Mines: les finances de court terme

Pour les «Observations» qui allaient situer mon deuxième rapport comme Commissaire au développement durable, j’avais préparé une analyse du rôle des ministères des Finances dans la formulation des orientations des gouvernements en matière de développement. Ce rôle est critique, puisqu’il va presque sans dire qu’un équilibre financier fait partie de n’importe quelle organisation – «presque», parce que les économistes qui constituent la masse des fonctionnaires dans ces ministères ont montré au fil des décennies qu’ils ne savent plus compter tout ce qui compte. Les économistes hétérodoxes les critiquent ces temps-ci parce qu’ils préfèrent compter un aspect du budget, en ciblant une certaine austérité dans les programmes sociaux (et ailleurs). Reste que ces mêmes économistes hétérodoxes, certainement mieux orientés que ceux orthodoxes qui dominent les agendas, ne semblent pas vouloir compter un autre aspect du même budget: le contrôle des déficits qu’ils proposent de remettre à plus tard, dans l’espoir (presque la certitude pour eux) que la croissance va venir régler les problèmes temporaires que nous expérimentons, comporte augmentation de la dette, possibilité de décote et problèmes budgétaires dès que le taux d’intérêt remonte.

Le ministère des Finances du Québec (MFQ) intervient en vue «de favoriser le développement économique et de conseiller le gouvernement en matière financière». Ce rôle comporte comme premier mandat (parmi huit) la responsabilité de «planifier et gérer le processus de préparation et de suivi du cadre financier du gouvernement, de formuler des propositions sur les orientations budgétaires du gouvernement, les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre pour assurer une saine gestion des finances publiques du Québec et de produire les analyses et les prévisions requises pour établir le cadre économique dans lequel s’inscriront les projections budgétaires du gouvernement».  Le deuxième mandat est «de conseiller le gouvernement en matière de politiques économique, fiscale et sociale et d’élaborer des politiques et des stratégies et proposer des mesures fiscales et budgétaires afin d’accroître le développement et la compétitivité de l’économie du Québec, notamment en matière d’incitation au travail, de soutien à l’investissement, à l’innovation, à la création d’emplois et aux régions et de favoriser le développement social, notamment en matière de soutien aux personnes à faible revenu, aux familles, aux jeunes et aux aînés.» Ouf!

Chine 2010Avec de telles responsabilités laissant les autres ministères un rôle de figurant, le MFQ travaille quand même dans un cadre où les perspectivesUSA 1972 d’une vraie économie ont été perdues il y a longtemps. Je pense entre autres au sous-titre de Small Is Beautiful de Schumacher, qui cible «une économie où les gens comptent» et à celui de La fin de l’abondance de Greer, qui cible «une économie où la survie compte». Les économistes ne voient tout simplement pas les grandes tendances qui marquent notre fin d’époque et cherchent à nous maintenir à flot dans l’époque qui disparaît. Le dossier minier, finalement peu important dans le grand ensemble de la société québécoise, marque l’actualité presque sans arrêt, surtout lorsqu’on y inclut les questions touchant l’énergie fossile. Schumacher a cité le Club de Rome dans ses travaux sur Halte!, en faisant ressortir l’énorme part de ressources dans le commerce international consommée par les États-Unis, et Grantham nous fournit le même portrait pour la Chine 40 ans plus tard. Cette énorme consommation stimule (et a stimulé)  l’activité économique partout sur la planète, mais la Chine y arrive trop tard.

Il fallait donc s’y attendre, et je récidive après deux autres articles qui mettaient un accent, d’une part, sur le piège que semble constituer le boom minier actuel et, d’autre part, sur cet autre exemple d’épuisement de ressources naturelles considérées sans limites. À force d’écouter les intérêts des uns et des autres, le gouvernement s’est écarté des principes de base. Il reconnaît que les revenus provenant de l’exploitation minière ne peuvent être assimilés à une contribution au compte courant, puisqu’il représente la perte d’un capital, d’un actif de la société: les revenus seront versés à l’avenir au remboursement de la dette, pour diminuer un passif. Il reconnaît la perte de ce capital en maintenant son engagement à imposer toute exploitation, et il reconnaît que cela pourra frapper des entreprises « non rentables ».

À travers ces reconnaissances, le gouvernement continue à brader notre capital, mettant l’accent dans ses annonces du début de mai sur des redevances basés sur les profits, résultat comptable s’esquivant à travers de multiples bénéfices fiscaux, et il maintient le taux de redevances adoptés par les Libéraux; mon rapport de vérification a pourtant montré que cela aboutit à des revenus presque risibles devant la valeur des ventes à l’exportation. Il baisse le taux d’imposition sur les surprofits par rapport à ce qui était envisagé et il recule sur l’application de la réglementation «mine par mine», permettant de nouveau aux compagnies de combiner les bilans de plusieurs mines, avec comme résultat qu’il y aura des exploitations qui ne seront pas imposées, contrairement au principe énoncé antérieurement que toute extraction de nos ressources non renouvelables devraient être compensée, au moins minimalement. Et allant de pair avec cette décision, le calcul des redevances ne sera pas fonction de la valeur des expéditions, mais d’une valeur moindre établie indirectement.

Tout ceci pour ne pas nuire à l’activité économique, les investissements retenus en otage par les entreprises minières. Ce que les annonces ne disent pas est plus important que ce qu’elles disent – elles reconnaîssent un statu quo qui place le Canada parmi les paradis pour les minières et se soumettent à un système mondial où les entreprises se promènent selon les offres, tout en continuant à faire des profits autrement plus intéressants que ce qui paraît sur les livres du ministère de M. Marceau. Le gouvernement ne prend pas le recul nécessaire pour vraiment estimer «l’équilibre». Pour M. Marceau, cet équilibre est entre l’intérêt des entreprises à faire de l’argent et l’intérêt de la société à maintenir l’activité minière. Avec du recul, l’équilibre est tout autre : il faut regarder le long terme, reconnaître que les ressources seront épuisées par l’exploitation et que la volonté de maintenir des emplois aujourd’hui compromet la possibilité de les avoir demain. La décision du gouvernement s’insère directement dans une politique enracinée dans le modèle économique actuel: se soumettre au marché, contrôlé par un nombre limité de grandes entreprises, et poursuivre le saccage des ressources communes en présumant que le maintien de l’activité économique est la priorité absolue. C’est le rôle du ministère des Finances que de promouvoir ce modèle, aux yeux des économistes qui s’y trouvent.

De nombreux pays pauvres en ont déjà vu les conséquences, précisément dans le domaine minier, et même la Banque mondiale y est allé, en 2006 et en 2011. La  «société mondiale» définie par le modèle actuel est celle composé des entreprises multinationales et des riches des pays riches. L’illusion projetée par la décision du gouvernement ici est que le maintien de l’exploitation minière favorise la société alors que, tout compte fait – et cela même de façon comptable – elle continue à appauvrir la société dans ses fondements dans la nature, dans ses écosystèmes et dans ses ressources.

L’argument n’est pas évident, et on peut presque comprendre que le gouvernement ne le reconnaît pas. Reste que nous bradons nos ressources et réduisons notre capital naturel. J’en ai fourni des éléments de l’argument dans le plus long chapitre de mon livre, sur l’exploitation minière. Yvan Allaire, président du Conseil de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques (IGOPP), dont les interventions en 2012 et en 2013 sont clairement orientées pour assurer que la société bénéficie adéquatement de la disparition de ces ressources, est intervenu pour critiquer les reculs importants de la part du gouvernement. Ces reculs allaient directement à l’encontre des recommandations faites dans son document de février 2013.

Même le rôle du ministère «à vocation économique» des Ressources naturelles se trouve réduit à celui d’appliquer le cadre établi par Finances et jouer le figurant. Nous l’avons vu dès la première semaine de ce nouveau gouvernement. La ministre Ouellet, en bonne connaissance de cause, s’est montrée plus que réticente face à la technologie du fracking, disait qu’elle ne voyait pas le jour où cette technologie serait acceptable. Quelques jours plus tard, Mme Marois, ancienne ministre des Finances qui a clairement retenu plus de son passage à ce Ministère que de son passage à l’Environnement comme critique de l’opposition, annonçait que le Québec avait tout intérêt à exploiter le pétrole de schiste qui se trouve à Anticosti.

Mme Ouellet va être obligée de s’exécuter encore, d’abord lors de la présentation de la nouvelle loi des mines, dont la facture sera déterminée par les orientations déjà annoncée en matière d’exploitation minière, ensuite lors des débats sur l’exploitation de pétrole de schiste…

 

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Dick McCollough

    Bonjour Harvey,
    Félicitations pour ton blogue!
    Petite réflexion suscitée à la lecture de ton article:
    Difficile de vendre la « durabilité forte » lorsque, même à rabais, on ne parvient pas à vendre la « durabilité faible » (lire: le nouveau projet de loi sur les mines).
    Dick

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