En attendant l’échec de la COP21 à Paris en décembre

Résumé: Les acteurs dans les différents secteurs touchés par les changements climatiques ne peuvent présumer d’un succès dans les efforts de négocier une entente pour la COP21 de décembre prochain. Le dilemme posé par les implications de cela comporte soit le rejet des travaux du GIÉC soit le constat de sérieux problèmes. Le cours d’été du CERIUM qui s’est déroulé cette semaine m’a fourni l’occasion de revenir sur mes critiques de l’économie verte comme piste de solution, en relevant les défis formulés par un des leaders du mouvement environnemental. En guise de réponse, je propose d’autres pistes, partant du constat de l’effondrement de nos structures sociétales, débutant fort possiblement pendant la prochaine décennie. Une première, inévitable de toute façon, est une réduction dramatique de la consommation d’énergie par les pays riches; une deuxième est la priorisation de la vie communautaire par rapport aux excès de consommation matérielle qui marque ces sociétés contemporaines une troisième est une intervention ciblant une révision en profondeur de nos modes de transport, transformant radicalement le rôle de l’automobile..

Je me suis attardé pendant plusieurs semaines l’été dernier aux défis inhérents dans l’effort de négocier une entente internationale contraignante face à la menace des changements climatiques. Je les ai esquissé dans trois articles: un premier portant sur les implications d’un budget carbone et le paroxysme de l’économie verte qui en découle; un deuxième soulignant une sorte de paralysie devant la quasi impossibilité de répondre aux constats du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIÉC) et son budget carbone; un troisième souligne l’impossibilité économique inhérente dans les défis, les autres ayant parlé des impossibilités technologiques et politiques.DSC08665

Depuis ce temps, les médias suivent les nombreux pourparlers et rencontres et gardent ces défis dans l’actualité. Comme il a été le cas à plusieurs reprises au cours des décennies, tout ce brassement portant sur l’environnement – pour caser le dossier ainsi – donne l’impression qu’il y a du progrès sur ce front dans nos perspectives de développement. Lorsque l’on regarde l’ensemble de la situation, on est néanmoins obligé de constater que ce brassement n’arrive toujours pas pour autant à s’intègrer dans celui tournant en permanence autour du développement économique.

L’échéance est décembre 2015 et la 21e conférence des parties (la COP21) de l’accord de Kyoto qui aura lieu à Paris; le défi est de respecter la limite physique établie par le GIÉC en ce qui concerne la quantité de carbone que l’humanité peut se permettre d’émettre sans s’exposer à des risques inacceptables d’une hausse catastrophique de la température planétaire.

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Cette présence d’une limite dans notre gouverne du dossier environnemental représente une nouveauté et une contrainte inconnue antérieurement, alors que nous dépassions allègrement les limites de la capacité de la planète à nous soutenir. Cette fois-ci, il faut soit rejeter l’autorité du GIEC, la seule instance «environnementale» capable de nous orienter, soit se soumettre à des exigences qui dépassent à leur tour notre propre capacité à agir.

C’est ce dilemme – ce que j’appelait le bluff dans un jeu de poker – qui marque, finalement, la couverture médiatique des préparatifs en cours en parallèle à celle des défis économiques. (suite…)

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Dialogues pour un Canada vert : un avant-goût des interventions qui viendront après l’échec de COP21…

Dans une note envoyée juste avant mon départ pour la Chine, Jocelyne Néron demande ce que je pense des travaux de Dialogues pour un Canada vert (SCD), dont la publication date de mars 2015 et que je ne connaissais pas. Voilà que je suis de retour, et je viens de consulter les documents produits par ce regroupement impressionnant de chercheurs universitaires canadiens de toutes les provinces et qui s’attaque au défi des changements climatiques. Précédent les travaux de SCD, le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIÉC) avait déjà publié son cinquième rapport, la première partie en septembre 2013, les deux autres en mars et avril 2014. Il s’agit du point de départ pour toute intervention dans le domaine, mais dans la foulée du rapport du GIÉC, je ne comprends pas ce que les chercheurs du SCD pensent être en train de faire.

Un contexte incontournable: le budget carbone

Le rapport du GIÉC de septembre 2013 établit la quantité totale de carbone que l’humanité peut se permettre d’émettre tout en se donnant une chance raisonnable de maintenir la hausse de température en dessous de 2 degrés. Peu après, en novembre 2013, Renaud Gignac a produit pour l’IRIS une note d’information portant sur ce budget carbon. L’étude part des travaux du GIÉC et introduit dans la réflexion, et dans les calculs, une orientation de contraction/convergence qui propose que toute intervention sérieuse en matière de changements climatiques doit tenir compte des énormes déséquilibres actuels entre les différents pays en matière d’émissions (et d’usage d’énergie, et de niveau de vie, et …). Cela en sus d’une prise en compte du budget carbone lui-même.

À l’échelle internationale, les travaux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) menés par Jeffrey Sachs et lancés pendant l’été 2014 partaient aussi avec l’engagement de respecter ce budget carbone calculé par le GIÉC. Dans la première version globale de la publication qui présente ses résultats, le DDPP en septembre 2014 n’était pas capable d’imaginer des propositions susceptibles de respecter le budget carbone pour l’ensemble de l’humanité. Le DDPP promet sur son site une mise à jour globale d’ici la fin de juin, mais rien sur le site ne suggère que les résultats ont changé. Le DDPP semble beaucoup plus sérieux que d’autres récentes interventions, comme celle de Risky Business menée par des milliardaires américains ainsi que l’initiative de la commission de Nicholas Stern et Felipe Calderon, New Climate Economy, que j’ai déjà commentés.

Le DDPP inclut une équipe qui travaille sur les possibilités pour le Canada de participer à cet effort international qui inclurait le respect du budget carbone dans les négociations pour la COP21 qui auront lieu d’ici décembre 2015. La première étape du travail était d’identifier le potentiel technologique pour respecter le budget carbone; une deuxième étape promise portera sur les coûts/bénéfices de telles interventions. Le groupe ne semble pas promouvoir une approche contraction/convergence, mais son effort d’intervenir au niveau mondial (il y a 15 pays ayant 70% des émissions globales qui sont couverts par le travail fait à date) semble fournir une approche complémentaire. Le défi: réduire les émissions per capita de 20,61 tCO2e/cap à moins de 2 d’ici 2050. Les réductions viendraient de deux sources principales: une réduction dans l’intensité de carbone dans l’utilisation d’énergie et une réduction dans l’intensité énergétique de l’économie elle-même (6-7).

L’équipe pour le Canada (qui n’inclut pas les chercheurs impliqués dans le SCD) confronte directement le dossier des sables bitumineux. Elle souligne la nécessité incontournable de la mise en oeuvre d’un ensemble de technologies (surtout celle de la capture et séquestration des émissions) à toutes les étapes du processus de développement des ressources qui sont responsable d’environ 35% des émissions canadiennes (30). Elle souligne aussi que les coûts de ceci risquent d’être très élevés et suggère – sans l’inclure dans le travail, fidèle à la méthodologie du DDPP – qu’une approche qui comporterait des échanges de crédits de carbone entre différents pays (comme le mécanisme de développement propre de Kyoto) sera plus efficiente.
Un article de novembre dernier de David Roberts dans Grist souligne comme moi que le travail du DDPP est parmi les plus importants en cours actuellement, précisément parce qu’il reconnaît le budget carbone comme balise fondamentale. Roberts poursuit ses réflexions dans d’autres articles, dont un de janvier 2015 qui insiste sur la nécessité d’une quantification des composantes des travaux sur la décarbonisation. Il s’agit d’un effort de bien cerner les défis en cause.
Où se positionne le SCD?

Dans un tel contexte, le SCD est désappointant à plusieurs égards:

(i) SCD ne fait que mentionner le budget carbone et ne présente aucune cible quantitative tenant compte des travaux du GIÉC. Il n’est tout simplement pas possible de voir le lien entre leurs objectifs quantitatifs et ceux du GIÉC. Ils proposent qu’il est possible d’imaginer pour 2035 que la production canadienne d’électricité soit 100% fondée sur les énergies renouvelables (actuallement, les sources non fossiles représentent seulement 23% de l’ensemble), et qu’une réduction des émissions globales d’au moins 80% pour 2050 semble possible. Les références fournissent probablement les détails pour ces projections, mais nulle part n’est-il question du respect ou non du budget carbone comme guide pour leurs propositions.

(ii) SCD ne touche presque pas au défi de l’exploitation des sables bitumineux, proposant tout simplement que toute aide gouvernementale en soit retirée et qu’un prix sur le carbone soit établi. Comme tout le monde, SCD souligne qu’il serait plus qu’intéressant si des technologies de capture et séquestration des émissions s’améliorent et deviennent disponibles.

(iii) L’exploitation des sables bitumineux est presque exclusivement pour exportation, et leur consommation ailleurs n’affecte donc pas, directement, les émissions canadiennes. SCD ne semble d’aucune façon aborder la question de l’équité internationale soulignée par les travaux de l’IRIS sur le budget carbone, et faisant partie de la méthodologie du DDPP. Seule les émissions résultant de l’extraction et du raffinage rentrent dans leurs perspectives, d’après la meilleure lecture que je puis faire de leur publication.

Le document est guidé partout par la pensée de l’économie verte et, comme d’habitude pour cette pensée, n’aborde pas l’analyse des changements qu’il semble présumer en ce qui a trait aux contraintes sociales, politiques et économiques liées à la transition, qui se présente pour le SCD tout simplement comme faisable. Les politiques climatiques proposées sont censées avoir plusieurs caractéristiques : elles doivent être efficaces sur le plan environnemental, comporter un bénéfice net en matière de coût, être faisable sur le plan administratif, être équitable et être faisable sur le plan politique. Le document souligne que l’ensemble des propositions ne peut répondre aux 5 critères en même temps.

Pour situer ces critères, la note 46 réfère au texte de Jaccard et Rivers «Canadian Policies for Deep Greenhouse Gas Reductions», écrit pour l’IRPP en 2007, au moment de la publication du rapport précédent du GIÉC, et qui cible des réductions d’émissions d’environ 60% d’ici 2050. La référence confirme ma lecture des documents de SCD à l’effet qu’il s’agit d’une sorte de synthèse de propositions qui circulent depuis des années, tout à fait intéressantes, voir stimulantes, mais qui manquent une méthodologie partant des contraintes établies par le GIEC dans son cinquième rapport de 2013-2014, même si le document du SCD cible des réductions des émissions de 80% pour 2050 (27-28).

Quelques détails

SCD semble proposer de maintenir une grande consommation d’énergie, «simplement» convertissant l’économie et la société dans la transition et ayant comme objectif un recours aux énergies renouvelables pour décarboniser l’électricité; je ne trouve aucune indication d’un calcul quant aux émissions associées anx importants projets d’infrastructures ainsi inclus dans les orientations (mais voir la référence de la note 64 qui date de 2011 et dont un résumé est en ligne) ni d’une reconnaissance que nous consommons une énorme quantité d’énergie qu’il est difficile d’imaginer possible pour l’ensemble de l’humanité.

Tout le secteur du pétrole et du gaz se trouve encadré par SCD avec la proposition «d’intégrer le secteur de la production dans les politiques climatiques» qui comporte «une réglementation claire et cohérente avec la transition» (33), sans aucun détail que je puisse trouver. SCD s’attaque aux transports en ciblant de meilleures normes d’émissions, une électrification du transport routier, une diminution de la dépendance à l’auto privée et une amélioration des transports inter-cité et inter-modaux (34-35). Et elle met comme élément critique une amélioration importante de l’efficacité énergétique.

À titre d’exemple du défi qui ne semble pas pris en compte explicitement : le Québec propose de réduire ses émissions de 20% d’ici 2020 (c’était 25%, pour le gouvernement péquiste). Non seulement la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a-t-elle conclu qu’une réduction de 15% pour 2025 semble être le maximum atteignable, mais les calculs de Gignac pour l’IRIS concluent qu’il faudrait une réduction de 40% d’ici 2020 pour arrêter de cumuler les déficits face au budget carbone. SCD ne semble pas regarder de tels détails.

Il y a une série d’orientations dans le chapitre 3 qui ciblent une amélioration de la biodiversité et de la qualité de l’eau et une transition vers des approches soutenables à l’agriculture, à la foresterie et aux pêches tout à fait dans la lignée de l’économie verte, qui ne fournissent aucune indication quant à ce qui pourrait changer les orientations actuelles. La section 3.4 souligne ce que nous savons depuis les premières pages, que SCD représente une intervention de scientifiques canadiens experts dans les domaines en question. La proposition dans 3.4 est de construire une gouvernance qui permetta la soutenabilité, et suivent des pages qui soulignent l’importance de la science dans la prise de décision et qui vont à l’encontre de près de 10 ans de gestion par le gouvernement conservateur.

Finalement, une autre intervention pour une économie verte

Il est intéressant de voir cette intervention d’universitaires canadiens qui ne sont pas bâillonnés par ce gouvernement, mais il y a du travail important qui reste à faire pour qu’elle soit une véritable contribution. Le document contient un ensemble de propositions tout à fait intéressantes mais ayant été le sujet de débats et d’analyses depuis des années, voire des décennies. L’absence de tout effort de quantifier sérieusement les implications de ces propositions, et surtout l’absence de tout effort d’intégrer les énormes contraintes imposées par le budget carbone et la nécessité de mettre en place un processus de contraction/convergence enlève presque tout l’intérêt du travail. N’importe qui qui a suivi le secteur connaît ces orientations (nous y travaillions à la Table ronde nationale en 2002-2005), mais le GIÉC nous met devant un défi qui n’a pas été inclus dans les débats antérieurs.

Acting on Climate Change: Solutions from Canadian Scholars reflète l’ensemble des documents qui soutiennent la volonté de voir arriver une économie verte. Le thème est explicite dans la Conclusion (53), tout comme dans la traduction française de SCD fournie par Catherine Potvin, une des auteurs du document, dans son chapitre pour le tout récent livre Sortir le Québec du pétrole[1] que je commenterai dans un prochain article. Elle y résume les travaux du SCD où il n’y a aucune analyse fournie pour suggérer ce qui pourrait bien changer les orientations des dernières années, des dernières décennies, qui ont rendu le développement durable un rêve du passé plutôt qu’une orientation d’avenir. Pour Potvin, ce vocable, transformé en «viabilité», serait pourtant censé comprendre l’idée «d’augmenter le mieux-être des personnes dans le respect de l’environnement» (p.64, mes italiques).

La Conclusion réfère également aux travaux de la commission de Nicholas Stern et Felipe Calderon et l’initiative du New Climate Economy, que j’ai déjà commentés. Encore une fois, l’ensemble représente des efforts fondés dans la science et dans l’analyse pour essayer de répondre aux énormes défis actuels. Comme SCD note à la toute fin, «plusieurs des orientations et actions proposées pourraient être mises en œuvre complètement dans les 15 prochaines années, s’il y a une volonté politique et des efforts d’engager des acteurs à travers tous les secteurs de la société» (mes italiques). La couleur rose de l’économie verte ne peut être plus clairement exprimée.

Ici au Québec, nous n’avons pas à regarder loin pour comprendre que de telles conditions n’existent toujours pas, pas plus qu’elles n’existent à l’échelle canadienne ou mondiale. L’ensemble des décideurs cherchent toujours la croissance comme objectif premier de toute intervention et les promoteurs de la croissance verte manquent toujours à l’appel quand il est question de montrer les changements dans les processus décisionnels qui permettent de croire à leur option.

[1] Sortir le Québec du pétrole, sous la direction de Ianik Marcil, Éditions Somme toute 2015

 

 

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Manifeste: élan global pour un nouveau modèle

Plusieurs signataires d’un Manifeste pour un (nouvel) élan global ont tenu une conférence de presse ce midi pour essayer de relancer des idées et des objectifs laissés peut-être trop dispersés, trop flous. Je n’y étais pas, mais je l’ai signé, parce qu’il va, dans toute sa rhétorique, dans presque la bonne direction.

Le Manifeste s’exprime en fonction de l’économie, sans bien cerner ce qui est en cause. On veut «écologiser» et «humaniser» cette économie, mais il n’y a pas de véritable vision de ce qui est en cause dans notre texte. Le Manifeste critique la croissance, mais surtout la croissance infinie et à tout prix. Il y a risque que la croissance anémique voulue – désespérément recherchée – par les élus de la planète soit celle jugée nécessaire pour l’effort de donner un nouvel élan à notre société. À tort.

En effet, le parti pris pour l’économie s’insère dans la volonté de «lancer un vaste chantier de développement véritablement durable, viable, juste et équitable», mais il est clair que les critères pour ce chantier, énoncés à même l’énoncé, doivent être respectés sans rester dans le flou de l’énoncé. C’est pourtant un nouvel élan global qui est nécessaire.

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Des précisions absolument nécessaires

La Manifeste prétend que les solutions existent, mais ne fournit aucune indication de celles-ci. Ce que nous disons est que nous devons agir dans l’espérance de pouvoir faire quelque chose, de nous tromper quant au destin que nous pensons voir se dessiner. Beaucoup de paroles frôlent la rhétorique, mais le fond et les constats sont assez solides : nous sommes dans la dèche, et devons agir.

Le seul élément précis du chemin pour l’action, partant d’une «noirceur nouvelle qui se répand», est l’objectif d’atteindre une réduction de notre consommation de pétrole de 50% d’ici 2030 et de couper nos liens avec le pétrole. Ce qu’il ne dit pas est que – à moins de poursuivre comme des enfants gâtées et ne voir que nos propres intérêts – cela est probablement la moitié de ce qui est requis. L’IRIS nous a déjà fourni l’objectif presque incontournable, une réduction de 40% de nos émissions d’ici 2020 et une baisse presque vertigineues par la suite.

Pour respecter son « espace atmosphérique », le Québec doit réduire ses émissions de CO2 de 3,6 % en moyenne, et cela pour chaque année entre 2000 et 2100. Cela implique une réduction de moitié des émissions dès 2025, par rapport au niveau de 2000. L’empreinte carbone du Québec devrait ensuite passer sous la barre des 20 Mt dès 2040.

Si on la compare avec les objectifs gouvernementaux actuels de réduction de GES, qui s’établissent à 25 % [maintenant 20 % HLM] de moins que le niveau de 1990 d’ici 2020, l’approche par budget carbone implique une action beaucoup plus ambitieuse, soit une cible de 40 % sous le niveau de 1990 d’ici 2020.

Cet élément plutôt défaillant du Manifeste, qui se veut ambitieux, donne une idée de l’ampleur de ce que nous y appelons «la transition». Déjà, le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a suggéré que le maximum que nous pourrons atteindre, avec une approche réaliste, est une réduction de 15 % en 2025…

L’élan global que nous recherchons comporte beaucoup plus que des changements dans nos relations avec l’énergie fossile. Il comporte des changements radicaux dans notre façon de vivre, dans notre consommation, dans notre reconnaissance de la situation vécue par les trois quarts de l’humanité. Le deuxième chapitre que j’ai écrit pour Les indignés pour mettre en relief les indicateurs qu’il nous faut comme guides met un accent sur l’empreinte écologique et l’Indice de progrès véritable. Il donne du mordant à la volonté de quiconque s’identifie comme «objecteur de conscience» dans le contexte actuel, qui exige davantage que l’on soit «objecteur de croissance».

Objecteurs de conscience, objecteurs de croissance

Le Manifeste réunit les objecteurs – de conscience, de croissance – qui en même temps signifient leur refus de l’abandon. J’y suis, mais mes co-signataires, pour plusieurs, n’ont pas d’idée de l’ampleur du défi. Ils signent en insistant qu’ils vont faire ce qu’il faut, et voilà l’intérêt. Maintenant, il faut commencer par dessiner le chemin. La première étape du parcours : le Conférence des parties à Paris en décembre. Il est écrit dans le ciel que les parties ne réussiront pas à s’entendre sur une programmation qui respectera ce que le GIEC nous dit est essentiel si nous n’allons pas céder notre espérance à l’incontournable.

Cela pose d’énormes défis pour le projet de «développement durable, viable, juste et équitable», expression où le Manifeste empile tout ce qui semble bon dans notre espérance. Par contre, le langage du Manifeste semble rejeter le discours lénifiant de l’économie verte, de la croissance verte, et voilà un fondement me permettant de signer. Le Manifeste prétend que notre territoire «regorge de sources d’énergies renouvelables», presque sûrement un élément fondamental pour le développement proposé dans la tête des rédacteurs, mais passe immédiatement à des objectifs de conservation. Le texte débute, par ailleurs, en insistant sur une situation où les ressources de la biosphère sont limitées et en déclin. Pour le répéter, il veut «créer un modèle de transition écologique» sans aucune précision quant à ce qui est en cause.

Le modèle de développement voudrait peut-être donc se fonder pour certains sur de nouveaux chantiers d’énergie renouvelable. Par contre, dans un contexte où les surplus sont prévisibles pour plus d’une décennie et où de tels chantiers élimineraient les fondements de la volonté de réduire la consommation d’énergie fossile – nécessaire pour de tels chantiers –, il va falloir beaucoup d’imagination pour montrer le caractère écologique et équitable d’une telle «transition».

Le Manifeste accepte l’imaginaire de la Révolution tranquille, contre l’IRIS dans Dépossession, et ils prônent même les objectifs de Brundtland comme si rien ne s’est passé depuis 25 ans : on doit procéder «à la construction d’une économie qui permettra l’amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en protégeant l’environnement». Ce sera une économie où on consommera moins et produira mieux, comme disait-Brundtland. Un regard approfondi sur le sens de l’élan global voulu suggère – montre – que la transition «révolutionnaire» ne pourra être tranquille.

L’espérance presque source de désespoir

À la lecture du Manifeste, je n’arrive pas à bien cerner la «pensée unique» et la «pensée magique» qu’il cible pour identifier le changement voulu, et ma principale crainte face aux initiateurs du Manifeste est que le flou du texte se maintienne dans un flou d’action et d’engagement.

Je n’aurais pas survécu mes décennies d’engagement dans de tels efforts si j’étais porté au désespoir et, pourquoi pas, à la dépression (comme celle subie par plusieurs amis). Reste qu’il est presque désespérant de voir les groupes environnementaux et sociaux maintenir le même discours qui les a animé pendant ces décennies et contourner la nécessité de voir la nouvelle situation en face. Et que dire des 100 000 personnes que le Manifeste veut réunir?

Le Manifeste ne propose rien qui puisse ressembler à des solutions, si ce n’est que le discours en place depuis déjà trop longtemps. Maintenant que c’est lancé, il nous faut connaître les solutions, et les mettre en oeuvre.

 

 

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Malthusiens et Cornucopiens face à l’avenir (proche et lointain)

Long article couvrant plusieurs interventions récentes en matière d’énergie dans un contexte de questionnement sur une transition qui vient, ou qui ne vient pas. Trois d’entre elles ciblent une abondance perceptible dans le domaine de l’énergie : un rapport spécial de The Economist; les conseils en finance de Jeremy Grantham; Jeremy Rifkin et la société de collaboration en émergence. Les trois sont impressionnés par les énormes progrès dans les technologies touchant les énergies renouvelables, surtout la solaire. Rifkin et Grantham soulignent d’importants risques associés à la vison d’abondance. Finalement, ces interventions négligent toutes la question de rendement énergétique et les énormes investissements requis (avec de l’énergie fossile) pour fournir les infrastructures nécessaires pour la transition vers une nouvelle société.

Il est assez impressionnant de voir jusqu’à quel point les objectifs mis de l’avant par le mouvement environnemental pendant des décennies ont maintenant la cote. On voit ceci avec l’adhésion à l’économie verte par l’ensemble des institutions internationales, par une reconnaissance des crises environnementales longtemps l’objet de déni (et qui continuent à croître en raison du dysfonctionnement du système économique actuel). De façon plus ciblée, on le voit par la reconnaissance de la nécessité de comptabiliser les externalités et par l’envol des interventions en matière d’énergie renouvelable. On n’a qu’à suivre la revue de presse Enjeux énergies et environnement pour voir l’envergure de ce dernier aspect de la situation.

Depuis la publication de mon dernier article, j’ai revisité la question de la baisse du prix du pétrole avec une mise à jour du travail de Jeremy Grantham, financier américain associé à GMO dont j’ai utilisé les analyses dans l’article qui a débuté ce blogue, où il a souligné une tendance permanente à la hausse pour le prix des commodités. J’étais en même temps en train de finir The Zero Marginal Cost Society : The Internet of Things, the Collaborative Commons and the Eclipse of Capitalism, le plus récent livre de Jeremy Rifkin. Finalement, j’ai consulté un rapport spécial sur l’énergie et la technologie (17 janvier 2015) du magazine britannique The Economist qui couvre un ensemble de tendances actuelles dans le secteur de l’énergie: technologies des énergies renouvelables; de nouveaux modèles d’affaires qui ciblent la gestion de la demande; efficacité énergétique; perspectives pour l’Afrique.

Abondance ou contraintes?[1]

The Economist, fidèle à ses orientations de base manifestes dans d’autres rapports spéciaux et dans le magazine en général, voit dans ces tendances des perspectives qui lui permettent de croire que le système lui-même n’est pas en danger, que des innovations technologiques en ce qui concerne les énergies renouvelables permettront peut-être d’éviter la catastrophe. On sent comme contexte pour le rapport la reconnaissance par les Européens des défis critiques en matière d’énergie : nucléaire vieillissante, dépendance envers la Russie pour le gaz, absence de gisements de pétrole (la Mer du Nord étant en déclin), gisements de charbon qui ne répondent plus aux exigences environnementales minimales. (suite…)

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Et maintenant la Banque mondiale

Toutes les grandes institutions internationales vont y passer, la cible prioritaire actuelle étant une entente souhaitée à la COP21 à Paris en décembre 2015; préalable à la réflexion, toutes insistent et insisteront sur le maintien de la croissance économique que toutes sentent pourtant menacée. Depuis deux ans, sous le titre Baissons la chaleur, la Banque mondiale est intervenue avec trois rapports sur les incidences des changements climatiques sur l’agriculture et la production de nourriture pour l’humanité. DSC00378Le président du Groupe de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, en semble même un peu ébranlé, selon un article récent dans Le Devoir venant de l’Agence France-Presse (AFP). Selon l’AFP, Kim «appelle les pays à s’extraire des stratégies de croissance économique «intenables» tout en assurant qu’ils n’auront pas à renoncer à leur expansion et à leur développement, comme le redoutent certains grands pays émergents».

Je ne trouve nulle part dans les trois rapports une référence à une stratégie de croissance «intenable», mais on apprend qu’une «croissance peu durable» serait en cause en explication de nos problèmes. Dans le troisième rapport de la Banque, paru tout récemment, Kim soutient dans l’Avant-Propos, suivant l’ensemble des dirigeants, qu’il nous faut une économie et une croissance (plus) vertes qui doivent prendre leur place dans l’immédiat:

De plus en plus de voix soutiennent qu’il est possible d’assurer une croissance plus verte qui ne soit pas nécessairement plus lente. Nous savons aujourd’hui que des actions immédiates sont nécessaires pour faire face au changement climatique, mais elles ne doivent pas s’accomplir au détriment de la croissance économique. Nous avons besoin d’adopter des mesures intelligentes qui encouragent une transition vers des transports publics sobres en carbone; et la maîtrise de l’énergie dans les usines, les bâtiments et les équipements peut avoir des effets positifs aussi bien sur la croissance que sur l’environnement. (viii)

La première page du rapport fournit le lien de l’AFP:

Des mesures urgentes sont nécessaires pour aider les pays à s’adapter aux effets actuels du climat et aux conséquences inévitables d’un monde qui se réchauffe rapidement. Les avantages d’une action ferme et rapide en réponse au changement climatique, une action fondée sur des interventions peu polluantes et sobres en carbone, qui évite de s’enfermer dans des stratégies de croissance peu durables, dépassent largement les coûts envisagés. Bon nombre des pires effets prévisibles du changement climatique pourraient encore être évités en limitant le réchauffement à moins de 2°C. Mais c’est maintenant qu’il faut agir. (1)

En effet, ce qui est «intenable» est le type de croissance polluant et émetteur de beaucoup de carbone qui s’avère aux yeux de tout le monde (ou presque) «peu durable». Encore une fois, c’est «l’économie verte» qui se présente comme alternative. (suite…)

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Pétrole : «Développement dur» et «développement flou»

L’actualité récente met en évidence plusieurs enjeux importants, mais sa couverture nous confronte à une ambiguïté importante quant à notre développement. Keystone sera vraisemblablement approuvé dans les prochains mois, pas une surprise de toute façon. Il est fort probable que Énergie-Est le sera aussi. Le résultat sera, d’ici deux ou trois ans, un accès aux marchés internationaux pour environ 2 millions de barils de pétrole par jour issu des sables bitumineux. En parallèle aux nouvelles et aux débats sur les pipelines, le prix du pétrole a baissé de façon marquée, entre autres en raison d’une baisse des importations par les États-Unis, qui produisent depuis quelques années de grandes quantités de pétrole (et de gaz) de schiste. Cela met ses (anciens – et futurs…) fournisseurs à la recherche de nouveaux clients.

La question du véritable coût associé à l’exploitation du pétrole

Un élément de base dans l’analyse qu’il faut faire de la situation est le coût de la production de ces nouvelles sources de pétrole. La production du pétrole des sables bitumineux nécessite un prix du baril au-delà de $100 le baril, sauf pour certaines productions déjà en cours; ces dernières exigent quand même un prix dépassant le $80, celui qui a cours actuellement. On lit que l’exportation par Suncor du pétrole des sables bitumineux à partir du port de Sorel est suspendue actuellement…

Projections pour le pétrole d'ici 2030

 

Un autre élément de base concerne le rendement énergétique (ÉROI : retour en énergie sur l’énergie investie) de ces nouvelles sources non-conventionnelles de pétrole, et dont on n’entend pas parler du tout. Alors que le rendement des premiers gisements de l’Arabie Saoudite était d’environ 100 barils produits pour un baril équivalent investi (un ÉROI de 100), l’ÉROI de la moyenne mondiale actuelle est d’environ 17, une énorme perte de rendement, pour la production, et pour l’économie. Pire, le rendement des sources non conventionnelles est en-dessous de 10 pour le pétrole de schiste, histoire des coûts énergétiques (et monétaires par conséquent) des forages requis en continu, en-dessous de 5 pour celui des sables bitumineux, histoire des énormes quantités d’énergie nécessaires pour extraire le pétrole des sables et pour le rendre utilisable par la suite.

Un dernier élément concerne le véritable portrait économique de la situation des pays producteurs. D’une part, il est reconnu par presque tous (mais les Républicains aux Congrès américain et les Conservateurs au gouvernement canadien font exception) que le PIB est un mauvais indicateur de notre progrès, même si tout le monde continue à l’utiliser. Les PIB des provinces productrices au Canada et des États producteurs aux États-Unis sont en hausse importante depuis quelques années, en lien avec l’importante activité correspondante nécessaire pour assurer l’exploitation des gisements; cette activité influe de façon également importante sur le PIB du Canada et des États-Unis. Un jugement favorable par rapport à cette activité fondé sur le PIB néglige le coût des externalités de la production et de la consommation, maintenant reconnu comme élément incontournable du portrait, du calcul des bénéfices, même par le FMI. Le coût de ces externalités est finalement et en grande partie le coût des changements climatiques.

La question du véritable rendement, pour la société, de cette exploitation

L’ÉROI bas de cette production d’énergie «non conventionnelle» influe assez directement sur l’économie et sur la société. D’analyses dont les conclusions sont presque une évidence suggèrent qu’il faut un ÉROI d’au moins 10 pour qu’une source d’énergie réponde aux besoins fondamentaux des sociétés modernes. (suite…)

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Un mythe sur la transition énergétique bien plus fondamental que les trois mythes pétroliers

Un rapport de l’Union of Concerned Scientists (UCS) couvert par un article de 2012 dans The New York Times, « How Green Are Electric Cars? » concluait que les véhicules électriques émettaient souvent plus de GES que les hybrides, cela pour 45% des États-Unis. Récemment, le journal a couvert une mise à jour de la situation produite par l’UCS, « Coal Fades, So Electrics Get Cleaner ». En raison d’une baisse du recours au charbon pour les centrales qui produisent l’électricité dans ce pays, les véhicules électriques aujourd’hui seraient aujourd’hui meilleurs que les hybrides en matière d’émissions dans 60% du pays. De façon générale, il y a eu une baisse dans l’utilisation du charbon d’environ 5% entre 2010 et 2014 et des améliorations correspondantes en termes d’émissions.

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Les rapports – et les articles – ne mentionnent pas qu’une bonne partie des réductions proviennent de l’accroissement de la production de gaz naturel par le fracking (et une baisse importante dans le prix de ce gaz pour des raisons conjoncturelles). Les calculs sont donc incomplets. Les travaux de Marc Durand et des économistes biophysiques en général suggèrent que le fracking utilisé pour cette production génère des émissions beaucoup plus importantes que la production traditionnelle du gaz naturel et du pétrole.

Cette situation, finalement un effort de suivre la progression de «l’économie verte» dans le secteur des transports, sert à mettre en perspective un mythe que je dénonce depuis plusieurs années maintenant, soit que nous pourrons mettre rapidement en place des mesures prônées par le mouvement environnemental depuis des décennies et atteindre des résultats probants. Les dérives et les effets pervers se trouvent partout sur notre chemin.

Un tout récent article d’Éric Pineault et de Laure Waridel permet de voir jusqu’à quel point même les sociologues les mieux placés pour voir clair les défis auxquels nous sommes confrontés ne réussissent pas à faire la part des choses. (suite…)

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Le schiste : la bulle financière de notre temps

Il y a lieu de croire que l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste n’est pas rentable, et l’accent sur ces nouvelles ressources (en y ajoutant les sables bitumineux) représente l’équivalent d’une bulle financière. Les coûts de l’exploitation sont tels que des analystes connaissant les enjeux financiers et économiques en cause prévoient l’éclatement de la bulle d’ici quelques années à peine. Une telle analyse fournit une perspective différente pour la résistance qui s’impose alors que nous nous approchons de l’effondrement de notre système économique actuel.

[voir les deux mises à jour à la fin de l’article pour d’autres références]

Il y a une sorte de découragement au sein des groupes écologistes face au développement des énergies fossiles non conventionnelles, surtout le pétrole et le gaz de schiste, mais aussi les sables bitumineux. Dans une perspective de contestation traditionnelle, tout semble déjà joué auprès des décideurs, obnubilés par l’idée d’une Amérique saoudite avec de riches gisements qui se trouvent un peu partout.

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Lors d’échanges sur le sujet de temps en temps, il s’avère difficile de présenter une autre perspective avec rigueur, tellement la littérature sur le sujet est abondante et contradictoire. Pourtant, de nombreuses indications suggèrent que le fondement économique de ce développement est sérieusement déficient et qu’il s’agit actuellement d’une sorte de bulle financière qui cache l’effondrement en progression. Il me paraît pertinent de fournir ici la perspective difficile à formuler spontanément lors d’échanges informels. Les sources reviennent pour la plupart du temps dans mes différents articles et plusieurs sont associés aux analystes du phénomène du pic de pétrole.

Une autre perspective économique

Le thème de bulle financière est la perspective qu’en donne Tim Morgan, analyste financier anciennement de Tullet Prebon qui a écrit Perfect Storm“Shale Gas : The Dotcom Bubble of Our Times”, publié au mois d’août dans le journal The Telegraph en Angleterre, ne fournit pas une analyse, et suit ce qui circule déjà dans d’autres milieux, mais cible bien le contraste entre le discours et la réalité qui marque souvent les bulles (merci à Enjeux énergies pour avoir fourni la piste). Un survol des quelque 375 commentaires sur l’article donne une idée de la confusion dans les débats actuels, et n’aboutit pas à beaucoup de clarification. Une référence intéressante est faite à des progrès sur le plan de la technologie, mais rien ne met en cause le constat de base : un rendement financier négatif aux États-Unis, dans le schiste.

Mark Lewis, ancien directeur de recherche pour la Deutsche Bank, a publié dans The Financial Times en novembre 2013 un article qui fournit les détails de la situation. “Toil for oil means industry sums do not add up” met en évidence les investissements (capex, ou capital expenditures) de plus en plus importants de l’industrie pour une production de moins en moins importante et cela à un coût de plus en plus important. La combinaison de ces éléments fournit une perspective pour le développement des hydrocarbures qui suggère que nous atteignons des limites dans un approvisionnement qui détruira les fondements économiques de nos sociétés.

C’est assez intéressant de noter que Morgan et Lewis semblent rejoindre le Canadien Jeff Rubin dans la liste d’anciens joueurs des milieux financiers qui sont arrivés à cette même perspective et qui ont quitté leur milieu pour devenir intervenants à titre personnel ; je manque les détails pour Morgan et Lewis à cet égard.

Le phénomène de la Red Queen

À son tour, Thomas Homer-Dixon, analyste à qui je me réfère souvent, a fait paraître un texte dans The Globe and Mail en décembre dernier. “We’re Fracking to Stand Still” présente la problématique par le biais des énormes investissements requis pour tout simplement maintenir l’approvisionnement acquis; (suite…)

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Paris 2015 (3)

Dans mes articles Paris 2015 (1) et Paris 2015 (2), je mets un accent sur l’impossibilité technologique et politique derrière l’effort de préparer un accord sur le climat à Paris l’année prochaine, accord qui pourra respecter le budget carbone établi par le GIEC. Ce qui commence également à paraître partout est l’impossibilité économique ce cet effort, mené par des économistes qui ne peuvent pas remettre en question leur modèle, leurs carrières. Dans sa chronique du samedi 30 août, intitulée «La Grande Dépression (bis)», Éric Desrosiers du Devoir fournit des éléments de cette autre piste manquante dans le travail préparatoire de Paris 2015.

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Desrosiers détaille les constats d’économistes sur l’ensemble des économies des pays riches, constats qui aboutissent à la conclusion que la «reprise» n’a pas eu lieu après six ans, que cette reprise n’aura pas lieu. Parmi les plus frappants, la récente baisse de la projection de croissance des États-Unis pour 2014 à 1,5%.

Ces constats rejoignent ceux d’un éditorial par Serge Truffaut le 25 août inspiré par une intervention de l’économiste principal du Mouvement Desjardins, qui projette ce que la tendance montre depuis des décennies, que la croissance du Québec, du Canada, des pays riches en général, tend vers zéro (voir le graphique à cet effet dans un autre article[1]).

Ce qu’aucun de ces intervenants ne souligne est que de telles perspectives négatives n’intègrent même pas les coûts des externalités de cette activité économique en fin de régime, et que le Fond monétaire international (FMI) propose d’intégrer par nécessité dans le bilan.

Il est donc déconcertant de voir Desrosiers conclure sa chronique avec un appel comme celui du DDPP pour une «transformation» de nos économies en ciblant la technologie comme planche de salut face à la menace des changements climatiques, tout en soulignant qu’il en va de notre prospérité, voire de notre survie. Son collègue Gérard Bérubé aborde le défi d’une autre façon en faisant un reportage sur la croissance faible du Québec par rapport à celle du reste du Canada. Ce que Bérubé ne note pas est que la croissance du reste du Canada dépend pour son caractère positif de l’exploitation des sables bitumineux et, dans une moindre mesure, de celle du pétrole offshore à Terre-Neuve-et-Labrador. Lui aussi aboutit donc aux changements climatiques comme source du défi, sans le reconnaître.

Il est fascinant de voir toute cette réflexion par des économistes et par des journalistes couvrant les dossiers économiques commencer à aboutir à une autre de la part des non économistes, comme Serge Truffaut. «Croissance économique dans le monde», titre de son éditorial, présente plus ou moins le même portrait que Desrosiers, un essoufflement et des projections de croissance économique à la baisse, finalement, «une remise en cause du dogme de la croissance et la mise en lumière de l’indifférence des économistes pour les conséquences environnementales» de notre activité économique.

Desrosiers et Truffaut utilisent comme référence Larry Summers, chef économiste pour Bill Clinton et grand architecte de la déréglementation des milieux financiers à la fin des années 1990. On peut penser qu’il s’agissait d’un geste presque de désespoir tellement cela ne semblait pas avoir de sens aux yeux des non économistes. Truffaut reprend son principal intérêt dans l’éditorial du 25 août, pour les emplois, dans un éditorial le lendemain, mettant presque de coté le signal d’alarme de la veille ; ceci est presque sans surprise, lorsque l’on pense que son éditorial de la veille représentait une rare intervention dans le domaine économique par un non économiste. Desrosiers le résume plus directement: «tous ces phénomènes en ont amené certains, comme l’ex-secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, à presque jeter l’éponge en affirmant que nous étions désormais entrés dans une période de « stagnation de longue durée».». Luipour sa part, semble préférer se réfugier dans l’espoir tout court, comme le DDPP, mais il est beaucoup trop perspicace pour ne pas revenir sur le sujet[2].

MISE À JOUR: Tout récemment, Graham Turner a publié une nouvelle réflexion sur les correspondances entre le scénario de base de Halte à la croissance et les données des quatre dernières décennies, qui en corroborent les projections. Dans le récent document, Hughes cherche à rendre plus explicite le fonctionnement du modèle de Halte et les phénomènes contemporains associés, en particulier, au pic de pétrole. Turner y discute brièvement l’analyse du modèle de Halte de l’approche fondée sur un espoir dans la technologie, fondamental pour le DDPP; les données pour le scénario de la technologie compréhensive de Halte sont fournies dans son document de 2012, «On the Cusp of Global Collapse?».

 

 

[1] Un éminent économiste québécois que j’ai consulté sur ce graphique reconnaît la tendance et souligne que les économistes le considèrent un «mystère». De nombreuses analyses présentées dans ce blogue suggèrent qu’il s’agit de l’effet des limites biophysiques rencontrées «mystérieusement» au fil des décennies, et qui arrivent aujourd’hui à tout simplement annuler l’illusion de croissance représentée par le PIB.

[2] Je me suis permis un commentaire sur sa chronique, à même les pages du journal :

Je m’attendais à une autre conclusion pour le portrait brossé par Desrosiers. Et à cet égard, je m’attendais à ce que Desrosiers mentionne la Deuxième Guerre mondiale comme étant impliquée dans la «reprise» après l’autre dépression.

Dans de récents articles sur mon blogue, je commente deux interventions récentes du Fonds monétaire international (FMI) qui insistent sur la nécessité d’intégrer dans nos bilans les coûts des externalités de notre activité économique – des coûts énormes – ainsi que l’initiative du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP), qui cherche à fournir des pistes pour les Nations-Unies, surtout technologiques, pour un accord sur le climat qui respectera le budget carbone établi par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat.

La lecture de ces documents n’aboutit pas à la conclusion de Desrosiers dans cette chronique. Selon ma lecture, un accord sur le climat est une impossibilité économique, technologique et politique, et cela annonce – c’est déjà annoncé – une autre guerre à mener, une guerre qui se fera en fonction de notre dépendance presque absolue à une énergie fossile bon marché pour nos économies.

Celle-ci, devenant de plus en plus chère, se cache derrière toutes les données économiques dont il est question ici. Nous avons dépassé les limites dans notre poursuite, finalement une illusion, d’une «prospérité» matérielle et une «vigueur» économique qui ne reconnaissent pas de limites.

 

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Le FMI tient promesse

En janvier 2013, le Fonds monétaire international (FMI) est intervenu en proposant différentes taxes sur le carbone comme moyen de corriger une défaillance des marchés, la non prise en compte des coûts des externalités. Suivant une étude américaine, le FMI estime le coût d’une tonne d’émissions entre 25$ et 65$. Le FMI promettait de revenir avec des propositions de mesures fiscales précises pour un ensemble de 150 pays, ce qu’il vient de faire. Dans un premier article, j’ai mis l’accent sur la détermination des auteurs du FMI à voir la prise en compte du coût des externalités comme une mesure positive pour la croissance économique; leurs analyses suivent rigoureusement le modèle économique, mais l’acceptation du principe permettra de montrer les failles dans ces analyses. Dans ce deuxième article, je souligne que le FMI, partant d’autres données, dont un coût pouvant atteindre 38$ par gallon d’essence consommé, ne semble pas bien évaluer les défis politiques associés aux propositions fiscales ni l’impact de celles-ci sur les économies des différents pays, source des défis politiques. 

 

Dans un article de juin dernier, j’ai souligné ma surprise de voir le Fonds monétaire international (FMI) intervenir dans le sens de mon travail sur l’Indice de progrès véritable. Le document sur le cout des subventions aux énergies fossiles accordées par l’ensemble des pays était publié en janvier 2013 mais ne semblait avoir reçu aucune couverture médiatique (même pas par Éric Desrosiers, normalement à l’affut de telles interventions). Dans le document, le FMI notait qu’il allait revenir sur le sujet avec une étude par un des groupes qui ont produit le document de janvier 2013, le Département des affaires fiscales (FAD). Il s’agissait de fournir en plus grand détail des éléments fiscaux de sa proposition.

Ce n’est pas un accident de parcours, mais les bons calculs?

Le FMI a récemment publié le document promis, et il a eu une certaine couverture (Éric Desrosiers était en vacances…) à La Presse Le document de 2013 n’était donc pas un accident : le FMI reconnaît l’échec du marché en ce qui concerne le coût des externalités et propose des mesures – pour un ensemble de 150 pays! – pour corriger cela. Étrangement, pour une institution de son importance et connaissant son budget et son mandat, Getting Energy Prices Right n’est pas disponible gratuitement en ligne, mais seulement le résumé pour décideurs.

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Il est plutôt satisfaisant de voir le FMI aborder dans son analyse les coûts, pour les sociétés et pour l’environnement, d’externalités qui sont au cœur des calculs d’IPV dans différents pays : le coût du changement climatique, mais également les coûts en morbidité, en mortalité et en perte de productivité associés à la congestion  et à la pollution locale de l’air par les transports mus par l’énergie fossile.

Le travail du FMI semble aboutir aux mêmes constats que l’IPV, des coûts importants. À l’encontre des analyses faites en association avec les IPV par les économistes écologiques, le FMI ne semble pas y voir d’énormes problèmes. (suite…)

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