Ce n’est même pas une nouvelle que d’apprendre que COP19, la plus récente des Conférences des parties au Protocole de Kyoto, tenue à Varsovie tout récemment, n’a pas réussi à convenir de quelques avances face au défi dramatique du changement climatique. Cette situation est l’indicateur le plus évident (du moins, pendant quelques jours une fois par année) de l’échec des efforts du mouvement environnemental cherchant depuis les années 1960 à enfreindre les atteintes au fonctionnement des écosystèmes planétaires occasionnées par les activités des sociétés humaines – et surtout par celles des riches parmi elles.
La COP15 à Copenhague en 2009, en dépit de l’énorme espoir qui y était investi par l’ensemble des participants, a consacré l’impossibilité d’arriver à une entente pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre responsablse de ce réchauffement. À travers la planète, les décideurs politiques (et économiques) ont constaté – et constatent toujours – la contradiction entre de telles initiatives et la volonté, presque un dogme, de poursuivre le développement économique selon le modèle qui prévaut.
La situation est telle qu’il est plutôt difficile de comprendre l’investissement d’énormes énergies morales dans le but de maintenir la prétention de négociations – ou d’efforts de «sensibilisation» de la part des organismes du mouvement environnemental. Il est tout aussi difficile de voir la justification de leurs efforts dans leur ensemble, tellement la contradiction est évidente entre le développement économique et la protection des écosystèmes. GaïaPresse m’a invité à couvrir les négociations de la COP19 (et même à y participer…). Réfléchissant à l’invitation, je ne savais même pas ce que je pouvais écrire d’intelligent à cet égard. Le résultat: un texte qui cherche à décrire les implications pour le Québec de l’échec des négociations, permanent.
J’en ai déjà parlé indirectement en faisant référence de temps en temps au livre d’un collectif que j’organise et qui devrait sortir dans les premiers mois de 2014. Dans le récent texte pour GaïaPresse, je souligne l’importance de s’atteler à l’effort de planifier la réponse aux défis d’un Québec face à différents effondrements qui arrivent, écologiques d’abord, mais économiques et sociaux aussi.
Pour la plupart des sociétés dans le monde, il y a urgence à établir leurs bases énergétiques en fonction de différents types d’énergie solaire. Pour le Québec, nous sommes devant le devoir, pour notre survie face aux effondrements, mais aussi pour reconnaître l’inégalité qui exige que d’autres puissent avoir recours à ce qui reste de fossile utilisable, de planifier notre avenir en fonction d’une énergie disponible la moitié de ce que nous utilisons aujourd’hui, soit l’énergie fournie par notre réseau hydroélectrique. Et nous devons reconnaître que nous sommes même énormément chanceux d’en avoir autant, et pour un temps prévisible aussi long.
Le résultat de ma réflexion est également une série (à venir, à GaiaPresse) de textes portant sur l’échec du mouvement social, échec qui a eu lieu en parallèle à celui du mouvement environnemental. Mais alors que les contraintes associées aux atteintes au fonctionnement des écosystèmes et à un accès de moins en moins facile aux ressources naturelles, surtout non renouvelables, alors que ces contraintes sont externes et incontournables, les contraintes associées aux déprédations du néolibéralisme sur les efforts du mouvement social sont très humaines.
Les défis des prochaines années seront ceux associés à la mise en oeuvre d’alternatives aux sociétés contemporaines et aux institutions socio-économiques et culturelles qui les caractérisent. Clairement, il y a de nombreux acquis venant du mouvement environnemental qui fourniront des pistes pour les interventions à l’avenir. Mais ce qui est frappant sont les acquis du mouvement social, qui semblent adaptables à une situation d’effondrement et constituent des initiatives beaucoup moins contraintes que celles venant du coté de l’environnement.
On peut consulter une version pdf du document sur Varsovie sur ce site.
Découlant de cette analyse, une série de trois textes sur la transition sociale de la société paraîtra sous peu chez GaïaPresse.
Le terme est utilisé aujourd’hui de telle façon qu’il n’a presque plus de sens propre, signifiant tout simplement quelque chose de positif, souvent en relation avec l’environnement. Voilà qu’André Tremblay, pdf du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) est capable de lui enlever même ce sens, soulignant qu’il peut y avoir trop de cette chose vertueuse, le développement durable.
L’intervention est venue lors de préparatifs pour le Rendez-vous de la forêt québécoise du 21-22 novembre dernier, au Saguenay. Comme c’est le cas pour la plupart des dossiers couverts par mon livre sur l’Indice de progrès véritable pour le Québec, les débats et les échanges continuent à se faire sans tenir compte de façon adéquate des contraintes associées au coût monétaire des impacts de ces activités, rarement calculé.
Dans mon calcul de l’IPV pour le Québec, le secteur forestier ressortait en fonction d’un aspect de la crise dans le secteur dont on ne parle pas. Le coût du transport du bois du parterre de coupe jusqu’à la scierie est aussi élevé que le coût de la récolte elle-même – la distance dépasse les 150 kilomètres en moyenne. Comme j’ai noté dans le travail, la hausse du prix du pétrole augure très mal pour l’industrie, et l’exploitation du bois dans plusieurs régions éloignées risque de coûter trop cher. M. Tremblay souligne que le coût du bois au Québec est le plus élevé en Amérique du Nord, mais ne donne aucune indication qu’il voit ce qui semble être la principale composante de ce coût. Et il peut bien se plaindre du coût des redevances et des rentes versées à l’État, il sait très bien – autre découverte du calcul pour l’IPV – que l’État donne le bois déjà, ne pouvant imposer des redevances au risque de mettre la survie de l’industrie en question. C’est le coût de l’énergie qui représente le défi de base pour la récolte, et la proposition de diminuer les coûts à la seule place où cela semble possible, dans les contraintes établies pour respecter le caractère renouvelable de cette ressource, constitue un retour en arrière bien trop caractéristique de l’industrie dans le passé.
Avec mon éditeur MultiMondes, c’est ce chapitre du livre qui a été choisi pour diffusion publique, et en plus de se trouver sur ce site, il se trouve sur le site d’Économieautrement avec une mise en contexte qui situe l’importance – l’urgence – de tenir compte des faiblesses du PIB comme indicateur de notre développement comme société.
Bon nombre de forestiers rejettent la banque de données du MRN qui est à la base de mes calculs comme une « boîte noire », approche que j’ai vue lors d’une présentation que j’ai faite à l’Ordre des ingénieurs forestiers au printemps dernier; d’après ce que je réussis à décoder de leurs propos, il s’agit plutôt d’une sorte de déni et d’un rejet d’un système dont les modèles s’avèrent assez complexes et peut-être incompréhensibles à leurs yeux – quitte à ce que les responsables au MRN fassent un plus grand effort de vulgarisation (et peut-être de correction à certains égards) de leurs modèles.
Les perspectives sur l’avenir du secteur forestier sont assez dramatiques, et méritent d’être situées dans un contexte qui inclut des paramètres peu utilisés, et que mon travail cherche à mettre en évidence. Cela n’enlève pas certains potentiels qui rentrent directement dans le bilan futur de l’industrie, dont une utilisation accrue du bois dans la construction en remplacement de matières non renouvelables et un recours à la biomasse forestière en remplacement du mazout utilisé pour le chauffage un peu partout en région. Par contre, il semblerait que l’industrie propose, dans un effort de cibler ce marché potentiel assez important, de recourir à la forêt pour la production d’électricité en période de surplus important d’énergie dans la province. Elle a encore du chemin à faire…
Source de la photo: Jacques Nadeau, Le Devoir
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Le PIB est tout simplement hors jeu dans l’effort de s’orienter, de se faire une idée intelligente face à cette question. Depuis plusieurs années maintenant j’essaie de suivre les travaux des économistes qui interviennent dans les débats publics, ceci parce que je leur attribue la cause de l’échec du développement et de l’intégration de l’environnement dans ce développement depuis des décennies. J’ai bien lu différents propos sur l’avenir prometteur de l’Afrique, mais la lecture d’un texte dans Le Devoir récemment sous les titre «L’afro-optimisme ambiant doit être tempéré» m’a quand même frappé.
Mon travail sur la «correction» du PIB comme indicateur de ce développement a trouvé un soutien dans le rapport de la commission présidée par Joseph Stiglitz, prix Nobel de l’économie et complétée à sa direction par Amartya Sen, autre prix Nobel de l’économie et Jean-Paul Fitoussi, sommité française dans le domaine de l’économie. Le rapport portait sur la nécessité de se doter de meilleures approches au développement que celle fondée sur la croissance de l’activité économique (du moins, c’est l’espoir) suivie par le PIB.
Je ne vois aucun changement dans le comportement des économistes depuis le dépôt de ce rapport, mais le récent texte passe tellement proche de le faire qu’il mérite commentaire. Khalid Adnane, économiste à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, consacre le début de son texte à un portrait de l’Afrique récente en fonction de son PIB tel que ce continent est présenté dans de nombreux ouvrages. Le portrait fournit un (faux) espoir qui rend manifeste les défauts du PIB, et le reste du texte porte sur le «revers de la médaille», une mise en question de la prospérité que la croissance nominale de l’économie africaine suggère. De façon tout à fait directe, cela passe par la déconstruction des indications fournies par le PIB pris comme indicateur grossier du bien-être de nombre de pays – ceux qui ont des ressources, ceux qui n’en ont pas – mais le texte n’en parle pas directement. Il contredit tout simplement l’illusion fournie par le PIB et qui soutient « l’afro-optimisme ».
Les indications du PIB suivent la recette bien connue : le PIB de l’économie africaine plus que doublé depuis 2000, avec un taux de croissance d’environ 5%; le revenu per capita est passé de $2000 à $3200 pendant cette période; l’exploitation des ressources minières et énergétiques est reconnue comme le moteur de ce »développement». Adnane montre que ce portrait se bute néanmoins à la réalité. (suite…)
by Lire la suiteLe Québec se prépare pour l’élaboration d’une politique énergétique, et les enjeux sont assez dramatiques. Une série de textes dans Le Devoir par Pierre-Oliver Pineau, Jean-Robert Sansfaçon en éditorial, et Jean François Blain, montre finalement la difficulté de bien situer ces enjeux dans un cadre approprié. Un texte que j’ai soumis au Devoir en élabore quelques unes des difficultés, en soulignant que c’est l’automobile elle-même et non son électrification qui doit être mise en cause. Toute la discussion s’insère dans l’approche au développement économique du gouvernement et de nombreux intervenants privés, et c’est rare d’y trouver une prise en compte des implications du pic de pétrole, de l’empreinte écologique (ou l’empreinte carbone) ou d’autres indicateurs de contraintes écologiques. Pourtant, ces contraintes paraissent de plus en plus incontournables et rendront inutile l’effort de conception de la politique si elle n’en tient pas compte.
Le mémoire que j’ai soumis à la Commission sur les enjeux énergétiques est tout à fait irréaliste, ciblant une transformation rapide et complète de notre flotte de véhicules en hybrides ou électriques, au fur et à mesure de leur remplacement. Le débat tourne autour d’analyses qui montrent jusqu’à quel point nous sommes confrontés à des situations où bon nombre de décisions en matière de développement paraissent, et aujourd’hui sont, irréalistes. À l’instar de la Commission, l’annonce de sa Stratégie d’électrification des transports cible, en priorité, non pas le bienfait que représenteraient une diminution de notre dépendance du pétrole et une certaine réduction de nos émissions de GES, mais plutôt la possibilité qu’une industrie manufacturière puisse naître de cette initiative. Comme c’est presque toujours le cas, les objectifs environnementaux, qui deviennent de nos jours des enjeux reconnus explicitement même si tardivement par les interventions en faveur d’une «économie verte», doivent s’insérer dans la poursuite du développement économique, de la croissance de l’économie.
Ceci se manifeste dans les chiffres proposés dans le débat concernant la flotte de véhicules québécois. Je retiens la référence de Pineau à 350 000 véhicules ajoutés à la flotte chaque année, mais je me demande s’il ne s’agit pas plutôt du nombre de véhicules remplacés; sur 15 ans, on remplacerait la flotte de 4,5 M de véhicules au complet – sauf qu’il faut bien reconnaître qu’il y aura des augmentations aussi selon les tendances bien en place. Le gouvernement Charest proposait, suivant Pineau et Sansfaçon, d’électrifier 300 000 véhicules pour 2020, ce qui n’aurait été que 10% de la flotte, tout en étant un nombre impressionnant et probablement hors d’atteinte selon une vision réaliste. Le gouvernement Marois, dans la nouvelle Stratégie, ne propose d’électrifier que 12 000 véhicules, nombre dérisoire mais probablement plus réaliste…
En réalité, et contrairement aux orientations gouvernementales, l’intérêt de l’initiative visant l’électrification de la flotte de véhicules n’est pas qu’elle semble verdir l’économie, surtout pas l’espoir que nous développions une expertise mondiale pour la filière manufacturière en cause. L’initiative est une exigence économique en soi. Les économistes Pineau et Sansfaçon, dans leurs contributions au débat, ne semblent pas voir ceci. Ils ciblent une réduction des émissions de GES en priorité mais ne montrent d’aucune façon comment ils voient cela arriver, face aux constats de la Commission sur les enjeux énergétiques. Celle-ci montre que l’objectif de réduction des GES rentre directement dans le modèle économique et sociétal que nous avons et suggère dès le départ que l’objectif est irréaliste.
C’est Blain qui voit ceci de façon claire, dans son calcul des coûts. Électrifier toute la flotte de 4,5 M de véhicules réduirait les dépenses des ménages pour le transport de 6,5 G$ par année. Il suggère par contre que cela libérerait autant pour «oxygéner l’économie intérieure et soutenir la diversité de nos activités économiques productives». Ceci souligne le véritable enjeu de cette initiative, que Blain ne met pas en évidence.
Le Québec sera-t-il en mesure de supporter les coûts du maintien de son modèle des transports actuel, inscrit profondément dans son modèle économique? Est-ce que la transition vers une indépendance du pétrole nous permettra de soutenir le coup des effondrements en cours et à venir dans un avenir de plus en plus rapproché? L’électrification nous mettra peut-être à l’abri de certains soubresauts économiques ailleurs dans le monde, sans pour autant que nous puissions poursuivre l’ensemble de nos «activités économiques productives» qui sont en cause dans ces effondrements.
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