Le 26 novembre dernier, à l’émission d’Alain Gravel à Montréal, l’animatrice de Corde sensible était interviewée pour présenter le balado tiré d’une entrevue de plus d’une heure que j’ai faite pour l’émission au début d’octobre. C’est un portrait très sombre, dit-elle. Je l’avais couvert dans un article récent du blogue, en suggérant que je ne suis pas défaitiste ni sombre dans ma propre vie…
Le 3 décembre, La Presse+ a publié «La paralysie de la société s’explique par l’inimaginable», un article que j’avais soumis présentant en gros l’argumentaire de mon livre en ce qui concerne la menace d’un effondrement; un ami a souligné que ce n’était pas très optimiste!
Je l’avais écrit en manifestant une certaine frustration devant le discours ambiant qui, pour les gens qui connaissent la situation, évitent d’en parler, qui, pour le grand public, n’a pas la moindre idée de cette situation. J’ai souligné cette situation dans l’Avant-Propos, en citant un ami économiste écologique, qui ne trouve pas le moyen d’inciter le monde à une reconnaissance de la situation.
Concernant les crises, si je n’étais pas activement impliqué dans la recherche sur les problèmes écologico-économiques et donc si je ne savais pas que nous sommes en train d’épuiser nos stocks de capital, je ne saurais même pas qu’il y a des problèmes. Pour moi et pour la plupart des gens que je connais bien, la vie est belle, les écosystèmes locaux semblent en santé, la violence diminue dramatiquement (en regardant à l’échelle des siècles), les droits humains (homosexuels, femmes, etc.) s’améliorent, les gens pauvres (au moins aux États-Unis [où il enseigne] et même jusqu’à un certain point au Brésil [d’où il écrivait]) conduisent des autos et possèdent des téléphones cellulaires, etc. En raison des longues périodes d’évolution des processus écologiques, la plupart des gens resteront largement inconscients de crises écologiques avant qu’elles ne soient presque irréversibles.
J’ai un discours donc «alarmiste», «catastrophiste» et une approche «défaitiste». En fait, les deux-tiers du livre constituent un effort de ma part de suggérer les pistes pour l’activisme en vue d’un avenir possible, loin de suggérer de battre retraite dans un esprit défaitiste. J’ai terminé le livre avec une Annexe qui s’adresse explicitement aux organismes de la société civile, en forme d’un communiqué de presse où ils admettent l’erreur de leur discours depuis plusieurs années et proposent une série de premières mesures qui pourraient aider à nous préparer pour l’effondrement.
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J’ai toujours su qu’il y a des problèmes. Mes lectures me l’ont confirmé. C’est peut-être que je suis de l’Abitibi qui a passé de terre vierge à polluée en 70 ans. J’ai lu l’Annexe et fouiné dans le livre ( en attendant que je le reçoive) ; ce qu’il y a à faire est clair. Il manque un calendrier d’action de 2050 à maintenant, à l’inverse! C’est un scénario à rebours, avec une vision du bout, au début, et de l’action imaginée dans le temps.
Je termine la lecture du livre « Une autre fin du monde est possible Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) » publié aux Éditions du Seuil en novembre dernier par trois biologistes et collapsologues Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle. J’en ressors perplexe quant aux chemins qu’ils empruntent tentant de (ré)concilier science et introspection dans une doxa puisant au sein d’un fouillis de construits s’apparentant plus à un charabia parfois de type jungien, parfois chamanique, comme si les avancées des neurosciences – permettant de mieux cerner la nature des processus mentaux touchant la conscience, la cognition et les émotions – leur étaient restées étrangères (je pense ici tant à Jean-Pierre Changeux, Stanislas Dehaene ou Antonio Damasio pour n’en nommer que quelques-uns). Tout de même assez paradoxal pour des scientifiques qui, ignorant les progrès dans une discipline sœur, se jettent à corps perdu dans un fatras de doctrines « psycho-thérapeutiques », sinon animistes ou spirituelles auxquels il faudrait, comme pour la psychanalyse ou la religion, prendre pour explicatives par simple « acte de foi ». Je digère le tout pour le moment, mais je serais vraiment curieux de connaître l’appréciation par d’autres lecteurs de ce livre au contenu assez particulier par rapport au sujet qui nous préoccupe tous.
Je ne connais rien de Jung, sinon que j’ai signalé justement ici une video d’un universitaire qui s’exprimait sur le chaos et les tumultes qui viennent… Qu’entendez-vous par « un charabia parfois de type jungien »?
Sans vergogne, je me cite moi-même (mais ma question demeure):
Ce matin, j’ai mis le doigt sur ce qui me chicotait. C’est l’emphase mise sur le « vécu intérieur », en donnant dans des explications invérifiables (exemple « vivre son féminin » ou encore « parler aux arbres », « négocier avec les non-humains » pour n’en citer que quelques-uns). Il m’apparaît plus fondé de montrer comment se créent chez les humains les concepts, les valeurs et comment s’opère la prise de décision; de présenter les apports des modèles de transmission des traits culturels, les fameux mèmes, et leur pouvoir de dissémination au sein d’un groupe pour constituer un récit (par exemple en s’inspirant du livre « La contagion des idées » de Dan Sperber voir https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/anthropologie-ethnologie/contagion-des-idees_9782738103222.php ) Or, les neurosciences, comme les sciences cognitives, sont à même de fournir des explications bien plus riches que de faire appel à des construits hautement spéculatifs qui constituent plus des doctrines que des théories falsifiables.
Parlant de réfutabilité, je viens de découvrir que le prof dont j’ai indiqué la video affirme que l’humanité a été influencée par des civilisations extra-terrestres [soupir]. Cela le discrédite-t-il? Dommage, j’appréciais bien ses vidéos. Bon, c’est vrai que moi aussi je parle quelques fois aux arbres, malgré ma formation de scientifique… 😎
Votre critique du dernier ouvrage de Servigne est valide… peut-être n’a-t-il pas le temps de se maintenir à la fine pointe et de lire les travaux de « prominent theorists such as Dennett, Block, Baars, Damasio, Dehaene, Changeux, Naccache and their co-workers »
https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-981-10-5777-9_22
Pour cette boutade de Dumont, c’est un peu simple: le lien entre l’amour et le christianisme est ténu.
Je n’ai pas encore lu ce livre, mais je débute la lecture d’un autre livre des mêmes auteurs (Servigne et Chapelle) publié en 2017, l’année avant. L’entraide: L’autre loi de la jungle et le fruit de deux biologistes dont le doctorat de Servigne (et Chapelle?) portait sur sur les insectes sociaux, surtout pour Servigne les fourmis.
Je craignais que le livre soit lune sorte de réponse positive cherchant à diminuer l’impact de la collapsologie, mais on réalise vite qu’il s’agit d’une réflexion qui est en cours depuis environ 10 ans, avant la publication des deux livres sur cette autre question. Je n’ai lu à date l’Introduction, l’Épilogue et l’Annexe… Au minimum, les deux sont ferrés en biologie, même s’ils ne semblent pas tenir compte de certaines branches de cette discipline.
Finalement la lecture du livre de Servigne et çie me rappelle la réponse qu’avait donné René Dumont à un fan qui, à la suite d’une conférence que Dumont venait de donner à l’UQAM, lui demandait si la réponse aux problèmes de notre monde n’était pas le manque d’amour. Ce à quoi le vieil agronome répondit laconiquement: « ça été essayé voila 2000 ans et ça n’a jamais rien donné, question suivante SVP. »
Je ne crois pas que ce soit être pessimiste de dire qu’on ne pourra pas éviter l’effondrement. Non, à ce point-ci, c’est d’être réaliste.
Le problème vient du fait qu’on ne veut pas individuellement vraiment sacrifier de notre bien-être (espace, autonomie, biens…). Il faudrait que l’humain croie en quelque chose de plus grand que lui pour être prêt à sacrifier de lui-même. La religion nous apportait cela dans une certaine mesure (le paradis à la fin de nos jours), mais nous n’avons plus cela aujourd’hui. Peut-être faudrait-il que l’humain croie en l’Humanité. Peu importe ce qui m’arrive tant que l’Humanité persiste.
Après l’effondrement, l’humain évoluera probablement en quelque chose de ce genre.
Je n’ai pas lu le livre de Servigne et Stevens référencé dans les commentaires. Comme j’avais bien aimé le précédent (Comment tout peut s’effonder), alors je vais y jeter un oeil. Merci pour les commentaires.
Merci pour l’éclairage Harvey. Je viens de terminer une formation sur le lancement d’entreprises, au cours de laquelle on m’expliquait que la croissance d’une entreprise était inévitable, incontournable. Peut-être, mais je n’ai pu m’empêcher de voir dans cette affirmation un reflet du dogme de la croissance à tout prix. Le progrès comme signe de développement, et vice-versa. C’est encore LE seul modèle qu’on nous présente comme acceptable, viable.
« Where’s the biggest threat, first, from climate change and health? It’s war. And it’s coming to a place near you very soon. »
Bonjour à notre hôte, aux habitués et aux nouveaux venus… Je profite du regain d’activité sur le fil des commentaires pour lancer une discussion sur le thème de la guerre. N’est-ce pas la plus grave menace à court terme? Je vous soumets ce schéma des troubles et dysfonctions à venir:
https://mamot.fr/@lutzray/101044048380709583
C’est une figure tirée de l’allocution d’un médecin, Hugh Montgomery, « Health and Climate Change: A Febrile Planet? » Nov 2018. La ‘slide’ est présentée à 43m39s (je ne donne pas le lien car WordPress va retenir mon commentaire) bonus: il y a une bonne blague à 10m40s, pour égayer votre samedi matin.
La colère et la recherche de coupables sont inutiles (et ne pourront qu’accélérer notre disparition): il faut préparer un départ paisible (et non la guerre, contrairement à l’adage). Je visionne les démembrements en France et ça n’augure rien de bon…
Je suggère la lecture du livre de Jean-Michel Valantin « Géopolitique d’une planète déréglée » aux éditions du Seuil,2017 pour un aperçu plus large des tensions internationales liées à l’énergie, à l’eau etc dans le contexte des changements climatiques.
Je comprends bien la préoccupation. Avant de m’y mettre, je vais voir ce que l’entraide signifie pour Servigne et Chapelle…
Avant toute réflexion philosophique ou ésotérique, il est urgent de comprendre pourquoi une majorité de nos concitoyens refuse l’évidence ou du moins ne sont pas prêts à poser des gestes concrets pour atténuer ces changements ou y faire face (à part déclarer qu’ils sont pour le bien et contre le mal dans les sondages). Notre cerveau n’est pas fait pour ce genre de défi et donc essayons d’être indulgent envers ceux qui, comme me le dit de manière imagée un ami à moi, « pissent dans mon bain »: https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/medium-large/segments/chronique/99350/etre-humain-pas-fait-pour-reagir-changements-climatiques-cotton