L’Agence internationale de l’énergie et les perspectives pour le pétrole d’ici 2025: un déclin, voire un risque d’insuffisance

Matthieu Auzanneau, directeur du Shift Projet de Jean-Marc Jancovici, a fait une présentation le 7 février 2019 – «This Time the Wolf is Here» – sur la question du pic du pétrole. Les diapositives qui sont présentées dans la vidéo parlent tellement que j’ai décidé de reproduire son PowerPoint. Il s’agit de la plus récente mise à jour du constat de base de mon livre Trop Tard, à l’effet que nous sommes devant un déclin irréversible dans l’approvisionnement en pétrole conventionnel, à court terme; il s’agit de la ressource fondamentale pour le maintien du fonctionnement de notre civilisation, de nos sociétés. J’invite les lecteurs de ce blogue à visionner la vidéo, dont le lien (plus haut) nous était fourni par Pierre Alain Cotnoir dans un récent commentaire sur le blogue.

Auzanneau note que l’Agence internationale de l’énergie (AIÉ), source des données pour la présentation, n’a pas le mandat de crier au loup (si elle le fait, le loup apparaît, dit Auzanneau…), et code ses messages, mais dans le Résumé pour les décideurs elle lance trois alertes rouges. Elles sont indiquées dans les diapositives [1].

Je ne ferai ici que fournir une explication pour la lecture de chaque diapositive; pour voir les diapositives plus clairement, et pour en voir les détails, il faut visionner la vidéo.

Alerte rouge 1. Le pic du pétrole conventionnel est franchi

Le pic du conventionnel est confirmé par l’AIÉ en 2009 à partir d’environ 70 mbpj, avec une perte de 2-3 mbpj depuis. Il s’agit des trois quarts de la production mondiale, et l’AIÉ projette que le déclin ne sera pas arrêté.

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Figure 1. Tous les producteurs traditionnels de pétrole voient leur production décliner, à l’exception des États-Unis et l’Iraq (le Canada se trouve sur le bord, en troisième place dans la diapositive). Ces deux sont les seuls à avoir répondu à la demande accrue depuis 2005 (la flèche rouge)

 

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Figure 2. Le rouge indique autrement l’importance du déclin de la production parmi les principaux producteurs de pétrole (à gauche, en descendant, les pays ayant connu un déclin depuis 2005; à droite, des pays qui ont réduit le déclin de leur production depuis environ 2013), mais la somme pour l’ensemble est à zéro. En haut à droite, les États-Unis figurent en croissance en fonction de sa production du pétrole de schiste, non conventionnel, et l’Iraq arrive après des années de guerre à redevenir producteur important du conventionnel; le Canada paraît comme un petit producteur à l’échelle mondiale, plutôt stable avec la production à partir de ses sables bitumineux non conventionnels.


Alerte rouge 2. Les découvertes ne remplacent pas les pertes de réserves venant de la production

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Figure 3. Les nouveaux projets d’exploitation (le graphique couvre la période de 2012 à 2017) ne remplacent pas les pertes de réserves venant de la production, avec 2025 l’horizon des projections. Le gaz est ici en rouge, le pétrole en vert.

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Figure 4. Le graphique porte seulement sur les découvertes de pétrole, et distingue entre les gisements sous terre ferme (en vert) et ceux en eaux plus ou moins profondes (plus le bleu est foncé, plus le gisement est en profondeur). Les trois quarts des découvertes récentes, et des réserves en cause, sont en eaux profondes. Les découvertes ne fournissent que la moitié de ce qui sera nécessaire d’ici 2025 pour combler l’écart avec la production.

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Figure 5. Le graphique présente le portrait des découvertes du pétrole conventionnel (les histogrammes en gris) et de la production/consommation (la ligne en rouge) depuis les années 1950. On note que l’essentiel des découvertes ont été faites avant les années 1980. D’énormes investissements ont été consacrées à l’exploration dans les décennies suivantes, en trouvant de moins en moins de pétrole. La courbe des découvertes et celle de la production se sont croisées dans les années 1980. La tendance à creuser l’écart continue depuis cette période.

Alerte rouge 3. Le pétrole non conventionnel (surtout, le pétrole de schiste américain) ne suffira pas à combler l’écart entre la demande et l’approvisionnement en pétrole conventionnel

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Figure 6. Il est peu probable que le pétrole de schiste américain (voir la Figure 1) arrive à combler l’écart entre la production et les découvertes. Les trois quarts des entreprises qui pratiquent le fracking ont des investissements en capital (capex: capital expenditures) supérieurs aux revenus; le graphique montre l’importance des pertes. [2]

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Figure 7. Les projections de l’AIÉ (le texte en citation) pour 2025 incluent l’hypothèse d’une production accrue du pétrole de schiste le double de la production en 2018, mais il faudrait tripler cette production pour combler l’écart. C’est une première fois que l’AIÉ souligne cette situation dans un Résumé pour les décideurs. Elle se fie à des projets au Qatar et au Canada pour combler l’écart dans le gaz naturel pour cette période.

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Figure 8. Le graphique couvre la période de 2010 à 2040. Le vert foncé est le pétrole en milieu terrestre, le vert pâle en milieu aquatique, le bleu foncé les liquides de gaz naturel, le bleu pâle les sables bitumineux, le pourpre foncé le pétrole de schiste et le pourpre pâle d’autres sources non conventionnelles. À gauche, les perspectives (Auzanneau commente que l’AIÉ est un petit malin qui cache souvent ses hypothèses) pour la production des différents types de combustibles fossiles par l’OPEP, à droite celles pour les autres producteurs. Selon ces projections de l’AIÉ, il n’y aura pas de pic pétrolier (tous types confondus) dans la période allant jusqu’en 2025. Le déclin s’avère néanmoins le plus important pour le pétrole, et «l’AIÉ n’est pas trop sûre, quoi», commente Auzanneau.

La question de l’effondrement de la production industrielle

Ici, la présentation passe à une évaluation de la situation pour l’Europe, face à ce qui semble être une version de la réalisation des projections de Halte à la croissance et cela, précisément, pour la période ciblée par le Club de Rome, soit l’effondrement de la production industrielle dans les pays riches vers 2025.

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Figure 9. Le graphique répartit l’approvisionnement en pétrole de l’Europe (quasiment 100% importé), dont la moitié provient de gisements en déclin. Ici, le rouge représente des sources ayant déjà franchi le pic, le jaune, des sources qui seront en déclin d’ici 2025 (incluant la Russie, dit l’AIÉ, confirmé par la Russie elle-même), le gris et le noir, des sources (l’Iran et la Libye) où le déclin est plausible, le vert, des sources où l’AIÉ ne s’attend pas à un déclin.

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Figure 10. Les détails sur la provenance de 50% de l’approvisionnement européen, les pays en rouge étant déjà en déclin, le déclin pour ceux en jaune projeté pour la période 2021-2025.

En effet, cet effondrement n’arrivera vraisemblablement pas partout en même temps. Voilà un certain intérêt de la présentation qui nous incite à voir la situation en Amérique du Nord dans ces termes.

 

NOTE:

Après publication de cet article, j’ai contacté plusieurs experts dans le domaine pour solliciter des commentaires sur la situation, Deux m’ont répondu, avec les réflexions suivantes.

Je suis 100% d’accord pour le pétrole conventionnel. Mais il semble y avoir pas mal de pétrole non-conventionnel… donc malheureusement pas de pénurie en vue.

Je déplore que nous ne fassions pas face à une décroissance de la disponibilité physique du pétrole… les techniques de production semblent innover sans cesse pour rendre le pétrole disponible à prix relativement abordable. J’ai conscience que les taux d’intérêt très bas expliquent aussi la bulle de production… elle pourrait éclater et faire exploser les prix… mais ce serait plus une bulle financière qu’une fin du pétrole.

Les réserves d’hydrocarbures sont trop grandes à l’échelle de planification de nos sociétés (complètement myope comme vous le savez) pour qu’on ait à se préoccuper de moins de pétrole. Si ça arrive, on ne sera pas prêt… ça sera une crise économique grave, mais pas catastrophique. En fait, ce serait sans doute la meilleure manière d’agir dans un contexte où l’inertie de l’action climatique est quasi-totale.

 ….

Débordé ces jours-ci avec divers projets liés à l’énergie et aux changements climatiques (pas que mes travaux semblent avoir un impact réel sur les émissions).

J’avoue que je vois d’un assez bon oeil l’explosion des prix du pétrole. On a vu, avec le pétrole de schiste américain, un surplus de pétrole sur les marchés internationaux depuis quelques années, ce qui contribue à maintenir les prix bas.  Il est vrai que les réserves de pétrole conventionnel chutent, mais les réserves de pétrole non-conventionnel sont importantes et, surtout pour le pétrole de schiste, il est possible de répondre assez rapidement aux changements de prix.

Il est vrai que ce secteur (gaz et pétrole de schiste) est très difficile, avec des rendements douteux, des faillites à répétition et, tout de même, des gagnants. Une augmentation des prix pourrait faciliter la production de gaz naturel qui serait transformé en pétrole synthétique, par exemple.

Je pense donc qu’il reste, au total, des réserves accessibles et très importantes de pétrole, mais que celui-ci proviendra de nouvelles sources. Malgré ce qui semblait, il y a quelques années, il faudra donc des taxes importantes pour détourner les consommateurs du pétrole vers les énergies renouvelables (et l’efficacité énergétique).

Auzanneau ne se penche pas sur la différence entre le pétrole conventionnel et le pétrole non conventionnel, se restreignant aux quantités en cause, sans aborder la question des rendements. Mes deux sources semblent suivre cette approche, mais soulignent un désaccord quant aux quantités disponibles. Pour les deux, il y a toujours une abondance de pétrole non conventionnel et ils ne voient pas de pénurie à l’horizon.

Le rendement (l’ÉROI – l’énergie obtenue en retour de l’investissement en énergie) est clé dans l’analyse de l’économie biophysique qui me paraît la meilleure approche, et que je suis dans Trop Tard. Le rendement du mix actuel de pétrole conventionnel et non conventionnel semble être aux alentours de 17 (barils produits pour un baril investi dans l’extraction et la transformation). Je n’ai pas sous la main des estimés pour l’ÉROI/rendement énergétique du pétrole de schiste américain, mais il est bas, et celui des sables bitumineux est environ 3. Pour que l’exploitation du pétrole non conventionnel arrive à compenser le déclin dans le pétrole conventionnel, il faudrait utiliser peut-être trois ou quatre des barils produits pour poursuivre l’exploitation, laissant un baril net produit pour remplacer le pétrole conventionnel et nous permettre de poursuivre dans notre folle course vers la catastrophe.

Un article dans le Financial Post du 27 décembre porte sur la question et fournit plusieurs pistes vers d’autres articles.

À suivre…

 

[1] Évidemment, les graphiques dépendent d’un recours aux données et aux projections contenues dans le rapport complet.

[2] Une explication de cette situation, qui dure depuis des années, m’est fournie par un ami: Elle se réfère au fait que la demande de capital pour soutenir l’extraction du pétrole de schiste suit une tendance des marchés boursiers qui anticipent des résultats futurs prometteurs et font que des spéculateurs boursiers favorisent des investissements de plus en plus importants… et qui n’ont rien à voir avec l’importance des réserves ou la capacité des marchés à absorber cette production. On a vu souvent ce phénomène dans les ressources minières où l’accès au capital était quasi intarissable jusqu’à ce que le marché s’effondre et laisse de nombreux investisseurs fauchés.

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6 Commentaires

  1. Eric Martel

    Bonjour Monsieur Mead, je vous découvre tardivement à la lecture de livre Trop tard… J’ai acquis ce dernier, et plusieurs autres, notamment les limites à la croissance… Je suis le coordonnateur multimunicipal de la sécurité civile pour Rigaud et 2 autres municipalités. J’ai acquis les livres précités dans l’optique d’un projet de maîtrise en préparation. Le sujet, Est-ce que les efforts projetés et ceux en cours relativement à l’adaptation aux changements climatiques, permettront, de prévenir, ou au moins, mitiger les conséquences des effondrements systémiques des collectivités modernes (collapsologie). Si j’ai déjà trouvé mon Directeur de thèse, je n’ai pas encore de Mentor historique et scientifique, mais comme je vous le mentionnais au tout début du présent, je vous découvre…

    • Tout près de chez vous un projet, à l’échelle humaine de résilience, est en cours à Très-Saint-Rédempteur: une fiducie d’utilité sociale agricole, la FUSA Talanoa. Celle-ci entend recréer des communs afin d’offrir à la communauté environnante un élément sur lequel miser afin de « mitiger les conséquences des effondrements systémiques « , comme vous l’écrivez fort bien. C’est un peu comme la goutte d’eau du colibri tentant de contribuer à circonscrire un incendie, mais c’est mieux que rien.

      Pour en savoir plus, voir https://bit.ly/2L1dYAc ou https://youtu.be/LxuUvXJRZE8

      Contactez Pierre Provencher si ce projet vous intéresse à talanoa.fusa@gmail.com

  2. didier

    Bonjour, Mr Mead
    J’ai lu il y a qq jours un article publié par un Canadien qui disait : la Collapsologie est un « truc français », au Canada, mis à part Harvey Mead, il n’ y a personne pour argumenter sur cette problématique. Pourquoi? Cela n’interpelle pas les Canadiens, ces histoires de biocapacité de la planète? Je me permets de vous proposer cette video (qui m’a bcp secoué et que je souhaite faire partager le plus possible) d’Arthur Keller que vous connaissez p-e :https://www.youtube.com/watch?v=uluoJyzrGm0&feature=youtu.be&fbclid=IwAR0mu4V62oRv9Ny4dpLEQqM1vUF57mR3yQ4H2ICfP6TgKj6Kdjfv2cW9KVg . Qu’en pensez-vous ?

    • Le phénomène peut-être marquant pour nous dans la présentation d’Auzanneau est l’exploitation du pétrole de schiste, de loin la plus grande source de croissance du pétrole dans la diapositive 1; il s’agit d’un pétrole non conventionnel, alors que l’Iraq, l’autre source de croissance mais avec du conventionnel, en produit moins. La population ne suit pas ces détails, mais mon sens est que tout le monde qui s’y intéresse sait que les États-Unis sont redevenus un grand producteur et cela «règle» la question de préoccupations pour l’avenir de notre pétrole. Finalement, c’est une question du jugement des spéculateurs quant à l’avenir du pétrole de schiste américain, et des fondements des interventions des politiciens (les spéculateurs semblent absents) quant à l’avenir des sables bitumineux canadiens. Je soupçonne que nous allons voir la fin éventuelle (quelques années?) de l’exploitation à perte du pétrole de schiste, et que l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain risque d’arriver trop tard pour permettre la réalisation de la volonté d’augmenter l’exploitation des sables bitumineux.
      Je ne crois pas connaître Keller, mais un ami m’a référé à sa présentation «Limites et vulnérabilités des sociétés industrielles: comprendre pour anticiper» à https://www.youtube.com/watch?v=wumA1-M66Y8 La vidéo est très longue, mais j’en ai regardé environ une heure de la présentation, et j’y vois un survol d’un ensemble de constats que je présente et que je suis depuis des années maintenant. Mon ami m’indique que la présentation inclut quelques unes des diapositives d’Auzanneau, mais je ne les ai pas vues dans la partie que j’ai regardée.

      Il y a un article intéressant à voir sur les enjeux associés au niveau de la taxe carbone qui serait nécessaire pour agir efficacement, assez élévé pour presque mettre en question l’industrie pétrolière au Canada (pour ne parler d’ici). https://www.nationalobserver.com/2019/12/05/news/28-years-ago-big-oil-predicted-carbon-tax-was-necessary-stop-global-warming

      Voir aussi /Users/mead/Library/Containers/com.apple.mail/Data/Library/Mail Downloads/551A9C63-DCDE-4445-B948-9B197D02C628/ricke2018.pdf

  3. Un débat instructif…

    M. Germain Belzile
    Institut économique de Montréal
    Maître d’enseignement, département d’économie appliquée
    HEC Montréal

    M. Belzile,

    J’ai écouté avec intérêt le débat entre vous et M. Yves-Marie Abraham sur le site Savoir.Média (avec en complément l’intervention de Mme Laure Waridel, voir en bas).

    D’entrée de jeu, je me questionne sur votre affirmation concernant la substitution énergétique que vous avez présenté comme une panacée. Celle-ci me semble en contradiction évidente avec les mises en garde de scientifiques ou d’ingénieurs spécialisés pour les questions énergétiques comme Jean-Marc Jancovici qui, bien que favorable à l’utilisation de l’énergie nucléaire produite par la fission, reconnaît que la fusion nucléaire demeure un rêve même à l’horizon de la fin du présent siècle (voir https://youtu.be/t0Xp6CCte0U à 1:56:55).

    Or l’Alliance internationale de l’énergie (AIE) nous dit que notre monde est entré en déplétion de pétrole conventionnel depuis 2008.

    Tentons de résumer, sans doute de manière trop caricaturale, le récit de ce qui risque de se produire :

    1) Définissons d’abord ce qu’est l’énergie à partir de la définition qu’en donnent les physiciens, à savoir la mesure de ce qui prévaut à toute transformation d’un système.
    2) Reconnaissons ensuite que les humains dépendent de l’apport d’énergie pour le maintien tant de leur existence que de leur communauté.
    3) La révolution néolithique d’il y a 10 000 ans et surtout la révolution industrielle initiée au XVIIIe siècle ont été des moments où l’utilisation de l’énergie a été décuplée sinon centuplée par notre espèce (en premier lieu sous forme alimentaire par l’agriculture et l’élevage, puis par l’apport des énergies fossiles).
    4) Sur une planète aux ressources physiques limitées, cet apport d’énergie fossile va aller décroissant au cours des prochaines décennies.
    5) Les énergies renouvelables ne pourront pas suppléer à cette déplétion alors que 80 % de l’énergie consommée demeure d’origine fossile.
    6) Cette diminution de disponibilité en énergie entraînera une forte contraction économique qu’elle soit choisie ou subie.
    7) Celle-ci augmentera les contraintes pesant sur nos sociétés, tant en termes de capacité de transport, d’alimentation et de production de biens et de services, alors que les atteintes à l’environnement que ce soit la perte de biodiversité, la dégradation des écosystèmes et les extrêmes climatiques seront en hausse, aggravant les contrainte jusqu’à un point de rupture… pouvant mener à l’effondrement !

    Voilà résumé en 7 points l’essentiel de ce récit. À la page 10 du résumé analytique du « Rapport 2019 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions », publié le 26 novembre par le « Programme des Nations Unies pour l’environnement », on peut lire : « Si des mesures sérieuses avaient été adoptées dès 2010 en faveur du climat, les réductions nécessaires chaque année pour atteindre les niveaux d’émissions projetés de 2 °C et 1,5 °C auraient été seulement de 0,7 % et de 3,3 % par an en moyenne respectivement. Ces mesures n’ayant pas été prises, les réductions requises sont aujourd’hui proches de 3 % par an à compter de 2020 pour l’objectif de 2 °C, et d’environ 7 % par an en moyenne pour l’objectif de 1,5 °C. » (source: https://www.unenvironment.org/fr/resources/rapport-sur-lecart-entre-les-besoins-et-les-perspectives-en-matiere-de-reduction-des)

    Il est assez évident qu’une réduction de la production de GES de cette ampleur, soit plus précisément de 7,6 % annuellement, d’ici 2030 pour limiter la hausse du climat à 1,5 °C, comme le demande l’ONU, nous mène tout droit vers ce qui ressemble fort bien à l’écroulement de l’économie néo-libérale actuelle. Par ailleurs, pour ne pas dépasser 2 °C, il faudrait réduire de 3 % par année d’ici 2030 la production de GES, ce qui n’est guère mieux, et se compare largement en impact à la crise de 1929.

    De deux choses l’une, ou bien la civilisation thermo-industrielle passe outre à cette injonction (ce qui risque d’arriver) et alors les apports d’énergies fossiles, au premier chef le pétrole, diminuant au cours des prochaines décennies, voire des prochaines années, tant en quantité, mais surtout en taux de retours énergétique (TRÉ ou EROIE en anglais) imposeront une décroissance économique plutôt chaotique. Ou bien le capitalisme est remplacé par un système d’échange établi sur autre chose que la course au profit et ce nouveau modèle économique (bien plus exigeant que le Green New Deal ou tout autre avatar du même genre) permet d’absorber un tant soit peu le choc des ruptures qui s’annoncent. Malheureusement pour cette deuxième option, je ne vois pas encore comment elle pourra s’accomplir !

    Car, faut-il le marteler, la dérive de notre civilisation mondialisée provient d’un modèle économique qui nécessite une croissance sans limites sur une planète aux ressources limitées. Pourquoi une telle nécessité ? Parce que notre système économique établi sur faire de l’argent avec de l’argent doit piller sans vergogne pour se maintenir… et cela nécessite l’utilisation d’énergie pour, d’une part, produire, transporter des biens et en gérer les déchets, d’autre part, approvisionner les infrastructures requises à la fourniture des services permettant à ce système de fonctionner.

    Vous le savez aussi bien que moi : à chaque fois qu’une banque centrale détermine son taux d’escompte (son taux directeur appliqué aux banques du pays concerné), elle fait un pari sur un taux de croissance de l’économie. Comme la monnaie réelle n’occupe qu’un faible pourcentage de celle qui circule, c’est un vaste système de prêt et d’emprunt de monnaie scripturale (nourri par l’apport d’intérêts liés au taux directeur) qui sert de rouage à ce système kafkaïen. Ce système, fondé sur la détention de capital, s’effondrerait s’il n’avait plus le combustible de la croissance pour le maintenir. Voilà pourquoi il brûle tout sur son passage, ressources forestières, ressources halieutiques, ressources minérales et surtout… les ressources énergétiques fossiles.

    Celles-ci sont centrales pour son maintien : car ce système ne carbure qu’à l’énergie pour alimenter toutes les machines sur lesquelles repose la production qu’il génère : c’est son sang ! Les quatre cinquièmes de cette énergie étant d’origine fossile, l’éolien et le photovoltaïque ne comptant que pour 1,7 %, le nucléaire pour 1,9 %, je vois mal comment en l’espace d’une ou de deux décennies nous pourrons en remplacer l’apport. Or, redisons-le l’humanité est entrée en contraction énergétique depuis qu’elle a passé le pic du pétrole conventionnel en 2008, le pétrole conventionnel constituant les trois quarts du pétrole consommé. Qui plus est, c’est celui possédant le plus haut taux de retour énergétique permettant de fournir l’énergie requise pour toutes les autres activités économiques. Car les sources de pétrole non conventionnel (sables bitumineux, exploitation offshore, pétrole de roche-mère, etc.) ont des taux de retour énergétique en moyenne quatre fois plus bas. Autrement dit les centaines « d’esclaves énergétiques » dont dispose aujourd’hui chaque citoyen d’un pays développé s’évaporeront au fur et à mesure que les sources de pétrole se tariront.

    Que faire, sinon de reconnaître que notre survie passe inévitablement par un ensemble de traits déjà présents au sein des cultures humaines et qui pourraient s’avérer décisifs pour assurer une mutation en profondeur de notre civilisation. Plus que jamais, la coopération, la solidarité et la recherche du bien commun doivent être mises de l’avant comme des alternatives à l’individualisme et au matérialisme : l’économie sociale et solidaire, actuellement largement minoritaire, pourrait donc faire partie de la solution. Mais, on ne peut être certain que ce soit cet ensemble de traits qui l’emporte. La nature n’est pas téléonomique, elle bricole de manière opportuniste. Il est donc possible que ce soit des traits culturels fort différents qui dominent finalement. Par exemple, on ne peut écarter la propension des nations et des classes dominantes au maintien musclé de leurs privilèges économiques, avec ce qui en résulterait : un glissement vers des sociétés de plus en plus autoritaires et antagoniques. Voir https://bit.ly/2pYeQOG

    Que puis-je faire à ma mesure ? Au-delà des actes personnels de réduction de mon empreinte carbone qui, avouons-le, demeurent cosmétiques par rapport aux défis posés, même si je ne possède plus d’automobile depuis 1982, même si je vis dans une coopérative multilogement, même si j’ai réduit ma consommation carnée, il n’en reste pas moins essentiel que ce sont des actions collectives qui doivent être posées.

    À mon échelle, la première d’entre elles consiste à semer des ferments culturels différents de ceux d’un capitalisme prédateur. C’est pourquoi je me suis investi dans la création de coopératives où la spéculation est absente où les actifs demeurent une propriété commune ne pouvant être dilapidée. Celle dont je suis le plus fier, c’est bien la Maison de la coopération du Montréal métropolitain (http://mc2m.coop) hébergeant une trentaine de locataires dont une majorité d’entreprises d’économie sociale. C’est pourquoi aussi que, plus récemment, je me suis impliqué dans la mise en place d’une fiducie d’utilité sociale agricole dans la municipalité rurale de Très-Saint-Rédempteur près de Rigaud afin de créer des communs dédiés à une alimentation de proximité saine et respectueuse du vivant.

    Mais quand le retour du balancier viendra plomber les lendemains qui chantent que restera-t-il de ces modestes initiatives ? Montréal devra-t-il être déserté par des populations à la dérive laissant en ruines cette Maison de la coopération ? Les extrêmes climatiques rendront-ils arides ces hectares de terre que nous nous employons à sauvegarder en bien commun ? Il me reste sans doute moins de 20 ans à vivre. Que puis-je faire de plus pour laisser aux enfants de l’avenir un futur qui mériterait encore d’être vécu ?

    C’est une vraie question. Aussi quand je vois comment le sens initial du mot « économie » a été vicié depuis les physiocrates français et leurs successeurs anglais du XVIIIe siècle, je ne peux que me consoler en répétant cet adage pour moi révélateur : « Finalement l’économie est à l’écologie, ce que l’astrologie est à l’astronomie »
    https://savoir.media/le-grand-chapitre-saison-2/clip/la-decroissance-salut-de-lhumanite?fbclid=IwAR2zamvYnVhVmsSjSwGVoxcasLg-88dQQZxJGcw6nAaKFFCCxQPAWfnYtdQ

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