Le 22 octobre dernier le Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ) a tenu un atelier de formation pour mieux asseoir ses interventions futures devant la Régie de l’énergie. En effet, le ROEÉ existe, comme plusieurs autres organismes similaires, depuis la création de la Régie dans les années 1990 et a comme principal mandat d’intervenir à la Régie en fonction des exigences de celle-ci, notamment par une approche légale ayant recours à des avocats. En effet, la Régie est une instance réglementaire établie pour éviter que les décisions techniques concernant les politiques énergétiques ne soient dévolues aux élus de l’Assemblée nationale qui n’ont ni le temps ni la compétence pour en juger.
Cette institution réglementaire est également une instance économique, les aspects «techniques» qu’elle traite étant définis en fonction d’un modèle économique qui fournit les balises pour les processus consultatifs et décisionnels qui caractérisent sa face publique. En fait, la Régie s’insère de par son mandat dans un ensemble d’instances économiques dans le domaine de l’énergie qui finissent par définir les enjeux et les orientations pour le secteur : Agence internationale de l’énergie de l’OCDE; Energy Information Administration des États-Unis; Office national de l’énergie (ONÉ) du Canada.
Le défi est donc immense pour les organismes ayant des préoccupations environnementales et sociales lorsqu’ils interviennent auprès de ces institutions. Actuellement, au niveau canadien, des groupes, incluant des groupes québécois, contestent les règles de l’ONÉ qui empêchent leur participation aux consultations concernant la demande de permis pour l‘inversion de son oléoduc par la compagnie Enbridge. Il s’agit d’un projet qui cherche à trouver une façon de sortir le pétrole de l’Alberta et du nord des États-Unis (Dakota du Nord) alors que ce pétrole est actuellement enclavé en raison d’un manque de capacité des infrastructures existantes.
Ce que les groupes ne reconnaissent pas est justement que l’ONÉ est une instance économique, soit une institution oeuvrant dans le cadre d’un modèle économique qui juge les incidences sociales et environnementales d’un dossier comme des «externalités». La contestation devrait cibler, ciblent finalement, les instances politiques qui ont donné son mandat à l’ONÉ. Même si ces dernières adhèrent également au modèle économique aussi, elles sont en mesure de prendre des décisions – politiques – quant à l’opportunité de maintenir cette adhésion. C’est dans un tel contexte que le gouvernement canadien de Stephen Harper insiste sur la priorité presque absolue de ses politiques économiques.
Les organismes membres du ROEÉ se trouvent dans une situation similaire, devant une Régie dont le mandat provient du gouvernement québécois et qui est balisé par le modèle économique. Ce n’est pas la place pour les débats sur les changements climatiques ni sur la pertinence de construire de nouveaux barrages dans un contexte de surplus d’énergie électrique. Ces enjeux ne sont pas dans le mandat de la Régie. Les groupes le savent, mais ne semblent pas reconnaître avec autant de clarté que leurs interventions, techniques et respectant les exigences de la Régie, s’insèrent dans un processus de planification extrêmement réductrice, comme tout ce qui découle du modèle économique. Ce modèle représente «l’économie» comme quasiment une entité en elle-même et presque sans liens avec la société et son cadre environnemental.
Ma présentation devant le ROEÉ n’était pas de nature à aider les organismes dans leur volonté d’intervenir auprès de la Régie. (suite…)
by Lire la suiteLe rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009 faisait le portrait des faiblesses du PIB comme indicateur de progrès, cela à la demande d’un des leaders du G8 (le président Sarkozy) et ayant comme auteurs deux prix Nobel de l’économie et une sommité française dans le domaine. Le rapport a connu une large diffusion. En 2010, les trois auteurs ont même publié une version vulgarisée du rapport, intitulée Mismeasuring Our Lives : Why GDP Doesn’t Add Up (New Press, 2010).
Les constats de ce rapport sont évidents et ne semblaient nécessiter que leur présentation formelle par des experts pour être reconnus. En dépit de cela, il s’avère presque impossible de trouver dans la pratique une application de ses constats par les administrateurs publics. À deux reprises récemment j’ai eu l’occasion de participer à des colloques organisés par l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Ces colloques m’ont fourni des occasions pour saisir les praticiens de ce que j’appelle des oeillères dans presque tout ce qui touche l’évaluation de notre activité économique, en commençant par le recours au PIB comme guide.
En mai 2012, le Centre de recherche et d’expertise en évaluation (CREXE) de l’ÉNAP a tenu un atelier lors du grand colloque de l’ACFAS de cette année. Les conférenciers se penchaient sur la question de l’évaluation de programme au sein des différentes administrations publiques. L’occasion m’a été fournie de présenter l’IPV comme un élément clé dans ces exercices, qui finissent par avoir des implications sur le plan économique. Je l’ai fait en soulignant la contribution du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. L’intention de fournir les actes de l’atelier m’a permis d’écrire une synthèse des travaux sur l’IPV du Québec dans le contexte de l’évaluation de programme.
En septembre 2013, l’Observatoire de l’administration publique (OAP) célébrait ses 20 ans par un colloque à assez grand déploiement. Comme ancien sous-ministre adjoint et ancien vérificateur général adjoint (Commissaire au développement durable), j’ai été invité à présenter mes réflexions sur les enjeux associés aux efforts de rendre la recherche universitaire utile pour les praticiens dans les gouvernements. J’avais déjà été frappé par une intervention d’une professeure de l’ÉNAP et un autre de l’Université de Montréal au printemps 2013. Ces deux constataient, à la lumière des révélations de la Commission Charbonneau, que notre confiance dans les vérifications formelles ne pouvait qu’être ébranlée en constatant que ces vérifications, au fil des ans, n’avaient pas mis en lumière la corruption omniprésente au niveau municipal que la Commission Charbonneau est en train de réveler.
En pensant à ces constats, j’ai décidé de mettre à jour les «observations» que j’avais préparées pour mon deuxième rapport comme Commissaire; le rapport est paru après mon départ, sans indication qu’il s’agissait du rapport du Commissaire, et les observations qui s’y trouvaient étaient celles du Vérificateur général. J’ai donc fait une présentation sur les faiblesses que l’on pouvait associer à des vérifications qui acceptent le cadre d’analyse de l’administration publique, alors que celui-ci rejette les constats du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. Ces faiblesses étaient communes à l’ensemble des réflexions du colloque, celles associées à la vérification (au niveau provincial), à la recherche universitaire et aux activités de l’administration publique. Comme c’est souvent le cas, mon intervention était en marge des échanges prévus et ciblait des enjeux à la base même des activités des acteurs, faussées, comme le disent Stiglitz, Sen et Fitoussi, par le recours constant à des critères économiques dominés par le PIB alors que cet indicateur ne mesure pas bien ce qui est important dans notre vie. Le malheur est que le PIB est toujours dominant, sous-entendu dans la recherche, dans la vérification et dans la pratique comme guide pour nos activités.
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