Le tout premier article de mon blogue portait sur l’échec du mouvement environnemental. Deux années d’observation du mouvement alors que j’en étais retraité en raison de mes fonctions comme Commissaire au développement durable m’ont bouleversé. Les engagements quotidiens au sein de Nature Québec et de son prédécesseur l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN pendant 25 ans (et davantage en fonction d’engagements qui remontent aux années 1960) semblent avoir empêché le recul nécessaire pour en faire le bilan.
Le mouvement social face au néolibéralisme pendant les dernières décennies constate plus clairement son échec et se distingue assez clairement ainsi du mouvement environnemental. L’échec est celui de décisions politiques, sociales et économiques, décisions qui peuvent être renversées, reflet d’un phénomène omniprésent dans les sociétés humaines depuis toujours. En contraste, l’échec du mouvement environnemental ne pourra pas être renversé. Pour la première fois, le renversement de nos institutions sociales et économiques devra se faire dans un contexte d’effondrement écologique à l’échelle planétaire. Et en dépit de la reconnaissance des dégâts causés par le néolibéralisme, grand nombre d’intervenants des mouvements social et environnemental sont convertis au discours de l’économie verte; les économistes hétérodoxes quant à eux montrent une énorme difficulté à reconnaître que ce n’est pas que le modèle néolibéral qui est en question, mais le modèle économique de base lui-même. Cette situation, et la dominance du néolibéralisme, complexifient énormément la «transition sociale de la société» vers un modèle résilient et soutenable. Je l’ai décrite dans mon article sur la COP19 de Varsovie comme ciblant une nouvelle société marquée par une profonde sobriété, une société ayant une allure « paysanne » et « villageoise ».
Une récente publication de deux importants acteurs du mouvement social, Louis Favreau et Mario Hébert, cible «une transition écologique de l’économie», expression qui fournit le titre même du document. Le titre du document de Favreau et Hébert suggère en fait que la transition serait celle de l’économie, reprenant le discours et même la conceptualisation de l’économie comme presque une entité indépendante de son lieu d’action, les sociétés humaines. Pour eux, une telle «transition» serait fonction de changements dans le modèle économique, marqués par des transformations fondées sur le respect des contraintes écologiques. Je suis intervenu auprès des économistes hétérodoxes en publiant sir le site d’Économieautrement un autre texte dont l’objectif était de voir ces acteurs importants pour une telle transformation reconnaître la nécessité d’un changement dans les fondements mêmes de la «science» économique. L’ensemble des informations que je mets en évidence sur ce site suggère que ce modèle ne peut pas être transformé, qu’il n’y aura pas une telle «transition» et que, de toute façon, le modèle semble s’approcher d’un effondrement de par ses propres tendances internes.
Il y aura transition, cela paraît assez clair, et cette transition en sera une de la société elle-même, structurée profondément par ses activités économiques suivant le modèle de la croissance. Ce qui est presque encourageant dans l’échec du mouvement social des dernières décennies est que ce mouvement possède les idées, les orientations et même les initiatives susceptibles de marquer la transformation de la société contemporaine. Contrairement à l’argument du livre de Favreau et Hébert et à celui des tenants, plus généralement, de l’économie verte, la transition sera donc une transition sociale de la société et non pas une transition écologique de l’économie. (suite…)
by Lire la suiteLes projets de pipelines pour désenclaver les nouvelles exploitations pétrolières et gazières animent partout les discussions, au sein du mouvement environnemental, mais également de façon plus générale. Je prends Le Devoir du 7-8 décembre pour alimenter une réflexion, en lien avec plusieurs articles déjà publiés sur ce blogue; pour une présentation globale des enjeux, voir la note socio-économique de l’IRIS de septembre dernier.
En effet, alors que tout le monde est au courant maintenant et de façon générale des changements climatiques, sans que cela n’ait le moindre effet sur la prise de décision qui s’impose à leur égard, la compréhension par la société de ce qui est en cause est pleine de failles. C’est finalement une question de nos «émissions de gaz à effet de serre». La provenance de ces émissions, tout en étant complexe, nous ramène presque directement à notre dépendance à l’énergie fossile depuis des décennies. Nous savons que nos autos exigent du pétrole, mais nous ne nous posons pas de questions quant à la provenance de ce pétrole. Nous savons que ces mêmes autos, avec ce même pétrole, sont responsables d’émissions, mais celles-ci sont invisibles. Nous entendons parler des fois de la dépendance de notre agriculture à ce même pétrole, sans vraiment en saisir l’importance de cela.
Nous voilà donc ramenés à des débats que nous pouvons comprendre, histoire de pipelines (et de voies ferrées, une autre histoire) dans notre cour, au cœur de nos villes. Les sources d’approvisionnement du pétrole sont depuis longtemps outre-mer, et Ultramar, pour les gens de Québec, en est presque le symbole et non seulement par son nom. Ils voient les gros pétroliers amarrés au quai de l’entreprise, directement en face de Québec, et ils ont suivi le débat sur le projet de port méthanier à Lévis dont l’emplacement se serait retrouvé à quelques kilomètres plus à l’est. Tout cela les préoccupait et les préoccuppe (plus ou moins) en raison du risque d’accidents sur le fleuve, parce que le pétrole et le gaz qui sont en cause proviennent d’outre-mer par bateau.
Depuis un certain temps, il est question de deux pipelines au Québec (en laissant à d’autres les débats sur Keystone XL et sur Northern Gateway), l’un de Transcanada, l’autre d’Enbridge; il est aussi question d’un lieu d’entreposage du pétrole venant de l’ouest, soit à Lévis soit à Cacouna, ciblé pour un autre port méthanier il y a quelques années. Cela, sans même nous poser de questions sur nos deux raffineries en place depuis des décennies.
Tout d’un coup, nous voilà confrontés à un processus d’exploitation plus près de chez nous, chez nous. Fort probablement, l’accident à Lac Mégantic l’été dernier a allumé les esprits figurativement autant qu’il a mis le feu dans cette communauté-même. Nous sommes devenus un peu plus conscients du fait que le «sang» de notre société coule partout, et non seulement sur le fleuve et sur le sol de pays lointains. (suite…)
by Lire la suiteC’était ma première expérience active à une Assemblée générale annuelle de Nature Québec depuis que j’ai quitté l’organisme pour occuper le poste de Commissaire au développement durable en 2007. J’étais invité à participer à un panel avec l’ingénieur et géologue Marc Durand pour établir un contexte pour la journée de réflexion sur la possibilité que le gouvernement décide d’autoriser l’exploitation (d’abord l’exploration) de gisements de pétrole de schiste sur l’Île d’Anticosti. Plus précisément, mon rôle était de fournir un portrait sur le plan économique des enjeux énergétiques, d’abord global mais ensuite comme cadre pour la réflexion sur le débat québécois. Un deuxième panel a fourni plus de précisions sur les plans biologique et juridique. L’objectif de la journée était d’esquisser lors d’une plénière de fin de journée des orientations pour la mobilisation de l’organisme dans le dossier.
L’expérience m’a ramené à celle vécue en 1979 lorsqu’un groupe d’organismes et d’individus ont pris connaissance de l’intention des gouvernements fédéral (le port) et provincial (les routes) de remblayer une bonne partie du fleuve en face de la Ville de Québec, site de patrimoine mondial et site naturel très important pour la migration des oiseaux. C’était le «dossier des battures de Beauport», et l’expérience a mené à la création de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), aujourd’hui Nature Québec.
L’expérience des décennies qui ont suivi marque mes réflexions dans ce blogue et a marqué ma journée à l’AGA. Après ma présentation en début de journée, je me trouvais plutôt observateur par après. Les participants, en bon nombre, rappelaient par leur motivation et leur engagement l’expérience de l’organisme dans de nombreux autres dossiers au fil des ans. En même temps, je voyais ma propre réflexion sur les origines de NQ devenir plus explicite. Nous le savions, mais de façon moins explicite et évidente: non seulement étions-nous cinq ans trop tard pour changer en profondeur les intentions dans le dossier des battures de Beauport, mais nous nous battions contre des volontés politiques où dominait une orientation prioritaire, le développement économique conçu et mobilisé presque en vase clos par rapport aux enjeux sociaux et écologiques.
Je suis sorti brièvement de mon statut d’observateur lors d’un atelier, pour suggérer que l’ensemble de la mobilisation en train de s’organiser au sein de Nature Québec pour le dossier d’Anticosti semblait répéter l’erreur de 1979. Le gouvernement a déjà établi ses orientations prioritaires, et celles-ci comprennent la volonté de foncer dans les dossiers énergétiques. Les orientations se trouvent dans les lignes directrices du ministère du Conseil exécutif élaborées pour encadrer le processus de planification stratégique du gouvernement (curieusement, le document ne semble plus se retrouver en ligne). On y trouve l’intention de continuer à développer les sources d’énergie «propre» (en dépit des surplus importants actuels reconnus) et à cibler une «indépendance énergétique» à l’égard des énergies fossiles, cela «par l’utilisation [dans les transports] de l’électricité et de carburants du Québec». Le document de consultation pour la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec qui est sorti plus tard tient compte explicitement de ces priorités, y compris le développement du potentiel d’énergie fossile sur le territoire du Québec. J’ai déjà critiqué cette approche servile que nous ne verrions pas dans le cadre d’une consultation du BAPE, et j’ai mis ma critique en forme dans les premières pages de «mémoire». On peut penser que l’éventuelle politique énergétique visée est déjà connue dans ces grandes orientations; la consultation va comporter assez d’intervenants ayant des intérêts économiques pour annuler l’apport de propositions insistant sur la reconnaissance d’autres enjeux et permettre à la politique de respecter les grandes orientations du gouvernement déjà établies.
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