Peu de monde reconnaît ce que la liste de Fortune Global 500 (la figure) révèle année après année: parmi les douze plus importantes entreprises de la planète, onze sont des secteurs du pétrole et de l’automobile. Vu d’un autre angle, Éric Desrosiers nous informe que le tourisme est au même rang comme «puissant moteur de développement économique». En fonction de l’activité économique à l’échelle planétaire, «l’industrie touristique représenterait directement ou indirectement 9 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit un emploi sur 11 et autant, sinon plus, que l’industrie pétrolière ou celle de l’automobile.» Une lecture de la chronique fait ressortir que – pas une surprise – c’est un phénomène des riches; même si Desrosiers met un accent sur l’essor récent et important du tourisme attribuable aux pays émergents, c’est un phénomène de la classe moyenne de ces pays, où les inégalités sont même plus importantes que dans les pays riches.
Alors que les transports dominent dans la consommation du pétrole, c’est frappant de constater que cet autre secteur, fortement dépendant de déplacements, complète donc le portrait. Il fait ressortir jusqu’à quel point le PIB mondial est fonction de la principale menace pour la planète, les changements climatiques: les entreprises n’ont pas la taille de celles de la Fortune 500, mais ensemble elles sont aussi importantes dans leurs activités (mesurées par les dépenses) que celles liées à l’automobile.
Dans son livre Heat portant sur les changements climatiques, George Monbiot fait l’exercice pour voir jusqu’à quel point différents secteurs économiques pourraient s’adapter à la nécessité d’éliminer leur consommation des combustibles fossiles. Son seul échec est le secteur de l’aviation, où il ne trouve pas d’approches permettant à ce secteur de se maintenir. Traduit dans le contexte de la chronique de Desrosiers, le travail de Monbiot met en évidence un autre aspect de l’énorme défi que représente le changement de paradigme qui s’imposera. Ce ne sont pas les deux secteurs dominants du PIB mondial qui seront mis en cause, mais les trois!
Pour une réflexion sur l’activité économique à l’échelle de la planète, je me réfère au texte constituant la première partie de mon constat d’échec du mouvement environnemental: «L’économie biophysique comme plateforme pour la société civile: Limites à la croissance et les milieux financiers».
by Lire la suiteLa perte d’orientation dans les débats de société semble atteindre un nouveau sommet avec l’éditorial de Bernard Descôteaux dans Le Devoir de samedi 6 juillet dernier, éditorial qui aurait pu arriver, par ailleurs, à un meilleur moment. L’accident au Lac Mégantic plus tard dans dans la même journée a servi à mettre en évidence les implications de son message. Dès ma lecture de l’éditorial, j’ai formulé un commentaire que j’ai envoyé au journal. J’y cherchais à souligner la fuite en avant que représente la pensée de Descôteaux, alors que la «nécessité économique» qu’il priorise est de plus en plus clairement d’une autre époque. En effet, le transport de pétrole (de schiste – pour ce qui est de celui de Lac Mégantic – et de sables bitumineux, en grande partie, si ce n’est le raffiné) est une nécessité si l’économie va continuer à tourner comme il a fait pendant les dernières décennies, et l’accident de Lac Mégantic fait sortir une multitude d’informations sur la situation à cet égard.
Un des avantages d’avoir décidé de créer ce site web est que je puis publier mes réflexions quand les médias ne jugent pas cela pertinent, comme c’était le cas cette fois-ci pour mon petit texte. L’enjeu est un peu plus clair pour plusieurs depuis le 6 juillet: d’une part, la «nécessité économique» exige que l’on permette presque n’importe quoi pour au moins maintenir le statu quo sinon augmenter l’activité économique; d’autre part, elle montre jusqu’à quel point nous sommes contraints par le modèle économique actuel à foncer dans le mur, à moins de mettre beaucoup de choses en question. Ce ne sera pas long avant que les changements climatiques ne redeviennent le thème dominant des débats à ce sujet, mais pour le moment l’accident nous ramène sur des risques plus locaux, les débats portant sur les choix de transport, par bateau, par train, par camion (tout le pétrole du Saguenay) ou par pipeline – ou, si nous décidons de nous sevrer du pétrole et de la «nécessité économique», sur un nouveau paradigme de vie.
L’éditorial arrive sur la scène alors que je suis en train de lire Supply Shock: Economic Growth at the Crossroads and The Steady State Solution, de Brian Czech. Je connais assez bien déjà la problématique, mais Czech fournit l’histoire de la pensée (et maintenant de l’idéologie) de la croissance économique, ce que je ne connaissais pas aussi bien. Et je viens tout juste de terminer un échange avec un économiste hétérodoxe qui a conclu avec son rejet de ma lecture de la situation. Celle-ci rejoint les projections du Club de Rome et constate que nous sommes devant des effondrements des bases écosystémiques de notre civilisation, à assez brève échéance. Pour justifier son rejet de ceci, l’économiste souligne qu’il n’accepte pas l’idée qu’il a perdu son temps pendant une carrière qui a couvert plusieurs décennies et qui a été marqué par l’histoire de l’idéologie en question. Autant je constate l’échec du mouvement environnemental au sein duquel je me suis débattu pendant 45 ans, autant je constate l’échec des mouvements sociaux où était engagé cet économiste, mouvements qui cherchaient et cherchent toujours à améliorer le sort des populations. Tout d’abord, ces mouvements ciblaient les populations de leurs propres sociétés, mais avec le temps, il est devenu clair que, même avec des avancées au sein des pays riches, les énormes inégalités qui définissent les liens de ceux-ci avec le reste de l’humanité nous amènent à des projections de perturbations (lire effondrements) à l’échelle de la planète, dont les émeutes de 2008 (en raison du prix du pétrole et du prix des aliments qui en découlait), le Printemps arabe et l’intervention des Indignés n’étaient que des signes avant-coureur.
De tous les journaux au Québec, Le Devoir semble le plus conscient, de par son approche éditoriale, des situations critiques qui définissent les enjeux écologiques et sociaux actuels. Que le directeur du journal intervienne dans le déni explicite de cette approche face à la «nécessité économique» de poursuivre la croissance mérite commentaire. Czech termine son livre en projetant un virage qui viendrait d’une sorte de gêne ressentie par le 1%, mais comme moi, il est bien conscient que l’idéologie de croissance est tellement inscrite dans les moeurs, même des plus avertis, que la projection n’a pas autant de pouvoir de convaincre que celles du Club de Rome.
by Lire la suiteLe 14 juin dernier, à Baltimore, le gouverneur de l’État de Maryland a présidé un sommet auquel étaient convoqués des leaders dans le travail sur l’Indice de progrès véritable (Genuine Progress Indicator ou GPI, en anglais) venant de 20 États américains (contre 4 lors du sommet de 2012). Le Maryland est le premier État à utiliser formellement l’IPV, avec 26 indicateurs, en procédant par décision exécutive du gouverneur. Une présentation de la situation a été faite par du personnel du cabinet du gouverneur lors du sommet et un vidéo présente la façon dont l’État le calcule et l’utilise. Il est intéressant de constater que l’IPV pour le Maryland a été développé en collaboration avec l’Université de Maryland. Pas une coïncidence, des leaders parmi les économistes écologiques à l’origine de l’IPV, dont Herman Daly et Robert Costanza, ont passé par là aussi! Costanza et Steven Posner ont même publié un premier IPV pour le Maryland en 2011, avant que l’État n’embarque.
En mai 2012, l’État du Vermont est devenu le premier État à adopter une législation qui mandate le recours à l’IPV. Encore une fois, et tout aussi intéressant, le Gund Institute associé à l’Université de Vermont, à Burlington, réunit une masse critique de praticiens de l’IPV depuis près d’une décennie maintenant (et Costanza y était pour une bonne partie de cette période). En 2004, Costanza, Erickson et une équipe de l’Université ont publié un IPV pour l’État. Le Gund Institute est partenaire du gouvernement du Vermont pour le travail de mise en oeuvre. Il y a un reportage sur le processus par un des participants.
L’État de l’Oregon est actuellement en train de mettre en place le processus. La gouverneure de l’État d’Oregon participait au sommet. C’est l’organisation Demos http://www.demos.org/search/node/gpi qui a coordonné le sommet à Baltimore et qui va coordonner les suites.
J’étais donc un peu trop tôt avec mon idée de développer un Indice de progrès véritable pour le Québec, quand j’étais Commissaire en 2007-2008. Encouragé par ma sélection par le Vérificateur général alors que j’en avais parlé lors de mes entrevues, j’ai commencé par le calcul de l’empreinte écologique de la province. Pour obtenir la permission de le produire, j’ai pu montrer un travail déjà fait et en cours à travers le monde portant sur cet indicateur, incluant différents gouvernements nationaux – je n’entrais pas sur un terrain vierge. Le calcul de l’empreinte a nécessité neuf mois de travail avec une mine de données obtenues par ou pour l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Rejeté par le Premier ministre suivant un reflex spontané de sa part, et cela dès sa sortie en décembre 2007, celui-ci s’est rapidement ravisé lorsqu’il a été informé des fondements assez solides de cet indicateur. L’ISQ a par la suite décidé pourtant que cet indicateur, qui « indique » que le Québec connaît un train de vie plus de trois fois plus important que ce que la planète peut soutenir, n’était pas un indicateur de développement durable, et l’a mis au rancart.
Relever le défi de renouveler l’analyse (voire la vérification) des activités de la société, en l’occurrence celles de son gouvernement, par un indicateur qui corrige le PIB, s’est ainsi montré de taille. (suite…)
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