Autant il peut être facile de dresser des portraits du passé, autant il est difficile d’en dresser de l’avenir. Une collaboration entre L’actualité, le Regroupement des jeunes chambres de commerce et la Fondation Chagnon a permis de créer récemment un Indice québécois d’équité entre les générations (IQÉG). Le numéro de mars de L’actualité en a fait le dossier de la page couverture et de l’éditorial.
Comme ces sources l’indiquent, les responsables ont formé deux comités de sages, un de jeunes et un de vieux, pour leur permettre d’obtenir des points de vue assez variés sur la question (j’ai été invité à participer à ce deuxième comité). Les échanges ont porté entre autres sur les différents indicateurs dont l’IQÉG va tirer ses données. Finalement, l’IQÉG dans sa première version est un indice synthétique avec 27 indicateurs, jugés de valeur égale, et dont aucun n’est vraiment capable d’influer sur le résultat global de façon importante. L’Indice fournit un portrait de la question l’égalité intergénérationnelle pour la période 1976-2011.
Il n’y a pas de table des matières pour le document de base, mais celui-ci comporte à la fin (pages 67-79) une sorte d’annexe touchant la soutenabilité de ce que l’Indice cherche à suivre. L’analyse porte sur quatre enjeux: le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources naturelles; la dette publique; les finances publiques à l’avenir; l’épargne pour la retraite. Les concepteurs de l’IQÉG n’ont pas trouvé le moyen d’inclure ces enjeux directement dans l’Indice, mais ils reconnaissent leur importance pour un portrait complet, incluant des perspectives d’avenir.
L’indice, comme voulu, présente donc un portrait assez intéressant des relations entre les jeunes de 25 à 34 ans et les autres parties de la population pendant une période à peu près équivalente à une génération. Sur cette période, il y a eu une progression assez positive à partir d’un creux autour de la récession de 1991-1992.
Probablement l’indicateur le plus frappant de l’ensemble est l’Indice 21 portant sur le taux de satisfaction générale à l’égard de la vie chez les 25-34 ans. Celui-ci transcrit les résultats de l’Enquête sociale générale de Statistique Canada conduite 8 fois pendant la période, résultats qui montrent un déclin presque constant depuis 1990, et presque l’image à l’envers de celle fournie par l’Indice lui-même. En dépit des tendances globales suggérées par l’IQÉG, qui suggère une amélioration plutôt constante dans la position des jeunes, ces enquêtes montrent une grande inquiétude de ces mêmes jeunes face à leur avenir.
Voilà le défi, et le dilemme, qui sont associés à ce nouvel indice. Il fournit un portrait assez satisfaisant de la situation des jeunes par rapport aux autres couches de la société, et la mise en évidence des 27 indicateurs constitue un intérêt principal de l’indice, qui regroupe et met en relation ainsi un ensemble d’enjeux souvent traités en isolation.
Déjà, pour ces indicateurs, les données n’étaient pas toujours facilement disponibles; pour ce qui est des fondements de toute société, les écosystèmes et les ressources dont elle dépend, l’absence de données était encore plus marquée, comme j’avais bien découvert lors du travail pour mon livre sur l’Indice de progrès véritable (IPV). Les trois indicateurs touchant l’environnement dans l’Indice se noyent dans l’ensemble, pour ce qui est de leurs indications.
Pour l’économie écologique, une telle approche aurait été défaillante de toute façon. Les enjeux pour la civilisation actuelle ne peuvent être conçus comme une sorte d’équilibre entre les facteurs environnementaux, sociaux et économiques, comme on entend souvent lors de discours sur le développement durable. Notre avenir comme société sera fonction d’écosystèmes en santé et de ressources naturelles disponibles en quantités suffisantes pour répondre aux besoins de l’humanité.
Seulement au Québec, pendant la période couverte par l’IQÉG, la population s’est accrue de 27%, soit 1 669 000 millions de personnes, dont la satisfaction des besoins exige et exigera davantage de tout par rapport à la population antérieure. C’est la situation que ceci suggère, reflet de celle à l’échelle planétaire, qui fournit le contexte pour l’annexe de l’IQÉG sur la soutenabilité. Ce n’est pas l’absence de données pour la création de suffisamment d’indicateurs pour l’indice qui est en cause, mais la dépendance des indicateurs eux-mêmes à des phénomènes de fond qui doivent être identifiés séparément pour avoir une idée de la capacité à maintenir les tendances à l’avenir. L’IPV se bute à une situation analogue : partant des «dépenses personnelles» du PIB comme base, ses composantes corrigent les indications de ce dernier mais reste dans la situation de surconsommation fondamentale que le PIB ne cherche pas à évaluer: les «dépenses personnelles» en causent s’appellent également la «consommation» dans le discours économique. Seul le recours à un indicateur comme l’empreinte écologique permet de ramener le tout à la réalité.
Les concepteurs de l’IQÉG portent leur attention dans la réflexion sur la soutenabilité sur les quatre enjeux qu’ils jugent particulièrement importants et identifient les deux premiers comme cruciaux, même si séparément il ne semblerait pas y avoir de problème (en termes d’un calcul surtout monétaire concernant l’impact sur le revenu futur des jeunes).
Ils font référence aux travaux de l’équipe de Luc Godbout de la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke pour cerner de sérieux problèmes pour les finances publiques dans un avenir assez rapproché. J’avais déjà analysé ces travaux, soulignant leurs liens avec le modèle économique qui ne tient pas compte des externalités. En ajoutant le coût de ces externalités, suivant mes travaux sur l’IPV, l’envergure de ces problèmes sérieux est doublée. L’article dans L’actualité cite Godbout :
Je ne veux pas avoir l’air de tenir des propos apocalyptiques, pour ne pas paralyser les décideurs et leur donner l’impression qu’il n’y a rien à faire. Mais si les gouvernements ne prennent pas des mesures maintenant pour faire face au problème et qu’ils continuent de gérer à la petite semaine, année après année, pour résorber les déficits, les prochaines générations devront payer plus d’impôts pour obtenir moins de services.
Non seulement ses travaux sont-ils justement dramatiques, mais l’ajout fourni par mes calculs, où les coûts des changements climatiques dominent, l’obligerait bien à admettre qu’ils sont en effet catastrophiques.
À cet égard, une autre sorte de graphique peut être lue pour refléter ce qui semble être presque de l’angoisse chez les jeunes. Il s’agit de la pyramide des âges, la distribution de la population par tranche de 5 ans. L’image est bien connue, l’enflure ici dans la partie supérieure de la pyramide ayant déjà été comparée à la proie d’un python traversant la longueur du corps de ce dernier. Il s’agit des tranches de la population représentées justement par les babyboomers, cette cohorte à la vie insoutenable dont la naissance a suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale. La figure présente un portrait qui couvre implicitement tout un ensemble de facteurs fondamentaux dans l’effort de cerner l’équité intergénérationnelle – en fait, la soutenabilité ou non du phénomène suivi par l’IQÉG.
L’enflure, l’énorme accroissement de la population partout sur la planète pendant cette période entre 1946 et 1964, coïncide avec un accroissement correspondant des ressources consommées par ces mêmes populations, ainsi que de celui des impacts de cette consommation, de cette activité économique et sociale, sur les écosystèmes de la planète.
L’IQÉG, l’article de L’actualité et les travaux de Godbout et al soulignent le coût de la baisse de natalité dans les générations suivant les babyboomers et du «vieillissement démographique»; ces phénomènes auront un impact direct et majeur sur bon nombre des indicateurs du nouvel Indice. Vue en fonction de la question de la soutenabilité non résolue par l’IQÉG, la pyramide des âges dans les sociétés riches comme la nôtre montre la voie en soulignant la nécessaire réduction de la population et de sa consommation de ressources et des impacts sur les écosystèmes planétaires.
Justement dans mon article sur les travaux de Godbout sur les finances publiques, je présente deux autres pyramides des âges, l’une celle de la Corée du Sud, similaire à la nôtre, mais la deuxième celle du Territoire palestinien occupé, qui reste toujours une simple pyramide d’où est totalement absente l’inflexion correctrice de la surpopulation. Ce type de pyramide est celui de la plupart des pays pauvres encore aujourd’hui.
Contrairement à la quasi unanimité des commentateurs, le phénomène du vieillissement démographique qui marque notre société est probablement celui qui donne le plus d’espoir pour l’avenir de la société québécoise. Nous savons déjà que le portrait fourni par l’IQÉG n’est pas soutenable – nous sommes bien trop loin pour pouvoir maintenir les tendances tracées par l’IQÉG, mais au moins la survie devient plus gérable ainsi.
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Et qu’en est-il de la population japonaise vieillissante ? Comment fait-elle face à ce phénomène ? Qu’en sera-t-il de son avenir – d’un point de vue démographique – en regard de sa faible entrée d’immigrants dans sa population ?