Plus je prends du recul, plus je vois le poids du modèle économique tout au long de l’histoire du mouvement environnemental et de son échec. C’est dit seulement en passant, on dirait, mais le bout de phrase de l’éditorialiste du Devoir Jean-Robert Sansfaçon cité en titre – «La commission sur les enjeux énergétiques du Québec n’est pas un quelconque groupe de militants environnementalistes» – n’en révèle pas moins la lourdeur de la pensée. En dépit de décennies d’interventions qui ont été bien orientées et fondées sur les travaux des experts, le mouvement environnemental n’a pas de crédibilité fondamentale, même auprès de personnes assez sensibles à leurs revendications dans un contexte non prioritaire. On les reconnaît, mais on sait que les experts sont plus crédibles, surtout s’ils sont économistes.
Sansfaçon note que «l’argumentation développée dans le rapport n’est pas nouvelle. En fait, elle rejoint même les lignes de force de la Politique énergétique adoptée en 1996, mais qu’on a laissée tomber au profit du clientélisme électoral régional». Sansfaçon ne connaît probablement pas la profondeur de l’implication des groupes «environnementalistes» dans la décision de tenir une consultation sur la question, et dans le contenu final de cette politique.
Dès le début de son éditorial, Sansfaçon souligne qu’en dépit de la qualité de ses propositions, «à n’en pas douter, il n’en sera rien» de ces orientations dans la rédaction de l’éventuelle politique énergétique. Comme disait la rédactrice en chef du journal la veille, «ainsi va la vie politique, où vision d’avenir et méthode pour la concrétiser s’allient trop peu souvent».
Finalement, les deux journalistes constatent ce que les environnementalistes constatent depuis des décennies, que les décideurs politiques ne prennent que rarement leurs décisions en fonction d’une vision de ce qui est nécessaire, mais en fonction d’enjeux politiques. Ce que l’on doit ajouter à ce constat est que les décisions politiques sont prises en priorisant les intérêts économiques par rapport aux enjeux environnementaux – et les enjeux énergétiques sont éminemment environnementaux, comme les militants environnementalistes le savent depuis très longtemps.
Finalement, l’éditorial de Sansfaçon met en évidence deux facettes du même modèle ; dans un cas, l’activité économique et les emplois qui en découlent priment, dans l’autre, c’est le bilan comptable du budget de l’État. Les deux sont évidemment très importants, mais l’incohérence manifeste entre les deux montre les failles dans le modèle économique qui nous guide et, dans les deux cas, les objectifs des «militants environnementalistes» sont relégués presque à l’oubli.
Dans le cas présent, Sansfaçon constate que ces deuxièmes intérêts économiques – les dépenses inutiles pour produire de l’énergie alors que nous serons déjà en surplus pour un avenir prévisible – cèdent aux premiers. Il reste à espérer qu’un jour l’un et l’autre de ces approches économiques intègrent les exigences environnementales de plus en plus pressantes. À n’en pas douter, il n’en sera rien.
À VENIR: Des réflexions sur le rapport, plutôt que, comme ici, sur les vrais enjeux…
NOTE : M. Sansfaçon n’est pas à sa première indication de doutes quant aux compétences des groupes écologistes. En septembre 2012, il est intervenu en simple journaliste, rare depuis qu’il a pris sa retraite, pour émettre des doutes quant aux nominations d’anciens militants à des postes de ministre. «Confier la responsabilité de l’avenir énergétique, des forêts, des mines et même d’Hydro-Québec à d’ex-dirigeants d’organisations comme le Parti vert et Eau Secours !, il y a de quoi rendre nerveux !».C’était un peu curieux qu’il n’ait pas noté pas que Martine Ouellet avait travaillé à un poste intermédiaire à Hydro-Québec depuis des années, en plus d’être à Eau Secours !,, pour ne prendre que cet exemple. Je me suis permis d’intervenir auprès de M. Sansfaçon avec une lettre ouverte pour critiquer ce préjugé. La lettre soulignait par ailleurs une certaine absence de perspectives dans l’article par rapport aux défis en cause.
by Lire la suiteJe n’étais pas pour en parler, mais finalement, l’éditorial de Bernard Descôteaux dans Le Devoir samedi dernier me paraît trop important pour ne pas le faire. En fait, il s’agit de l’adhésion d’encore un autre membre de l’élite journalistique du Québec au manifeste faisant la promotion de l’exploitation pétrolière. Il ne manque que les forages prévus pour déterminer si l’exploitation serait «rentable». Bien sûr, à la fin de l’éditorial, comme dans le manifeste, Descôteaux insiste qu’il faut se poser des questions sur le plan environnemental, mais ceci représente l’approche maintenant vieille de plusieurs décennies : on va procéder à l’exploitation, si c’est rentable, et il faudrait connaître les enjeux environnementaux pour les gérer selon «de hauts standards de protection de l’environnement».
Ce qui est déroutant est de voir encore une autre manifestation de l’inconscience de notre élite économique, politique et journalistique quant aux coûts réels de nos activités. La rentabilité possible est strictement, à ses yeux, à leurs yeux, une question économique, et ils ne réalisent tout simplement pas que les bilans économiques ne tiennent pas compte d’un semble de passifs tout aussi réels que les actifs. Comme j’ai calculé dans mon livre sur l’IPV, le coût de nos émissions cumulatives de gaz à effet de serre était 45$ milliards en 2009, et augmentera d’autant d’ici 2020 pour atteindre 90$ milliards.
C’est mystifiant de voir comment le message de 2009 de Stiglitz, Sen et Fitoussi dans leur rapport critique du PIB comme mesure de progrès reste sans aucune application dans le concret, sans aucune reconnaissance par les décideurs que c’est un mauvais indicateur pour nos besoins décisionnels. J’avais écrit un petit texte de commentaire pour Le Devoir, mais d’abord il était trop long et a été rejeté; par la suite, ramené à la longueur acceptable, il était rejeté de nouveau pour des raisons que je ne connais pas – je le mets donc ici. J’ai coupé dans la deuxième version un paragraphe qui faisait le lien entre les projections de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke sur les enjeux budgétaires du Québec pour les prochaines décennies et la pensée derrière la recherche de données sur la rentabilité de l’exploitation pétrolière. Finalement, il y a toutes les raisons de croire que le gouvernement Marois – comme les autres partis à l’Assemblée nationale, à l’exception de Québec solidaire – réalise que nous sommes devant des crises sur le plan fiscal et budgétaire, et voit le rêve d’un état pétrolier comme moyen de ne pas perdre du sommeil là-dessus.
NOTE : Le même jour que je publiais cet article, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP) a rendu public le Rapport synthèse du Comité de l’évaluation environnementale stratégique sur le gaz de schiste déposé en janvier 2014. Il est déjà curieux de voir que l’on pense toujours approprié d’identifier un effort de fournir une vision des enjeux stratégiques globaux du développement dans un économique comme une «évaluation environnementale». Sachant que l’initiative est parrainée par le ministère de l’Environnement, on comprend d’emblée que nous sommes encore dans une tradition où un tel effort n’est pas considéré comme vraiment économique, et on peut presque conclure qu’il n’a pas non plus le sérieux d’une analyse ou une étude économique.
Le Rapport porte son attention sur le résultat de l’analyse de ces enjeux stratégiques dans l’avant dernier chapitre 15 , intitulé «La pertinence socioéconomique de l’exploitation du gaz de schiste». Ses trois dernières sections portent sur les questions de la rente, de l’analyse avantages-coûts et des retombées économiques. Normalement, ces questions sont traitées en tout premier lieu, comme dans le manifeste pour le pétrole, comme dans l’éditorial de Descôteaux. Au tout début du chapitre, et encore en contraste avec l’approche habituelle, le document distingue entre la rentabilité pour les entreprises et la rentabilité pour la société (p.210). Rendu à la présentation de l’analyse avantages-coûts (AAC), le Rapport conclut : «L’AAC de l’exploitation du gaz de schiste doit se concentrer sur les avantages et les coûts pour la société québécoise prise dans son ensemble. De surcroît, les externalités doivent également être monétarisées et incorporées à l’analyse» (221). L’exercice l’amène au constat que, «dans le contexte actuel, compte tenu du prix du gaz naturel sur le marché nord-américain, du niveau des redevances en place et de l’inclusion du carbone dans les coûts, … du point de vue de la valeur sociale, le contexte n’est pas favorable au développement de la filière au Québec» (224). À voir pour le pétrole…
NOTE: Le 20 février, dans sa chronique «Québec: Penny Stock» dans Le Devoir, Gérard Bérubé revient sur la question de la rentabilité commerciale d’une exploitation pétrolière à Anticosti. Comme je fais plus haut, il attribue la décision du gouvernement de procéder trop rapidement dans le dossier du pétrole à sa reconnaissance de contraintes budgétaires à venir de plus en plus importantes et nécessitant un nouveau regard sur la situation, où les revenus vont manquer. Il souligne, comme Marc Durand et d’autres, que les milieux d’affaires n’y voient pas un intérêt commercial, à juger pour leurs faibles parts dans les actions de Pétrolia et de Corridor Resources. Il va un peu plus loin que Descôteaux dans son éditorial de samedi en soulignant que, «si un jour, très lointain, la faisabilité économique était démontrée, il faudrait penser à toute cette infrastructure d’extraction, de transport, de transformation et de récupération des résidus et déchets que l’opération nécessiterait» – cela après avoir inclus une prise en compte des risques environnementaux et une série d’autres composantes de l’évaluation préliminaire.
Et il n’ajoute même pas ce que le Rapport synthèse du Comité de l’évaluation environnementale stratégique sur le gaz de schiste a mis en évidence cette semaine – une première, je crois – , soit la nécessité d’inclure dans le coût celui du carbone associé aux émissions qui découleraient de l’exploitation. Dans mon livre, j’estime ce coût à 22$ la tonne, alors que le Comité, citant des études américaines récentes, propose 46$ la tonne, soit la différence entre les bornes inférieures et supérieures fournies par le gouvernement canadien en 2007 – la borne supérieure de 2007 est devenue la borne inférieure en 2014…
by Lire la suiteDans mon texte sur l’échec du mouvement social, je mets un accent sur l’adhésion des leaders de ce mouvement au discours sur l’économie verte. Suivant les économistes hétérodoxes, dont les orientations rejoignent les leurs, ces leaders cherchent aujourd’hui à intégrer dans leurs interventions une prise en compte des défis écologiques. Arrivant à ceci plutôt récemment, ils semblent voir dans le discours sur le développement durable, transformé après un quart de siècle dans un discours sur l’économie verte, la bonne voie. Ils reprennent ainsi les objectifs du mouvement environnemental sans réaliser que celui-ci les proposent depuis des décennies.
Bruno Massé a fait un article sur cette problématique dans le Huffington Post en décembre, citant mon entrevue avec Éric Desrosiers dans Le Devoir, et des interventions de David Suzuki que j’ai déjà citées dans le texte sur l’échec du mouvement social, comme point de départ. Il poursuit en insistant sur la dérive que constitue le développement durable – et maintenant l’économie verte. Selon son analyse, c’était un contrat faustien où le mouvement environnemental a vu la chance d’influer plus directement sur les causes des crises, les intervenants des milieux économiques, mais en cédant leurs principes. Massé trouve que c’est ce contrat qui est à l’origine de l’échec aujourd’hui constaté par plusieurs et il a probablement raison que c’était, finalement, une mauvaise piste. Aujourd’hui, «la dissonance cognitive a atteint son paroxysme et le mouvement n’a plus le choix, il doit s’éteindre ou devenir autre chose», conclut-il. Et il promettait de revenir avec ses propres pistes.
Il tient sa promesse dans un deuxième article paru le 2 février dans le même Huffington Post. Il y propose «quatre pistes de réflexion pour un mouvement environnemental efficace, solidaire et mobilisant». Le première est l’adoption d’une «realpolitik écologiste», qu’il associe à une «stratégie qui s’appuie sur le possible, négligeant les programmes abstraits et les jugements de valeur, et dont le seul objectif est l’efficacité». C’est étonnant de voir cette première proposition, qui suggère que les décennies d’action du mouvement environnemental marquaient des efforts dans l’abstrait, et non dans la recherche du possible. Pourtant, cela est précisément son analyse du contrat faustien où le mouvement environnemental a cherché à paraître «réaliste» dans l’espoir de pouvoir négocier avec les milieux économiques et politiques. Il distingue son realpolitik d’une «conception de ce qui est viable politiquement et intéressant pour les médias de masse, plutôt que ce qui est nécessaire au sens réel»; il attribue cette conception au mouvement environnemental et l’appelle une approche abstraite. À la place, il faut des propositions qui sont «proportionnelles aux problèmes». Il m’est impossible de voir comment il pense que cela représente le «possible».
Sa deuxième piste est la création d’une alliance avec les luttes sociales. Ici je le rejoins, au point où j’y vois quelques chances pour s’adapter aux effondrements qui viennent (mais à noter les commentaires sur mon blogue qui soulignent l’énorme défi que cela représente). «Une fois les causes environnementales et sociales unies, il devient possible de passer d’une position défensive (la résistance) à une position offensive (la transgression)», dit-il. Il est probablement vrai que le mouvement environnemental a trop mis un accent sur les enjeux écologiques en laissant à d’autres les causes sociales, mais de la même façon, le mouvement social a laissé aux environnementalistes le soin de mener les batailles pour la sauvegarde des écosystèmes. Ce dernier mouvement montre une naïveté face aux défis en cause, maintenant qu’il en est beaucoup plus conscient, beaucoup trop tard. Massé semble rejoindre cette naïveté en suggérant que la combinaison d’offensives sociales et écologiques – ni l’un ni l’autre des mouvements n’a été restreint à des approches défensives, comme Massé suggère – est dans le domaine du realpolitik.
La troisième piste de Massé est la construction d’un contre-pouvoir effectif, c’est-à-dire «tangible, matériel, immédiat dans le temps et l’espace». La faiblesse de cette piste se manifeste dès l’énoncé, alors que Massé suggère que des décennies de sensibilisation ont réussi et qu’il ne reste que des «résistances au changement» à combattre, dont le déni et la récupération du message. Encore une fois, Massé quitte son analyse du premier article et rentre dans un discours d’une extrême simplification. Il a probablement raison que les personnes au sommet de la hiérarchie ne peuvent pas être rejointes – je le constate depuis trop longtemps déjà – , mais il ne semble pas voir que le public est justement à des décennies de comprendre les efforts de sensibilisation du mouvement environnemental – et les décideurs le savent. Il reste lui-même dans l’abstrait en insistant que «le pouvoir effectif est incontournable» et en suggérant qu’un réseau de «solidarité démocratique, tangible, réelle, qui peut se manifester physiquement dans l’espace» est un moyen de mieux poursuivre le changement de paradigme nécessaire. Reste que le Jour de la Terre 2012 semblait offrir un potentiel en ce sens que tout le monde a manqué. J’ai commenté le manque de leadership qui était en cause.
Finalement, la quatrième piste de Massé représente sa reconnaissance de «la lutte pérenne contre le désespoir» ressenti par nous qui constatons les échecs. «Être écologiste, c’est prendre conscience de l’aliénation de l’espèce humaine avec son habitat». Pour éviter les pièges d’un tel positionnement, Massé souligne la nécessité de créer des «milieux sains, démocratiques et non discriminatoires». Il faut que les militant-e-s se permettent une vie humaine à travers leurs engagements, décourageants dans leur manque de succès. Comme il dit, «il tient de fixer des buts signifiants qui peuvent être remplis de façon satisfaisante». Encore une fois, je rejoins Massé dans cette façon de voir, ayant fait trois biographies différentes pour mon blogue, dont une qui représente mon insistance de rester en contact avec cette nature merveilleuse qui motive mes engagements.
Le problème, et Massé vient proche de le dire, est que voilà, cela représente non pas une piste pour passer outre les échecs, mais bien plutôt le constat des échecs dans un certain calme, en recherchant même un certain plaisir. J’ai essayé de me situer plus profondément dans ce désir humaniste de rester avec un certain contrôle, tout en reconnaissant le déclin en cours, avec mon petit texte «Mouches», écrit au moment où je quittais mon bureau de Commissaire au développement durable. Plus je pense à ce que je constate au fil des écrits dans ce blogue, plus je reviens à mon constat de base, que c’est Socrate qui est mon mentor, celui qui s’est décrit dans sa «profession» comme une mouche à cheval. Le cheval a finalement eu raison de lui, mais seulement après une longue vie pleine de l’expérience humaine. Je m’espère la même chose, même si, seulement dans les dernières semaines, au moins trois ou quatre de mes efforts de piquer le cheval sont restés confrontés à un silence assourdissant.
On sens que Massé est lui-même inconfortable avec le constat d’échec, mais son effort de maintenir un «optimisme opérationnel» comporte autant de dérapages que le mien dans la préparation d’un livre où chaque chapitre présentera un monde possible, mais incohérent avec les possibilités du realpolitik – en dehors de crises.
by Lire la suiteJ’ai décidé de lancer ce blogue en m’appuyant sur les travaux du Club de Rome de 1972, travaux qui marquaient de façon claire les objectifs du mouvement environnemental dans son ensemble. Il s’agissait d’éviter les effondrements qui viendraient si l’humanité ne réussissait pas à intégrer le respect pour le maintien des écosystèmes dans la poursuite de son développement. L’intérêt n’est pas ne prétendre que l’ensemble de ce travail représente des prédictions précises, mais d’insister plutôt sur l’approche globale permise par l’analyse de systèmes qui marquait le travail. Les auteurs ont réuni dans leur modèle une multitude de relations entre les différentes composantes de notre développement, et c’est cette perspective intégrée sur la dynamique des systèmes complexes et inter-reliés qui importe. Le modèle des auteurs reflète l’ensemble des problématiques marquant les interventions du mouvement environnemental au fil des ans, cela en interaction avec les enjeux économiques et sociaux dont elles ne pouvaient pas faire abstraction.
J’ai donc lu le livre 2052 : A Global Forecast for the Next Forty Years de Jorgen Randers – un des auteurs du livre de 1972 – dès sa sortie en 2012, année du 40e anniversaire de la publication de Limits to Growth et publié par la même maison d’édition qui a publié les deux mises à jour de l’ouvrage en 1992 et 2004. La couverture du livre de Randers note qu’il est un «rapport au Club de Rome lors de la commémoration du 40e anniversaire de la publication de Limits to Growth», et Randers remercie le Club de Rome à l’intérieur pour avoir reçu chaleureusement le livre comme un rapport au Club de Rome, comme partie de la commémoration. Rien ne suggère qu’il s’agit d’un rapport commandité par le Club de Rome. C’est bien plutôt une initiative de Randers. Par ailleurs, j’étais frappé de voir sortir le livre par un seul des auteurs de l’ouvrage d’origine après trois publications signés par l’ensemble, et je présumais dès le départ que Dennis Meadows, chef d’équipe pour le groupe de 17 chercheurs qui ont fait le travail pour la publication de 1972, avait été consulté et n’était pas d’accord. Meadows a maintenu publiquement son adhésion aux projections de 1972 pendant cette même année anniversaire. J’ai même pu le rencontrer lors d’un colloque en 2012 où il manifestait clairement ses inquiétudes, en mettant un accent sur les enjeux financiers de la crise.
Pierre-Alain Cotnoir demandait tout récemment mon opinion du livre, qui se distingue du livre de 1972 en proposant une prévision de ce qui va se passer durant les 40 prochaines années. Ayant suivi l’évolution du «dossier» depuis 40 ans, je voulais bien voir comment Randers procédait pour extensionner de peut-être 20 ans l’inflexion des courbes signalant des effondrements dans les différents systèmes planétaires, écologiques, économiques et humains. Même en consultant le fichier Excel mis à la disposition des lecteurs (comme j’ai fait pour mon livre de 2011…), je n’arrivais pas de façon satisfaisante à bien saisir ce que Randers a changé dans les fondements et dans les projections; en fait, il procède d’une autre façon, avec un autre modèle.
Nous n’avons pas facilement accès à l’ensemble des décisions prises par les auteurs de Limits pour permettre les projections faites par leur modèle, World3, mais ils étaient obligés de procéder de la même façon que Randers, avec des jugements quantifiés sur chacune des composantes de leur modèle quant à son comportement dans l’avenir ciblé, jusqu’en 2100. Randers refait l’exercice, explicitement, et c’est le défi que représente la lecture du livre que d’analyser cet ensemble de jugements. Pour l’aider dans son évaluation, Randers a fait appel à 41 spécialistes dans une multitude de domaines en leur demandant de brosser le portrait des 40 prochaines années, selon leur compréhension de ce qui va se passer. Leurs courts textes s’insèrent tout au long du livre et Randers les commente, dès fois étant d’accord, des fois soulignant quelques désaccords. Ses commentaires proviennent de sa propre analyse de la situation, qu’il rend plutôt explicite dans la deuxième partie du livre et qui ne dépend pas de ces textes. (suite…)
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