Dans sa chronique du 21 mai, François Brousseau situe très bien, sans trop y penser, le dilemme dans lequel les pays riches se trouvent face à un ensemble d’indices qui caractérisent les défis planétaires actuels. Le début met la scène : «Depuis quelques mois, le gouvernement du « vieux-nouveau » premier ministre Shinzo Abe essaie de secouer la cage dans laquelle est enfermé le Japon depuis deux décennies. La cage de la stagnation et de la déflation, dans un pays vieillissant, que l’on dit déclinant, même s’il reste l’un des plus riches du monde, encore capable d’inventer des voitures et des appareils photo qui se vendent sur les cinq continents (…sans compter les toilettes et les salles de bains les plus follement « technologiques » qui soient !).»
Le Japon, une île surpeuplée, réussit à contrôler la croissance de sa population, et le résultat est un vieillissement de cette population. C’est tout simplement un précurseur pour l’ensemble des populations de la planète, elle-même montrant le caractère d’une île depuis les premières photos qui nous revenaient de la lune dans les années 1960 et 1970. Après une croissance démographique inouïe depuis (surtout) la Deuxième Guerre mondiale, qui a vu la population mondiale tripler, et même si de nombreux pays pauvres connaissent toujours une croissance démographique galopante, l’humanité va vieillir dans les prochaines années alors qu’elle dépasse la capacité de la planète-île à la soutenir.
Pire, pour Brousseau, suivant des sources presque en unisson, le Japon ne réussit pas à faire croître son économie depuis 20 ans, ce qui s’appelle la déflation, terme et situation qui font peur aux économistes presque sans exception. Pourtant, le Japon est «un des plus riches pays du monde», parmi ceux qui causent, directement, sa dégradation de par leur consommation effrénée de ressources. Si toute l’humanité vivait comme les Japonais, il faudrait deux planètes et demie pour la soutenir (si elle vivait comme les Canadiens, il en faudrait quatre…).
Le Japonais moyen est 4 fois plus riche que le Chinois moyen en fonction du PIB par habitant des deux pays, suivant la narration (et cela sans prendre en compte que les inégalités en Chine sont telles que la situation est pire). Ce qu’il faut ajouter à ceci est le constat que le Japonais moyen est responsable de deux fois l’impact sur la planète que le Chinois de par son empreinte écologique…
Finalement, il n’est pas encore clair si l’approche du nouveau gouvernement japonais « saura durablement remettre le Japon sur les rails » du train qui le mène, qui nous mène directement dans le mur. La «reprise» possible du Japon coïncide avec une croissance en début de 2013 de 3,5% et «une consommation et des exportations qui décollent». Comme souligne Brousseau, la situation ne répond pas aux questions fondamentales qui se posent : comment vivre avec une société vieillissante (ce que toute l’humanité doit confronter inévitablement, le plus tôt le mieux). Comment le Japon va-t-il trouver l’énergie nécessaire pour son économie démésurée et pour la vie de la société, alors que son empreinte carbone représente déjà les deux tiers de son empreinte écologique, qu’il n’a pas de sources d’énergie internes mais importe tous ses combustibles fossiles et que le pays va apparemment fermer le nucléaire ? Et comment concevoir une croissance économique, dépendant dans les pays riches de la consommation, quand le Japonais moyen «a déjà tous les gadgets» ?
C’est à se demander si le Japon ne se pose pas mieux en «éclaireur du monde développé» – lire, des pays riches qui contribuent en bonne partie à la destruction de la planète en cours – , non pas par cette possibilité de reprise, mais bien plutôt dans sa «stagnation», source d’idées pour la transition vers des sociétés qui vivront dans le respect des limites imposées par la planète – et dont le Japon est encore très loin.
Ce qui semble clair est que la «reprise» tant souhaitée, non seulement au Japon mais partout dans les pays riches non encore sortis de la Grande Récession, montre le dilemme de façon magistrale. S’ils réussissent encore une fois à se remettre sur les rails qui nous mènent dans le mur, c’est la catastrophe. S’ils échouent, parce que l’effondrement est déjà en cours, c’est la nouvelle façon de vivre, en «stagnation», imposée plutôt que choisie.
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