Derrière Glasgow: Le déclin du pétrole conventionnel

Pendant que j’écrivais mon dernier article sur la question de la pénurie de main-d’oeuvre, j’ai été saisi en y regardant le graphique de Halte; il m’a fait réaliser qu’il fallait que je revienne de mes références courantes en démographie (ou tout le monde parle d’environ 9 milliards d’habitants sur la planète vers 2050) pour revenir à ma référence depuis 50 ans. En effet, nous sommes dans la décennie projetée pour l’effondrement par Halte et devant nous la projection suggère que la population mondiale va se stabiliser et ensuite diminuer pendant cette prochaine décennie, alors que personne n’en parle[1].

Il y a quelques années, j’ai consulté World3 pour voir que le modèle de Halte comporte peut-être 200 équations; pour mieux comprendre la situation, on doit regarder les autres projections et l’ensemble du modèle. La première chose à remarquer est que la composante pour l’alimentation atteint un pic et baisse avant celle de la composante population, tout comme celle sur la pollution globale. Et là, je reviens à une autre sorte de surprise: en consultant l’original de Halte, j’ai confirmé que leur référence pour la pollution globale (parue dans la même année que le premier sommet mondial sur la pollution industrielle, à Stockholm en 1972) était les changements climatiques, à une époque où la question était à peine reconnue. Et la production industrielle, une autre des composantes du modèle, arrive aussi à son pic avant celui de la population.

Pour comprendre la projection démographique, donc, il faut induire que la population va diminuer suite à des problèmes mondiaux d’alimentation et d’impacts des changements climatiques (entre autres, sur les terres arables de la planète). Ici, on se reconnaît mieux. En pour conclure ce retour aux projections: Halte indique que la composante Ressources non renouvelables (finalement, les énergies fossiles, avec le pétrole en premier) déclinent depuis le début des projections du modèle. À cet égard. et encore que la couverture de la situation actuelle met tout l’accent sur la question des émissions de GES, les Français Jancovici et Auzanneau du Shift Project nous mettent dans un récent livre (Pétrole: le déclin est proche, auquel Hortense Chauvin est associée) devant la question du déclin du pétrole conventionnel, élément fondamental de la composante Ressources non-renouvelables de World3.

En fait, nous ne pensons pas beaucoup à la source de la multitude de produits et de services rendue par notre approvisionnement en pétrole conventionnel (et depuis quelques années, et pour un temps limité, en pétrole non conventionnel). Le plus proche contact vient quand nos remplissons le réservoir de notre bagnole. Les auteurs du récent livre nous en fournissent une meilleure idée

Beaucoup moins de pétrole, cela signifie beaucoup moins de supermarchés avec beaucoup moins de choses dedans: de vêtements, d’objets électroniques, mais aussi de légumes, de viandes, de pâtes alimentaires, d’huile et même de sel, lesquels aujourd’hui viennent presque toujours de fort loin. Cela veut dire globalement moins de matières premières dépendantes de flux logistiques rapides et à longue portée: minerais de fer indien, ou encore cuivre et lithium chilien, bauxite d’Australie, cobalt et coltan congolais, terres rares chinoises. Parce qu’il permet leur extraction massive, le pétrole est la mère de toutes les matières premières: le pic pétrolier signifie probablement un pic de presque tout.

Outre sa domination toujours quasi absolue dans les transports terrestres, maritimes et aériens, le pétrole est utilisé dans une infinité de processus chimiques. Près d’un quart du pétrole consommé dans le monde l’est par l’industrie, soit comme matière première via la pétrochimie, soit comme combustible. Bien souvent, les matériaux transformés sont eux-mêmes produits grâce au pétrole, ou à base de pétrole, et bien souvent les deux à la fois. C’est notamment le cas dans le secteur de la construction et dans l’industrie pharmaceutique. Un très grand nombre de revêtements, de médicaments ou de produits[…].

pages 119-121

Les auteurs fournissent des mises à jour du déclin projeté en graphiques.

Dans mon livre de 2017, j’ai mis l’accent sur cette situation, en me fiant à des données venant de l’AIE datant de 2008. Auzanneau et Chauvin, via Rystad Energy, utilisent les données jusqu’un 2020; ceci ne change pas mon analyse de 2017, mais la précise avec des données à jour.

Un tiers de la production existante totale en 2019 aura disparu en 2030, estiment aussi bien Rystad Energy que l’AIE. Cela signifie que les pétroliers devront d’ici là, ne serait-ce que pour maintenir la production mondiale à son niveau de 2019, mettre en production l’équivalent de la somme de la production de l’Arabie Saoudite, des États-Unis et de la Russie, les trois premiers producteurs actuels.

p.69

Les auteurs fournissent le portrait datant de 2020.

p.74

On peut multiplier les images pour décrire les risques de la situation présente. Ne pas virer de bord maintenant pour sortir du pétrole revient à continuer à nous laisser dériver sous le vent, entre le tourbillon de Charybde (le réchauffement climatique) et le rocher de Scylla (le pic pétrolier). Sachant que heurter Scylla ne suffira pas à nous empêcher de tomber en Charybde. Dit autrement, et contrairement à ce qui a été affirmé parfois par certains écologistes, le pic pétrolier ne résoudra pas le problème du climat. Car, d’une part, le rythme d’un déclin géologique post-pic pétrolier ne sera très vraisemblablement pas aussi rapide que la décroissance systématique des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 5 à 10 % par an, nécessaire pour parer l’essentiel du risque climatique. Et, d’autre part, en particulier dans une situation économique marquée par de très forts niveaux d’endettement et une croissance fragile, les alternatives les plus simples au pétrole se trouvent être bien souvent en pratique, hélas, les deux autres sources d’énergie carbonée émettrices de gaz à effet de serre: gaz naturel ou, pire, charbon.
p.111-112

Tout, dont la COP26 en cours, suggère que l’humanité ne réglera pas le défi des changements climatiques par ses propres décisions, et les données alimentant le scénario de base (BAU) de Halte depuis près de 50 ans suggèrent plutôt que l’effondrement projeté globalement est à prévoir. La composante Ressources non renouvelables de Halte prenait en compte l’ensemble des sources fossiles, et nous verrons si la réorientation suggérée par la citation s’avère une mise en question du scénario. Finalement, il semble que l’effondrement se joue entre le déclin du pétrole et les impacts des changements climatiques.

Mais World3 est plus complexe que cela… Une autre publication récente (septembre 2020) du Shift Projet, signé Mathieu Auzanneau, The European Union Can Expect to Suffer Oil Depletion by 2030, fournit le portrait de l’avenir de cet important bloc économique. Je l’ai déjà fait en suivant une présentation d’Auzanneau remontant au 7 février 2019: «This Time the Wolf is Here». Un article de mon blogue fournit la présentation PowerPoint qu’il utilisait. La déstabilisation de l’Europe par un manque de pétrole dans les prochaines années pourrait bien contribuer à ce qui est présenté dans les projections de Halte

[1] Le lendemain de la publication de cet article, je suis tombé sur «La dépopulation a déjà commencé»,  chronique de Philippe Fournir en science dans L’actualité de décembre 2021. Fournier indique qu’il va revenir sur la question dans sa prochaine chronique.

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3 Commentaires

  1. Quand des esprits éclairés se rencontrent! Ce sont les mots qui me sont venus en tête quand j’ai lu l’une à la suite de l’autre les tribunes de Harvey Mead et de Gail Tverberg publiée à deux jours d’intervalle.

    Aussi, je ne peux que vous incitez à lire également celle de Mme Tverberg à :
    https://ourfiniteworld.com/2021/11/10/our-fossil-fuel-energy-predicament-including-why-the-correct-story-is-rarely-told/

  2. paul bellehumeur

    Dans son article Fournier cite Darrell Bricker; John Ibbitson
    Empty Planet: The Shock of Global Population Decline
    pour le telecharger remplacez les 2 « x » par 2 « t » dans l’adresse suivante
    hxxp://library.lol/main/838F71482C35FE30F5374C91A2E10F5E
    s’il vous plait, achetez le bien sur!

  3. Alors que d’aucuns se félicitent que les termes « énergies fossiles » et « charbon » soient apparus dans le pacte sur le Climat de Glasgow, il faut se rendre à l’évidence que ce de fut que pour nous méduser.

    Car lors de la COP26, de dilution en dilution, ce pacte en est devenu homéopathique constituant un placebo qui demeurera sans effet pour éviter l’accélération de la dérive climatique. Voici, pour l’un de ses éléments centraux, comment l’ambition s’est rétrécie comme une peau de chagrin.
    L’article 36 du pacte devait se lire au point de départ ainsi : « Appelle les Parties à accélérer le développement, le déploiement et la diffusion de technologies, et l’adoption de politiques, pour passer à des systèmes énergétiques à faibles émissions, y compris en intensifiant rapidement le déploiement de mesures de production d’énergie propre et d’efficacité énergétique, y compris en visant à éliminer l’énergie électrique produite par le charbon et les subventions aux combustibles fossiles , reconnaissant la nécessité d’un soutien vers une transition juste ».

    Au cours des deux semaines de délibération, apparurent alors les premiers amendements diluant la portée de cet article par l’ajout des nuances suivantes : « « en accélérant les efforts » visant à éliminer progressivement l’énergie électrique produite par le charbon et les subventions « inefficaces » aux combustibles fossiles ». Mais le délayage n’était pas suffisant pour les grands émetteurs de CO2. Aussi alors qu’on avait mis fin à la délibération des parties et qu’après un court ajournement, on abordait la session finale de cette tragi-comédie visant à formellement adopter ce pacte, à la surprise de plusieurs nations, un amendement fut introduit par la présidence rendant encore plus famélique cet article: « en accélérant les efforts visant à « réduire » progressivement l’énergie électrique produite par le charbon et les subventions inefficaces aux combustibles fossiles ».

    Quand des dirigeants osent prétendre qu’ils ont préservé la cible de +1,5°C, alors que déjà le budget carbone consommé mène à une hausse de plus 1,5°C due à l’inertie climatique, ils trahissent leurs enfants. Car c’est plutôt vers une hausse de plus de 3°C qu’ils les condamnent.

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