Petit interlude philosophique à travers le suivi de l’actualité… Récemment, j’ai été invité à écrire sur l’humanisme dans ses relations avec les enjeux environnementaux. Cela à abouti à une longue réflexion que je publie ailleurs sur ce site parce qu’il ne réjouit pas mon contact, qui ne le publiera pas, ainsi qu’à un texte beaucoup plus court soumis au Devoir de philo du journal Le Devoir. Il ne semble pas avoir été retenu pour publication, et je me permets donc de le présenter ici.
En 2012, j’ai participé à un panel avec, entre autres, le directeur d’un institut de recherche québécois. En réaction à une intervention de ma part qui soulignait l’énorme importance des enjeux démographiques, et de la décision de la Chine d’agir pour freiner la croissance de sa population, il a indiqué (après, et non publiquement) qu’il avait de grandes réticences à intervernir dans les questions touchant la reproduction humaine. Dans le cas de la Chine, la loi d’un seul enfant, adoptée en 1978, a permis d’éviter l’ajout d’entre 300 et 400 millions de personnes humaines à la population chinoise depuis 35 ans, alors que le pays est déjà surpeuplé, mais cela s’est fait par une atteinte importante à la liberté des personnes.
En 2013, j’ai donné une entrevue portant sur les grandes lignes de ma carrière en environnement et développement. J’ai terminé en faisant référence encore à la situation de la Chine. Mon propos : il est possible que la Chine soit le seul pays capable d’intervenir avec assez de force pour contrer les tendances actuelles vers la catastrophe, cela en raison de l’absence dans la gouvernance de ce pays d’un système démocratique susceptible de paralyser, effectivement, une intervention vigoureuse dans d’autres pays, démocratiques, comme les États-Unis ou l’Inde, voire de l’Union européenne. Le propos de l’intervieweur : il aimerait mieux voir l’humanité disparaître que de la voir survivre sans la démocratie.
Comme en 2012, ce litige ne s’est pas discuté pendant l’entrevue et seulement brièvement après. En prenant conscience, finalement, de la profondeur de sa réaction – il a tout simplement effacé toute référence à l’entrevue – , j’étais déstabilisé pendant un certain temps. Son propos résonnait avec celui de Patrick Henry, paradigmatique pendant mon enfance aux États-Unis : «Give me liberty or give me death». L’expérience a stimulé une nouvelle réflexion personnelle sur les enjeux écologiques auxquels nous faisons face, enjeux incluant l’avenir de la civilisation et, à la limite, de l’espèce humaine.
Démocratie, humanité, planète
by Lire la suiteAperçu de ce long texte: L’histoire du discours sur le développement durable au sein du gouvernement arrive à une sorte d’aboutissement qui frôle le ridicule. Alors que la Loi sur le développement durable est une de quatre lois cadres du corpus québécois, elle est mise en œuvre par le petit ministère de l’Environnement et un Committee interministériel sur le DD où plus d’une centaine d’organismes du gouvernement cherche à éviter que des engagements n’interfèrent avec leurs activités conçues sous d’autres auspices. Après une première Stratégie de DD presque gênante, voilà que le gouvernement est à la veille de l’adoption d’une deuxième. Clé de la démarche : aucun résultat, aucun engagement quantifié qui compromettrait l’indépendance du Conseil exécutif à procéder aux «vraies affaires», le développement économique on ne peut plus traditionnel dans sa conception et ses démarches. Le malheur est que l’énorme travail administratif impliqué détourne l’attention, de façon voulue, des dérapages des gouvernements successifs en ce qui concerne le développement qu’il nous faut absolument mieux planifier.
En 1987-1989, j’étais membre de la première Table ronde sur l’environnement et l’économie que le ministre Lincoln a réussi à faire créer, cela suite à la fin des travaux de la Commission Brundtland. Il était intéressant de noter ce qui semblait être le peu d’emprise sur le gouvernement des trois ministres gouvernementaux qui y siégeaient. C’était néanmoins une expérience valable, mettant en lien des représentants du secteur privé, du gouvernement ainsi que des ONG (le siège réservé à un autochtone n’a jamais été occupé).
Quand j’étais sous-ministre adjoint (au développement durable…) en 1991-1992, j’ai créé le Comité interministériel de développement durable (CIDD), regroupant une quinzaine de ministères. L’objectif était de mettre en place un système permettant de coordonner les activités au sein du gouvernement qui avaient une influence sur les processus de développement mis en œuvre ou encadrés par le gouvernement. Dès le début, il était évident que chaque ministère cherchait à mettre de l’avant ses bons projets, ceux qu’il croyait contibuaient déjà au développement durable. En complément à cette démarche à l’interne, j’étais secrétaire de la deuxième Table ronde québécoise sur l’environnement et le développement (lire : sur le développement durable). La Table était présidée par le ministre de l’Environnement, et les représentants du gouvernement s’y trouvaient minoritaires. Quand c’était clair que l’avenir de cette Table était plus que compromis, j’ai démissionné.
La Table n’existait plus depuis longtemps, mais le CIDD était toujours en place quand j’étais Commissaire au développement durable, en 2007-2008. Il était responsable, avec un petit secrétariat au ministère de l’Environnement, de la mise en œuvre au sein du gouvernement de la Loi sur le développement durable (LDD) de 2006 et la conception et la mise en œuvre de la Stratégie gouvernementale de développement durable (SGDD). Encore une fois, il était plus que clair que les «intérêts» des organismes gouvernementaux primaient sur la reconnaissance des défis du développement, défis qui méritaient la reconnaissance de crises.
J’en ai déjà parlé, et même à plusieur reprises, tellement l’histoire du «développement durable» au Québec est bâclée depuis ses origines prometteusses dans le temps du ministre Clifford Lincoln, à la sortie du rapport de la Commission Brundtland. L’histoire continue, mais elle est rendue aujourd’hui dans une situation ridicule tellement on a réussi à mettre le dossier sur la voie d’évitement, aboutissement des constats de faiblesse tout au long de l’histoire.
Une stratégie de développement «vraie», et l’autre (suite…)
by Lire la suiteAlain Dubuc débute sa chronique «Dire non à la croissance?» du 2 février, sur le dossier que La Presse a présenté pendant les trois jours précédents et portant sur la fin (possible) de la croissance, en disant : «L’expérience du passé a montré que notre modèle économique, quand il arrive a une impasse, réussit à se redéfinir.» Bref, le travail était plutôt une perte de temps, même s’il avoue que réfléchir sur de tels sujets n’est pas inutile. Son jugement n’est presque pas surprenant, puisque le thème qu’il y identifie n’est pas celui de «l’impasse» constituée par l’apparente fin de la croissance. Le thème qu’il identifie est la décroissance, et voilà un motif pour des réticentes importantes: «Peut-on tourner le dos à la croissance économique, changer de modèle et imaginer un système qui repose surtout sur une décroissance voulue et planifiée?» Ce thème était celui couvert par Hélène Baril dans le premier volet de l’exercice, qui reprend celui, vieux de plus de vingt ans en France, de la «décroissance voulue et planifiée», qui traîne en Europe justement parce que l’idée d’aborder l’impasse par une approche éthique élimine d’emblée toute possibilité qu’elle soit prise au sérieux par les décideurs – et par les journalistes qui les couvrent, en trop grande partie.
La fin de la croissance?
Le volet couvert par Baril est de loin le plus sérieux des trois, fournissant de l’information sur différentes mesures du bien-être et citant Robert Kennedy dans son commentaire sur le PIB à l’effet qu’«il mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut d’être vécue». Ce volet termine avec des listes disparates des bienfaits de la croissance – tout ce qui est bien dans la société – , et de ses dérives, dont on parle depuis des lustres : surconsommation, congestion routière (c’est-à-dire engouement personnel et économique pour l’automobile, parmi les moteurs de l’économie), pollution de l’air et de l’eau (des cibles du mouvement environnemental depuis des décennies). Résonnant curieusement dans la liste par ce qu’il touche à l’impasse, l’endettement : «Pour alimenter la croissance économique, le crédit s’est répandu et les ménages ont été encouragés à s’endetter pour s’acheter une maison, une voiture et des biens de consommation courante. Aujourd’hui, le taux d’endettement des ménages au Canada atteint plus de 160% de leurs revenus après impôt et paiements d’intérêts.»
Même les entrevues permettent d’éviter les enjeux de fond, celle avec Yves-Marie Abraham fonçant sur le thème de la décroissance programmée et celle avec Éric Pineault terminant avec ce dernier insistant sur la nécessité de la croissance, porte ouverte pour Alain Dubuc, qui fonce dedans. (suite…)
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