Rien de nouveau dans cet article. On peut remonter à 1991 pour une chronique de Jean-Pierre Drapeau et Luc Gagnon, «Une politique familiale… ou nataliste?», soulignant l’intérêt pour un ou deux enfants, dans le volume 8, numéro 4 de Franc-Nord, publication de l’UQCN (devenue Nature Québec), et la réplique de Pierre Foglia dans La Presse, «Les crétins de Franc-Nord», (l’échange était intéressant, et je cherche les liens). Je poursuis le soutien à ce crétinisme ici, mais en tenant compte entre autres d’une réflexion entretemps de la Banque mondiale menée par une équipe sous Kirk Hamilton en deux volumes, Where is the Wealth of Nations: Measuring Capital for the 21st Centurys? (2006) et The Changing Wealth of Nations : Measuring Sustainable Development in the New Millenium (2011) mettant le défi démographique dans le contexte mondial.
La question concernant la population optimale du Québec ne semble jamais posée. Pendant des décennies, la population du Québec a continué de croître, sans jamais qu’on se soit demandé: Y a-t-il une limite à la population qui devrait ou pourrait habiter le Québec?
Les projections
La présomption d’une croissance démographique comme normale fait partie des habitudes, comme c’est le cas depuis toujours – je ne crois pas qu’il n’y ait jamais eu de mémoire d’homme (voire de femme) une période de décroissance démographique, ni mondiale, ni canadienne, ni québécoise, même comme conséquence des deux guerres mondiales du XXe siècle.
La croissance démographique contribue de façon importante à celle économique: plus de monde fait plus d’activité et plus de consommation. C’est le pendant de la croissance économique, sauf que celle-ci se voit coupée périodiquement par des récessions, des périodes de décroissance économique (voir Desrosiers à cet égard – https://www.ledevoir.com/economie/558579/analyse-la-recession-qui-n-arrive-pas-).
Les projections sont établies pour une population humaine qui continuera de croître (jusqu’à environ 10 milliards de personnes en 2050…), et cette croissance se réalisera presque exclusivement dans les pays pauvres. L’analyse de cette situation démographique indique qu’elle comportera d’énormes défis pour notre époque, même pour les populations des pays riches, alors que sa progression au fil des dernières décennies en comportait peut-être moins.
Depuis environ 40 ans, l’empreinte écologique de l’humanité dépasse la capacité de support de la planète, cela peu importe le fait que l’humanité connaissait, et connaît toujours, d’énormes inégalités entre les quelques milliards de pauvres et peut-être un milliard de riches. Plus la population s’accroît, moins il y a de support planétaire pour chaque personne: ni la planète ni ses ressources biologiques derrière le calcul de l’empreinte écologique ne connaît de croissance. Moins il y a de chances donc pour une réduction des inégalités, même si on risque d’y voir de toute façon une obligation de réduction marquée de l’empreinte des populations riches.
Et au Québec
Pendant des décennies, la croissance économique se maintenait en fonction, en partie, de la croissance démographique. Avec le temps, cette croissance démographique s’est mise à ralentir dans les sociétés riches, reflet de ce qui est nommé la «transition démographique» où une population – surtout les femmes – arrivée à un certain niveau de richesse cherche à profiter personnellement de cette richesse en mettant moins d’accent sur l’idée de faire des enfants.
Le Québec se trouve dans cette situation depuis environ 20 ans, alors que les jeunes Québécoises ont décidé de ne plus chercher à assurer le «remplacement des générations». Voilà l’origine de l’incapacité de la population à répondre aux appels des milieux économiques, voire des responsables gouvernementaux. La situation était prévisible depuis des décennies, et la principale réponse semble avoir été des efforts pour encourager la natalité, ce qui n’a pas réussi.
Regardant la situation d’un autre œil, le calcul fait quand j’étais Commissaire du développement durable a montré que notre empreinte dépasse par trois fois la capacité planétaire de support sur une base équitable pour la population humaine. Cette situation est une composante de mon constat, dans la première partie de mon livre, de l’échec de nos efforts de gérer notre vie sur la planète en tenant compte des exigences des limites environnementales.
Face à cet échec et à l’effondrement probable, je suggère que ce qui est important aujourd’hui n’est surtout pas de maintenir la croissance démographique (par l’immigration) et la croissance économique (par tous les moyens possibles), ni de maintenir les efforts de recherche de mitigations possibles par le mouvement environnemental (et le mouvement social) déployés pendant des décennies. C’est d’intervenir en essayant de comprendre, d’influencer et de nous préparer pour ce qui nous arrive.
Des pistes dans la vieille tradition
L’importance de la croissance démographique dans la croissance économique est telle que nous sommes aujourd’hui confrontés à une des implications de la situation curieusement non préparée mais qui est arrivée, à l’effet que, sans maintien de la croissance de la population, celle-ci vieillit. Instinctivement (et avec l’aide des médias et, finalement, d’un ensemble d’institutions), nous trouvons cela inquiétant… C’est seulement avec l’immigration que la situation n’aboutira pas à une véritable décroissance de la population dans les sociétés riches.
Comme Commissaire, mon objectif en faisant le calcul de 2007 n’était pas celui de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et ses constats statistiques, faits en présumant du modèle économique actuel. Le récent rapport de l’ISQ publié le 11 juillet dernier (avec un communiqué qui le résume) n’aborde presque pas les problématiques sociales et environnementales associées à ses projections, centré comme il l’est sur le portrait statistique pour la période 2016-2066. Les faits saillants résument les projections, avec comme presque seule thématique le vieillissement et – presque une recommandation – le recours à l’immigration pour maintenir la croissance (démographique et économique).
Ces projections ne semblent pas très positives dans leur ensemble, augmentant des problèmes sociaux et environnementaux déjà la source de défis importants pour la société. L’importance aux yeux des gouvernements de maintenir la croissance économique fait que l’approche retenue est de trouver des solutions ailleurs à ces défis, soit dans l’immigration.
Tout ceci était plutôt implicite aussi lors d’une entrevue par Manon Globensky à Midi-Info le 11 juillet de Chantal Girard, démographe de l’ISQ. Tout au long de l’entrevue, il semble s’y trouver (même si, après une deuxième écoute, rien ne semble aussi explicite que je pensais) une sorte de préoccupation, non pas face à la croissance de la population prévue pour les prochaines décennies, mais plutôt face à une réduction du taux de croissance et du «vieillissement», le taux passant de 1% par année à environ 0,3% (selon les projections). On constate généralement et un peu partout une volonté complètement irréfléchie de voir la population du Québec augmenter et surtout ne pas vieillir.
L’immigration
Le débat sur le nombre d’immigrants à recevoir semble ouvrir une brèche dans cette absence de réflexion. La baisse du taux de natalité «naturelle», voire de la population globale incluant l’immigration, n’arrive pas au Québec à fournir la main-d’œuvre jugée nécessaire pour le fonctionnement de l’économie. Bon nombre des travailleurs étrangers déjà en place, mais temporaires, œuvrent dans le secteur agricole où la population locale ne veut pas travailler – histoire entre autres de salaires bas pour maintenir des prix que les consommateurs locaux seraient prêts à payer – , mais la volonté explicite maintenant est de chercher (jusqu’à 70%) des immigrants à caractère économique, cela en pensant aux postes nécessitant certaines expertises. Cela s’accompagne, sans que l’on n’en parle, d’une perte dans les pays d’origine de ces personnes et de leurs capacités à participer à l’économie de ces pays. Quand il s’agit d’autres pays riches, cela ne soulève peut-être pas beaucoup de préoccupations, mais quand il s’agit de pays plus pauvres, l’effort de maintenir notre «développement» économique va carrément à l’encontre de tels efforts dans ceux-ci, et ne fera qu’accroître les inégalités qui mènent actuellement à des immigrations (illégales) massives.
En même temps, le débat sur la laïcité a soulevé des réticences dans la population – au Québec, apparemment pas au Canada – face à des immigrants d’origines ethniques autres qu’européennes. Et les immigrants illégaux qui font la manchette partout, ici, aux États-Unis, en Europe, comportent clairement une diversité ethnique qui complique davantage le portrait.
Rien de cela n’est vraiment discuté dans le rapport de l’ISQ, mais mérite une attention assez spéciale face au fait (entre autres) que les populations des pays pauvres – 85% de la population humaine – n’ont pas connu encore une transition démographique, parce qu’elles vivent toujours dans la pauvreté, et de plus en plus cherchent cette «transition» par une migration vers les pays riches.
Un cul de sac
Le modèle économique qui était en partie responsable des écarts de richesse entre les populations riches et pauvres, ainsi que des inégalités qui passent proche de définir les rapports entre les pays riches et pauvres, aboutit à une conséquence plutôt directe de ses orientations. C’est une situation où il n’y a presque plus de possibilité pour les pays pauvres de croître, en partie en raison de la dominance structurelle des pays riches, en partie en raison d’une déplétion de plus en plus répandue des différentes ressources naturelles (surtout celles non renouvelables) nécessaires pour la croissance économique et où il y a de grandes populations qui se trouvent donc dans un cul de sac.
Dans ce contexte, on peut comprendre la réflexion de Luc Ferrandez qui – je n’ai pas entendu l’entrevue – indiquait qu’une première réponse à la crise actuelle est de cesser de produire des enfants et – un complément que j’ajoute et dont il est bien conscient – porter une attention plus grande à l’ensemble des populations en besoin au sein même des sociétés riches, comme celle du Québec. De mon côté – cela remonte aux années 1960 – nous avons arrêté notre famille à deux enfants, histoire de respecter un objectif évident, celui de ne pas dépasser «le remplacement des générations» alors que toute ma génération, et davantage celle qui l’a suivie, celle des babyboomers, ont allègrement fait le contraire. Mes deux enfants n’ont pas eu d’enfants, pour des raisons et dans des contextes différents, mais cela reflète l’objectif d’origine qui est toujours pertinent, voire très important.
NOTE le 3 septembre. Je viens de relire l’essai de Jeremy Grantham, The Race of Our Lives Revisited, une mise à jour en 2018 d’un essai antérieur. Sa réflexion sur les enjeux démographiques, qui vient vers le milieu de l’essai, mérite lecture.
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Il me semble que la question qu’il faut poser est : « Quelle population le Québec peut-il se permettre en regard de la fin des hydrocarbures fossiles et de leurs dérivés ? »
Ou autrement formulé : « Quelle population le territoire québécois pourra-t-il nourrir – en regard de sa biocapacité -lorsque les hydrocarbures fossiles et leurs dérivés auront été consommés ? »
Ne faudrait-il pas laisser « naturellement » décroître notre population en vue de l’ajuster à cette biocapacité du territoire?
L’énergie fossile n’est pas seule en cause. Même si nous remplaçions les véhicules à essence pour des véhicules électriques, par exemple, la masse de matières en cause rentrerait dans notre empreinte, bien que le calcul comme tel n’en tienne pas compte, puisqu’il s’agit de ressources non biologiques. Bref, notre empreinte écologique comporte pour plus de la moitié un recours aux ressources qui dépasse la capacité de la planète à les fournir équitablement. Par ailleurs, notre biocapacité est plus importante que notre appel aux ressources, mais cela ne tient pas compte de la situation planétaire globale.
«Laisser décroître naturellement» la population serait bien l’option – sauf qu’il faudrait exclure l’immigration dans une telle optique – , si nous faisions une planification avec le temps requis. Nous ne l’avons pas…
Merci de votre patience a mon egard, je suis rendu a 40% de votre livre de 2017 et je me demande quand vous allez mentionner les depenses mondiales en armement et leur valeur dans les calculs de l’indice de progres veritable. par exemple on est a depenser 5 milliards CA$ par bateau de 180 pieds pour renouveler une vingtaine de fregates achetees il y a 25 ans dont les programmes en c++ ne sont memes pas termines de debugger (style windows quoi). Que dit votre sens critique quand il compare le plus gros yacht du monde (le Azzam, 592 pieds, 600 millions US$)a nos achats militaires « indispensables » presque dix fois plus couteux par bateau? Ne pourrait-on pas depenser tout cet argent et orienter ttoute cette logistiquepour planifier et demarrer votre urgent changement social? Personnellement, ca me motiverait a faire plus de TNR en plus de m’aquitter joyeusement de mes impots. vous avez deja travaille dans le gouvernement, nicolas hulot aussi, savez-vous qui on doit aller harceler dans quel departement pour que ca change partout sur la planete et que les depenses militaires de tous les pays soient enfin depensees productivement. Doit-on se resoudre a faire des degats dans les usines d’armements du monde? Ne peut-on pas convertir l’ingeniosite humains du complexe-militaro-industriel pour atteindre des solutions aux crises qui arriveront?
Par exemple, au lieu de bombardiers, drones, fusils, mines et canons, si les usines d’armements produisaient des modules de permaculture et les distribuaient dans toutes les banlieues gazonnees du monde, de combien l’indice de progres veritable augmenterait-il? Meme si le pourcentage des depenses militaires mondiales plafonne a environ 2.4 % du produit mondial brut depuis 1990 il representait 1,800 milliards US$ en 2018 selon le « Stockholm International Peace Research Institute ». Meme a 100 US$ du m² on peut convertir 18,000,000,000 de m² par annee a la permaculture, soit 18,000 km²/an. A ce rythme, l’equivalent du desert de Gobi serait permacultive en 75 ans. Les babines vont-elles bientot mobiliser les bottines dans cette direction evidente? Selon ce que vous dites, c’est inevitable, et il reste a decider de cesser de se frapper la tete sur le mur. on doit donc prioritairement trouver une strategie mondiale de sortie et conversion du militaire si je vous comprends bien. Ca semble evident, peu couteux et necessaire. Qu’attend-on pour former et elire les bons decideurs? 😉