Il y a un certain malaise en Chine face à la stabilisation de la population qui s’annonce. En mai 2011, un groupe de démographes chinois est intervenu, soulignant le drame du vieillissement au pays, et l’urgence de revoir une reprise de la croissance démographique. J’en ai fait une analyse et elle est publiée à la fin de l’article du Devoir en ligne. Les démographes ne semblent pas avoir su compter, mais la Chine, avec un territoire agricole capable d’alimenter une population de peut-être un milliard, a pris les décisions pour éviter que celle-ci augemente de 300 ou 400 millions de personnes de plus, alors qu’elle était déjà au-delà du milliard lors de l’adoption de la loi de l’enfant unique.
Je suis revenu sur la question en commentant un éditorial de Jean-Robert Sanfaçon, paru dans Le Devoir le 10 février 2012. Plus récemment, en juin 2013, Marie-Andrée Chouinard a signé deux articles dans ce journal. Le premier couvrait un récent rapport de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), mais y allait avec des commentaires endossant l’orientation qui souligne que la tendance vers une stablisation de la population du Québec n’est pas souhaitable. Mon commentaire sur ce article est paru dans Le Devoir du 6 juiin 2013.
Mon intervention exprime le souhait que les journalistes arrêtent de suivre le discours des organismes, voire des gouvernements, en matière de démographie, pour fournir à la population les véritables enjeux. En réponse, Chouinard revient – en réaction à mon petit texte? – avec un deuxième article, beaucoup plus long, et illustré, titrant que le «déclin» est peut-être stoppé, et ouvrant avec la mise en contexte : «Malgré une hausse du taux de fécondité, le nombre de naissances n’augmente pas au Québec. Un taux de fécondité dépassant le taux canadien. Une espérance de vie sans cesse meilleure. Une part croissante d’immigrants. La dernière livrée de statistiques sur la démographie québécoise donne l’impression d’un modèle n’étant plus menacé de déclin. Réalité ou illusion ?».
En guise de réponse, elle y présente des entretiens avec Richard Marcoux, professeur à l’Université Laval et directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, et avec Luc Godbout, professeur d’économie et de fiscalité à l’Université de Sherbrooke. Marcoux souligne qu’avec un taux de fécondité de 1,69 enfants par femme, nous sommes «loin du seuil de remplacement des générations». Comme j’avais indiqué dans mon petit texte, les démographes ne se sont pas posés de telles questions lorsque le taux dépassait, pendant des siècles (et surtout les dernières décennies), ce seuil. Ce n’est que lorsque le taux est tombé en-dessous de ce seuil, ici ainsi que dans la plupart des pays riches, que les démographes se sont mis à s’en inquiéter.
C’est à l’image des économistes, qui ont fait la promotion de la croissance économique pendant des décennies, pour devenir préoccupés assez récemment alors que le taux de croissance du PIB montre les signes d’un «déclin» permanent qui semble se diriger vers une décroissance. Éric Pineault, professeur de sociologie à l’UQAM, a produit une analyse lucide de cette question assez récemment, soulignant l’importance de comprendre ce que c’est que la décroissance par rapport au modèle économique et socioéconomique qui guide Marcoux et Godbout (et Chouinard). Les tenants de ce modèle, omniprésents dans les cercles de décision, sont aussi imperturbables que les démographes dans leur incapacité de voir en dehors du modèle; les uns se voient confrontés à la survie économique de la société, les autres à sa survie culturelle. Cette situation, mondiale, m’a amené à faire un chapitre sur les enjeux démographiques dans mon livre ciblant les mauvais calculs des économistes.
L’entretien de Chouinard avec Luc Godbout permet de mettre en évidence que la diminution du nombre de personnes constituant le «bassin de travailleurs», soit le groupe d’âge des 15-65 ans, commence justement en 2013, avec le vieillissement des «baby-boomers». Le phénomène marque le début de la stablisation de la population après une croissance fulgurante. Pour Godbout, l’économiste, devant le constat que le Québec ne réussira pas à infléchir la tendance démographique, «beaucoup de notre avenir économique se jouera dans la migration internationale». Et à cela on peut ajouter que le deuxième facteur démographique mentionné par Chouinard, l’amélioration de l’espérance de vie, constitue certainement un élément positif et heureux, mais comporte son lot de problèmes sur le plan économique, étant étroitement reliée au phénomène du vieillissement.
Suivant le modèle qui l’inspire, les yeux de Marcoux «se tournent [aussi] vers les données touchant les mouvements migratoires» : pendant un demi-siècle, l’Ontario a fait bien mieux que le Québec à cet égard, triplant sa population depuis 1951 alors que le Québec n’a que doublé la sienne». Mais alors que le Québec améliore son appel pour les immigrants aujourd’hui par rapport aux dernières decennies, c’est loin d’être assez. «Pour que le Québec conserve son poids dans la fédération, l’enjeux se jouera dans sa capacité à accueillir des immigrants internationaux». Il semble importer peu que, ce faisant, le Québec dans cette fédération ressemblera de moins en moins à un Québec qui se distingue de ses autres composantes, en autant qu’il ait du poids.
Face aux défis que ce blogue met en évidence sur une base régulière, Marcoux manifeste l’inconscience omniprésente dans la société : «La croissance démographique en soi n’est pas un danger» – il faut, presque tout simplement, «se préoccuper des enjeux sociaux et environnementaux qui vont de pair» avec cette croissance. Le besoin de la croissance, pour Marcoux, se conjugue avec la survie d’une société francophone en Amérique du Nord. Pour Godbout, elle se conjugue avec la survie d’une économie qui maintient cette société. La France, qui connaît aujourd’hui un taux de fécondité proche du «seuil de remplacement des générations», le doit sûrement à ses populations immigrantes. Les États-Unis, qui connaissent encore un taux qui atteint ce seuil, le doivent eux aussi à la croissance démographique de leurs populations que M. Parizeau à une autre époque appelait ethniques. C’est le cas dans tous les pays riches, et qu’il y a encore des milliards de personnes dans les pays pauvres qui rêvent toujours de se déplacer vers ces pays pour répondre à l’appel des professeurs Marcoux et Godbout. Élément intéressant à ce propos: les pays riches ne veulent que les personnes riches de ces pays pauvres pour maintenir leur poids…
En effet, pendant les décennies marquées par un taux de fécondité qui dépassait de loin le seuil du renouvellement de générations, nous – et l’ensemble des pays – préparions un avenir problématique. Qu’on le veuille ou non, qu’on le reconnaisse ou non, il y a une limite à la croissance de la population humaine. Un livre fascinant (et autrefois disponible en ligne) en a fait le portrait: The Security Demographic: Population and Civil Conflict After the Cold War, mérite lecture par tous les démographes comme outil pour les aider à sortir de leur modèle. Il sert entre autres à voir comment nos problèmes le sont dans un esprit typique des «gated communities» des pays riches, où les riches parmi les riches s’isolent de ce qui se passe autour d’eux.
C’est à presque ne rien comprendre que de voir nos sommités incapables de comprendre qu’il y a des limites pour la croissance économique et démographique – et pour les inégalités que celles-ci cachent – et que nous sommes en train de rentrer dedans. La Chine a compris qu’elle n’avait pas ce qu’il fallait pour soutenir sa population, et en dépit du succès relatif de son effort de contrôler sa population, elle est fourrée partout dans un effort de trouver les ressources nécessaires pour maintenir sa société. L’Amérique du Nord mène le monde dans sa consommation de ressources et d’écosystèmes, prise avec un modèle qui est en train de détruire la planète. Il n’y a pas, en effet, de peuple sur la planète qui ne peut se trouver en minorité face à ses voisins, à la seule exception des Hans de la Chine, et elle ne semble pas penser que c’est un titre honorifique. Suivant Erdogan de la Turquie, il y a peut-être six milliards de personnes sur la planète qui trouvent leur patrie à risque devant la croissance démographique chez les voisins.
Le premier commentateur de mon texte dans Le Devoir du 6 juin a reconnu la menace de la surpopulation, mais ne voyait aucun lien entre cela – dans les pays pauvres – et une préoccupation pour un faible taux de fécondité ici. Il a pris le deuxième commentateur pour indiquer le lien. La dégradation planétaire est la résultat combiné d’une croissance des personnes multipliée par leur consommation de ressources. Un(e) Québécois(e) moyen(ne) consomme probablement dix fois plus qu’un(e) Chinois(e) moyen(ne). Les deux essaient de sauver leur patrie, laissant au discours le semblant d’effort de sauver la planète. Finalement, le risque est fort que ni les patries ni la planète ne survivent convenablement…
Il n’y a pas de contradiction : le but est d’avoir un taux de fécondité de 2,1 enfants par femme partout dans le monde, pour que la population se stabilise – ni grandir ni diminuer. Au Québec, on est au-dessous ce seuil, donc on a besoin de plus d’enfants, pendant qu’en Afrique, ils sont au-dessus et en ont besoin de moins.
Gérard ne dit pas d’où vient l’objectif d’un taux de fécondité qui permet le «remplacement des générations». Plus important, il n’indique pas s’il y a un niveau de population optimal qui serait un objectif à atteindre. Des travaux récents – voir http://fr.scribd.com/doc/111627489/K116-Gowdy-Krall – font ressoirtir que l’évolution des humains ressemble à celle des fourmis, les deux atteignant une dominance dans leurs écosystèmes respectifs par une «ultrasocialité» qui s’accompagne d’un accent sur le groupe au dépens des individus qui le composent. Comme Gowdy et Krall le soulignent :
Nous sommes devant une situation aujourd’hui où la dominance de l’espèce humaine semble s’apprêter à un événement dans son évolution qui va la ramener à l’ordre. Les fourmis représentent la moitié de la biomasse des écosystèmes amazonniens, dans un état d’équilibre établi par l’expérience de millions d’années d’évolution. Les humains font face à un dépassement (temporaire…) de la capacité de support de la planète à les soutenir. Le jour même du commentaire de Gérard, le Global Footwork Network a émis un communiqué – voir http://www.footprintnetwork.org/en/index.php/GFN/page/earth_overshoot_day/ – pour anoncer que les activités humaines dépassent la capacité de la planète à les soutenir à partir de cette date.
Je ne mentionne pas de contradiction dans mon article, mais il y en a une qui ressort de façon dramatique. Ce serait essentiel que Gérard regarde les implications de son objectif comportant une stabilisation de la population humaine en fonction d’une baisse de la fécondité des pays pauvres de l’Afrique (et de l’Inde…) et une hausse de la fécondité dans les pays riches ayant des taux en-dessous de l’objectif, contre toute l’inertie en cause. Il ne mentionne pas la population humaine qui est à stabiliser – à ni aggrandir ni diminuer – cela dans le respect de la capacité de support de la planète à la soutenir. Curieux qu’il se sente capable de ne pas en tenir compte…