C’était du jamais vu au Québec, à l’image de ce qui se passait ailleurs, en Afrique du Nord, en Europe, aux États-Unis. La population était dans la rue, mobilisée, dans toute sa couleur. Le Jour de la Terre de 2012 était l’aboutissement du «printemps érable», lui même se déroulant dans la foulée du printemps arabe, du mouvement des indignés, de Occupy Wall Street. J’en étais observateur, fasciné. Et la manifestation pacifique que constituait la marche du Jour de la Terre 2012 sortait d’un cadre pour l’événement qui l’avait rendu presque grotesque. Il semblait y avoir de l’espoir.
Des contacts avec certains participants suggéraient très rapidement qu’il n’y avait pas de mobilisation pour des suites, pour la transformation d’un événement en un mouvement. Ce n’était pas long avant que la réalité s’installe et que la marche soit devenue un souvenir en attendant que les groupes environnementaux s’organisent pour le prochain Jour de la Terre. Absents étaient justement de ce successeur de 2013 les groupes de femmes, d’étudiants collégiaux et universitaires, d’autochtones, de syndicalistes, de tout ce qui avait marqué l’événement de 2012. Nous restions quand même avec la présence d’une opposition officielle à Ottawa résultant de la vague orange qui s’était déferlée sur le Québec lors des élections fédérales de 2011 et qui n’était même pas une composante du Jour de la Terre 2012, mais qui en avait manifesté certains de ses traits.
Ce n’était pas une surprise de voir le gouvernement Marois, très rapidement après son élection en septembre 2012, montrer les orientations devenues nécessaires pour n’importe quel gouvernement qui se prend au sérieux dans les démocraties modernes. Comme j’esquisse régulièrement dans ce blogue, dont les trois derniers articles, les enjeux énergétiques deviennent de plus en plus cruciaux, complémentaires aux enjeux fiscaux et économiques marqués entre autres par les défis de l’endettement – et cela sans oublier les inégalités qui marquent les sociétés actuelles et pour lesquelles il n’y a pas de porte de sortie pour le moment. Autant une révision souhaitable de la fiscalité pour inclure davantage les riches dans le financement des activités de l’État ne représente pas une solution miracle à une situation associée à la disparition de la croissance économique et la «richesse» qu’elle a générée pendant des décennies, autant une volonté de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement en combustibles fossiles non conventionnels ne remédie pas à un déclin inéluctable de l’abondante énergie bon marché qui nous a soutenu pendant des décennies aussi.
L’effort de gérer l’espoir, maintenant lui aussi un souvenir plutôt lointain d’une capacité à assurer le bien-être, se bute à ces phénomènes intrinsèques dans la définition de notre situation. Le résultat de l’effort a été une série de décisions qui constituaient, finalement, la répudiation de l’espoir en fonçant la société dans des mesures d’austérité et à la recherche de pétrole autochtone. Même l’illusoire Plan Nord a trouvé une réincarnation dans le Nord pour tous, autre manifestation de l’espoir qui démontre une incapacité à compter.
Le jour du lancement des élections provinciales, Jean-Robert Sansfaçon, mon économiste un peu cible au Devoir, a publié un éditorial qui s’attaque au symbole même de notre situation, une société Hydro-Québec qui – tout en ayant des atouts impressionnants pour notre avenir – n’a plus d’avenir dans le portrait économique que nous nous sommes fait de nous-mêmes. Le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec en fait la démonstration convaincante. L’ère de la production de «richesse» par la construction de barrages est terminée et nous avons même un important coût à payer pendant les prochaines années pour avoir cru trop longtemps dans le rêve, pour avoir poursuivi la production d’énergie au-delà des besoins.
«Qui peut refuser de développer ses richesses naturelles, demandent certains ? En effet… pourvu que cela soit rentable, qu’on en ait vraiment besoin, et qu’on soit prêt à en payer le prix. Ce qui n’est pas le cas», se plaint-il. À la place, nous allons devoir payer plus pour notre électricité. Même l’électricité! et cela face à un prix pour le gaz de schiste aux États-Unis en-dessous du prix coûtant de son exploitation et qui risque d’y rester un certain temps, avant que la bulle de cette énergie non conventionnelle n’éclate. Sans vouloir esquisser une plateforme pour la campagne qui s’amorce, l’éditorial rentre directe dedans, en notant que la campagne ne portera pas sur la politique énergétique, comme elle devrait faire.
Le même jour du déclenchement des élections, c’est plutôt Françoise David et Québec solidaire qui ont occupé la scène en proposant justement une orientation globale, soit de reprendre l’élan du printemps érable (et j’ajoute, du Jour de la Terre 2012). Québec solidaire annonce qu’il a les moyens de se promener à travers le Québec avec un autobus de campagne, pour la première fois. À regarder les enjeux, à regarder l’ancrage des trois partis principaux dans le modèle économique dominant mais sur une voie de sortie, avec une partie de notre bien-être en prime, il y a lieu de penser que le moment est venu de chercher à ressusciter le mouvement du printemps 2012, de transformer l’autobus en symbole de la marche de 2012. Comme dit David, «Je voudrais que toutes les personnes qui ont pris à coeur le printemps érable se demandent: quel parti politique incarne le mieux le véritable changement économique, politique, social et culturel? On est les seuls à l’incarner».
Il n’est pas nécessaire de décortiquer les différents éléments du Plan vert de Québec solidaire, ni les autres parties de sa plateforme (et je laisse de coté Option nationale pour éviter la dispersion du vote). Il n’est même pas nécessaire d’adhérer à l’ensemble de ses prises de position, dont la souveraineté. Québec solidaire nous offre l’occasion de nous mobiliser autour du rejet du modèle économique qui nous a mis dans une situation de crise et qui nous mène dans le mur. Même si lui-même a montré quelques tentations à l’égard du modèle économique qu’il est presque inimaginable de voir hors jeu, cela aussi peut être mis entre parenthèses. On peut se permettre d’imaginer une sorte de caucus des «poteaux» qui seraient élus dans la manifestation d’une vague arc-en-ciel et qui auraient à se débrouiller avec les vrais enjeux, ceux associés aux crises permanentes que j’esquisse dans ce blogue.
Pour répondre au souhait de Sansfaçon de voir la politique énergétique comme élément central de la campagne, j’offrirais même quelques pistes partielles pour les débats. Tout d’abord, une reconnaissance que nous avons perdu la chance de maîtriser les changements climatiques et l’annonce que nous nous retirons des préparatifs illusoires pour une conférence des parties à Paris en décembre 2015. Les élus à travers la planète prétendent vaguement qu’ils vont finalement y arriver à une entente internationale pour faire l’impossible, une réduction dramatique de notre consommation des combustibles fossiles et des émissions de gaz à effet de serre qui en résultent. Cela fait longtemps que cet enjeu n’est plus environnemental mais social et économique et le symbole des crises marquées entre autres par notre dépendance au pétrole (et au charbon, et au gaz). Viendrait en même temps toute la série de débats qui n’ont pas eu de suites après les émotions de 2012, et qui touchent les autochtones, les jeunes, les femmes, les étudiants, finalement, toutes les couches et toutes les composantes de la société (en oubliant le 1%) qui étaient mobilisés en 2012.
Nous n’aurons qu’à écouter dans les jours qui viennent les discours creux sur la nécessité de traiter des «vraies affaires», de cibler la «prospérité» et de remettre de l’argent dans les poches des «consommateurs» pour en être convaincus: Nous sommes déjà une vague arc-en-ciel qui le savons déjà. Reste à voir si la vague sans force depuis deux ans puisse se transformer en un tsunami.
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Prendre ses rêves pour la réalité…
D’une part, je ne peux souscrire à l’analyse à courte vue des surplus énergétiques dont dispose le Québec en ce moment, d’autre part je suis en total désaccord avec votre portrait des enjeux électoraux.
Commençons par le premier élément de désaccord. Autant Jorgen Randers, Dennis Meadows que d’autres s’accordent pour dire qu’il faut être prêt à investir dans la production d’énergie provenant de sources renouvelables même si à court terme ces investissements ne sont pas rentables. La diminution circonstanciée du prix du kw/h aux USA par l’utilisation du gaz de schiste ne durera pas plus qu’une dizaine d’années, quinze en étant optimiste. Or, les investissements en hydro-électricité ont une espérance de vie beaucoup plus longue et les structures de production prennent des années à être mises en place. C’est donc dire qu’il s’agit de placements qui à moyen terme s’avèreront profitables tant sur le plan économique qu’environnemental.
Deuxième point de désaccord: autant les investissements dans l’électrification des transports que le virage pris en faveur des transports collectifs, ainsi que les investissements dans des mesures d’efficacité énergétique, vont dans la bonne direction. Au total, c’est plus de 2 milliards sept cent millions qui y seront consacrés au cours des prochaines années. Les quelques 115 millions destinés à l’EXPLORATION du potentiel pétrolier à Anticosti permettent de reprendre le contrôle sur un cadeau de Charest à ses amis libéraux pour le bénéfice de tous, en plus d’apporter des réponses fermes sur les coûts d’une EXPLOITATION du pétrole de shale. Il est fort probable que la réponse aille dans le sens des projections de Marc Durand. Encore faut-il le confirmer. Mais cette question soulève un autre débat. Celui de notre responsabilité collective dans l’utilisation du pétrole pour nos besoins. Je trouve particulièrement irresponsable de laisser dans la cour du voisin (dont des pays où les droits des citoyens passent au dernier rang) les méfaits de l’extraction du pétrole non-conventionnel. Car, c’est ce type de pétrole qui sera de plus en plus exploité. Nos 4 millions et demi de véhicules personnels sont pourtant de grands consommateurs d’énergie fossile. En fait, le Canada et le Québec surpassent même les USA à ce chapitre. Rien pour être fier. Aussi, en ramenant dans notre cour les conséquences de notre utilisation de l’énergie fossile, nous ouvrons un grand débat sur notre « sortie du pétrole ». En passant, je ne crois pas que ce soit celui d’Anticosti qui soit source d’inquiétude, mais plutôt celui en provenance d’Old Harry. Des pays plus avancés que nous dans cette sortie n’en entrevoient pas l’aboutissement avant 2040 sinon 2050. Soyons réaliste: pas avant une trentaine d’années. En attendant, on fait quoi? On rêve en couleur comme QS: (1) avec des propositions irréalistes (2) en sachant fort bien que ce parti qui promet la lune ne prendra pas dans un avenir prévisible le pouvoir. Leur slogan devrait dans ce sens plutôt être: « Je vote avec ma tête dans le sable ». Je préfère donc bien plus le pragmatisme d’un Daniel Breton que les gesticulations de QS.
Ce qui ne m’empêche pas d’être réaliste et de constater la faillite appréhendée de notre civilisation à réagir avec suffisamment de clairvoyance. Mais ce sont tous les individus la composant, attachés à leur mode de vie énergivore, qui composent les sociétés dites avancées dans lesquelles nous vivons et qui demeurent toujours réfractaires à tous ce qui pourrait remettre en question ce mode de vie. C’est pourquoi il faut y aller progressivement par petits pas et non pas en promettant des lendemains qui chantent sans avoir la capacité de les rendre possibles.
Je ne sais pas dans quel contexte Meadows propose cela. Je présume qu’il s’agit d’un effort dans les pays pauvres pour atteindre ce qui serait leur développement adéquat, cela par contre nécessitant en compensation une contraction correspondante dans les pays riches – ou dans ceux-ci si c’est clairement une démarche pour remplacer du fossile. Mon premier contact avec Meadows, après l’avoir suivi pendant 40 ans, était à Burlington en 2012, lors d’un colloque des économistes écologiques et biophysiques où les grandes implications des enjeux énergétiques étaient à l’avant plan. Meadows maintient que les projections de son équipe en 1972 pour le Club de Rome restent toujours en ligne avec les tendances – des effondrements qui seraient en cours à partir d’environ 2025…
Quant aux surplus ici, je ne comprends pas une proposition d’en produire plus d’électricité au Québec. Nous aurons à payer les surplus actuellement inévitables pour environ 15 ans, selon les analyses de Blain et de la CEÉQ qui me paraissent tout à fait convaincantes. Je propose dans le chapitre sur l’énergie pour le projet de livre que nous nous restreignons à l’énergie électrique que nous avons déjà – avec justement une longue durée de vie – en abandonnant tout simplement les importations de pétrole. D’ici quinze ans, nous serions dans une situation de ne pas avoir besoin de plus (par défaut), et j’imagine mal un processus d’exportation aux États-Unis dans les années 2030 comme justification pour le maintien de la construction et les emplois ici, très souvent presque l’unique vraie raison pour les projets.
Il y a plusieurs éléments dans la deuxième objection. Tout d’abord : j’avais déjà proposé, il y a peut-être dix ans, que ce serait probablement une chose souhaitable que de produire notre propre énergie fossile, ici, histoire de vivre, les yeux ouverts, avec les impacts environnementaux qui y seraient associés et d’avoir probablement des raisons pour penser faire autrement. Depuis, je crois avoir bien mieux compris les vrais enjeux, que j’associe aux analyses des économistes biophysiques comme Charles Hall. D’une part, les énergies non conventionnelles ont un rendement sur l’investissement (l’ÉROI) tellement faible qu’elles définissent presque en elles seules les crises qui viennent. Les sables bitumineux sont catastrophiques à cet égard, mais le gaz et le pétrole de schiste (Anticosti) ne semblent pas beauoup mieux. Nous avons tout intérêt à sortir du pétrole pendant que c’est encore le temps, puisque c’est le non conventionnel qui va dominer les exploitations à l’avenir.
Old Harry représente le gisement possible de pétrole et gaz conventionnels, et le débat concernant son exploitation porterait probablement en priorité sur les risques environnementaux en cause. Ma conviction à l’effet que l’approche contraction/convergence de Brundtland (et récemment de l’IRIS) est la seule acceptable pourrait rendre acceptable l’exploitation de telles réserves possibles si c’était pour exportation vers les pays pauvres. Rien dans le portrait actuel suggère que c’est cela qui arriverait, et les crises venant du refus de se prémunir contre la dépendance au pétrole me paraît bien plus préoccupant, au point où je ne proposerais pas une telle exploitation – même si les risques s’avéraient gérables…
Un deuxième élément dans l’objection vient de ce qui semblerait la perception de la «bonne direction». Comme Breton a souligné, on prévoit des investissements dans l’électrification des transports, et dans le transport en commun. Ces investissements, par contre, n’ont presque pas de commune mesure avec celles pour les routes. Plus important, et comme le rapport de la CEÉQ démontre en calculant des scénarios, il est irréaliste de penser pouvoir aller en ce sens de façon à respecter les réductions d’émissions jugées essentielles par le GIEC. Une réduction de -25% en 2020 serait vraisemblablement un minimum, et la CEÉQ suggère que nous ne pourrons pas faire mieux, en restant réaliste, que -15% en 2025… Il n’y a plus de bonne direction. J’en parle à la fin de mon article qui commente le rapport de la CEÉQ.
Et voilà, le réalisme voulu à la fin du commentaire fait abstraction du thème de ce blogue, soit que les mouvements environnemental et social ont échoué dans leurs efforts de freiner la dégradation de nos écosystèmes naturels et humains. C’était le sujet du premier article. Les effondrements projettés par le Club de Rome en 1972 s’avèrent presque inéluctables. Mon propos pour une élection en 2014 qui prépare un Jour de la Terre 2014 cible la partie de la population qui a stimulé les événements de 2012. Cotnoir a probablement raison qu’elle représente une minorité, et que nous verrons la majorité voter pour les principaux partis qui endossent clairement le modèle économique qui nous mène dans le mur. En effet, le réalisme fait que les petits pas ne nous sont plus une option.