Le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009 faisait le portrait des faiblesses du PIB comme indicateur de progrès, cela à la demande d’un des leaders du G8 (le président Sarkozy) et ayant comme auteurs deux prix Nobel de l’économie et une sommité française dans le domaine. Le rapport a connu une large diffusion. En 2010, les trois auteurs ont même publié une version vulgarisée du rapport, intitulée Mismeasuring Our Lives : Why GDP Doesn’t Add Up (New Press, 2010).
Les constats de ce rapport sont évidents et ne semblaient nécessiter que leur présentation formelle par des experts pour être reconnus. En dépit de cela, il s’avère presque impossible de trouver dans la pratique une application de ses constats par les administrateurs publics. À deux reprises récemment j’ai eu l’occasion de participer à des colloques organisés par l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Ces colloques m’ont fourni des occasions pour saisir les praticiens de ce que j’appelle des oeillères dans presque tout ce qui touche l’évaluation de notre activité économique, en commençant par le recours au PIB comme guide.
En mai 2012, le Centre de recherche et d’expertise en évaluation (CREXE) de l’ÉNAP a tenu un atelier lors du grand colloque de l’ACFAS de cette année. Les conférenciers se penchaient sur la question de l’évaluation de programme au sein des différentes administrations publiques. L’occasion m’a été fournie de présenter l’IPV comme un élément clé dans ces exercices, qui finissent par avoir des implications sur le plan économique. Je l’ai fait en soulignant la contribution du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. L’intention de fournir les actes de l’atelier m’a permis d’écrire une synthèse des travaux sur l’IPV du Québec dans le contexte de l’évaluation de programme.
En septembre 2013, l’Observatoire de l’administration publique (OAP) célébrait ses 20 ans par un colloque à assez grand déploiement. Comme ancien sous-ministre adjoint et ancien vérificateur général adjoint (Commissaire au développement durable), j’ai été invité à présenter mes réflexions sur les enjeux associés aux efforts de rendre la recherche universitaire utile pour les praticiens dans les gouvernements. J’avais déjà été frappé par une intervention d’une professeure de l’ÉNAP et un autre de l’Université de Montréal au printemps 2013. Ces deux constataient, à la lumière des révélations de la Commission Charbonneau, que notre confiance dans les vérifications formelles ne pouvait qu’être ébranlée en constatant que ces vérifications, au fil des ans, n’avaient pas mis en lumière la corruption omniprésente au niveau municipal que la Commission Charbonneau est en train de réveler.
En pensant à ces constats, j’ai décidé de mettre à jour les «observations» que j’avais préparées pour mon deuxième rapport comme Commissaire; le rapport est paru après mon départ, sans indication qu’il s’agissait du rapport du Commissaire, et les observations qui s’y trouvaient étaient celles du Vérificateur général. J’ai donc fait une présentation sur les faiblesses que l’on pouvait associer à des vérifications qui acceptent le cadre d’analyse de l’administration publique, alors que celui-ci rejette les constats du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. Ces faiblesses étaient communes à l’ensemble des réflexions du colloque, celles associées à la vérification (au niveau provincial), à la recherche universitaire et aux activités de l’administration publique. Comme c’est souvent le cas, mon intervention était en marge des échanges prévus et ciblait des enjeux à la base même des activités des acteurs, faussées, comme le disent Stiglitz, Sen et Fitoussi, par le recours constant à des critères économiques dominés par le PIB alors que cet indicateur ne mesure pas bien ce qui est important dans notre vie. Le malheur est que le PIB est toujours dominant, sous-entendu dans la recherche, dans la vérification et dans la pratique comme guide pour nos activités.
L’intervention au colloque de l’OAP m’a permis ainsi de retourner à la réflexion qu’allait présenter mes «observations» de 2008, quand j’étais Commissaire. Les observations que je prévoyais faire ciblaient le rôle du ministère des Finances (MFQ) dans la planification de notre développement, rôle qui relègue au second plan la planification découlant de la Stratégie québécoise de développement durable. L’élaboration des plans d’action de développement durable découlant de la Stratégie s’avère un exercice parallèle qui est finalement banalisé par les impératifs de développement économique encadrés par le MFQ et le ministère du Conseil exécutif. Une vérification des activités du gouvernement guidée par les principes soutenant l’IPV, allais-je dire, constituerait une contribution à l’assainissement, non pas des finances publiques, mais de l’action gouvernementale elle-même, en soulignant la mauvaise lecture de la réalité que fournit le principal indicateur du MFQ.
Il ne s’agit pas nécessairement d’une corruption analogue à celle révélée par la Commission Charbonneau, mais une nécessaire correction de la «mauvaise mesure» fournie aux praticiens et aux chercheurs par le PIB. La volonté presque universelle pour une croissance économique dans chaque pays, voire chaque juridiction, est mesurée quant à ses résultats par le PIB. Une correction dans le recours au PIB comme indicateur offre des chances pour des perspectives différentes quant à cette volonté, qui doit elle-même être corrigée en reconnaissant les indications fournies par l’empreinte écologique.
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