Est-il trop tard? est le titre du tout récent livre de Claude Villeneuve, ayant comme sous-titre : Le point sur les changements climatiques. Il est sorti la veille du dépôt du premier volume du cinquième rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rendu public hier. Le rapport du GIEC – en fait, le résumé pour décideurs du rapport du Working Group 1 qui sera déposé sous peu – ne fait qu’accentuer le drame de notre inaction depuis des années, et Claude fait le constat qu’il doit faire : il est trop tard pour éviter l’émission de niveaux de gaz à effet de serre dans l’atmosphere susceptibles de déclencher un dérèglement du système climatique. Une bonne partie du livre – c’est une des forces de Claude Villeneuve – représente un essai de vulgarisation des phénomènes en cause tout comme des travaux scientifiques qui cherchent à les comprendre.
Un autre élément du livre représente l’effort de Claude d’éviter la reconnaissance des enjeux en cause dans le constat d’échec de nos efforts, de ses efforts. Être pessimiste, dit-il, c’est être «défaitiste», et dans l’essai qui constitue sa conclusion il présente un discours qui va à l’encontre de mes propres constats. Il semble même que je lui sers de point de mire. À la deuxième page de sa conclusion (282), il fait référence à mon entrevue avec Éric Desrosiers dans Le Devoir des 30-31 mars 2013. Il conclut de sa lecture que selon moi «il n’y a plus rien à faire, sinon attendre le désastre». Dans ce qui suit, Claude embarque dans un discours dans lequel il oppose les pessimistes et les optimistes. Prétendant que son approche ici est scientifique alors qu’elle n’est que celle d’un vulgaire interprète comme moi, il nous présente les deux positions, celle de l’optimiste manquant complètement de crédibilité, même s’il représente beaucoup de monde. Claude, comme moi, n’est pas optimiste, mais il ne voit pas d’alternative, le cas échéant, que d’être pessimiste, ce qu’il refuse.
Le texte me fournit l’occasion de revenir ici sur ma propre analyse de la situation et de la façon de l’aborder, celle qui inspire tout ce qui se trouve dans ce blogue. La décision de créer ce blogue fait partie de toute une approche où je me décris comme un «optimiste opérationnel», depuis que Maurice Strong s’est décrit ainsi lors d’un discours à Globe ’90 à Vancouver il y a près d’un quart de siècle. Rien dans l’entrevue avec Desrosiers, ni dans celle avec Josée Blanchette qui l’a suivie, suggère ce que Claude décode des entrevues. Comme Josée Blanchette l’indique, j’ai «jeté l’éponge» en ce qui a trait à des interventions comme environnementaliste. Par contre, et comme je lui ai souligné, «cela fait longtemps que j’aurais fait un burnout comme plusieurs de mes amis si je ne refusais pas de me faire influencer dans mes sentiments et mes comportements en fonction de mon travail intellectuel». Je rejoins Claude dans le refus du pessimisme.
Ce qui est frappant dans la façon dont Claude aborde la situation maintenant est révélé vers la fin de la conclusion. Il y cite un rapport de 2009 fait par Van Vuuren et Faber pour la Netherlands Environmental Assessment Agency (PBL). Growing Within Limits a été soumis à l’assemblée globale 2009 du Club de Rome. C’est le discours et la pensée de «l’économie verte» (aussi appelée «la croissance verte»). Il faut croire que Claude, se joignant à de nombreux autres, préfère croire toujours que les tendances lourdes des dernières décennies peuvent être corrigées. Pour présenter cette orientation ciblant une économie verte, Claude doit tout d’abord décrire les critiques du modèle économique actuel (dont moi-même) comme cherchant à «tuer la bête» qui est ce modèle, plutôt que de «relever l’immense défi» qui est de le «domestiquer» (306). Comme dans la dichotomie entre pessimiste et optimiste, Claude ne voit ici que ces deux options, et semble rejeter d’emblée l’idée dont ce blogue fait la promotion, se joignant à de nombreux autres aussi, qu’il y a des modèles économiques possibles autres que celui qui cherche à (sur)vivre en fonction de la croissance sans limites. (suite…)
by Lire la suiteEn voyant que le gouvernement se lance dans une consultation sur les enjeux énergétiques du Québec, j’ai décidé de soumettre un mémoire. Le contenu est le chapitre sur l’énergie (en version préliminaire) que j’ai rédigé pour le livre du collectif qui s’en vient sur le Québec face à l’effondrement. Le titre du mémoire: «Une fuite en avant – vers le mur».
Sauf qu’il comporte maintenant une première partie, ma réaction et mon analyse du document de consultation fourni par le ministère des Ressources naturelles (MRN) en soutien au travail à venir de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec. Il mérite que l’on s’y attarde un peu plus que M. Descôteaux le fait dans son éditorial du 4 septembre dans Le Devoir. Bien plus qu’une esquisse des enjeux à débattre, le document représente un élément dans la politique économique du gouvernement, dans laquelle devront s’insérer les résultats de la consultation. En effet, le gouvernement – de par son représentant dans le secteur de l’énergie, le MRN – ne voit d’intéressant dans les enjeux énergétiques que ce qui fournira l’occasion pour aller de l’avant – vers le mur… Lisez-le vous-même!
Le document souligne que le Québec est parmi les sociétés les plus énergivores de la planète. Mais en dépit de nombreux passages (pages 30-34 entre autres) où un lecteur raisonnable se verrait amené à conclure qu’il faut que le Québec réduise sa consommation d’énergie, les orientations présentées sont toutes autres. Au tout début, le document insiste même que le Québec doive viser une amélioration de son efficacité énergétique. Et il souligne plus loin, dans le même contexte, que des pays comme la Suède et la Norvège font beaucoup mieux que nous, et dans leur consommation d’énergie et dans leurs émissions de gaz à effet de serre (les nôtres sont deux fois plus importantes que celles de la Suède).
Il faut se rendre à la section sur l’efficacité énergétique pour comprendre les véritables orientations du MRN. Notre haut niveau de consommation est en bonne partie le résultat de choix économiques, disent-ils. Et cela devrait continuer. En appui à une telle orientation, le document cite un récent rapport de l’Office national de l’énergie (ONÉ) qui indique que la demande énergétique durant la période 2009-2030 augmentera dans tous les secteurs, résidentiel, commercial et institutionnel, des transports et industriel, pour aboutir à une augmentation de plus de 25 % en 2030. Et même la consommation de pétrole ne diminuerait que de peut-être 8 %.
Ceci dans un document censé lancer la discussion sur la façon pour le Québec de réduire ses émissions de 25 % à l’échéance de 2020. Le MRN donne toutes les indications qu’il considère un tel objectif irréaliste et la table est ainsi mise pour une consultation bâclée. Nulle part ne trouve-t-on une indication qu’il y a peut-être en effet des enjeux énergétiques environnementaux et sociaux à débattre, devant l’impératif du développement économique. Et le gouvernement n’est pas seul dans cette galère. Une étude du pendant américain de l’ONÉ, l’Energy Information Administration (EIA), prévoit une augmentation de la consommation de l’énergie à l’échelle mondiale qui représenterait, dans seulement 25 ans, l’équivalent des trois-quarts de toute l’énergie consommée depuis 150 ans. (suite…)
by Lire la suiteJ’ai rencontré un ami à l’exposition d’art contemporain Symposium à Baie-Saint-Paul récemment, et la conversation a tourné aux BPC. Lui a commencé sa carrière au ministère de l’Environnement avec le début des interventions en relation avec les matières dangereuses, et était intrigué de voir qu’il y en a encore dans les parages plus d’un quart de siècle plus tard. De mon coté, j’avais à peine suivi les reportages sur le dossier des BPC, qui me faisait penser à autre chose.
En fait, les médias continuent à faire leurs manchettes en couvrant les «événements environnementaux», et il n’en manque toujours pas. On peut remonter au feu de BPC à Saint-Basile-le-Grand en 1988 , suivi du feu de vieux pneus dans le dépôtoir de Saint-Amable en 1990 , pour retrouver les dossiers contemporains et quotidiens : fuite de pétrole à Sept-Îles, préoccupations pour les fuites possibles de nouveaux (et anciens) pipelines, feux à Deepwater Horizon et à Lac-Mégantic en relation avec le pétrole de moins en moins « conventionnel », émissions fugitives de puits de forages pour le gaz de schiste, poussières émanant des mines d’Osisko à Malarctic et éventuellement du projet de mine d’apatite Arnaud à Sept-Îles.
Pendant longtemps, c’était une question de déchets dangereux, et le public était peu conscient de l’omniprésence de matières dangereuses vierges. Cette situation a probablement changé, mais ce même public serait sûrement surpris de connaître l’ampleur des matières vierges dangereuses, toxiques, combutibles, explosives dans leur environnement. Et en effet, le terme « environnement » dans le langage courant a souvent plus à faire avec les déchets qu’avec les matières vierges, plus à faire dans les milieux d’affaires avec les égouts et les dépôtoirs qu’avec les aqueducs et les sources de nos matières premières. Ces dernières sont plutôt question d’affaires, d’économie.
Les reportages sur la contamination pouvant être associée à la catastrophe de Lac-Mégantic, à de nouveaux (ou vieux) pipelines et à un feu possible dans l’entrepôt de la compagnie Reliance continuent, et en continu. Ce qui me frappe est la présence d’autant de reportages sur les problèmes «environnementaux» de la planète sans que nous ne fassions le lien avec les autres plus locaux. Les premiers (mais finalement les derniers aussi) sont assez souvent reliés à la question de notre consommation (des matières premières fournies par la planète). Pourtant, ce ne sont pas les mêmes journalistes qui couvrent les uns et les autres, et ça prend des éditorialistes pour des fois faire les liens.
Un éditorial de Jean-Robert Sansfaon dans Le Devoir du 3 septembre, «Environnement : Punir les responsables» illustre la sorte de lien qui se fait de temps en temps. Sansfaçon commence : « eut-on avoir confiance en une entreprise qui entrepose illégalement des BPC depuis quinze ans, en une société minière qui laisse tout derrière elle avant de fermer boutique ou en une compagnie ferroviaire qui transporte des produits explosifs sur des voies pourries ? Si la réponse est non, comment expliquer que tous les gouvernements aient réduit leurs contrôles au lieu de les resserrer au fil des ans ?»
L’éditorial est dans la lignée des interventions touchant les questions d’environnement depuis des décennies. Ce qui est un peu différent est que l’éditorialiste est économiste. Ce qui est surprenant est sa question, parce qu’il connaît la réponse : «le développement économique est primordial et les contrôles réglementaires, fiscaux et autres ne peuvent être acceptés s’ils ont des impacts économiques».
Un autre texte du Devoir de la même journée illustre très bien cette condition. L’article «Gaz de schiste: Les États-Unis entraînent d’autres États à leur suite» se trouve sous la rubrique « Économie » dans le journal. Il y est question de l’intérêt économique (indépendance énergétique) que d’aucuns associent aux nouvelles ressources de gaz et de pétrole de schiste, même si d’autres – les scientifiques – craignent des impacts environnementaux importants. L’article poursuit comme si rien n’était : «Dans ce contexte, l’exemple britannique est un cas d’école. Affirmant que le Royaume-Uni ferait une «grave erreur» s’il tournait le dos au gaz de schiste, le premier ministre, David Cameron, a officiellement engagé son pays dans cette nouvelle course à l’or noir début août. «En Europe, tout le monde va regarder ce qui va se passer au Royaume-Uni», pronostique Thierry Bros, analyste à la Société générale. «Ce pays a une longue histoire pétrolière et gazière, et il a également un poids au niveau de Bruxelles quant aux réglementations en matière de pétrole. De l’issue de son expérience dans l’exploration des gaz de schiste dépendra le basculement d’autres pays en Europe».
Dossier clos, ou presque, et réponse fournie à M. Sansfaçon.
Les sujets mentionnés dans ces commentaires fournissent pourtant matière à réflexion plus importante. Aujourd’hui, les préoccupations pour les matières dangereuses manquent vraiment de cible. Ce sont les choses banales de notre vie quotidienne qui menacent aujourd’hui notre existence même, sans que nous n’en apercevions presque pas. Par exemple, le gaz carbonique (CO2) est un gaz omniprésent et en énormes quantités dans l’atmosphère, comme l’oxygène. Toute la vie sur terre dépend de la présence de ces gaz, et ils ne sont d’aucune façon matière d’appréhension ou de préoccupation pour raison de dangerosité. Par contre, le gaz carbonique est le gaz dont nos émissions en surabondance (venant surtout de l’utilisation des combustibles fossiles) menacent l’avenir de notre civilization, étant une des principales sources de la déstabilisation du climat planétaire.
De leur coté, nous voyons les plastiques comment étant peut-être des nuisances qui se trouvent un peu partout, des fois là où nous ne les voulons pas. Ceci n’est néanmoins qu’une question de nuisance pour nos vies quotidiennes où les plastiques sont essentiels pour une multitude de produits d’usage courant. Néanmoins, le public a probablement de la difficulté à associer avec la vie quotidienne les reportages qui nous informent qu’il y a aujourd’hui des « continents » de plastique flottant dans tous les océans. À la limite, c’est un problème « environnemental » qu’il faudrait gérer avec une meilleure réglementation des déchets…
Finalement, notre préoccupation pour les matières dangereuses entrepôsées dans des sites mal entretenus ou transportées sur des voies ferrées en mauvais état est une préoccupation aujourd’hui dépassée. Ce n’est plus un moment que nous vivons où nous devrions nous préoccuper en priorité d’incidences possiblement néfastes pour notre environnement proche et penser que l’important est surtout de régler cela. Le monde entier est devenu un entrepôt pour les déchets tout à fait inoffensifs en eux-mêmes mais dont le cumul devient lui sujet de préoccupation, source de catastrophe à des échelles n’ayant rien à voir avec celles des feux ici et là, des déversements ici et là, des nuisances à la propreté ici et là.
Vous connaissez mes propos : le développement économique des dernières décennies nous a rendu à une situation planétaire où l’humanité toute entière est en dépassement de la capacité de support de la planète. Elle a une empreinte écologique nécessitant déjà une planète et demi alors qu’il y a des milliards de pauvres qui veulent, avec raison, augmenter leur empreinte pour atteindre un niveau de vie acceptable. Et nous, dans les pays riches, avons une empreinte qui nécessiterait trois, quatre, voire cinq planètes pour nous soutenir, mais nous voulons continuer à « progresser ».
C’est du passé, et c’est le temps de nous préparer pour un nouveau paradigme de civilisation maintenant, aujourd’hui. J’écoutais la CBC en revenant de Charlevoix et je suis tombé sur une émission « Ideas in the Afternoon ». Le sujet était la fin de la croissance. Elle présentait des extraits d’une soirée de février dernier, à Calgary. Jeff Rubin, ancien économiste en chef de la banque CIBC (et auteur de The End of Growth, paru en 2012) et David Suzuki, animateur de l’émission de CBC «The Nature of Things» depuis des décennies, y allaient avec leur portrait de la situation cachée par les reportages de problèmes environnementaux au quotidien. Je vous en recommander l’écoute.
by Lire la suite