Un Plan B pour le manifeste Grand bond vers l’avant

Le transport en commun comme solution à la relance économique et à la crise environnementale au Québec: le titre de la note de recherche de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) laisse craindre des dérapages, une volonté de reprendre le bâton de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) et foncer sur la nécessité de relancer la croissance économique avec une approche industrielle nouveau genre. Finalement, la note, publiée en janvier, n’y va pas, et propose plutôt pour le Québec ce que l’abandon des sables bitumineux représente(rait) pour les provinces de l’Ouest, un bouleversement.

En effet, parmi les principales sources d’émissions de GES au Canada figurent l’industrie d’extraction d’énergie fossile pour le quart et nos systèmes de transport pour un autre quart; quant aux sources de la croissance de ces émissions depuis 1990, les deux y sont pour presque 100%. Le manifeste Grand bond vers l’avant cible la moitié du défi, celle de l’industrie de l’énergie fossile. Actuellement en déprime, le déclin (temporaire, peut-être, peut-être pas) du secteur suite à la baisse dramatique du prix du pétrole montre assez clairement son rôle dans l’économie canadienne, également face à un ralentissement sérieux. Et voilà une source des émotions lors de la convention du NPD il y a deux semaines.

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Il y en a qui ont leur Audi

Les transports un élément clé

Le manifeste n’aborde tout simplement pas le défi associé à nos transports alors que déjà il a suscité les émotions et les oppositions. Le principal but de mes deux articles sur le sujet, le premier sur le positionnement du manifeste, le deuxième sur ses faiblesses, était de faire ressortir l’importance des propositions du manifeste pour la structure de notre société, et de son économie, lorsque l’on regarde d’un peu plus près leurs vraies implications. Brasser dans les grands secteurs de l’énergie et de l’agriculture n’est pas une mince affaire, surtout dans l’urgence, et cela est compliqué grandement par tout effort de chercher à identifier le financement d’une société ainsi transformée.

L’effort du DDPC pour esquisser un scénario traçant une voie possible pour relever le défi d’éviter un réchauffement de plus de 2°C semble aller presque dans le sens contraire. Du moins, il semble suggérer que nous pouvons mettre nos efforts ailleurs que dans le secteur de l’énergie fossile; pour ce dernier, le DDPC fournit le portrait d’un Canada avec ce secteur fort, ou faible, et les implications de ces portraits pour certaines provinces. Ce qui se passera dans ce secteur n’aura presque rien à voir avec l’ensemble des autres mesures ciblant la décarbonisation, et le scénario présenté (avec comme hypothèses le maintien de la croissance économique (verte?) et un prix de pétrole qui reste bas et mortel pour l’exploitation des sables bitumineux) insiste que ces autres mesures, qui doivent être entreprises immédiatement, représente déjà un défi suffisant pour nous ébranler.

Suivant des travaux de Renaud Gignac et Damon Matthews, j’ai essayé d’insérer dans la réflexion la question de l’allocation équitable de budget carbone de l’humanité, tel que calculé par le GIÉC. Je ne vois presque nulle part de discussion sur cet aspect du défi des changements climatiques, mais nous voyons déjà une indication que l’allocation du fardeau va peser dans les négociations entre les différentes juridictions canadiennes en vue de la formulation d’un plan d’action national. La difficulté d’imaginer un tel plan d’action pour le Québec est presque indépendante du débat sur les sables bitumineux, ceux-ci n’ayant pas d’impact sur le bilan des émissions du Québec. Le débat sur Énergie Est est ailleurs.

Les transports représentent plus de 40% des émissions québécoises et tout effort de les gérer aboutit rapidement à l’automobile. On peut voir une première indication de ceci dans le travail du DDPC, qui cible finalement de faibles changements dans le secteur à l’échelle canadienne (31); devant l’importance des véhicules privés, il prévoit une baisse de ce moyen de transport (figure 30), mais seulement d’environ 7% (interurbain) à 17% (urbain). L’électrification du transport privé, du fret léger et du rail représente un objectif incontournable pour leur scénario, complété par la transformation des fuels restants par une dilution de 90% par des biocarburants. Mais à travers les moyennes se cache un défi pour le Québec, qui de toute évidence doit s’attaquer en priorité à ce phénomène des transports, en croissance chez les Québécois comme le veulent les Albertains l’exploitation des sables bitumineux.

Le Québec et l’automobile, des enjeux économiques aussi bien qu’environnementaux 

Grand bond vers l’avant change de titre dans la version française, y ajoutant «et le Québec». On peut soupçonner que cela est une reconnaissance du fait que le manifeste a été conçu par le ROC et que ses impacts se font sentir surtout dans le ROC. Pour que le Québec y soit vraiment impliqué, il faudrait plus qu’une opposition au pipeline Énergie Est. Il faut que le Québec s’attaque à l’énorme défi que représente son secteur des transports, dont les émissions sont en croissance constante.

Bertrand Schepper, auteur de la note de l’IRIS mentionnée, est conscient de ces enjeux et aborde la question des transports par une analyse qui est finalement économique, environnementale et sociale. Schepper propose (i) que la voiture électrique est presque sans intérêt, voire négative, comme piste de solution, (ii) que le transport en commun représente clairement la voie de l’avenir et (iii) qu’il faut chercher à concevoir un Québec (et un Canada, ajoutons-le) où l’automobile privée prendra la voie de sortie. Et on pense que les sables bitumineux constituent un défi!

Sources GES

La note débute avec une première section sur le Québec dopé à l’automobile, suivie d’une autre sur la voiture électrique, pour éliminer rapidement celle-ci, et passe ensuite à souligner qu’il est «temps de remettre en question l’hégémonie de l’automobile au Québec» pour mettre l’accent sur le transport en commun.

Pour Schepper, «d’un point de vue environnemental, l’agrandissement des réseaux de transport en commun dans les centres urbains, y compris l’agrandissement du métro de Montréal, constitue une meilleure option que l’augmentation du parc automobile sur le même territoire» (5). On pourrait ajouter à cette idée d’allonger le métro le projet d’un réseau de trains électriques annoncé par le CDPQ récemment, comme celui du monorail mis de l’avant par l’IRÉC et celui du TGV dans l’air depuis longtemps.

Tous ces projets en sont de «transport en commun», mais ce qui est intéressant dans la note de recherche est que c’est finalement l’autobus qui reçoit l’attention de Schepper. Il descend donc d’un cran des envolées technologiques: «Comme le Québec possède une industrie florissante de transport en commun et que les autobus consomment moins d’énergie par utilisateur que la voiture, les effets économiques d’un virage vers le transport en commun seraient bien plus importants que le choix de s’en tenir à une électrification des automobiles» (p.6).

Schepper résume son analyse avec une proposition d’investissement pour les projets d’infrastructures déjà prévus par le Québec :

Balance des paiements«Quant à la balance commerciale du Québec, on peut supposer que des investissements de 9,03 G$ en transport en commun auront un effet marquant. En effet, cet investissement en capital permettrait l’achat de plus de 20 000 autobus standard construits au Québec. Cela réduirait nos importations de voitures de près de 1 090 000 unités, qui ne seront pas remplacées. En s’en tenant à notre évaluation prudente de 21 000 $ par voiture neuve, il s’agirait d’une baisse moyenne annuelle de plus de 2,4 G$ pour la balance commerciale, soit un total de 24,6 G$ sur 10 ans. D’autre part, en prenant pour repère un prix relativement bas du baril de pétrole à 52,38 $, on peut envisager une baisse de nos importations de pétrole de 4,4 G$ sur 10 ans. Cela représenterait un effet de 440 M$ par année sur la balance commerciale… En ce sens, sur 10 ans, on peut estimer que l’investissement proposé de 9,03 G$ aura un effet positif de 29 G$ sur la balance commerciale du Québec.» (p.9, mes italiques)

La proposition : investir dans la construction, au Québec, d’une nouvelle flotte d’autobus («standards» électriques, à présumer) pour ensuite générer de l’activité économique dans l’opération et l’entretien du réseau, qui serait implanté partout dans la province, contrairement aux grands projets technologiques. Alors que l’IRÉC rêve de voir le Québec développer une infrastructure industrielle pour la fabrication du monorail pour implantation ici (ce qui n’a pas de bon sens en termes coûts/bénéfices) mais surtout pour exportation, cela sur le long terme, Schepper cible le court terme (10 ans), le temps nécessaire pour équiper le Québec d’un réseau modeste en termes technologiques mais efficace et accessible à toute la population. Et, ajouterait Schepper, Bombardier et d’autres pourraient les construire, en refusant la volonté d’une concurrence de la part de Michael Sabia de la CDPQ pour le réseau de trains électriques, cela se situant dans un tout autre modèle que celle d’une transition.

Une approche à la transition

En fait, le titre de la note de recherche, ainsi que le langage de sa conclusion, semblent vouloir voir la mise en place d’une infrastructure industrielle pour le long terme, mais cela ne découle pas de la présentation et nous mettrait par ailleurs devant l’ensemble des défis associés à la volonté de maintenir la croissance économique. Comme Schepper dit, l’opération et l’entretien sont plus intéressants sur le plan économique et social que la fabrication, et la présentation met l’accent sur ces autres activités. Fascinante, cette note se limite à une intervention qui cible une vraie transition, d’assez court terme et cohérente avec la nécessité radicale de réduire l’empreinte écologique du Québec, ce à quoi les économistes ne pensent pas.

Implicite dans la proposition de l’IRIS est une intervention politique qui soutient l’idée de ne pas remplacer le million de véhicules rendus non nécessaires en raison de l’implantation du réseau d’autobus (que Schepper insiste à appeler génériquement un réseau de transport en commun, comme s’il est conscient que son analyse ne sera pas très populaire dans ses implications pour les automobilistes). Il s’agirait du cinquième environ de la flotte de véhicules privés éliminés d’ici 2025. Le défi reste pour le 80% de la flotte qui, rendu en 2030, aurait atteint la fin de sa vie; comme Schepper dit, sa proposition n’est pas exclusive au 20%, à l’image de la proposition de Stephen Lewis pour les emplois qui seraient perdus si le Canada annulait les contrats d’équipement militaire avec l’Arabie saoudite… «Pour répondre à l’urgence écologique et permettre une relance économique du Québec, il semble opportun de faire du transport en commun une véritable politique industrielle» (p.7-8). La relance serait temporaire, et tant mieux.

Schepper inclut dans son analyse les coûts pour les individus de maintenir une automobile privée, très importants (deuxièmes après la maison, pour les ménages). Il ne le mentionne pas, mais une reconnaissance du fait que ces véhicules sont utilisés environ 3% du temps fournit ce qui est nécessaire pour compléter l’argument visant à éliminer plus ou moins complètement la flotte de véhicules privés. Schepper termine en soulignant que l’on «peut alors calculer qu’en 2025, le potentiel de réduction des émissions de GES de cet investissement sera de 2,2 Gteq CO , soit l’équivalent de près de 8,5 % des objectifs québécois visés pour 2030» (p.9). Il resterait donc pas mal de chemin à faire…       

Le contraste de cette approche avec celle du Conference Board dans son rapport de l’an dernier est frappant. Sa liste de recommandations à la fin du document commence avec une sur le maintien des mesures d’amélioration continue et technologiques esquissées dans ses deux scénarios, mais celles-ci sont suivies par trois qui ressortent: Sortir les gens de leurs autos (121); Mettre un accent sur le transport des marchandises (122); Réduire la demande pour le transport (123). Devant cette approche (in)imaginable pour le Conférence Board, la série de recommandations termine avec la volonté qui risque d’être celle de l’échec de la COP21 : Rechercher l’équilibre (123)…

Dialogues pour un Canada vert aborde dans la section 2.4 (p.35-37) la question des transports, avec sa cinquième orientation stratégique, «Adopter rapidement des stratégies de transport à faibles émissions de GES dans l’ensemble du Canada». L’orientation semble compromise dès la première phrase de la section, qui propose que ces interventions soient «évaluées de manière approfondie»; une telle évaluation ne pourra se faire rapidement. Et elle n’est pas nécessaire devant l’urgence et des connaissances déjà acquises. Le document propose comme première mesure, à l’image du Conference Board, que les normes d’émissions soient rehaussées (y compris pour les VUS qui devraient plutôt être éliminés…). La deuxième mesure, pour le moyen et le long termes, est l’électrification du transport routier; non seulement ceci n’est pas pour le court terme, mais l’analyse de l’IRIS suggère qu’elle va dans la mauvaise direction[1];on peut voir le défi avec l’analyse du DDPC: en 2030, il faudrait que 70% des ventes d’autos soient électriques (comm. pers). La dernière mesure identifiée est une amélioration du transport ferroviaire et intermodal, le «Mettre un accent sur le transport des marchandises» du Conference Board.

Le fondement de l’orientation semble presque réchappé par la troisième mesure, pour le court et le moyen termes, soit de soutenir de nouveaux modèles de transport «comme solutions de rechange aux autombiles de propriété privée». Dialogues part du fait (p.22) que les émissions venant des transports sont finalement équivalentes à celles venant des industries d’extraction fossile, mais ne fait aucun effort d’insérer sa présentation dans le cadre du budget carbone. Voyant la façon explicite et directe dont Grand bond vers l’avant aborde la question de l’extraction de l’énergie fossile (on la laisse en l’état actuel, sans expansion), et voyant que le manifeste n’aborde même pas la question des transports, il semble raisonnable de penser que, pour compléter Grand bond vers l’avant, une façon explicite et directe serait appropriée aussi pour les transports, en ciblant le transport privé par automobile (environ les trois quarts des émissions du secteur).

Le Plan B et le problème…

Quand j’écrivais le chapitre sur l’énergie pour le livre Les indignés sans projet?, je faisais en même temps un apprentissage qui m’arrive – qui nous arrive – régulièrement tellement nous sommes leurrés par l’espoir technologique, tellement nous ne sommes pas habitués à penser en termes de gestion de crises. J’ai commencé avec le surplus d’électricité au Québec, j’ai passé à la voiture électrique comme approche à privilégier, pour terminer avec la disparition de la flotte d’automobiles privées comme piste raisonnable pour faire face aux défis… La véritable situation, les besoins réels, ressortent dès que l’on s’arrête un peu. Schepper le fait, et le défi est de compléter le portait qu’il présente en esquissant un Plan B pour Grand bond vers l’avant.

 d'autres leur Ford ou Chevrolet

d’autres leur Ford ou Chevrolet

Un réseau d’autobus électriques de différentes tailles, selon les besoins de différents quartiers des villes de Montréal de Québec, selon les besoins d’un nombre important de villes moyennes et petites, devient un axe important pour les transports. Par contre, plutôt que d’essayer de couvrir l’ensemble des besoins des communautés avec un tel réseau, un deuxième réseau de taxi-bus se présente rapidement comme un complément moins lourd; Dialogues nous envoie à l’expérience de Victoriaville avec un tel système, justement au niveau de l’automobile privée que la réflexion arrive à presque supprimer. Et à un niveau au-dessus de celui des autobus, on trouve le métro à Montréal, déjà surchargé, et le besoin de quelque chose d’autre, de complémentaire, le service rapide par bus ou le tramway. La Ville de Québec a déjà esquissé sérieusement un tel projet intermédiaire.

Il s’agit, finalement, de nous référer à un ensemble de connaissances acquises depuis assez longtemps. Luc Gagnon, avec qui j’ai collaboré pendant des années, est maintenant président d’Option transport durable et est intervenu récemment et à deux reprises lors d’articles par Florence Sara G. Ferraris dans Le Devoir, en même temps que Christian Savard de Vivre en ville, de Franck Scherrer de l’Université de Montréal, de Jean-François Lefebvre de l’UQAM et de Réjean Benoît, également d’Option transport durable. Dans un premier article, Ferraris étale les options en matière de transport en ciblant ces intervenants qui cherchent depuis longtemps à définir ces options sans s’orienter d’office vers la haute technologie; dans le deuxième article, une entrevue avec Luc Gagnon et Réjean Benoît présente les détails du réseau du tramway qu’ils proposent pour l’est de Montréal. Le travail de ce dernier groupe a également été couvert par le journal Métro.

Le site web de l’organisme ouvre avec le constat: «L’automobile est une fabuleuse invention». Il part de là pour aller ailleurs. Grand bond vers l’avant s’attaque de front à l’industrie fossile. Pour le transport dont il ne parle pas, on aboutit par Dialogues à cette piste décrite mais presque noyée dans un ensemble d’options pour le court, le moyen et le long termes, soit le remplacement de l’automobile privée. Schepper arrive directement à fournir une approche qui frappe au coeur de la problématique et du défi, l’automobile privée utilisée pour environ 3% du temps, mais présente dans le coeur des propriétaires près de 100% du temps.

En effet, alors que l’arrêt de l’expansion de l’exploitation des sables bitumineux frappe au coeur de l’économie de l’Alberta, l’élimination de l’automobile privée serait bénéfique pour l’économie du Québec, mais frapperait au coeur de ses propriétaires. Elle ne joue pas le rôle d’un équipement nécessaire, mais d’un symbole définissant la place que l’on occupe dans la société, chacune pour sa place, chacun ayant une place – à part les plus démunis de la société. Pour le Québec, et contrairement à celles visant les sables bitumineux, les propositions esquissées ici ne touchent même pas au système économique en place: le pétrole, tout comme les automobiles, sont 100% importés et représentent un poids pour la balance des paiements de la province (voir le graphique 1 ci-haut).

On parle souvent du manque de volonté politique. Ce qui est presque fascinant, dans le cas présent, est que ceci représente une façon d’attribuer à autrui, aux politiciens, ce que nous avons dans nos coeurs, une volonté de maintenir à tout prix notre romance avec notre jouet favori. Les gens ne prendront pas le transport en commun si celui-ci n’est pas disponible mais, plus important, le transport en commun ne sera pas utilisé si l’automobile privée n’est pas éliminée. La volonté politique en cause est en fait une volonté citoyenne d’abandonner (ou non) le rêve de l’économie verte pour revenir à la terre, une terre meurtrie et menacée mais peut-être capable de nous accompagner dans une transition vers un avenir plus modeste. Cela prendra une révision du Grand bond vers l’avant et sa promotion par un ensemble d’acteurs de la société civile et, éventuellement, de la société elle-même.

 

[1] Le texte indique que le transport est responsable de 78,4% des émissions de GES. Ceci est proche du bon chiffre, si l’on ne pense qu’aux combustibles fossiles, mais sa référence 90 fournit le bon chiffre, 42,5%.

 

MISE À JOUR

Le même jour que j’ai publié cet article un groupe est intervenu en opposition au projet Énergie Est, soulignant qu’il s’agit d’«un piège écologique, économique et social qui nous enfermerait pour plusieurs décennies dans la dépendance à une croissance dopée aux hydrocarbures extrêmes. Autoriser Énergie Est, c’est s’exposer à des risques majeurs pour des retombées qui affaibliraient à terme notre économie». J’appuie totalement l’opposition au pipeline (je n’étais pas invité à signé cette nouvelle déclaration…) mais je reste toujours plus que préoccupé par plusieurs aspects de l’opposition qui n’arrivent pas à une clarté quant à ses fondements et à ses implications.

La déclaration du 27 avril constate que le pipeline représente une infrastructure qui nous lieraient à un développement pétrolier à long terme (ou à la faillite des propriétaires du pipeline, une alternative possible) et insiste que «l’histoire exige de nous un avenir où d’autres formes d’énergie, d’autres logiques de production et de consommation prédomineront.» Cela comporte «l’impératif d’une transition énergétique immédiate. C’est là que nous devons investir nos énergies et canaliser notre inventivité». Ceci semble être explicité un peu avec les propos suivants:

[Le pipeline] nous rend complices du programme économique de quelques grandes entreprises détenant des droits d’extraire et dont l’intention se résume à l’expansion de leurs profits… Autoriser Énergie Est, c’est s’exposer à des risques majeurs pour des retombées qui affaibliraient à terme notre économie… En un mot, Énergie Est symbolise notre enfermement collectif dans un modèle de société qui nie les dangers que représentent les changements climatiques.

J’aimerais voir les signataires (et d’autres) élargir leurs interventions dans le sens de cet article et de celui sur Énergie Est qui prétendent qu’un complément nécessaire au rejet de l’expansion des sables bitumineux est une diminution dramatique des émissions venant de nos transports. Cela implique :

  • une reconnaissance du fait que nous laissons à d’autres les risques et les dégâts associés à notre usage de pétrole, à moins de compléter le sens de l’intervention et reconnaître que l’opposition à l’exploitation des sables bitumineux comporte à toutes fins pratiques l’abandon de l’automobile privée dans nos vies quotidiennes, puisque celle-ci représente notre principale utilisation de pétrole (et d’émission de GES);
  • une reconnaissance que l’abandon de toute expansion de l’exploitation des sables bitumineux et l’abandon de l’automobile privée dans nos vies comportent (pour le premier) un risque pour l’économie canadienne que nous assumons et (pour le deuxième) un bouleversement de notre société et de nos vies que nous devons promouvoir avec autant d’insistance;
  • la nécessité d’efforts pour bien cerner la société et l’économie qui sont l’objet de nos revendications et une acceptation de ce que cela comporte, presque sûrement, soit ce que Tim Morgan appelle une «récession permanente», à laquelle nous devons nous préparer.

Cela à moins de poursuivre dans le déni que représente l’adhésion à l’idée de l’économie verte avec son leurre technologique, ensemble qui devient de plus en plus clairement un rêve sans fondement dans la réalité… La déclaration sort en même temps que le livre Le piège Énergie Est. Sortir de l’impasse des sables bitumineux (Écosociété) signé par Éric Pineault (apparemment seul). Pineault est bien capable de faire la part des choses et élaborer sur les implications sociales et économiques en cause et j’espère qu’il l’a fait. J’ai un livre à lire.

 

 

 

 

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4 Commentaires

  1. RaymondLutz

    La « liberté automobile » est un des mythes fondateurs du Fordisme (Wikipedia: Fordism describes modern economic and social systems based on industrialized, standardized mass production and mass consumption) et c’est une des premières statues que nous devons déboulonner!

    Et, non! L’automobile n’est pas une fabuleuse invention! Pas plus que la mitrailleuse Gatling. La voiture électrique est également un leurre, que je m’évertue à dénoncer en partie dans cet exercice que je prescris à mes étudiants de physique au cegep de Drummondville:

    http://scnat.net/phyl/published/ImpossibleAutoElectrique

    L’alternative: des transports en commun inter-urbains et multimodaux suppléés par un parc public d’automobiles électriques autonomes (Google les expérimente avec succès).

  2. Je ne suis pas rentré dans les détails dans cet article encore une fois très long déjà. Pour ce qui est des transports urbains au plus bas niveau, je parle d’une flotte de taxis, vous suggérez ici une flotte de voitures autonomes style Google; les débats sur Über nous ont ouvert les yeux sur les questions de mobilité en cause (sans proposer qu’Über soit la bonne piste). Pour les transports interurbains, c’est fascinant de voir la différence entre le monorail proposé par l’IRÉC et des alternatives; en fait, l’automobile électrique autonome est encore hi-tech, mais ramène le débat à un niveau plus accessible, et votre référence aux aspects multimodaux ouvre la réflexion sur de simples autobus électriques de différentes tailles et non autonomes pour ces transports.
    Intéressants exercices pour vos étudiants. Peut-être que vous reviendrez ici avec les résultats une fois la session terminée!

    • Raymond Lutz

      Ah mais l’exercice est terminé… Les étudiants avaient 2 heures pour le compléter. Voici les résultats: l’usage urbain (10 km entrecoupés d’une vingtaine d’arrêts) requiert une batterie de 4 MJ et le voyage interurbain (on pose 300 km en 3 hrs) requiert 40 fois plus de stockage, 163 MJ! La Tesla S est un bijou d’ingénierie mais également et surtout un jouet pour gens fortunés.

      Ah non, pas Uber! C’est une résurgence du capital qui exploite le salariat sous le couvert de l’économie de partage.

      La voiture robot n’est guère plus hi-tech que mon robot aspirateur, une Xbox Kinect et un iPhone combinés. Les algorithmes de Google semblent assez robustes. Je me souviens que le conférencier avait évoqué la seule situation ‘incomprise’ par leur prototype: une femme en chaise roulante électrique poursuivant en grands cercles répétés au milieu de la route un petit canard! Sinon tout le reste (chauffards, cyclistes et piétons téméraires, etc…) tout était vu, analysé et évité. Depuis 10 ans je crois.

      Et la conduite automatisée d’autobus sur autoroute serait encore plus facile. Je vois très bien une flottille de petits bus (et petits trains) électriques autonomes dont les heures de départ seraient déterminées à l’avance selon la demande.

  3. Merci des réponses au devoir, et les précisions sur les différentes options.

    Comme j’ai indiqué, Über n’est pas la bonne piste, mais les débats ont donné une meilleure conception de la mobilité possible à des gens qui n’y pensaient pas encore. Quand j’étais adolescent travaillant dans le magasin de ma mère à San Francisco. j’avais le choix (après avoir pris l’autobus pour traverser le pont) entre l’autobus électrique et des jitney (des taxis collectifs à arrêts spontanés) sur Market Street pour m’y rendre.

    Josée Boileau nous a fourni une belle analyse des enjeux associés à Über avec un éditorial dans Le Devoir le 26 août de l’an dernier avec le titre «Tout à fait déloyal» dont je me rappelle encore tellement elle était directe!

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