Heurtel et Ouellet – le rôle de l’environnement dans les décisions

Dans les années 1970 et 1980, les milieux écologistes ont réussi à faire créer au sein de nombreux gouvernements à travers le monde des ministères de l’Environnement. C’était un acquis qui semblait bien une assurance que les dossiers environnementaux allaient être pris en considération lors de décisions politiques émanant de gouvernements divers. Finalement, plusieurs avancées dans les années suivantes ont bien vu adoptées des lois cherchant à encadrer par des réglementations diverses différents problèmes environnementaux, comme la pollution de l’eau et de l’air. Ce qui allait de pair avec ces lois était la réalisation par les milieux économiques que leur objectif était de restreindre dans une certaine mesure les activités en matière de développement. Finalement, le rôle des ministères de l’Environnement est devenu celui d’empêcheur de tourner en rond, représentant justement un frein plutôt qu’un facteur de décisions intelligentes en matière de développement.

Il était bien intéressant de voir la semaine dernière la plus récente page de la saga du ministre Heurtel, l’approbation des forages par TransCanada sans tenir compte des prérequis. Presque prévisible, le ministre met la faute sur les fonctionnaires (comme le sous-ministre adjoint qui signe les autorisations, comme j’ai fait pendant deux ans); aucune admission que son cabinet suivait de près tout ce qui touchait le dossier… La situation nous retourne à l’an dernier quand le même ministre indiquait qu’il ne connaissait pas les détails des émissions qui seraient générées par l’éventuelle cimenterie de Port-Daniel, alors que son ministère (ses fonctionnaires toujours) avait un rapport complet sur la question venant du promoteur. Ses omissions allaient de pair avec l’intervention explicite qui refusait d’exiger une audience du BAPE pour la cimenterie, se fondant sur une analyse légale au mieux théorique mise en pièces par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). La situation a amené Antoine Robitaille à écrire un éditorial dessus.

Le ministre Heurtel se distingue ainsi d’autres ministres en cherchant (des fois) à cacher son rôle comme représentant du gouvernement (même si de façon plutôt marginale) dans les dossiers du développement pétrolier et du développement économique. Ses dérives ciblant différentes failles ou de l’ignorance, tout simplement, semblent revenir sur lui chaque fois. Avec le changement de nom (pour une énième fois) du ministère pour inclure référence aux changements climatiques (dossier chaud, mais loin d’être prioritaire), on aurait pensé qu’il ferait au moins meilleure figure dans le semblant de responsabilité.

La situation me rappelle celle dans laquelle se trouvait Martine Ouellet pendant sa première semaine comme ministre des Ressources naturelles, au début du mandat du gouvernement Marois. Ouellet était probablement la ministre la mieux préparée depuis des décennies pour assumer les responsabilités inhérentes au titulaire de ce ministère. Non seulement avait-elle agi pendant de nombreuses années comme gestionnaire pour Hydro-Québec dans des dossiers touchant l’énergie; elle avait réussi à compléter son travail professionnel par des engagements dans des organisations de la société civile comme Eau secours! Ce bénévolat qui lui a permis de connaître tout cet autre pan d’informations pertinentes pour prendre des décisions éclairées prenant en compte un ensemble de facteurs.

Dans les jours suivant sa nomination, la ministre Ouellet est intervenue, suivant un positionnement antérieur du PQ qui rejoignait ses connaissances professionnelles, pour souligner qu’elle ne voyait pas le jour où des études sérieuses montreraient la faisabilité, en termes environnementaux et économiques, de la fracturation comme technologie pour extraire les gisements de gaz et de pétrole des schistes. Cela n’a pris la première ministre Marois que deux ou trois jours pour annoncer publiquement que son gouvernement était favorable aux projets visant l’exploitation de cette énergie non conventionnelle… Le successeur de la ministre Ouellet dans le gouvernement Couillard, Pierre Arcand, sait d’avance que son rôle n’est pas de fournir des évaluations sérieuses et multifacettes en vue de décisions gouvernementales touchant le développement énergétique, mais de soutenir le gouvernement. Le gouvernement a déjà pris des décisions importantes en termes d’orientations dans ces domaines, tout comme le gouvernement Marois l’avait très rapidement fait au début de son mandat.

Nous voyons avec ces situations deux phénomènes différents, mais complémentaires. D’une part, nous voyons plus clairement, plus publiquement, que le rôle des ministres d’un gouvernement est de faire avancer les objectifs du gouvernement déjà inscrits dans ses orientations publiques, mais aussi internes. Il est rare que des ministres aient la latitude pour émettre des avis indépendants – sauf s’il s’agit de dossiers qui ne touchent pas les priorités. Et voilà, d’autre part, la leçon que nous avons eue de ces récents événements publics touchant différents ministres, de l’Environnement aussi bien que des Ressources naturelles. Leurs déclarations, et leurs gestes, révèlent justement des orientations internes déjà établies, mais maintenues souvent dans le flou pour le public.

En particulier, nous avons appris jusqu’à quel point le gouvernement Marois et le gouvernement Couillard ont acheté l’image des états pétroliers roulant dans l’argent et cherchant presque désespérément un potentiel de revenu qui pourrait les sortir des contraintes budgétaires qu’ils savent permanentes. Même des acteurs économiques de l’extérieur les encouragent allègrement, avec par exemple le Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole devancier 2014 (que Madame Marois a dû lire assez vite, tout comme M. Couillard). Non seulement les acquis des années 1970-1980 étaient-ils plutôt illusoires; le mouvement écologiste comprend mieux maintenant jusqu’à quel point leur champ d’action, l’environnement, représente une «externalité» pour les gouvernements, un frein au développement, et cela en dépit des bibliothèques complètent qui auraient dû depuis longtemps convaincre les économistes qui mènent la barque au sein des gouvernements, via les ministres des Finances en particulier, de l’erreur de leur vision. Je me suis permis une longue réflexion sur cette question lors d’un colloque de l’ÉNAP en 2013.

 

 

 

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