Le nucléaire au Québec?

Il y a une vingtaine d’années, le Conseil d’administration de l’organisme que je présidais était confronté à la décision d’accepter ou non un financement venant de l’industrie nucléaire. Par principe, j’étais opposé – les enjeux des déchets de cette industrie sont très importants, et non gérables. Finalement, j’étais le seul à voter contre. Cette situation me rappelle celle où je me trouve aujourd’hui, dans un cadre beaucoup plus large. L’humanité est rendue à une situation où elle n’est plus capable de gérer l’ensemble de ses impacts sur la planète, et sa survie même est à risque.

Ceci est finalement le thème principal de mes articles sur ce blogue, partant de mon constat de l’échec des mouvements environnemental et social au fil des décennies. Suivant les données qui alimentent une mise à jour des projections de Halte à la croissance, nous nous dirigeons vers un effondrement, et l’important est de nous préparer pour celui-ci le mieux possible, sans prétendre poursuivre comme si nous avons encore des décennies pour corriger le tir.

C’est dans ce contexte que je réagis à la consultation par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur les enjeux de la filière uranifère au Québec. Le mandat de la Commission qui mène l’enquête est assez clair, suivant le titre du document préparé pour le BAPE dans le cadre de cette enquête : Étude sur l’état des connaissances, les impacts et les mesures d’atténuation de l’exploration et de l’exploitation des gisements d’uranium sur le territoire québécoisCe document centre son analyse sur l’exploration et l’exploitation de gisements d’uranium, soit sur les activités minières «en amont» de l’utilisation de l’uranium à des fins énergétiques, médicales ou militaires. On pourrait se permettre de croire que cette restriction – il n’est pas question d’ouvrir le dossier de la production au Québec d’électricité à partir de matière fissible – limite assez sévèrement les enjeux en cause. En effet, les impacts des activités minières associées à la filière uranifère sont beaucoup moins préoccupants que ceux associés à la production d’énergie, ou à la gestion des déchets provenant des centrales. On n’a qu’à regarder Fukushima pour en avoir une idée.

Nous avons toutes les raisons de croire que le BAPE, ou sinon le gouvernement qui en recevra son rapport, jugera que l’exploration et l’exploitation de l’uranium pourront se faire en insistant sur des précautions. C’est l’histoire du mouvement environnemental que de voir de telles décisions se prendre et de constater que les précautions ne sont pas prises, ou s’avèrent inadéquates. Je n’ai finalement pas l’énergie morale d’embarquer dans encore un autre débat du genre, et je ne crois pas que c’est pertinent. C’est la Coalition Québec meilleure mine qui mène le bal, et tant mieux.

Hausse de prix, perte de bien-être

Je prendrai l’exemple de l’exploration et de l’exploitation du pétrole non conventionnel pour asseoir ma réflexion sur la position que je crois qu’il faut prendre face au nucléaire, en ciblant les sables bitumineux. Ceux-ci, source plutôt incontestable de presque toute la croissance économique au Canada qui vaille mention, représentent la fin d’une époque, celle où nous avons eu accès à une énergie fossile plutôt accessible et bon marché. ÉROI HallLes sables bitumineux ne sont ni facilement accessibles (les pipelines dont il est question dans l’actualité de tous les jours n’en sont qu’un indicateur parmi d’autres) ni bon marché. En effet, les énergies non conventionnelles se distinguent par le fait que leur rendement énergétique est très faible (environ 5) par rapport aux énergies conventionnelles. Ceci résulte du fait que d’énormes quantités d’énergie sont requises pour extraire des gisements l’énergie voulue dans la forme voulue et la rendre à ses consommateurs finaux. Dans le cas des sables bitumineux, l’énergie rendue pour l’énergie investie (ÉROI) est sous le seuil de ce que les économistes biophysiques considèrent comme le minimum nécessaire pour maintenir notre civilisation (voir la figure, à grossir en cliquant dessus).

Notre civilisation est toujours alimentée en grande partie par les énergies fossiles conventionnelles, et nous ne voyons donc pas encore l’impact du changement de paradigme représenté par les énergies non conventionnelles. Le pétrole conventionnel a aujourd’hui un ÉROI d’environ 17 (c’était 100 il y a 80 ans) et il n’est pas trop difficile à imaginer la situation avec un ÉROI qui frôle le 5… Le principe de précaution et la prudence nous disent qu’il serait sage de nous sevrer de notre dépendance pendant que c’est encore le temps, avant de dépendre plus ou moins exclusivement de pétrole non conventionnel comme celui fourni par les sables bitumineux.[1]

Bref, avec les sables bitumineux, nous pouvons déjà voir la situation qui définit la fin d’une époque où l’énergie était accessible et bon marché, une situation où nous serons obligés de mettre beaucoup plus de nos ressources directement dans la production de notre énergie et beaucoup moins dans tout le reste. C’est la recette de la catastrophe projetée par le Club de Rome en 1972.

Se sevrer du non gérable

Hausse de prix, perte de bien-être

Le nucléaire nous fournit une situation qui, dès le départ, nous confronte à la non gérable, en raison de ses déchets radioactifs tout au long de son cycle de vie, y compris lors des activités minières. Nous savons que l’énergie nucléaire est hors de prix, ce que nous savions même quand les gouvernements en assumaient la couverture d’assurance. Nous la savons aussi possédant un ÉROI au même niveau que celui des sables bitumineux, bien trop bas pour soutenir notre civilisation lorsque celle-ci doit compter avec soin sur le rendement de l’ensemble de son approvisionnement énergétique, qui n’est plus accessible et bon marché pour l’ensemble. Ces aspects du portrait devraient suffire pour nous amener à une approche de précaution et de prudence, de prévoir que le nucléaire n’a pas d’avenir et de nous retirer de toute dépendance économique à la filière, dans une perspective globale et mise à jour par rapport à ma position de principe prise dans les années 1990 (et avant).

Je puis bien m’attendre quand même à des décisions gouvernementales allant dans le sens de mon conseil d’administration il y a quelques décennies, suivant le modèle économique dominant, même si celui-ci est maintenant clairement dépassé par les événements. Mais je me dis que cet autre aspect, unique en son genre, qui fait que les impacts des déchets de l’énergie nucléaire durent des milliers d’années, pourrait faire pencher la balance dans l’autre sens.

 

[1] Il est à noter que le charbon a un ÉROI d’environ 60, et nous pouvons toujours essayer de nous imaginer la vie soutenue par le charbon. Voilà ce qui rend dramatique le fait que l’ÉROI, déjà un indicateur préoccupant, ne tient pas compte des impacts environnementaux. Le charbon (avec l’ensemble des énergies fossiles non conventionnelles) est la pire source d’émissions de gaz à effet de serre et donc des changements climatiques.

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1 commentaire.

  1. Malheureusement, il faut s’attendre à encore plus de décisions dictées par les seuls intérêts cupides à courte vue. Autrement dit, l’appât du gain va encore prédominer au sein de l’oligarchie dominante. Celle-ci, myope, n’a comme instruments de mesure que le rendement trimestriel et l’échéance électorale. Dans un livre faisant jaser au sein du ROC, The Big Shift, les auteurs énoncent une prévision bien simple: la classe moyenne, celle qui peuple les banlieues des grandes villes, deviendra de plus en plus frileuse au fil des crises qui surviendront, se jetant dans les bras des partis de droite qui préconiseront des médecines simplistes de réduction des dépenses et de la taille de l’État, de baisse des charges fiscales, de retrait de l’État de la régulation des politiques économiques, énergétiques et environnementales, de durcissement de la lutte au crime pour le maintien du «law and order». Dans ce sens, le gouvernement Harper a de beaux jours devant lui, sa prise de pouvoir majoritaire en 2011 marquant un «Big Shift» dans l’évolution de la fédération canadienne.

    Comme je l’ai déjà écrit, la nature n’est pas téléonomique, elle bricole; dans ce cas-ci, l’avenir pourrait bien être marqué par l’amplification des crises sous l’effet de gouvernements de plus en plus autoritaires dans des sociétés des plus en plus antagoniques.

    Le développement de l’exploitation minière de l’uranium ne constitue donc qu’un élément de plus dans cette course à l’autodestruction de notre civilisation. Comment espérer arrêter cette folie?

    Il faut peut-être miser sur l’effondrement anticipé du monde financier, grippé par l’avidité des banquiers et courtiers pour qu’une crise d’une ampleur planétaire, commence à alimenter le changement. Mais pour ce faire, il faudra passer sur le corps des oligarques milliardaires qui contrôlent notre monde.

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