Le récent éditorial de Jean-Robert Sansfaçon dans Le Devoir, «Québec Solidaire : l’avenir ou le passé?», est assez intéressant pour nous montrer jusqu’à quel point l’adhésion au modèle économique actuel rend une pensée renouvelée difficile. Sansfaçon a déjà montré comment cette adhésion met les enjeux environnementaux entre parenthèses par son éditorial de 2014, «L’improbable révolution», qui termine ainsi:
C’est pour cette raison que les experts du monde entier doivent maintenant unir leurs efforts pour aller au-delà des cris d’alarme en faisant la démonstration des avantages économiques et sociaux d’une première grande révolution industrielle pour ce millénaire.
Une bonne partie de mon livre est consacré à une critique de cette idée qui voit l’avenir dans la poursuite du développement économique à l’ancienne mais avec un sous-titre de vert.[1]
Gérer les émissions comporte un changement de société
Le passé ou l’avenir?
Ce qu’ajoute Sansfaçon est que le programme de QS représente le passé… Il manque ainsi un des éléments fondamentaux de la campagne électorale, où les trois principaux partis inscrivent dans leurs programmes le modèle économique qui marque le passé et qui est au bord d’un effondrement et où seul QS aborde le défi d’esquisser un nouveau modèle tout en s’attaquant aux pires éléments du modèle actuel.
La critique de QS par Sansfaçon va jusqu’à soulever la question si le mouvement et le parti ne sont pas «une version soft du bon vieux communisme chinois»! En effet, comme il souligne, QS réduit l’importance du secteur privé, met un accent sur la «socialisation des activités économiques» et va jusqu’à penser à la nationalisation de certaines composantes du secteur économique lorsqu’il s’agit de viser le bien commun et des services pour tout le monde.
En réponse, Sansfaçon souligne qu’il faut maintenir les acteurs du secteur économique si le Québec veut «survivre dans le monde d’aujourd’hui». Voilà le véritable fond du débat de l’élection: le «monde d’aujourd’hui» est en crise, c’est le système économique avec – suivant Sansfaçon – ces grandes entreprises privées, ces leaders qui possèdent plusieurs résidences et, finalement, «les individus les plus entreprenants et les entreprises les plus dynamiques» qui en sont responsable en grande partie.
Et les enjeux environnementaux?
L’intervention de Sansfaçon a été suivie le lendemain par un texte de Louis-Gilles Francoeur, «Les enjeux occultés de la gestion environnementale», qui se plaignait, à l’instar d’un message reçu d’une amie ces derniers jours et de beaucoup de commentaires, à l’effet que l’environnement n’a pas sa place au gouvernement, dans le budget du gouvernement, dans la campagne électorale.
Il s’agit d’un type d’intervention qui se fait depuis des décennies, critiquant le faible budget du ministère de l’Environnement. Ce que Francoeur occulte, montrant lui aussi la difficulté, pour les gens intervenant dans le mouvement environnemental depuis longtemps, de voir qu’il faut constater l’échec et changer de modèle. Plus important, il faut reconnaître que le développement économique dans son sens traditionnel représente l’intervention environnementale la plus importante qui soit. Francoeur reconnaît la présence des pressions venant des milieux des affaires, mais les voit toujours comme freinant les avancées en matière environnementale plutôt comme identifiant le cœur même du problème.
Intéressante proposition à cet égard à travers les dérapages de la campagne, une intervention de Pierre-André Julien, «Le changement climatique et «les deux pieds sur le volant!»».
Parmi les autres partis, seul le Parti québécois avance une idée essentielle pour toute stratégie écologique, soit de confier le ministère de l’Environnement au premier ministre pour qu’enfin il empêche les ministères économiques comme l’Agriculture, les Affaires municipales ou les Finances de se quereller tout le temps, ralentissant ainsi toute véritable lutte contre ce réchauffement climatique, et ainsi faisant en sorte que les promesses en ce sens puissent se réaliser en leur donnant la priorité absolue.
En effet, les défis «environnementaux» ne sont pas environnementaux dans le sens traditionnel mais les défis d’une société et d’une civilisation qui les occasionnent, qui les mettent de l’avant, qui créent les crises avec ses propres «avancées». Nous ne sommes plus dans une époque où nous pouvons penser mitiger les impacts des interventions venant du secteur économique (et des fois social). Ce sont les interventions elles-mêmes qui sont en cause. Le Conseil exécutif, le ministère du Premier ministre, coordonne les activités de nos gouvernements, et ceux-ci, depuis des décennies, mettent la priorité, sans la moindre hésitation, sur le développement économique et la croissance. Le problème avec l’idée du PQ est qu’il n’y a pas de gouvernant de nous jours qui pense autrement.
Top-down ou Bottom-up: la socialisation de l’économie ou la dominance de l’économie sur la société ?
Nous avons connu cette situation avec la création du poste de Commissaire au développement durable en 2006, comme élément clé de la Loi sur le développement durable. N’importe quel innocent qui lit la loi doit reconnaître que c’est l’ensemble du gouvernement, des ministères et des agences, qui sont interpellés par les objectifs de la loi. Pourtant, les tractations, probablement pas difficiles, ont rapidement transféré la gestion de la mise en œuvre de la loi au (pauvre) ministère de l’Environnement. Que celui-ci ait dix fois le budget souhaité par Francoeur ne changerait strictement rien au portrait: le Conseil exécutif va poursuivre le développement économique, l’environnement dans son sens traditionnel ne constituant qu’un irritant, comme les différents éditoriaux de Sansfaçon le démontrent de façon transparente.
Une autre approche aux défis se trouvent dans des échanges entre des gens dans le réseau de Stéphane Brousseau Enjeux énergie et environnement, tout récemment portant sur une publication de Nature Climate Change et cherchant à calculer le coût social (et environnemental) des émissions de GES et des changements climatiques qui en résultent. Encore une fois, cela fait des décennies que nous cherchons à faire ces calculs, avec plus ou moins de précision et avec plus ou moins de résultats. Comme pour le cas de Francoeur, le problème, occulté, est qu’il faut mettre dans la balance le coût de la disparition de notre système économique, son effondrement et la transformation radicale (et probablement pas pour le mieux en termes de bien-être pour la plupart des gens riches actuels) de la civilisation.
Brousseau indique le 26 septembre qu’il ne fait confiance à aucun des partis en campagne, mais il faudrait demander pourquoi QS ne répond pas à bon nombre de ses attentes: «il n’existe aucun parti pour lequel on puisse voter parce qu’ils sont tous penchés sur des idéologies et non sur la réalité». Un but de cette intervention de ma part est justement d’insister sur l’adhésion des trois principaux partis à l’idéologie du système économique actuel et la recherche de la croissance. L’intervention de Nature Climate Change, avec son calcul des coûts des impacts, s’insère directement dans le même système. Ce qui me frappe est l’absence ou presque d’une reconnaissance qu’il faut larguer le système, même si Brousseau souligne qu’il prône l’abandon de l’économie capitaliste. Le problème semble être qu’il n’est pas évident comment procéder.
QS
C’est là où QS me paraît chercher à relever le défi, même s’il y a de gros problèmes avec leur programme. Il reconnaît les revendications des mouvements sociaux et environnementaux depuis des décennies, page après page dans le programme, soulignant par le fait même que ces revendications n’ont pas été entendues. Probablement presque sans exception, ses initiatives ne répondront pas au critère de rentabilité défini par le système actuel, qui aboutit à des entreprises multinationales de plus en plus importantes. Et QS propose une nouvelle vision qui rend Sansfaçon tellement nerveux qu’il semble considérer QS comme communiste… On peut convenir que QS ne détiendra le pouvoir avec l’élection et que donc son programme – et sa plateforme – ne correspondent pas à la réalité à la Brousseau. Reste que le portrait esquissé paraît plus compatible avec ce qui s’en vient que ceux des autres partis qui veulent maintenir le modèle actuel; en fait, même QS semble le maintenir implicitement.
On peut se permettre de penser que la hausse de l’appui à QS dans les sondages suggère qu’il y a un nombre de personnes de plus en plus important qui veulent vraiment le changement, à l’instar des millions qui ont appuyé Bernie Sanders (et Trump, pour les mêmes raisons mais avec les mauvaises cibles). C’est ce que Sansfaçon appelle un retour au passé, lui et les autres partis faisant campagne dans l’élection étant incapable, comme les gens de l’establishment américain en 2016, de voir l’avenir comme fonction des crises du présent.[2]
Ce qui ne paraît pas dans la vision de QS, comme il est absent dans le programme de Bernie Sanders, est une reconnaissance que la non rentabilité comportera un changement radical dans le futur système économique et social et dans les conditions de vie et une diminution radicale de ce que nous avons pris l’habitude de considérer comme le bien-être matériel totalement fondé sur la surconsommation de ressources.
Le programme de QS parle justement du Québec sous le régime de QS comme une «société riche»… C’est peut-être ici que Sansfaçon a raison, presque sans le réaliser. QS semble accorder à l’idée d’une transition énergétique beaucoup trop de potentiel, suggérant (section1.2.4) comme beaucoup trop d’autres que cette transition va nous amener à un nouveau régime avec les mêmes services énergétiques où la renouvelable aura remplacé la fossile.
À cet égard, je suis intervenu dans le réseau de Brousseau avec le commentaire suivant:
MISE À JOUR le 1er octobre
Jean-François Nadeau a quitté l’orientation éditoriale de Sanfaçon avec une chronique intéressante ce matin dans Le Devoir. Il est plutôt difficile à comprendre comment l’équipe éditoriale a laissé passer l’éditorial de Sansfaçon…
[1] Ce ne sont surtout pas les «cris d’alarme» qui doivent nous guider, dit Sansfaçon, ayant souligné dans un autre éditorial que la présence d’anciennes militantes du mouvement environnemental au sein du Conseil des ministres faisait presque peur. Il contrastait cela avec un consultation menée par la CEÉQ, dont les responsables n’étaient pas un «quelconque groupe de militants environnementalistes».
Plus je prends du recul, plus je vois le poids du modèle économique tout au long de l’histoire du mouvement environnemental et de son échec. C’est dit seulement en passant, on dirait, mais le bout de phrase de Sansfaçon dans encore un autre éditorial de 2014, «Une politique dépassée» n’en révèle pas moins la lourdeur de la pensée.
Il eût été surprenant d’assister à des éclats de joie de la part des gens d’affaires en apprenant la nomination de trois anciens militants du mouvement écologiste à la tête de ministères aussi importants que ceux du Développement durable et des Richesses naturelles. Confier la responsabilité de l’avenir énergétique, des forêts, des mines et même d’Hydro-Québec à d’ex-dirigeants d’organisations comme le Parti vert et Eau Secours !, il y a de quoi rendre nerveux !
[2] En effet, Josée Blanchette y va de sa vision dans une chronique de fin de campagne «On veut (pas) que ça change: le procès du statu quo» qui souligne le phénomène d’importants segments des populations qui décrochent de l’establishment et de l’élite.
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Quand j’écoute ces gens-là, ce que j’entends, c’est : « Je m’en fous si ça va mal dans le monde et si tout risque de s’effondrer, pour l’instant ça va très bien pour moi, fait que changez rien. »
Et après une analyse aussi lég;ere, ils disent que c’est nous les «pelleteux de nuages».
Un article intéressant de Nafeez Ahmed :
https://www.les-crises.fr/voila-comment-les-scientifiques-de-lonu-se-preparent-a-la-fin-du-capitalisme/
Bonne lecture et A+
Il aurait été intéressant si vous aviez fait quelques commentaires sur le texte pour indiquer ce que vous y trouvez d’intéressant. Je l’ai lu, et il est en effet intéressant. Je le recommande. Entre autres, il fournit une synthèse de l’approche de l’économie biophysique qui est clé pour l’analyse, ainsi qu’un résumé d’une partie du document finlandais qui motive la rédaction de l’article. Je suis déjà en train de relire Energy and the Wealth of Nations : An Introduction to BioPhysical Economics de Charles Hall et Kent Klitgaard, qu’il recommande en faisant sa présentation.
Le document finlandais, mandaté par les Nations Unies, est en partie résumé par l’article de Les crises, mais mérite lecture pour sa présentation d’une nouvelle approche monétaire et économique qui est manquant dans le résumé. Le document, dans une éventuelle version finale en 2019, sera un chapitre d’un rapport des Nations Unies portant sur la transformation (radicale) du système économique pour faire face aux nouveaux défis.
https://bios.fi/bios-governance_of_economic_transition.pdf
L’article fait intervenir aussi une référence à une mise à jour d’un article de Jeremy Grantham, financier de la firme GMO de New York (ou Boston?) dont j’utilise les analyses dans mon livre. « The Race of Our Lives Revisited » est une mise à jour d’un document sur les mêmes problématiques publié en 2011. Il traite en longueur de plusieurs des crises en cours, avec un accent intéressant sur les défis démographiques.
https://www.gmo.com/docs/default-source/research-and-commentary/strategies/asset-allocation/the-race-of-our-lives-revisited.pdf
Comme Ahmed note, Grantham n’est pas encore au courant des analyses de l’économie biophysique qui traitent du rendement des énergies exploitées et il a donc beaucoup trop de confiance dans les nouvelles technologies en énergie. Ses recommandations pour les investisseurs (mes lecteurs?!) sont peut-être donc à prendre avec un certain recul.
Pourquoi les partis politiques sont devenus des eunuques… parce que l’investisseur ne vote pas, il ordonne…
https://www.monde-diplomatique.fr/2018/07/LAMBERT/58816
Il serait temps que l’économie, (étymologiquement, « la gestion de l’habitat ») utilise le même langage que l’écologie (« la science de l’habitat ») et qu’elle traite avant tout des flux d’énergie, de leur dispersion dans les niveaux trophiques, du renouvellement des ressources, du recyclage des non-recyclables et des déchets ainsi que de l’optimisation et de la répartition des ressources disponibles (le bilan net) pour satisfaire les besoins et les aspirations des générations présentes et à venir.
L’économie monétaire est un outil qui a accompagné l’humanité dans son enfance; mais à l’aube de l’anthropocène, cette période où les humains épuisent définitivement les ressources et où leurs actions ont un impact planétaire, « la main invisible » d’Adam Smith ne suffit plus à assurer le bon ordre de l’habitat et sa santé. Il nous faut d’autres outils… bien que certains, comme l’indice de progrès véritable, aillent dans la bonne direction, ils s’expriment toujours en termes d’argent. Peut-être nous faudrait-il une autre unité qui exprimerait la réalité des flux d’énergie, le renouvellement de certaines ressources et l’épuisement des autres. À quoi ressemblerait alors une société moderne « à l’équilibre » ? À notre niveau de vie de 1975, comme le suggère l’essai de Philippe Gauthier cité plus haut?
Je me demande aussi si une telle « science économique » pourrait adopter ume unité d’énergie (par ex. le joule) plutôt que la monnaie, afin de mieux exprimer ses contraintes physiques ?
C’est tous les départements d’économie qu’il faudrait transformer avec ce nouveau langage, ces nouvelles unités, mais malheureusement nous avons moins d’une génération pour y arriver…
En plus clair, je crois que les avantages économiques et sociaux dont Sanfaçon attend la démonstration [C’est pour cette raison que les experts du monde entier doivent maintenant unir leurs efforts (…) en faisant la démonstration des avantages économiques et sociaux d’une première grande révolution industrielle pour ce millénaire.] auront bien du mal à être exprimés en termes d’argent, qui est l’unité par excellence de la science économique. Pour cela une autre unité est nécessaire. Les économistes, s’ils veulent justifier leur pertinence, doivent apprendre à s’exprimer en termes de balances d’énergie et de ressources, plutôt que de balances commerciales.
Le texte « Global Sustainable Development Report 2019 » mentionné plus haut (bios-governance_of_economic_transition.pdf) a la singularité (selon mes lectures) d’être le premier texte ‘officiel’ sur les bouleversements climatiques qui fait référence à la Modern Monetary Theory (MMT) ! Et qui tente, par le fait même, de désamorcer la fausse question « mais qui va payer? »
Raymond,
Auriez-vous des références pour le Modern Monetary Theory? Il y a une bibliographie dans le document, mais ce serait intéressant si vous pouviez fournir des liens.
Bonsoir, oui la MMT, j’hésite à penser si la MMT est complètement géniale ou complètement débile… je me suis cassé les dents sur le problème de la monnaie (et de sa création). Pour la MMT voici ma collection de liens:
https://pinboard.in/u:lutzray/t:MMT/
Je viens d’amorcer la lecture du livre d’Isabelle Delannoy, « L’économie symbiotique » publié il y a tout juste un an et dont l’on peut lire sur sa présentation ceci:
« Cet ouvrage présente une analyse innovante des nouveaux modes de production et d’organisation économique ayant émergé ces cinquante dernières années et montre qu’ils forment une seule et même économie, apparue de façon cohérente et non concertée dans le monde. Réinscrivant les activités humaines dans les grands cycles de la planète, couplant leur productivité à la régénération des écosystèmes et des liens sociaux, ils forment ensemble une économie que l’on peut qualifier de symbiotique. »
Est-ce que quelqu’un l’aurais déjà lu?
Pour en consulter la notice:
https://www.actes-sud.fr/catalogue/economie/leconomie-symbiotique
Je vais me mettre à la lecture des sources de Raymond Lutz sur la MMT, en attendant peut-être des commentaires sur le livre de Pierre Alain Cotnoir. Moi aussi je me suis cassé les dents déjà sur la question de la monnaie…
Je viens tout juste de décider de ne pas lire Drawdown de Paul Hawken, un peu comme je suis porté à ne pas lire des travaux sur l’économie circulaire chère à Dominique Bourg, qui fait la préface du livre sur l’économie symbiotique (encore une autre nouveauté dans l’expression: nous essayions de faire cela quand j’étais sous-ministre il y a 25 ans, et j’ose croire que les mêmes obstacles l’empêcheront d’être une véritable voie de l’avenir. Karel Mayrand m’a déjà dit que je n’aimerai pas le livre Demain: le Québec, partant du film que j’ai vu et qui, plein de beaux exemples, reste quand même dans le recueil de possibilités qui ne se montrent absolument pas en mesure de contrer les tendances lourdes et qui, souvent, reprennent des initiatives proposées par le mouvement environnemental au fil des décennies avec justement plus ou moins d’écoute.
Merci aux deux pour les suggestions.
Et pour en consulter le site:
https://fr.symbiotique.org/fr/
M. Cotnoir, belle trouvaille.
La notice référée présente un contenu alléchant! un peu trop, peut-être? je me méfie des sites trop cliquants (qui ont forcément des moyens financiers considérables… hmm..)
« En associant les bénéfices de chacune d’entre elles et en en trouvant le principe commun, elle parvient à des résultats époustouflants » Des résultats sur papiers ou des régions complètes qui sont auto-gérées selon son système?
Sur le site du livre, je trouve: « Nous offrons: UNE THÉORIE RADICALEMENT INNOVANTE PROUVÉE MATHÉMATIQUEMENT ». Cette phrase me rebute quelque peu…
Comment se présente votre lecture?
Je tarde à trouver un temps suffisamment long pour m’y plonger, ayant le livre depuis à peine hier. Mais d’entrée de jeu, ce livre était cité plusieurs fois dans celui de Cyril Dion « Petit guide de résistance contemporaine » où il critique lui-même le côté rose bonbon de son film « Demain » en rappelant la charge d’une journaliste au sujet de ce film et disant depuis y souscrire lui-aussi.
J’aimerais savoir suite à votre analyse de QS, pour quelles raisons, les groupes environnementaux et des personnalités, telle que vous, ne s’intéressent ni au programme, ni à la plate forme du Parti Québécois, lors de la récente élection.
Merci
Mes excuses pour le retard, mais votre note s’est trouvé dans mes Indésirables. Pour répondre, je suggère que vous regardiez la dernière section de mon dernier article et les deux – pour le moment – commentaires. La longue histoire des interventions de la société face aux mauvaises décisions de nos gouvernements s’est inscrite dans un effort de mitiger les effets de ces décisions. Jamais ou presque la société civile «officielle» ne s’est posée la question quant aux fondements de notre système, ce que Québec Solidaire passe proche de faire. L’inertie semble expliquer le reste, surtout face à une nouvelle marginalisation qui viendrait d’une telle mise en question.
À lire le texte d’André Gorz de 1974 suggéré par Raymond Lutz, dans un commentaire sur mon article sur «Faut pas croire tout ce qu’on dit», pour se remémorer d’interventions dans le passé…
Je suis suffisamment avancé dans la lecture du livre d’Isabelle Delannoy, L’économie symbiotique, pour en commenter brièvement le contenu. Mis à part, cette fâcheuse habitude des « frenchies » de toujours utiliser les expressions anglo-américaines pour parler d’une jeune pousse « start-up » ou d’un plan d’affaires « business plan », etc. la lecture du texte m’a fait penser au film « Demain » où une kyrielle de gentils projets, reposant ici sur une adhésion à six principes dits écosystémiques, ne font néanmoins pas le poids face au système économique dominant, car toutes ces initiatives demeurant plutôt marginales, quand ce n’est pas encore du domaine du concept. Peut-être vais-je devenir moins sévère quand j’aurai terminé la lecture du livre, en étant néanmoins rendu au trois quarts? Toujours est-il que je demeure pour l’instant sur ma faim, ayant l’impression de lire un conte où les bonnes intentions servent d’alibis pour la présentation de projets lilliputiens.
Une sortie en librairie à suivre ce mois-ci:
« Une autre fin du monde est possible
Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) »
édition du Seuil, parution en France 18 octobre 2018
http://www.seuil.com/ouvrage/une-autre-fin-du-monde-est-possible-pablo-servigne/9782021332582
La situation critique dans laquelle se trouve la planète n’est plus à démontrer. Des effondrements sont déjà en cours tandis que d’autres s’amorcent, faisant grandir la possibilité d’un emballement global qui signifierait la fin du monde tel que nous le connaissons.Le choix de notre génération est cornélien : soit nous attendons de subir de plein fouet la violence des cataclysmes à venir, soit, pour en éviter certains, nous prenons un virage si serré qu’il déclencherait notre propre fin-du-monde-industriel.L’horizon se trouve désormais au-delà : imaginer la suite, tout en se préparant à vivre des années de désorganisation et d’incertitude. En toute honnêteté, qui est prêt à cela ?Est-il possible de se remettre d’un déluge de mauvaises nouvelles ? Peut-on simplement se contenter de vouloir survivre ? Comment se projeter au-delà, voir plus grand, et trouver des manières de vivre ces effondrements ?Dans ce deuxième opus, après Comment tout peut s’effondrer, les auteurs montrent qu’un changement de cap ouvrant à de nouveaux horizons passe nécessairement par un cheminement intérieur et par une remise en question radicale de notre vision du monde. Par-delà optimisme et pessimisme, ce sentier non-balisé part de la collapsologie et mène à ce que l’on pourrait appeler la collapsosophie…
Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle ont une (dé)formation scientifique et sont devenus chercheurs in-Terre-dépendants. Ils ont publié Comment tout peut s’effondrer. Petit Manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Seuil, 2015), Le Vivant comme modèle. La voie du biomimétisme (Albin Michel, 2015), Petit traité de résilience locale (ECLM, 2015), Nourrir l’Europe en temps de crise (Babel, 2017) ou encore L’Entraide. L’autre loi de la jungle (Les liens qui libèrent, 2017).
Appréciation complémentaire du livre d’Isabelle Delannoy, « L’économie symbiotique ». Je cite deux extraits du livre qui me semblent en illustrer assez bien le contenu.
« Cette nouvelle économie est radicalement différente de l’actuelle. Elle peut être décrite par six principes (que j’appellerai dans cet ouvrage les “principes symbiotiques”) qui sont à l’origine des plus-values produites par ces nouveaux modèles. Ils reposent sur :
– une collaboration libre et directe entre entités ;
– une diversité d’acteurs et de ressources qui respectent l’intégrité de chaque entité ;
– des territoires de flux communs, accessibles à tous de façon égale ; ce sont des territoires matériels où se circulent les ressources, mais aussi immatériels où se croisent les intérêts et les valeurs ;
– l’utilisation prioritaire des services rendus par les écosystèmes ;
– la recherche de l’efficience maximale dans l’utilisation des ressources, qu’elles soient de la matière, de l’énergie, ou de l’information ;
– la recherche de l’inscription des activités humaines dans les grands cycles de la planète préservant son équilibre écologique global. »
L’auteure entend relier sa démarche aux travaux en bioéconomie, tout comme au rapport Meadows.
« L’économie symbiotique et l’analyse de Nicholas Georgescu-Roegen
Pour Roegen, l’économie doit se resynchroniser au rythme de la production de la biosphère et celle d’objets, aux besoins d’une génération pour assurer la disponibilité en matière à la suivante.
L’économie symbiotique permet de déplacer toute une partie de notre industrie du statut extractif à celui d’industrie vivante, s’alimentant elle-même en énergie pour la très grande part de ses besoins et créant sa propre matière. Dans une économie symbiotique, l’énergie nécessaire pour faire vivre les sociétés humaines se scinde en deux grandes catégories : l’énergie qui alimente les écosystèmes vivants, que nous n’avons pas besoin de produire, et celle que nous devons produire pour fabriquer et faire tourner nos machines. Aujourd’hui, faute de reconnaître les écosystèmes vivants comme acteurs à part entière, nous confondons l’énergie nécessaire pour la société et celle pour nos machines. Dans une économie symbiotique, cette confusion se lève : toute une part des besoins énergétiques de la société est déplacée vers les écosystèmes vivants et produit des externalités positives. »
Si l’intention est louable, elle passe sous silence les ruptures et crises qui viendront ponctuer la transition souhaitée la rendant chaotique. Or la nature n’est pas téléonomique, elle bricole plutôt de manière opportuniste.Les références à Theillard de Chardin sont peut-être bien nobles sinon religieuses, mais c’est une vision de l’esprit que de croire que la nature va vers l’oméga, point ultime du développement de la complexité et de la conscience vers lequel se dirigerait l’univers, car il y a bien aussi l’entropie logé au cœur de celui-ci.
Anthropocène: l’époque humaine
Hier soir, je suis allé voir ce film dans la petite salle 5 du cinéma Beaubien à Montréal. Malgré des images parfois spectaculaires prises à partir de drones, il manque à ce film un fil conducteur. Présentant l’un après l’autre des secteurs où l’activité anthropique transforme pour ne pas dire détruit les équilibres terrestres, jamais il ne fait ressortir que ces transformations procèdent d’un système économique nous menant vers le désastre annoncé. On en ressort avec une série de « cartes postales » certes dérangeantes, mais qui ne conduisent pas à une prise de conscience autre que spectaculaire. Bref, j’en suis ressorti plutôt déçu et laissé sur ma faim d’en savoir plus.
Il faudrait un film sur L’effondrement en cours et ses liens avec la dépendance aux sources d’énergie fossile et leurs liens avec l’épuisement des ressources non renouvelables et les liens de celles-ci avec la destruction des écosystèmes et les liens de ceux-ci avec la perte de biodiversité, etc. Montrer en quoi ces changements ont des effets systémiques et en quoi ils procèdent d’une civilisation carburant (c’est le cas de l’écrire) à la gabegie énergétique, car verrouillée dans un système économique ne pouvant se maintenir que par le maintien d’une croissance continue, de manière analogue à la course de la reine rouge dans Alice au pays des merveilles. Que ce système a fait prendre aux générations précédentes des choix d’infrastructures technologiques, d’organisation du territoire, de développement industriel qui nous enferment non seulement dans un parcours difficile à changer, mais surtout dans un récit auquel la majorité adhère, alors que l’urgence climatique nous presse de prendre un virage à 180°. Comme le compare Pablo Servigne (voir la vidéo ci-dessous), nous ne sommes pas aux prises avec une voiture qui foncerait aveuglément vers un mur, mais plutôt nous nous retrouvons assis dans une voiture dont le réservoir d’essence serait aux trois quarts vide (la crise énergétique), qui viendrait de quitter la route pour prendre le champ dans un paysage inconnu lourd de menaces (la crise climato-écologique), mais dont le volant serait cadenassé par les choix faits par nos prédécesseurs (la crise du capitalisme techno-industriel). Nous y sommes assis et nous chantons en chœur: « tout va très bien Madame la marquise »… https://www.youtube.com/watch?v=SqasBu0pfmk&feature=share