La chronique d’Éric Desrosiers dans Le Devoir cette semaine portait sur «la fin de la croissance ». Il faisait allusion à un rapport produit par Robert Gordon du National Bureau of Economic Research intitulé «Is U.S. Economic Growth Over? Faltering Innovation Confronts the Six Headwinds» » À première vue, et après lecture de la chronique, le rapport semble soutenir les préoccupations quant aux limites à la croissance inhérentes dans sa dépendance aux facteurs naturels, aux écosystèmes. Il n’en est presque rien.
Le rapport représente plutôt une approche non orthodoxe à ce que tous les économistes savent, en dépit de leurs discours: la croissance économique est en déclin inéluctable depuis des décennies dans les pays riches. Ce qui est surtout non orthodoxe est sa distinction entre l’avenir du 1% et celui du 99%: la fin de la croissance est pour ces derniers, mais même pour eux, en fonction d’une croissance minimale, le PIB par personne doublera aux États-Unis d’ici un siècle, selon Gordon.
Nous en avons déjà produit un graphique pour ce phénomène, pour le Québec et le Canada, à partir de nos travaux sur l’IPV.
Finalement, Gordon nous présente une analyse de l’histoire économique qui reste strictement dans les limites de la pensée économique. Sa présentation des six turbulences inclut une prise en compte d’une hausse probable de la consommation de l’énergie, mais rien ne prend en compte la question d’une rareté croissante de cette même énergie, et d’autres ressources, à l’instar des analyses de Jeremy Grantham. Le PIB par personne doublera dans ce monde toujours presque sans limites.
Ce qui est intéressant dans l’analyse de Gordon est la façon dont son calcul met en question la croyance devenue idéologique à l’effet que la croissance sans limites est inhérente dans la structure des sociétés humaines. Gordon montre que ce que nous avons expérimenté depuis deux siècles et demi à cet égard est tout simplement un moment bref et temporaire dans l’histoire humaine. Il ne va même pas jusqu’à noter que l’ensemble des trois révolutions industrielles qu’il décrit dépend directement de notre recours aux combustibles fossiles, marquant la fin d’une dépendance du bois…
Les figures 2 et 3 de Gordon permet de voir (figure 2) les tendances inéluctables que les économistes connaissent mais n’admettent pas et (figure 3) la capacité de Gordon de ne pas voir des limites sur notre planète, en suivant les tendances historiques que même lui reconnaît comme une sorte d’instantanée.
Desrosiers, comme d’habitude, est capable de passer outre les limites qui semblent également inhérentes dans la pensée économique:
«La vraie question serait de savoir quand on se rendra enfin compte que toutes les innovations du monde ne nous empêcheront pas de nous cogner, un jour ou l’autre, le nez contre les limites physiques (et écologiques) de la petite planète sur laquelle nous vivons. On se dit qu’en fait, il se pourrait, et même il faudrait, que la prochaine grande révolution industrielle soit justement celle du développement durable.»
On doit mettre «durable» entre guillemets…
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