Le récent rapport de Calderón et Stern, Better Growth, Better Climate, représente un énorme investissement de ressources humaines et couvre très grand. Dès le départ, il nous informe que l’investissement aboutit au constat que ses efforts n’ont pas produit un portrait permettant de croire qu’il est possible, en maintenant la croissance économique, d’atteindre les objectifs jugés nécessaires par le GIEC et par l’ensemble des pays. Le résultat, le rapport, est ce que j’appelle le bluff dans le jeu de poker décrit dans mon dernier article.
La lecture des chapitres sectoriels représente un défi autre, surtout dans un effort d’en vulgariser le portrait qu’ils présentent, comme je voulais faire ici. L’expérience n’est pas nouvelle. Les chapitres présentent des portraits avec lesquels il est presque difficile à être en désaccord, tellement il résume (comme pour Rio+20 en 2012) ce que les mouvements environnemental et social prônent depuis des décennies. Ce qui est peut-être le plus frappant dans cette plus récente mise à jour est la transparence avec laquelle le rapport souligne les défaillances de marché (comme il les appelle, s’agissant en bonne partie des externalités jugées traditionnellement «externes» à l’activité économique proprement dite) et des obstacles que le rapport appelle les «barrières de l’économie politique». Il s’agit des obstacles politiques et sociaux que le rapport détaille, page après page, pour aboutir à l’espoir que j’associe au bluff.
Je présenterai donc ici quelques constats, sans prétendre à un résumé de cet énorme travail, des centaines de pages appuyées par des références dans les centaines.
Les villes de l’avenir : économie et société
Le Chapitre 2 s’intitule « Cities, Engines of National and Global Growth » et comporte trois sections qui partent du constat du défi des émissions, qui viendront en bonne partie des villes, expliquent le fondement de ceci dans l’étalement urbain et passent à l’énoncé d’un espoir pour une nouvelle vague de productivité urbaine en matière d’utilisation des ressources (le thème reviendra dans le chapitre sur l’énergie). Le document fournit un inventaire impressionnant d’exemples et d’analyses montrant les avantages économiques d’une approche de bas carbone dans le cadre de l’urbanisation massive qu’il voit comme dominant l’avenir de l’humanité. Il n’est pas nécessaire de revenir sur cet inventaire, assez connu; une lacune intéressante et importante permet plutôt d’en souligner une faiblesse liée à son orientation de base, le maintien de la croissance économique et modèle économique qui le soutient.
Les auteurs abordent la présentation en faisant une division des villes des prochaines décennies en trois groupes, en fonction des défis économiques propres à chacun : villes émergentes, méga-villes globales, villes matures. Un quatrième groupe constitue une sorte d’«externalité» à l’approche, soit les bidonvilles où vivent et vivront peut-être le tiers des populations urbaines (dans le document, le mot «slum» est utilisé une seule fois, mettant les bidonvilles en relation avec les «gated communities» comme éléments créant des villes divisées socialement… – p.6).
Ces bidonvilles n’ont vraisemblablement pas d’incidence sur les économies des villes, et ne figurent tout simplement pas dans la présentation. Il s’agit d’une carte que Calderón et Stern ne veulent pas jouer, en présumant que le financement d’une «mise à niveau» de ces populations n’est pas gérable dans l’orientation du document, même s’il y a quelques références à l’idée, par exemple, celle d’essayer de leur fournir de l’électricité… En fait, le modèle économique dans sa forme mondialisée crée les conditions favorables à l’existence de ces bidonvilles, et le document ne met pas en question une telle défaillance du modèle (défaillance qui n’en est pas une de marché, thème majeur du rapport).
Le modèle économique ne peut que laisser ces populations pour compte. En fait, conforme à l’idée de base qui cherche à identifier un potentiel de croissance qui contribuerait en même temps à une réduction des émissions de GES, une bonne partie de l’approche au défi urbain de l’avenir est faite en fonction de l’auto et des transports, alors que probablement plus de la moitié de l’humanité n’a pas d’auto ni de perspectives pour en avoir… Dans cette partie du travail, la contrepartie n’est donc pas un retour à l’âge de pierre (Desrosiers), mais le maintien de conditions primitives pour environ un milliard de personnes, sinon plus. (suite…)
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