Même Terre-Neuve et Labrador

Pendant les années du gouvernement Harper, l’économie canadienne roulait sur l’exploitation des ressources énergétiques non renouvelables, surtout le pétrole. À titre d’exemple, en partant des données de l’Institut de statistique du Québec, l’atteinte des objectifs de croissance était dopée par les résultats dans trois provinces productrices de pétrole, l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve et Labrador (TNL). Ces résultats viennent en bonne partie du fait que ces trois provinces exploitaient le pétrole alors que le prix de celui-ci était à la hausse jusqu’en 2014.

http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/comparaisons-economiques/interprovinciales/tableau-statistique-canadien.pdf (page 20)

Figure 1: Croissance du PIB du Canada et des provinces 2004-2016                   Pendant près d’une décennie, l’exploitation du pétrole a marqué l’économie canadienne. Les provinces productrices ont montré des hausses de leur PIB quand le prix était élevé et des baisses depuis 2015 avec un prix bas. Le Québec et l’Ontario ont montré une toute autre tendance, plutôt stable et avec une croissance du PIB plus bas.

L’énergie fossile et l’économie canadienne

Cette situation explique presque directement l’orientation du gouvernement Harper à plusieurs égards, favorisant le développement de ces ressources et contestant les efforts de gérer les changements climatiques en général et la croissance des émissions de GES en particulier. Cela permet de comprendre aussi aujourd’hui, dans une toute autre situation où le prix du pétrole est bas et prévu par plusieurs pour rester bas (voir mon dernier article), la volonté des gouvernements de cibler quand même le maintien de cette exploitation, sans relâche pour les deux provinces des Prairies, et tout récemment, avec le lancement d’Advance 2030, pour Terre-Neuve et Labrador.

Ce qui frappe est que les sables bitumineux à la base de l’économie de l’Alberta et de la Saskatchewan, et l’exploitation en mer à TNL, se situent dans un contexte que certains analystes décrivent comme une tendance vers un pic de la consommation du pétrole, cela d’ici peut-être, justement, 2030. Comme je l’ai indiqué dans mon dernier article, cela risque de restreindre les ambitions des différents gouvernements et entreprises à accroître leur production, voire à la maintenir, lorsqu’il s’agit de ressources non conventionnelles. Il est intéressant à cet égard de voir l’Institut économique de Montréal (IEDM) sortir un texte sur les retombées positives de la croissance économique tout aussi déconnecté de la réalité que les voeux des gouvernements: l’IEDM souligne la contribution des provinces productrices (dans le passé…) à ces retombées.

L’exploitation en eaux profondes (une autre source de pétrole non conventionnel)

J’ai abordé la question de l’exploitation pétrolier dans l’Ouest dans mon dernier article, et j’ai décidé de voir ce qui pouvait se dire des efforts dans l’Est, à TNL. C’est dans le contexte baissier actuel que nous avons vu le gouvernement de TNL sortir donc son Advance 2030, sans qu’il y ait mention de la banqueroute qu’occasionne actuellement le désastre fiscal du projet Muskrat Falls. Le dépassement par le double du budget de ce méga-barrage, et une absence de marchés prévisibles pour son énorme production d’électricité, soulignent la tentation que représente pour l’ensemble des gouvernements la «contribution à l’économie et à la prospérité» des grands projets. C’est comme cela, par ailleurs, que le Premier ministre Couillard a décrit le projet du REM de la Caisse de dépôt – c’est un «grand projet» – , plutôt que de mettre de l’avant sa raison d’être, sa prétendue contribution à une amélioration du transport en commun dans la métropole. Contrairement à TNL, le Québec va apparemment pouvoir vendre une partie de ses surplus d’électricité, venant entre autres de son projet de barrages sur la Romaine.

C’est plutôt décourageant de voir les efforts de l’«opposition» à TNL de proposer des Reflections on a Sustainable Post-Oil-dependent Newfoundland and Labrador. Il s’agit d’un travail d’un groupe d’experts qui voient plutôt bien l’ensemble des défis sociaux, environnementaux et économiques de notre développement s’enfoncer dans le piège restreignant de la croissance économique. Leurs orientations sont toutes inscrites dans l’économie verte (en se référant à Dialogues pour un Canada vert, dont j’esquisse les faiblesses dans mon livre) et une absence d’expertise, d’après mes lectures, quant aux enjeux fondamentaux pour le pétrole. Le document est un rapport découlant d’une conférence tenue en novembre 2016 et contient une série d’articles sur l’ensemble des problématiques.

L’intervention a été suivie par une entrevue avec une des responsables, la professeure Neis, dans The Annual, où elle remarque que, en dépit de leurs efforts, il y a un mouvement de fond, via le NL Research Development Corporation, vers de nouvelles explorations et si possible exploitations offshore – des «energy mega-projects» – qui va donner lieu, en janvier 2018, à Advance 2030 où la province cible une production offshore le double d’aujourd’hui. Le travail de concertation me rappelle mes efforts avec Les indignés, mais il est orienté dès le début vers une vision d’une économie verte. Dans son entrevue, Neis conteste par ailleurs les «doom and gloom scenarios we encounter on an almost daily basis» où je dois bien me trouver.

L’approche de l’économie verte, suivant des critiques faites tout au long des dernières années, propose que le développement économique pourra se poursuivre, mais en intégrant les contraintes environnementales (et sociales) qui n’ont jamais été intégrées pendant les décennies d’effort du mouvement environnemental; le recours à un nouveau terme pour décrire l’effort n’en diminue pas les obstacles. L’expérience récente en TNL avec l’initiative de Reflections représente ce qui est presque une évidence, que les promoteurs de la croissance économique se trouveront dans les postes décisionnels et ne pourront intégrer les propositions d’une vision plus holistique. C’est presque en même temps que l’annonce d’Advance 2030 et le rappel de Reflections se sont présentés.

De retour à l’IPV – deux façons

Contrairement à ma petite recherche sur l’Ouest, celle sur l’Est n’a pas encore abouti. Je vais poursuivre ma recherche dans les jours qui viennent, mais il me paraît pertinent de sortir ce court article pour souligner non seulement la volonté des gouvernements de poursuivre le développement pétrolier mais l’explication de cela, l’espoir de pouvoir maintenir la croissance économique. Il est intéressant de voir dans la Figure 1 le lien entre les deux, avec les provinces productrices maintenant en-dessous de seuil de rentabilité, montrant – au moins temporairement, mais je crois de façon permanente – que nous sommes en train d’être rattrapés par la non prise en compte de l’environnement, de la planète, de ce que veulent sauver les promoteurs de l’économie verte.

Le chapitre de mon livre sur l’IPV sur l’activité minière esquissait l’approche de l’économie écologique à cette activité: l’extraction représente une soustraction dans l’actif d’une juridiction, et ne devrait donc pas être attribuée au «progrès» que le PIB prétend indiquer. Il faut plutôt l’investir (voir l’exemple de la Norvège) dans l’espoir de pouvoir générer par les retombées des investissements une contribution soutenable au développement long terme. On voit un résultat de la décision – partout – d’agir autrement: le PIB des provinces productrices étaient en hausse pendant les années fastes, mais rien ne reste après, quand le prix chute et on se trouve avec la ressource disparue.

Il est certainement illusoire de penser que les gouvernements agiront autrement, mais nous sommes en train actuellement, à travers le Canada, de voir le défi du «développement» lorsque celui-ci doit être fondé sur des activités ayant un potentiel de long terme. Entretemps, le calcul de l’IPV indique assez clairement que le PIB, en excluant le coût des externalités, ne fournit pas un bon indice, même pour les provinces non productrices comme le Québec et l’Ontario. M. Couillard voudrait bien que ce soit autrement, mais l’agriculture et la foresterie, sous un autre régime, peuvent représenter des bases plus soutenables d’un développement approprié…

 

MISE À JOUR le 2 mars 2018

Le secteur en eaux peu profondes Jeanne D’Arc (voir la carte) est au cœur de l’activité de production pétrolière à Terre-Neuve et Labrador (TNL). La plateforme Hibernia, la plus grande au monde, y produit du pétrole  (elle est dans environ 80 mètres d’eau) avec forages à plus de 3700 mètres sous le fond) et l’activité s’approche plutôt d’opérations conventionnelles. La production y a commencé en 1997.

Le champ White Rose représente d’autres aires d’intérêt en eaux peu profondes d’environ 120 mètres. Il se trouve près de Hibernia et est en opération depuis 2005. Husky Oil (partenaire avec Suncor et Nalcor) proposait en mai 2017 des extensions des activités du site.

Carte

De plus récentes découvertes se trouvent dans le Flemish Pass (voir la carte), en eaux profondes plus au large. Statoil, qui s’est retiré des sables bitumineux, annonçait en février 2017 qu’elle prévoyait faire des forages exploratoires dans le secteur. Il s’agit de ce qui est communément considéré comme des gisements non conventionnels, en raison des coûts importants associés à l’exploitation. Cela représente le changement d’orientation pour ses investissements par rapport à ceux dans les sables bitumineux, qu’elle a maintenant abandonnés. Les annonces semblent très prudentes, devant les coûts très importants connus d’avance pour toute exploitation dans un tel secteur. On peut bien se poser des questions quant à l’annonce du gouvernement de TNL d’Advance 2030…

MISE À JOUR  le 27 juillet 2018

Statoil, sous le nom de Canada Equinor, a annoncé son projet de développer le gisement dans la Bay du Nord dans le Flemish Pass. Terre-Neuve et Labrador indique que l’exploitation, dans 1100 mètres d’eau, serait rentable au prix actuel.

 

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2 Commentaires

  1. Merci de cette intéressante analyse M. Mead!
    Vive donc la constance d’une économie plus durable. Très surprenant que nos dirigeants, certainement instruits de ces subtilités et de leurs effets, fassent tout pour qu’on persiste dans cette voie! Très puissants ces lobbies. Mais combien destructeurs de notre belle stabilité climatique planétaire! Et même à court terme on n’y gagne plus. Cherchez l’erreur!!

  2. Jacques Fortin

    Très très instructif….merci

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  1. Même Terre-Neuve et Labrador | Harvey Mead – Enjeux énergies et environnement - […] Publié par Harvey Mead le 27 Fév 2018 dans Blogue | Aucun commentaire […]

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