. Donc abandon de l’économie de marché pour ce secteur.

          [1 ]http://www.nrel.gov/docs/fy04osti/35489.pdf

  3. kim cornelissen

    Je suis assez d’accord avec l’article bien que la situation mondiale soit trop compliquée pour que je puisse vraiment commenter cette portion. Mais il y a autre chose: nous sommes effectivement toujours dans une optique de croissance avec des nouvelles technologies très ciblées comme formule magique – tout comme on parle généralement d’éco-quartiers construits (et non de repenser les quartiers, municipalités déjà construites et plus efficaces, alors qu’il est maintenant démontré que selon une analyse de cycle de vie, la rénovation est beaucoup moins émettrice de GES; on parle de bornes et d’autos électriques plutôt que de favoriser l’achat de voitures usagées (ou leur maintien) avec gestion des déplacements, etc. Dans tous les cas, c’est la vision industrielle traditionnelle du XIXe et XXe siècle, basée sur la machine plutôt que sur la réduction de la quantité d’énergie consommée, entre autres par des modèles de résilience locale, comme on en voit des micro-exemples au Québec, en Suède et probablement ailleurs… De plus, l’argument que Greenpeace répond à un mandat industriel pro-éolien et solaire est particulièrement frappant dans le fait qu’ils ont une honteuse méconnaissance du biogaz, alors qu’il s’agit d’une des technologies les moins gourmandes en énergie et construction, n’utilisant pas de culture énergétique – sauf en Allemagne où il s’agit d’une subvention déguisée pour le monde agricole (contrairement à l’éthanol et au biodiésel) – et qui est généralement produite et utilisée localement, qui peut être utilisée au quotidien par des populations très pauvres, qui est connue de celles-ci et qui peut s’avérer presque sans coût dans ces cas-là. 0n parle de 500 000 biodigesteurs personnels au Vietnam et, quand j’étais au premier Sommet du biogaz d’Anyang, en Chine, en 2011, ils pensaient produire 25 % de toute l’énergie en milieu rural avec du biogaz. Bref, il y a une absence de volonté de penser autrement la production et l’utilisation (ou non) de l’énergie.

    • Kim,

      Merci de cette intervention plutôt rare sur mon blogue de quelqu’un dans le mouvement environnemental. Voilà la sorte de programme que j’aimerais bien voir le mouvement mettre dans ses priorités, en lien avec quelques éléments que je réitérerais, que j’ajouterais ou que je changerais: une réduction importante en termes absolus de la consommation d’énergie dans les pays riches, y compris ici au Québec; l’abandon ou presque de l’automobile privée (et non seulement l’achat d’une voiture usagée, ce qui ne fait que repousser à un plus tard la question de l’achat de voitures neuves, à moins de faire partie de l’idée de rendre le parc actuel notre dernier… Plus généralement, il nous faut, et d’urgence, entreprendre l’effort de mettre en oeuvre le travail de remplacement de la vision industrielle traditionnelle que j’appellerais plutôt la vision du modèle économique en général fondé sur la croissance et qui est prise pour acquis par Greenpeace International ici.

      Ton ajout de la réflexion sur les biogaz, autrement que comme approche dans les pays riches pour leurs déchets en quantités astronomiques, est apprécié et aborde justement ce que tu dis ne pas pouvoir commenter, la situation mondiale. Voilà une façon d’aborder la transition en pensant aux populations des pays pauvres et à une technologie qui rime bien mieux avec nos chances de réussir que celles promues par Greenpeace en quantités également astronomiques.

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