En décembre dernier, Le Soleil et La Presse+ ont publié mon texte «Changements climatiques et inégalités: La paralysie de la société s’explique par l’inimaginable», un article où j’esquissais, partant des analyses de mon livre, les énormes défis devant nous et qui ne seront pas relevés tellement les exigences seront grandes et allant dans le sens contraire à des décennies de comportement dans nos sociétés riches. Finalement, nous ne sommes même pas capables d’imaginer ce qui s’en vient.
Le 17 février, La Presse+ a publié «Le troisième lien et l’avenir de l’auto», un deuxième article constituant un effort de rendre imaginable – mais à peine – la situation qui se présente au Québec face aux défis chiffrés par le GIÉC pour respecter au moins notre part dans l’effort d’y répondre.
La mobilisation récente autour du Pacte de Dominique Champagne et de la Déclaration d’urgence climatique (DUC) se fait presque en abstraction des chiffres définissant les défis. C’est certainement le cas pour le Pacte, et le projet de loi conçu et diffusé dans les derniers mois par deux avocats de la société civile, une sorte de concrétisation du Pacte, propose d’encadrer des gestes du gouvernement en partant des engagements de ce dernier, beaucoup trop faibles pour répondre à presque quoi que ce soit. La DUC fournit une référence en bas de la dernière page à l’ouvrage récent de Paul Hawken, Drawdown, qui quantifie un ensemble de mesures proposées, en bonne partie, depuis des années, mais se situe directement dans le grand effort en place depuis ces années à effectuer les changements (énormes) requis. Je présente dans mon livre mes raisons pour croire que cet effort a échoué.
Ce deuxième article part donc avec la seule analyse que je connais des implications d’un respect des objectifs établis par le GIÉC et inscrits dans ceux du gouvernement de l’époque. Assez simplement, le Québec devrait planifier la disparition de son parc de véhicules privés d’ici environ 2030. Il s’agit d’un résultat impliqué dans les projections de Tony Seba, suivant l’arrivée de la technologie perturbatrice du véhicule électrique autonome, mais, presque peu importe la justesse de ces projections, d’autres phénomènes dont je parlais dans le premier article et dans mon livre risquent d’imposer ce résultat en dépit des résistances fortes de la population.
En vérifiant les données sur la production du pétrole pour mes travaux, je suis retombé sur le graphique clé de mon livre et qui présente la portrait venant de l’Agence internationale de l’énergie de l’OCDE quant à la production – disons la disponibilité – d’un pétrole capable de répondre à nos besoins, cela d’ici 2030. Pas surprenant, il ne s’y trouve pas beaucoup de nouvelles pour les projections venant de 2014 par rapport au graphique partant des données de 2008 que j’ai utilisé…
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Je pense qu’il faut trouver en moyen, entre le réalisme et l’optimisme, d’encourager les jeunes, dont plusieurs souffrent d’éco-anxiété. Peut-être faut-il avoir de l’énergie soi-même pour être capable d’en communiquer. Je me rappelle des étudiants de Berkeley vers 1986, au plus fort de la course aux armements nucléaires et des pilotes d’avions ennemis qui volaient si proches les uns des autres pour se faire des fingers, alors que des radars prenaient des oiseaux pour des missiles, alors que des malades mentaux diagnostiqués contrôlaient des sous-marins porteur d’armes nucléaires. La seule revendication de ces étudiants de Berkeley était: une dose personnelle d’arsenic pour se suicider rapidement!
Lâchez-moé le Trop tard et les échecs ou bien trouvez un moyen de mieux le dire, les hauts gradés du développement durable… Il y avait des bombes atomiques aux sous-sols de l’aéroport civil de Bourlamaque en Abitibi dans ma jeunesse, ce secret militaire que je connaissais! Que les nouveaux Gorbatchev se lèvent! Quand la fondation Suzuki appuie le REM qui émet 800,000 tonnes de GES (Équiterre, Vivre en ville), on a de quoi ruer dans les brancards. La Helen Caldicott du changement climatique n’existe pas encore, la fondatrice des Médecins pour la prévention de la guerre nucléaire, prix Nobel de la Paix. Un environnement sain fait partie de la Paix, disait Willis Harman, ancien président de l’Institut des sciences Noétiques.
À défaut d’être encourageants pour les jeunes, posons-nous au moins la question: comment réussir à l’être, à les accompagner?
HM: Claude m’a transmis personnellement un complément à cette réflexion (qui ne porte pas sur l’article qu’elle suit mais semble bien plutôt un cri de coeur):
«Je ne sais pas pourquoi… mais je vous associe à une réponse solide et positive de votre part à l’éco-anxiété de certains jeunes, comme le montre cette vidéo de Radio-Canada. Auriez-vous une réponse différente de Laure Waridel? Je suis convaincu que votre savoir et expérience pourraient encourager les éco-anxieux.»
Bonjour. Hum… pas tellement différente de celle de madame Waridel; je ne la connais cependant pas à 100%. Green new deal, s’opposer au gazoduc, liens aîné.es et jeunes autour de cet enjeu.
Claude est un gars. 🙂
Les jeunes (surtout), mais finalement l’ensemble de l’humanité, ont de bonnes raisons d’être anxieux face à nos perspectives pour un proche avenir. Il n’y a pas de solutions qui permettraient d’éviter une bonne partie de ce qui est de mauvaise augure. Proposer comme le fait Laure Waridel la voie du militantisme – en soi une bonne idée – permet de rentrer dans ce que je prétends (après 45 ans de l’expérience) être un échec, si l’idée est que c’est comme cela que «l’on fait partie des solutions plutôt que des problèmes» – à moins de beaucoup mieux cibler les interventions qui méritent d’être prônées.
Mes mentors en philsophie, Socrate et Platon, m’ont montré à reconnaître que la valeur de la vie est dans l’engagement au présent face aux défis de la vie. Cela comprend certainement des perspectives pour l’avenir, mais comme faisant partie des défis et non comme ce qu’il faut aborder et rendre à l’image que nous voudrions avoir de la vie. L’engagement, dans notre communauté, fait partie de la solution dans le sens que cela interpelle notre potentiel humain dont l’objectif est d’essayer de le réaliser, mais cela n’inclut pas une insistance sur le succès dans l’effort. Socrate n’a jamais réussi à changer fondalement sa société, ni à réorienter la pensée des Sophistes, et a fini par se faire exécuter. Parmi les dialogues les plus intéressants de Platon, son disciple, sont ceux qui décrivent les derniers moments de Socrate, son procès, sa condamnation et ses échanges dans sa cellule à l’approche de la mort avec des jeunes qui le suivaient; un des deux autres mentors que je mentionne, Montaigne, a consacré un de ses essais au sujet «Que philosopher, c’est apprendre à mourir».
L’anxiété est fondée et il s’agit non pas d’essayer de la guérir mais de s’appliquer à remplir notre rôle d’êtres humains et de bien comprendre et de bien agir. Le problème avec l’engagement que je vois dans la société civile actuellement (voir par exemple mes articles dans La Presse+ récemment) est qu’il y a un déni de la situation, avec l’échec de son engagement au fil des décennies et une étonnante incapacité à bien saisir le portrait de la situation actuelle qui définit cet échec.
J’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs jeunes dans des échanges sur mon livre Trop Tard. Je ne voix pas pourquoi je voudrais le réécrire «mieux», face à l’anxiété que vous suggérez qu’il suscite. Mon impression est que bon nombre des anxieux/ses arrêtent de le lire dès la lecture du titre, qui parle quand même dans son sous-titre d’un nouveau monde auquel les deux tiers du texte sont consacrés.
L’engagement dont il serait question est de prendre connaissance de notre vraie situation, l’assimiler et poursuivre sa vie le mieux possible dans un tel contexte. Cela signifie prendre en compte non seulement les changements climatiques mais un ensemble de défis qui font partie du portrait (voir l’article que je viens de publier, sur les risques analysés par le Forum de Davos), et qui le rendent beaucoup plus terrifiant mais aussi plus humain. Nous dans les sociétés riches, en grande partie responsables de la situation, n’avons même pas d’idée de l’anxiété généralisée et permanente ressentie par quelques milliards de pauvres dans le monde pour qui c’est la réalité de tous les jours.
PRÉCISION: L’anxiété comme perturbation psychologique constitue un défi technique dont la guérison dépasse mes compétences. Je la prends ici comme une grande préoccupation, et je suggère qu’il s’agit de la transformer en une compréhension de la situation et une redirection de notre préoccupation vers notre propre vie et ses objectifs.
NOTE : Je suggère que le REM soulève d’autres problèmes avant celui des émissions.
Lettre ouverte à Harvey Mead
Gilles Gagné
Cher Harvey Mead,
Je voudrais faire une observation en passant sur le jugement suivant qui se trouve au début de votre texte A corriger : l’absence d’un portrait face aux défis définis par le GIÉC.
Vous dites ce qui suit :
« La mobilisation récente autour du Pacte de Dominique Champagne et de la Déclaration d’urgence climatique (DUC) se fait presque en abstraction des chiffres définissant les défis. C’est certainement le cas pour le Pacte, et le projet de loi conçu et diffusé dans les derniers mois par deux avocats de la société civile, une sorte de concrétisation du Pacte, propose d’encadrer des gestes du gouvernement en partant des engagements de ce dernier, beaucoup trop faibles pour répondre à presque quoi que ce soit. »
http://www.harveymead.org/2019/02/17/a-corriger-labsence-dun-portrait-face-aux-defis-definis-par-le-giec/
Bien que j’aie le plus grand respect pour vos travaux, que je sois un lecteur assidu de vos chroniques et que j’incline à penser que vous avez raison sur pratiquement toute la ligne, je suis déçu (mais je peux comprendre) que vous n’ayez pas compris la dimension rhétorique du «Pacte de Dominic Champagne» et que vous lui appliquiez le coup de pied de l’âne après que tous les négationnistes de la province du «troisième lien» l’aient dénoncé au prétexte qu’il y avait dans les signataires une demie douzaine de personnes qui gagnaient plus qu’eux-mêmes.
Les anciens tenaient la rhétorique pour le plus grand de tous les arts, celui qui fédère la logique, la grammaire, l’image, le nombre, la beauté et l’éloquence, et ils la respectaient parce qu’ils tenaient l’effort de convaincre ses concitoyens comme une alternative honorable à la guerre civile. Or, c’est bien de cela qu’il s’agit, la guerre civile, celle qui se prépare dans le refus catégorique de préparer par des mesures systématiques de justice sociale les effondrements qui s’en viennent. Je suis signataire du Pacte mais je vous rassure : je n’irai pas déposer les trois quarts de mes revenus dans la boite postale du ministère pour qu’il les redistribue aux moins fortunés et finance ainsi la réduction des écarts de consommation que nous devrons organiser pour rester civilisés. D’ailleurs personne ne le fera, je peux vous le garantir. Nous n’avons, pour faire face à ce qui nous tombera dessus et pour mettre en place les partages qui seront la seule alternatives aux violences, qu’un seul instrument et c’est celui qui oblige, qui interdit, qui permet ou qui garantit – en bref : la loi. Et bien que cet instrument s’épuise à chaque jour qui passe à promettre la lune à tout le monde (tout en mettant de l’argent dans la poche des Québécois), il restera en état de fonctionner raisonnablement tant que nous serons assez nombreux à croire en lui.
Or, le Pacte est justement une demande collective adressée à l’État par plus de 260 000 citoyens et citoyennes afin qu’il place la question écologique au principe de son action. L’engagement à faire des efforts individuels spontanés se présente dans ce pacte comme la justification de la demande d’action législative, et comme indication de la «disposition subjective» à s’y astreindre, nullement comme la pièce maîtresse de notre avenir. Cet appel à la «moralité objective» et au débat législatif, exceptionnel à notre époque de scepticisme généralisé à l’endroit des efforts de définir le bien commun, se réclame lui-même du fait que le problème fondamental posé par toute prise en compte de la dégradation environnementale est un problème de justice sociale. Toute réduction du niveau global de la consommation qui viendrait simplement de la rareté et des prix serait traduite presqu’automatiquement par le marché en un accroissement des inégalités, un accroissement qui peut rapidement tourner à la catastrophe, comme on en a vu l’amorce en France, si l’État lui-même entreprend d’appuyer par des taxes régressives la pression des prix sur les bas revenus. D’où la rhétorique «contractuelle» du Pacte qui met dans la bouche des signataires un engagement «à faire leur part», mais en contrepartie d’un engagement structurant de l’État à assurer la progressivité des efforts collectifs et le caractère systématique de ceux-ci.
Certes, on peut déplorer que le Pacte ne mette pas en lumière le fait que le capitalisme est incompatible avec toute forme de décroissance, qu’il ne donne pas de mesures chiffrées des défis ou des objectifs, qu’il fasse miroiter la possibilité d’une «transition durable» qui ne changerait rien ou qu’il en appelle à des «élus» dont la réélection est le seul horizon. On peut encore déplorer qu’il fasse focus sur le pétrole pendant que le glyphosate nous assassine. Et ainsi de suite. Mais le problème avec ces reproches c’est que le pacte n’est pas une «solution», ni une feuille de route, ni le programme d’une révolution; c’est un effort de mobilisation démocratique fondé sur la conviction que l’action de l’État doit être repensée à la lumière de la crise environnementale. Rien que ça, mais déjà ça. La croissance a été depuis deux siècles à la base de l’acceptabilité sociale des inégalités sociales parce qu’elle a rendu possible le relèvement, en valeurs absolues, du niveau de vie des plus pauvres. La fin de la croissance, qui viendra par des catastrophes ou par des décisions, poussera les sociétés capitalistes à refaire ce chemin dans le sens inverse et à réduire d’abord le niveau de consommation de ceux qui sont au bas de l’échelle. Et cette pression « marchande » aura des effets aussi bien à l’échelle des conflictualités globales qu’à celle des solidarités locales, accroissant les unes et réduisant les autres. Ni le marché, ni la charité, ni la technique, ni les religions, ni la science ne seront en mesure d’obvier par elles-mêmes à cette destruction du monde humain par les «dispositifs» qui nous gouvernent et c’est sur ce fait que prend appui le plaidoyer en faveur d’un reformatage du politique par les enjeux environnementaux.
Il y a dans votre appel à corriger le Pacte par des indications chiffrées concernant les menaces et les défis environnementaux une sorte de naïveté qui ne laisse rien à désirer à celle que vous reprochez vous-même au Pacte. Cette situation illustre bien le fait que nous nous débattons au milieu de contractions qui rendent réversibles la plupart de nos arguments, la lucidité de l’un devenant la naïveté de l’autre, et vice versa. Depuis que la science a entrepris de nous convaincre de la réalité du changement climatique par des données probantes, le scepticisme populaire à l’endroit des conséquences qu’elle en tire et des solutions qu’elle propose s’est accru plutôt que l’inverse. Cela tient en partie au fait que les effets inéluctables des dégradations environnementales accumulées, dont l’essentiel est à venir, ont le défaut, au présent, de tomber sur «d’autres» quand ils sont catastrophiques ou d’êtres tolérables quand ils tombent sur «nous». Mais, plus fondamentalement, ce scepticisme croissant tient au fait que la science parle maintenant des deux côtés de la bouche et qu’elle promet simultanément des miracles et des hécatombes. Car songez-y : comment faire oublier que c’est la «science» elle-même qui nous a mené là où nous sommes, d’abord en nous transportant du «monde clos vers l’univers infini», ensuite en enseignant que la puissance technique de l’humanité était, par définition, la solution aux problèmes qu’elle engendre. Quand vous parlez graphiques, équations, statistiques et indicateurs, toutes choses précieuses et nécessaires il va sans dire, vous parlez forcément comme si «la crise des sciences européennes» (Husserl) n’avait pas eu lieu et comme si tout le 20e siècle épistémologique n’avait pas été une longue réflexion critique sur la nature de cette science moderne qui promettait de nous faire maîtres et possesseurs de la nature. A tel point que l’idée de la vérité scientifique, accueillie d’abord comme forme universalisable du rapport au monde, nous est apparue récemment comme un archipel d’éclaircies locales rendues possibles par une civilisation plus prompte à plier le monde à ses besoins qu’à y trouver une raison de les limiter. La valeur contemplative de la connaissance scientifique moderne (l’Harmonices Mundi de Kepler), de même que son aptitude présumée à rassembler les esprits dans la vérité, ont été dénoncées par le tribunal de la puissance opératoire du 20e siècle comme étant des aspirations infantiles de la civilisation scientifique, si bien que c’est maintenant la simple capacité d’intervenir dans le monde d’une manière efficace qui sert de critère pour arbitrer la compétition des paradigmes qui s’arrachent les fonds de recherche.
Or, c’est précisément cette forme délirante – technoscientifique – de la science qui fait obstacle aux efforts de connaissance qui sont les vôtres. Pendant que l’on assomme le public avec les miracles inimaginables qu’il faudrait attendre du génie-génétique, de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies et du numérique sous toutes ses formes, pendant que l’on presse les citoyens à faire confiance une fois de plus (et peut-être une fois de trop) à la capacité scientifique d’arracher à la planète, à la nature, au travail, à l’univers ou à l’esprit lui-même de quoi satisfaire tous les fantasmes, vous postulez de votre côté qu’une description scientifique plus précise de la fin de ce monde serait mieux en mesure d’en faire comprendre l’imminence! Comme si la science pouvait en même temps promettre le paradis sur terre et décrire avec précision l’enfer qui s’en vient pour appeler les damnés au repentir? Honnêtement, je suis prêt à espérer que vous avez raison mais je crains que nous n’en soyons plus là. De part et d’autre, c’est la science qui se dit et se dédit du même souffle, qui montre la corne d’abondance au bout de la prochaine innovation puis qui prouve que l’enfer se tient juste derrière la somme des gadgets. La technoscience est l’allié principal du capitalisme d’innovation et il est devenu grâce à cette alliance le parrain de nos institutions universitaires. Même les départements de «sciences» religieuses veulent leur part du financement destiné aux pratiques innovantes alors que la «science» économique veut mettre un prix sur la biodiversité, sans doute pour envoyer la facture aux chasseurs d’aurochs de la fin du Moyen-Âge. Voilà pourquoi, cher Harvey Mead, on distribue des prix scientifiques dans l’indifférence générale et voilà pourquoi le cynisme qui accueille l’attribution du Nobel de la paix à des va-t’en-guerre montre son nez quand on couronne de la même manière (c’est-à-dire avec l’argent d’un fabriquant d’armes) la chimie des plastiques, le génie génétique ou la rationalité économique de l’esclavage. L’épuisement de la croyance à l’égard des révélations scientifiques est une forme de désertification des esprits qui résulte de la surexploitation de la confiance du public; et la formation d’une planète du scepticisme (ou de la damnation assumée) fait partie de la crise écologique.
Tout cela revient à dire que la crise écologique, qui n’est pas tombée du ciel, jette une lumière accablante sur l’ensemble de notre civilisation, en commençant par le système économique qui en est devenu le moteur. Mais cela revient aussi à dire que nous n’avons pas le choix et que nous devons continuer à faire des distinctions avec les instruments mêmes qui tendent à les embrouiller; que nous devons, par exemple, distinguer dans notre avenir ce qui ne peut déjà plus être changé de ce qui pourrait encore l’être et choisir, parmi ce qui reste théoriquement possible, des objectifs réalistes au regard des ressorts pratiques (culturels, moraux, politiques et techniques) de l’action collective. Or, tout le problème se tient exactement là : qui peut prévoir de quoi il sera capable avant même de sortir de son ordinaire pour s’engager dans une entreprise inédite? La jeune femme qui a traversé l’Atlantique à la rame a commencé par «croire» que la chose lui était possible et c’est avec ce fragile appareillage «moral» qu’elle s’est jetée à la mer pour réapparaître, transformée par l’expérience, quatre mois plus tard à Lorient. Le passage à l’acte de ce qui est en puissance n’est pas une partie de Tic-Tac-Toe vouée à la nulle; et le possible reste une simple « possibilité » tant qu’une subjectivité ne s’y est pas investie. Voilà qui me ramène à votre jugement sur le Pacte : vous dites que la mesure législative qu’il propose est dérisoire et qu’elle serait «presque» parfaitement sans effet. On croirait presque ici que vous détenez déjà la preuve que le voyage est impossible. Alors que la proposition en question vise essentiellement à nous convaincre de mettre collectivement le pied à l’étrier, on dirait que vous savez déjà que ce brave Don Quichotte, «qui fait abstraction des chiffres», n’ira nulle part sur sa Rossinante approximative.
(suite dans la prochaine boite)
Lettre ouverte à Harvey Mead
Gilles Gagné
(suite de la boite précédente)
Le Pacte accorde pourtant à la science toute l’importance qu’il est possible de lui accorder sans la divorcer de l’expérience commune; il souligne de manière raisonnable le consensus des chercheurs et il invoque les faits qui accréditent d’ores et déjà les pronostics antérieurs. Maintenant que le commun des mortels peut lui-même faire l’expérience pratique des transformations que la théorie lui annonce depuis plusieurs décennies, le Pacte prend appui sur cette convergence entre les vérifications communes, d’une part, et l’échec des efforts de falsification des négationnistes, de l’autre, pour rappeler que le changement climatique (commençons par là) n’est plus une hypothèse et que le caractère dramatique de ses effets est avéré. Mais il refuse, et j’ai le sentiment que c’est ce que vous lui reprochez, de s’engager dans la recherche et l’exposé d’une solution technique globale. Il est clair, en effet, que le Pacte évite de s’engager vraiment sur la question de savoir si la fin est commencée, si le point de bascule est atteint, si les feedback galopants sont enclenchés, tout comme il est clair qu’il s’interdit d’en déduire les cheminements critiques, les calculs de tonnage, les échéanciers d’étape, les mesures de mitigation, le décompte des années, les innovations techniques et les changements de régime (alimentaires et politiques) qui devraient faire partie du méga-programme d’atténuation; il se contente de conforter l’un par l’autre les mesures factuelles les plus robustes et l’expérience communes et il évite de soulever contre lui l’alliance désastreuse du scepticisme scientifique ordinaire («toute proposition sur l’avenir a la forme d’une hypothèse, falsifiable mais non démontrable») et du fatalisme post-humain («la nature s’arrangera mieux sans êtres humains»). La crise écologique n’est pas un problème local dont les variables chiffrées pourraient être isolées par quelques majestueux ceteris paribus et rendu passible d’une solution qui aurait la forme d’une sorte de Gossplan soviétique. Elle est le fait d’un système (non-linéaire) dont l’évolution est déterminée mais non prévisible. Dans ce contexte de calculabilité limitée, nous devons certes garder l’œil sur toutes les choses incertaines qui ne deviennent certaines qu’avec le passage du temps, nous devons aussi éviter de placer dans les chiffres tous nos efforts de connaissance. L’action pratique est la mère de toutes les formes de l’apprentissage, la seule que la réflexion théorique puisse inspirer en en faisant la critique. Si nous voulons apprendre, et ne pas simplement être exposés à des enseignements qui se contredisent, il nous faut entrer dans l’action. Maintenant. Et cesser d’espérer qu’un gouvernement, un comité, une conférence, une organisation, une agence ou une révolution nous fournisse bientôt une vision cohérente de la société de l’avenir, accompagnée du plan d’ensemble des mesures à prendre au fil du prochain demie siècle pour mitiger les catastrophes.
Les auteurs du Pacte postulent que la seule manière de se mettre en route quand la destination est incertaine et que le chemin n’est pas tracé est de s’en remettre à chaque embranchement à une préférence systématique pour la branche qui nous éloigne des causes du problème. Il n’est pas nécessaire de savoir où mettre la main pour l’éloignée du feu. Il faut rapporter sur chaque carrefour et sur chaque décision, grande ou petite, privée ou publique, la distinction entre ce qui nous enferme dans le pétrole (et dans la pollution et la surconsommation) et ce qui nous en éloigne, et il faut faire descendre les grands arbitrages globaux, qui ne savent ni quels buts viser ni comment les viser, dans toutes les inflexions de la pratique où les choses bien concrètes qu’il faut éviter comme la peste se désignent à l’évidence. Un peu comme c’est le cas pour la puissance du « négatif » dans la dialectique du discours (mille occurrences positives ne prouvent par l’hypothèse générale qui les attend, une seule occurrence négative la réfute), il est plus facile de s’entendre sur les choses particulières qu’il faut éviter que sur la constitution d’ensemble du monde dont on voudrait. De tels arbitrages négatifs, qui formeraient dans l’ensemble un processus itératif et réflexif, déboucheraient tout naturellement sur des hiérarchies pratiques et sur des choix de grande portée : on peut, sans contradiction, préférer qu’une mesure (une loi, une invention, une infrastructure, une campagne d’éducation, etc.) pousse la consommation vers A plutôt que vers B (vers une forme d’énergie plutôt que vers l’autre, disons), en adopter une autre qui favorise la réduction globale de ce type de consommation plutôt que de l’accroître et une autre encore qui redistribue fiscalement le coûts des changements sur les diverses catégories de revenus.
Les accords portant sur les choses à éviter ayant valeur en eux-mêmes, ils ne dépendraient que marginalement les uns des autres et absolument pas d’un plan d’ensemble. On pourrait y entrer en désordre ou en mosaïque et profiter des effets de combinaison inopinés. Cependant, aucun arbitrage sociétal de ce type ne pourrait être possible sans avoir force de loi et sans que ses conséquences sur l’inégalité sociale ne soit prises en charge par l’État. Quand vous dites que l’engagement d’un gouvernement à soumettre ses lois et ses décisions à ce double examen (écologique et fiscal) serait presque sans effet, je redoute que vous ne teniez pas compte de l’engagement lui-même, des attentes et des mobilisations qu’il susciterait et des effets d’apprentissage qu’il rendrait possible. A mesure que l’on s’engage plus profondément dans un cours d’action, on découvre simultanément les limites de cette action et la nature véritable de la « réalité » qui lui fait échec. Mais on découvre aussi les possibilités et les alternatives que cet engagement à ouvert, de même que la porte étroite vers où il faut faire porter ses espérances. Les mesures proposées par le Pacte seraient certes « insuffisantes » mais c’est précisément cette insuffisance qui nous ferait découvrir l’ampleur du problème.
C’est précisément là ce que vous essayez vous-même de nous faire comprendre, d’une manière admirable, avec acharnement et sans illusion, et il me semble que vous ne devriez pas négligez l’aide des signataires du Pacte.
Désolé d’avoir suggéré d’écrire mieux. Il est vrai que le sous-titre est important, capital et que 2/3 du livre parle de ça; je trouve trop ténu, insuffisant le lien entre la démocratie et l’écologie. Ce premier juillet, Roméo Bouchard en parle.
À la page 156, vous dites que 50% de notre énergie est à l’épreuve des soubresauts de l’économie mondiale. Malheureusement Legault promet par contrat une part de l’électricité au projet GNL, qui s’en sert pour déculpabiliser; de plus en en vendant à tous vents, il ne s’en sert pas pour notre transition écologique à nous. Ce messianisme nouveau, aider les USA avant de penser à s’aider soi-même met la charrue avant les boeufs. La loi 21 sépare la religion de l’État mais la religion de l’argent colle à l’État, les emplois payants… pour se faire réélire à tout prix. Les université pourraient faire de la recherche pour aider les travailleurs albertains de l’industrie des sables bitumineux a transitionner à une économie harmonieuse avec l’environnement, comme Iron and Earth essaie de le faire; puis ce savoir pourrait aider à sortir de notre prétendue énergie de transition le gaz naturel, avec ses nombreux ges dangereux selon le collectif scientifique gaz de schistes et enjeux énergétiques.
La guerre du Viet Nam a été arrêtée par les manifestations, explique dans une vidéo le physicien Kaku. Elles ont même empêché Nixon d’envoyer une bombe atomique sur le Cambodge, ajoute-t-il. ( c’était un projet secret)
Les Raptors et les Blues de Saint-Louis ont gagné en déjouant les prévisions. Peut-ëtre en sera-t-il de même pour les changements climatiques? Nous gagnerons! 🙂
En marchant, tout à l’heure, je me disais que j’ai une réticence à être d’accord avec monsieur Mead sur l’échec; mais j’aime Buckminster Fuller et je vois bien que le succès de l’Humanité envisagé n’est pas atteint. Et depuis un an que Gutterez et le Giec nos ont dit de nous presser, les GES augmentent et les projets de les faire augmenter abondent.( gazoduq-GNL Saguenay ici.)= ÉCHEC!!