Je venais d’écrire mon dernier article, sur les enjeux visés par le Manifeste pour sortir de la dépendance au pétrole, que voilà, je découvrais l’intervention d’un autre économiste, d’un autre éditorialiste, qui me pousse à poursuivre. Alain Dubuc, dans La Presse du 22 janvier, sort un éditorial qui propose que le manifeste «sombre dans la caricature», ceci en raison de trois non-sens économiques qui s’y trouvent. Je les passe un par un.
1. Le premier consiste à douter qu’une éventuelle production pétrolière réduise nos importations de pétrole. «Il est cependant irresponsable d’affirmer, car il n’y a aucune preuve ni garantie, que l’exploitation en sol québécois réduira durablement et significativement ce déficit commercial.» On ne devrait pas à avoir à prouver des évidences. Chaque baril de pétrole produit au Québec réduira le déficit commercial d’autant. L’ampleur de la réduction du déficit commercial dépendra essentiellement de l’importance de cette production.
Ce que Dubuc ne mentionne pas est que les signataires du Manifeste pour le pétrole présument – et je dirais souhaitent – que nous consommions de plus en plus de pétrole dans les années à venir. Ce souhait est celui de l’ensemble du milieu économique, qui projettent une augmentation énorme de la consommation des combustibles fossiles dans les prochaines années. J’en ai décrit les paramètres dans mon récent article sur ce Manifeste pour le pétrole. Si la production souhaitée ici ne compense pas l’accroissement également souhaitée de notre consommation, le déficit commercial augmentera. Rien ne nous dit que la production hypothétique pourrait atteindre la hausse de la consommation de 28% projetée pour le Québec…
2. Le second porte sur la crainte que la production pétrolière compromette nos efforts pour réduire notre dépendance au pétrole. Mais pourquoi en serait-il ainsi? Les Québécois voudront-ils brûler plus d’essence parce qu’elle vient de chez nous? Cette crainte vient peut-être du fait qu’on plaque inconsciemment au pétrole le modèle hydroélectrique où, parce que c’est notre électricité, on la vend au rabais et on encourage la surconsommation.
Il faut bien se demander comment les Québécois vont se comporter, mais il faut aussi associer la volonté du gouvernement, finalement, des trois principaux partis, de procéder à l’exploitation comme une orientation qui va dans le sens contraire d’une volonté de réduire notre consommation, en termes absolus. Finalement, c’est le même problème que le premier: pour l’ensemble des agences énergétiques des pays riches, la croissance économique dépendra d’une hausse de la consommation des combustibles fossiles – et cela en fonction de projections d’un prix pas trop élevé…
3. Mais l’argument le plus étrange, c’est de douter que cette production puisse procurer des bénéfices économiques, notamment parce que «les entreprises privées détiennent l’essentiel des droits d’exploitation», en faisant référence au cas norvégien. Pourquoi aller si loin? On peut regarder juste à côté, à Terre-Neuve, même si ça fait moins chic, où l’exploitation du pétrole a eu un impact majeur et déclenché une véritable révolution.
Pendant ma deuxième année comme Commissaire au développement durable, j’ai mené la vérification des interventions gouvernementales dans le secteur minier qui a causé un certain émoi lors de sa publication en mars 2009. Comme disait le communiqué émis à ce moment-là, «les analyses fiscales et économiques produites par le MRNF ne lui permettent pas d’établir de façon claire et objective si le Québec retire une compensation suffisante en contrepartie de l’exploitation de ses ressources naturelles». Le rapport lui-même est plus clair: «Pour la période allant de 2002 à 2008, 14 entreprises n’ont versé aucun droit minier alors qu’elles cumulaient des valeurs brutes de production annuelle de 4,2 milliards de dollars. Quant aux autres entreprises, elles ont versé pour la même période 259 millions de dollars, soit 1,5 p. cent de la valeur brute de production annuelle». L’exploitation pétrolière est toujours une activité minière.
L’adoption de la nouvelle loi sur les mines avant les Fêtes n’a rien changé à ce portrait, sur le plan économique. Un article du Devoir de mai 2013 fait le point, en citant les propos d’Yvan Allaire, président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques et qui a suivi le débat de façon assidue: «À force de reculer, le gouvernement péquiste a accouché lundi d’un régime d’impôt minier «pire» que celui hérité du gouvernement libéral».
Comme je souligne presque avec consternation dans l’article publié hier, ce sont bien plutôt les économistes et les dirigeants politiques qui les suivent qui font presque de la caricature dans leur insistance pour un développement économique qui ne veut pas tenir compte du calcul des externalités et des questions d’échelle dans les activités économiques des sociétés. À ce sujet, voir l’ensemble des documents sur ce site sous la rubrique Indice de progrès véritable, dont la Synthèse du livre que j’ai publié en 2011 et qui passe inaperçu chez les économistes que je visais avec ce travail, ainsi que le rapport du VGQ sur l’empreinte écologique que j’ai produit en 2007.
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Je trouve Rifkin presque toujours intéressant. Par contre, j’ai pu consulter brièvement son récent livre, et il m’a laissé perplexe. Je le regarderai de nouveau. J’attends voir ce qu’Amory Lovins a à dire dans Reinventing Fire, que je n’ai pas pu consulter encore. Il s’agit de deux incontournables de ma génération, mais je reste surpris par la capacité de beaucoup de personnes bien informées d’embarquer dans le leurre de l’économie verte et montrer une confiance inébranlable dans notre capacité de trouver toujours de l’énergie en abondance.
M. Cinq-Mars,
Je présume que l’infrastructure que vous décrivez et que je saisis plus ou moins bien est décrite par Rifkin, et ma réponse viendra de la relecture du livre de Rifkin. Je soupçonne que ma réponse se trouve quand même dans le chapitre sur l’énergie que j’ai écrit pour le nouveau livre en préparation par un collectif que je coordonne. J’en fournis le contexte et le lien dans mon article sur le débâcle de la consultation sur les enjeux énergétiques qui se déroulait cet automne. J’y propose que la société québécoise va probablement devoir poursuivre ses activités avec la moitié de l’énergie disponible actuellement, soit celle d’origine hydroélectrique déjà en place. Il n’y aura pas de surplus. À cet égard, par ailleurs, je suis impressionné de voir jusqu’à quel point le Québec se trouverait favorisé par rapport à presque toutes les autres sociétés. Toute «révolution industrielle» de l’avenir va non seulement être réorientée mais profondément contrainte, devant notre dépassement de la capacité de support de la planète déjà et les milliards de personnes n’ayant presque pas de bénéfices d’un développement quelconque dont le niveau de vie doit être amélioré. Pour ce qui est de l’énergie, j’en parle en me référant à l’approche esquissée par Brundtland en 1988 dans l’article que j’ai récemment écrit sur le Manifeste en faveur de l’exploitation pétrolière.