Quand j’écrivais le chapitre 3 du projet de livre Les indignés sans projets? sur l’énergie, j’ai commencé l’esquisse d’actions qui s’imposent (section 2.1.1) en proposant l’élimination progressive (au fur et à mesure de l’atteinte de leur fin de vie) de l’ensemble des véhicules à essence, que ce soient les automobiles ou les camions; c’était une intervention à commencer immédiatement. J’ai fini par réaliser que c’est l’élimination tout court des automobiles privées qui s’imposent.
C’était donc inattendu de voir le titre de l’article du Devoir du 14 octobre dernier, «Interdiction des voitures à essence: L’Allemagne pourrait inspirer le Québec». Le ministre réfère à une initiative de l’Allemagne annoncée pendant la semaine, cela suivant d’autres interventions de la Norvège et des Pays-Bas. Dans la politique énergétique du Québec rendue publique au printemps, le gouvernement prévoit seulement un million de véhicules électriques et quatre millions de véhicules à l’essence sur les routes en 2030 alors que ces initiatives visent, à toutes fins pratiques, la disparition de ces derniers.
La lecture de l’article du Devoir clarifie rapidement la situation: le ministre dit bien dans son discours: «Ceux qui pensent que [la réduction de la dépendance au pétrole] est dans un horizon qui est à ce point lointain, vous voyez que les choses avancent rapidement». La journaliste, bien rodée aux discours gouvernementaux, a dont posé des questions après le discours, et le ministre en réponse a réduit à presque rien «l’annonce»: «On n’est pas rendu [à suivre l’Allemagne]. Mais on a un marché du carbone. Il faut que les émissions baissent d’année en année», et propose que l’idée pourrait s’appliquer surtout aux camions, qui pourraient être convertis au gaz naturel…
La politique énergétique
Je n’avais même pas commenté ce printemps l’annonce de la nouvelle politique 2016-2030, tellement elle ne répondait pas aux attentes, aux exigences. Cette nouvelle intervention la ramène à l’avant plan brièvement, en montrant jusqu’à quel point c’est plutôt une orientation économique dans le sens bien traditionnel des «vraies affaires» qui est en cause.
Nous sommes à la répétition de l’expérience avec la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEÉQ) de 2013-2014, la politique ayant été probablement orientée en bonne partie par la même équipe qui a donné le ton au document de consultation de la CEÉQ. On se demande encore une fois pour qui est écrite la brochure «L’énergie des Québécois : source de croissance». Le grand public n’est certainement pas ciblé; les groupes de la société civile n’y trouvent vraiment pas les informations permettant de concrétiser la rhétorique du document, qui ne répond pas aux attentes de toute façon; les entreprises visées, incluant Hydro-Québec, ont bien d’autres entrées plus structurées pour perdre leur temps dans l’exercice. Finalement, le document, et la politique elle-même, semblent s’insérer dans le travail de communication du modèle économique et qui vise en priorité les médias.
Le discours récent du ministre Arcand rentrait dans le même moule, cherchant à donner l’impression que le Québec est bien un leader dans les efforts de combattre les changements climatiques – jusqu’à ce que la journaliste fasse son travail. Pour les gens qui ne lisent que les manchettes, par contre, la couverture de cet événement va dans le sens contraire, celui du gouvernement…
Le discours entourant la politique est consacré dès le départ de la brochure d’avril dernier dans la note du Premier ministre Couillard, centré sur une transition, terme qui semble consacrer la vision qu’il n’y a pas d’urgence; portant par ailleurs sur une longue période de 15 ans par rapport à celles ciblées par des politiques antérieures, la politique annonce trois plans d’action pour couvrir la période, et se restreint radicalement dans l’énoncé d’objectifs chiffrés. Clé dans le discours, le choix est fait de reléguer les enjeux des changements climatiques à une seconde place et de n’indiquer presque rien quant aux liens entre les nombreuses activités décrites sommairement et des objectifs découlant de la COP21 et l’Accord de Paris.
Alors que l’échec de cette conférence en décembre 2015 reste transformé par les participants plutôt en un nouveau défi, cela est quand même dans un contexte où une mobilisation majeure s’imposerait, au Québec, au Canada, partout, pour combler les déficiences majeures des engagements obtenus jusqu’ici. Le défi semblerait laissé au responsable d’une telle mobilisation – comme depuis toujours – , soit le pauvre ministère de l’Environnement (et des Changements climatiques…), qui doit gérer une telle mobilisation en fonction du jugement par le gouvernement que les émissions de GES et leurs impacts représentent toujours des externalités.
Les changements climatiques à l’ordre du jour, vraiment?
On a vu la semaine dernière jusqu’à quel point nous sommes devant un constat que refusent les intervenants de la société civile. L’adoption de l’entente de libre échange Canada-Europe ouvrirait la porte, disaient-ils, au développement accru des sables bitumineux et une impossibilité presque calculable d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Pendant cette même semaine, on a vu des applaudissements – bien correctes – à l’endroit de la signature d’un accord sur les HFC (remplacements des CFC des années de la lutte contre le trou dans la couche d’ozone) et une intervention de Nicholas Hulot et David Suzuki qui était tout à fait irréaliste, acceptant l’entente de le libre échange Canada-Europe mais cherchant à condition qu’elle intègre les externalités, qui doivent pourtant rester cela, selon les négociateurs ferrés dans le modèle économique.
Fidèle à cette vision, le gouvernement montrait dans sa politique énergétique une volonté d’y maintenir le développement économique et la croissance comme priorités; même la réponse aux défis du secteur énergétique sont subordonnés à cet objectif. Typique du flou dans le discours, le graphique de la brochure (voir figure ci-haut) qui montre la situation en 2016 et en 2030, à la fin de la période couverte par la politique, laisse l’image d’une consommation énergétique constante sur 15 ans, avec deux lignes de longueur égale. Pourtant, la politique souligne, fidèle à la vision du document de consultation de la CEÉQ, une croissance importante de la consommation de l’énergie d’ici 2030 en dépit du fait que la brochure insiste sur le fait, dès le début, que le Québec est un très grand consommateur d’énergie per capita. Le graphique met l’accent surtout sur l’augmentation des énergies renouvelables mais on cherche sans succès une idée de la consommation totale d’énergie au Québec en 2030. Il est clair qu’elle sera plus importante qu’en 2016.
À travers le flou du document et de la politique elle-même, plusieurs décisions sont quand même annoncées : ouverture à l’exploitation des hydrocarbures; maintien de la construction des éoliennes, mais – obéissance au surplus en vue – cela pour exportation vers des marchés dans des juridictions qui n’auront pas eu la sagesse du Québec en termes d’énergie renouvelable; maintien du programme des petites centrales. Le flou entoure Énergie Est, avec une priorité en matière d’efficacité énergétique qui cherchera à éviter «la construction d’infrastructures lourdes pour la production, le transport et la transformation d’énergie» (46); reste qu’il y a planification d’une nouvelle centrale d’Hydro-Québec pour répondre à une demande accrue non quantifiée par des projections et une (grande) ouverture au pipeline, probablement comme exceptions à la priorité alors qu’il est difficile à imaginer des infrastructures plus lourdes, à la possible exception de ce qui serait nécessaire pour exploiter les hydrocarbures qui reste une option grande ouverte.
Et les transports?
On voit le même flou face aux transports, ciblés à plusieurs égards par la politique, mais visant – en cherchant avec soin – l’objectif d’un million de voitures hybrides et électriques en 2030 dans une flotte qui aurait augmenté de 4,5 millions de véhicules en 2015 à 5 millions en 2030; l’électrification laissera une flotte de 4 millions de véhicules mus aux combustibles à la fin des 15 ans.
En dépit d’un discours qui laisse entendre le contraire, la politique énergétique se garde soigneusement d’intervenir – sauf quelques exceptions sectorielles – dans les marchés, voire dans le comportement des individus. C’est le modèle économique dans sa forme peut-être la plus pure. Et le ministre des Affaires autochtones Geoffrey Kelley souligne dans sa note que les communautés autochtones manifestent leur intérêt grandissant à prendre part à des projets de développement économique. L’adhésion au modèle serait presque unanime, selon les quatre ministres qui fournissaient un aperçu au début de la brochure; il est presque définissant que le ministre de l’Environnement n’y figurait pas. Finalement, comme le Premier ministre note, il faut «tirer profit de cette situation de transition… La mise en valeur responsable de nos ressources énergétiques est indispensable à la vitalité économique du Québec. … L’énergie des Québécois est une source de croissance».
À travers tout ceci, nous voyons les groupes environnementaux maintenir leur volonté de participer à un ensemble de consultations et de processus décisionnels marqué sans beaucoup de nuances par le modèle qu’il faut rejeter – avant qu’il ne s’effondre de lui-même. Que ce soit devant la Régie de l’énergie ou devant l’Office national de l’énergie (dans la mesure où ce sera permis), que cela soit face aux projets de libre échange de grande échelle qu’ils peuvent au moins commenter, la mobilisation de la société civile se fait piéger par une inertie sans failles pour le développement économique défini par le modèle dominant. La «transition» exige autre chose, et voilà une source de préoccupation pour le flou dans le discours de la société civile sur cette «transition» auquel nous reviendrons.
Sommes-nous vraiment prêts à accepter que le parc automobile continue à croître, en autant qu’il comporte un faible pourcentage de véhicules électriques. Est-ce qu’un objectif de réductions additionnelles des émissions de 18% d’ici 2030 par rapport à 1990 (p.12 de la brochure), soit une réduction totale de 25%, permet d’envisager le respect de l’Accord de Paris?
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