Dans mon récent article sur le livre de Naomi Klein, je soulignais que l’accent peut-être démésuré sur les changements climatiques risque de nous mener à ne pas voir l’ensemble des crises qui sévissent, qui interagissent et qui ne se comprennent pas en isolation. En contrepartie, je rappelais le travail du Club de Rome dans Halte où plus d’une centaine de composantes interagissanes de notre civilisation sont traitées ensemble par le modèle, d’où des projections qui me paraissent toujours assez bien fondées.
Pierre-Alain Cotnoir m’a posé des questions en réaction (le 20 juillet) :
Je partage votre réalisme et du même coup je suis curieux de connaître votre appréciation de deux contributions. La première, c’est celle du Dr. Guy R. McPherson, auteur de Going Dark où il défend la thèse d’une humanité vouée à l’extinction à fort brève échéance (http://www.guymcpherson.net/books.html). La seconde, c’est celle du site Arctic-News (http://arctic-news.blogspot.ca/) animé par l’énigmatique Sam Carana (existe-t-il vraiment ou est-ce un collectif qui se cache sous ce nom?).
Je ne connaissais ni McPherson ni Wadhams ni Carana, et j’ai regardé ce que les liens fournissaient comme introduction à leurs positions. C’est en effet dramatique, mais je me suis donné du temps pour réfléchir avant d’essayer de fournir une réponse probablement banale de toute façon. Un échange avec un autre lecteur pendant ce temps a souligné que mon blogue, qui critique sans proposer des solutions à une longue série d’interventions (Klein, Rifkin, Lovins, Villeneuve, Favreau et d’autres) donne l’impression que j’ai abdiqué (voir ma réflexion sur le livre de Claude Villeneuve, Est-il trop tard ?) et proposait que je lance des idées encourageantes.
Un des objectifs de ce blogue est d’essayer de faire réfléchir de nombreux intervenants qui, ensemble, pourraient bien dessiner des pistes d’attaque pour nous préparer pour l’effondrement plutôt que pour la transition (plutôt en douceur…) dont de nombreux auteurs parlent constamment et patiemment. (i) Bon nombre de mes contacts semblent satisfaits de continuer dans le chemin tracé depuis maintenant des décennies, que cela soit pour l’amélioration de notre condition sociale ou environnementale. Ils semblent acheter le discours de l’économie verte et, à mon jugement, s’enfonce dans le déni et le laisser-aller et ne se prononcent tout simplement pas sur les catastrophes appréhendées. (ii) De mon coté, je cherche à comprendre la complexité de notre civilisation contemporaine à partir d’un modèle qui semble capable d’intégrer les composantes de cette complexité. Ce modèle, celui de Halte, nous met devant la catastrophe, après 40 ans d’échecs dans les efforts de gérer les défis. Je comprends par les commentaires que plusieurs de mes lecteurs partagent ce point de vue. (iii) On ne peut jamais oublier qu’une guerre nucléaire, des pandémies ou «tout simplement» une violence éthnique ou religieuse, hors de contrôle et s’étendant à l’échelle régionale, voire internationale, restent toujours présentes comme risques pour l’effondrement de notre civilisation.
Mon effort est de voir comment notre civilisation se comporte avec l’hypothèse que ces autres catastrophes n’auront pas lieu ; l’effondrement projeté par Halte (qu’on n’a pas besoin de prendre comme précis de toute façon) n’est pas quelque chose qui arrivera du jour au lendemain, c’est un processus qui pourrait bien être en cours et qui, selon les projections, s’étendra sur peut-être une vingtaine d’années. Je soupçonne que la demande pour des alternatives, à laquelle je ne réussis pas à répondre très souvent, s’insère dans une perspective visant une transition, plutôt qu’un effondrement, alors que je cherche à nous inviter (comme Pablo Servigne – voir plus bas) à faire notre deuil de la civilisation actuelle et nous préparer pour des perturbations qui définiront notre «predicament» (le terme anglais utilisé par Servigne), une situation où il n’y a pas de vraies solutions, mais des adaptions imposées.
J’ai écouté l’entrevue avec Wadhams et la présentation de McPherson, et leurs propos compliquent les perspectives. Il n’est pas nécessaire de suivre le scénario qui verrait un emballement du réchauffement par le processus de disparition rapide des aérosols dans l’air qui bloquent actuellement le rayonnement solaire. Il n’est pas nécessaire non plus de suivre le scénario qui nous voit incapables de gérer la fermeture rapide des quelque 250 centrales nucléaires en opération avec comme résultat la diffusion rapide de contamination marquant la fin de notre civilisation. Par ailleurs, les calculs des scientifiques qui se pensent capables d’énoncer que nous avons déjà émis assez de GES pour rendre inévitable une hausse de température de plus de deux degrés (comme ceux du GIEC lui-même, sévèrement critiqué par McPherson mais que je me permets d’utiliser comme guide pour des orientations comme le budget carbone) restent des calculs, fondés sur des hypothèses et susceptibles de comporter des erreurs. C’est le processus même de la science.[1]
Quant aux énoncés (comme de Wadhams et McPherson mais aussi de Carana) qui évaluent les risques qu’un événement catastrophique arrive à court terme à partir de ce qui se passe dans l’Arctique, je dirais que c’est plus convaincant, plus inquiétant, surtout du coté du méthane. Wadhams répond à la question, Que faire en priorité ?, avec la proposition que l’on coupe immédiatement tout financement de recherche scientifique pour les fins militaires, qu’il dit représente 90% de toute la recherche) et que l’on s’applique à comprendre et à gérer, dans le court terme, les gisements de méthane dans les parties de l’Arctique où l’eau est peu profonde. Il n’y croit pas plus que nous, mais voilà son évaluation du risque, qui semble être pour le court terme – la décennie zéro de Klein…
Comme McPherson et Servigne, plus je regarde la situation et les données qui la décrivent, plus je me trouve confronté à l’idée que la catastrophe est inévitable. Ce que le scénario de Halte nous permet est un regard qui voit cette catastrophe arriver progressivement, pendant les deux prochaines décennies, mais déjà en cours et, même si inévitable, possiblement gérable. Comme j’ai découvert en écrivant le chapitre sur l’énergie pour Indignés, le Québec se situe exceptionnellement bien, avec 50% de son énergie plutôt payée, plutôt assurée dans le long terme, plutôt utile pour l’effort de nous adapter à la situation générée par l’effondrement et possiblement suffisante pour nous permettre d’établir une nouvelle société coupée de l’énergie fossile – et du reste de la planète, en bien pire posture…
Raymond Lutz, voyant que je tardais à répondre à l’intervention de Pierre-Alain, y est allé avec sa réflexion et de nouveaux liens et Pierre-Alain est intervenu en clarifiant sa position et l’origine de sa question ; en particulier, il fournit le lien pour le site où on peut voir ses propres réflexions. Raymond Lutz poursuit avec un commentaire sur mon article sur la question des solutions possibles avec une question pour moi : «Dans vos interventions publiques, sentez-vous une ouverture plus grande à cette réalité [d’un effondrement plutôt à court terme]? Auprès de votre auditoire, j’entends… car la presse grand public et nos «élites» politiques claironnent toujours ce message trompeur que «les solutions existent», juste titre de votre billet.»
Je n’ai aucunement cette impression, même si je n’ai plus les nombreux contacts avec le public que j’avais quand j’avais un titre et des fonctions officielles. Par ailleurs, ayant décidé de ne pas avoir une page Facebook, je me coupe, j’imagine, de nombreux autres contacts. J’ai visionné l’entrevue de Mediapart mentionné par Raymond Lutz avec Pablo Servigne, (co-auteur avec Raphaël Stevens de Tout peut s’effondrer : Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes). Servigne note que, lors de ses nombreux contacts, les exigences de ses interlocuteurs sont, d’une part, une information suffisante et, d’autre part, la proposition d’alternatives. A l’écouter dans l’entrevue (je n’ai pas lu le livre), il ne cherche pas à proposer de telles alteratives mais de fournir un état des lieux scientifique qui n’est pas contaminé par des euphémismes comme les références à une transition ou à une économie verte. Il conclut en soulignant qu’il ne dit même pas que tout va bien se passer, mais qu’il faut commencer par le local.
Voilà ce que je voulais faire avec le projet avorté de livre Indignés, et que j’ai esquissé pour quelques éléments de la situation dans mon dernier article sur une agriculture possible à l’avenir. J’y mets l’accent sur l’économie solidaire comme clé pour la nouvelle société possible, ce que Pierre-Alain fait aussi dans le texte qu’il fournit avec le lien. Je vais probablement tenter l’expérience pour un autre élément du portrait dans un prochain article, où il serait question du financement de ce que nous voudrions promouvoir au niveau local, ici au Québec, dans une situation d’effondrement.
[1] LE GIEC ET LES ÉCONOMISTES Malheureusement presque typique de ce que nous voyons dans le travail des économistes en énergie, les scénarios du GIEC pour prévoir les possibilités de réchauffement dans les prochaines décennies jusqu’en 2100, cela en fonction des émissions, sortent de la science (autre que la science économique, spéciale…). Aleklett explique cette dérive du GIEC dans Peeking at Peak Oil dans le chapitre 17, « Peak Oil and Climate Change »; voir l’article qu’il fournit les bases de ce chapitre, Alors que les rapports du GIEC, dont le dernier en trois parties sorties en 2013-2014, sont fondés sur des publications par d’autres chercheurs dans des revues qui suivent le processus normal de validation par des paires, le groupe de 40 scénarios dans le Special Report on Emissions Scenarios est le résultat de travaux par un groupe d’économistes et ne suivait pas le processus utilisé par le GIEC dans la préparation de ces autres rapports. Nous étions plusieurs rendus inquiets de voir le caractère invraisemblable de ces scénarios publiés par le GIEC; Rutledge, dans une présentation de 2010, « Energy Supplies and Climate », qui n’est plus disponible en ligne, comporte une diapositive 40 qui est presque identique à celle de Aleklett. Aleklett nous montre ce qui était en cause, et fait la démonstration que l’ensemble des 40 scénarios manquent de vraisemblance. Voilà une intrusion des économistes (sûrement présente aussi dans la troisième partie du dernier rapport publiée en 2014) dans un débat qui autrement cherche à suivre les travaux du GIEC et un processus qui comporte le caractère hypothétique et faillible de la science mais non l’imaginaire des économistes…
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Mais, je suggère le visionnement de cette conférence de presse réalisée lors du COP21 en décembre dernier:
https://www.youtube.com/watch?v=8F9ed5E54s4
Une entrevue avec Peter Wadhams se trouve à https://www.youtube.com/watch?v=8xdOTyGQOso
Enfin, une troisième suggestion, une entrevue vidéo sur Médiapart avec Pablo Servigne https://www.youtube.com/watch?v=1vWgLOB7nE0
J’ai fini la lecture de son essai: la première partie est percutante, de même que la deuxième, c’est la troisième où j’ai eu un peu plus de difficultés. Il semble privilégier le mouvement transitionniste, qui par certains aspects me fait penser à du survivalisme communard. Je ne vois pas bien comment de tels petits foyers ne seront pas affectés ou au pire anéantis par les effets systémiques d’un effondrement de civilisation.
Merci de la correction pour le lien de Wadhams – c’est fait, et j’ai regardé la vidéo venant de COP21, intéressante!
J’ai mentionné l’entrevue avec Servigne dans mon article, mais pas le lien, fourni par Raymond Lutz. Cela va faciliter l’affaire de l’avoir avec le récent article. Je suis surpris qu’il embarque dans l’idée de transition, alors qu’il indique dans l’entrevue que c’est une approche qu’il critique.
Je suis en train de terminer illusion financière: des supprimes à la transition écologique de Gaël Giraud. C’est un essai intéressant qui me fait avancer un peu dans mon effort constant, et à ne plus finir, de comprendre le monde financier. Je n’avais même pas remarqué le sous-titre, alors que son objectif, suite à des analyses financières assez élaborées, est de fournir, à la fin, les fondements (illusoires aussi, je trouve) du financement possible pour la transition écologique, pour laquelle il semble à son tour ne pas saisir l’envergure du désastre ni l’échéancier.
Merci de continuer à nous partager ainsi vos réflexions, toujours très intéressant. Bien hâte de vous lire sur ce que nous devrions promouvoir au Québec au niveau local d’ailleurs.
Malgré que vous ne soyez-pas un partisan de la croissance verte et de la transition au tout renouvelable sans remise en question de notre mode de vie actuelle (ce que je partage d’ailleurs avec vous), que pensez-vous d’un type comme Elon Musk? Je serais curieux de vous entendre sur le sujet. Je sais que la technologie et la recherche sont parfois la bonne façon de se mettre la tête dans le sable en prétendant que tout va se régler par magie (il y a encore beaucoup de wishful thinking en ce monde pour éviter de constater qu’on fonce dans un mur), mais je trouve que Musk avec Tesla, Solar City et SpaceX est un personnage intéressant. Évidemment issu d’un capitalisme américain et des produits luxueux pour une population riche, reste qu’il se sert de cela pour donner un coup de pied à plusieurs en favorisant le développement de la voiture électrique, du stockage de masse au lithium ion et de la démocratisation du solaire photovoltaïque, tout en poursuivant le vieux rêve d’aller sur Mars, sachant que nous n’avons qu’une planète. Sa contribution pourrait être non-négligeable à court-moyen terme pour couper les émissions, si seulement la transition pouvait se faire rapidement.
Merci.
L’auto Tesla ne m’apparaît pas plus une solution que le maintien des autos à moteur à explosion pour deux raisons: la première, c’est que l’électricité produite un peu partout sur la planète provient de combustion d’énergie fossile; la deuxième, c’est qu’on ne solutionne absolument pas le problème de l’étalement urbain et de la dépendance à l’automobile.
Évidemment, la voiture électrique est à double tranchant. Je suis comme vous partisan d’un meilleur aménagement du territoire, d’une utilisation accrue des transports actifs et collectifs. Il faut absolument réduire la place de la voiture. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne doit pas décarboniser la voiture en parallèle, moins de voitures, mais des voitures plus propres. Et je regarde le mode de vie actuel, et je regarde le futur, et je ne vois pas que la voiture disparaisse rapidement du paysage. Dans ce contexte, je crois qu’électrifier au plus sacrant est une bonne idée. En fait, c’est peut-être quelque chose qui peut se faire à plus court terme que revisiter notre mode de vie, l’aménagement du territoire et la culture de l’auto. Alors, dans un premier temps, c’est peut-être un passage obligé pour couper nos émissions. L’énergie produite sera de plus en plus renouvelable, donc la voiture électrique de plus en plus propre et en bien des endroits, c’est déjà mieux que la voiture à essence. Et sans parler de la diminution de la pollution atmosphérique et de la production de chaleur en milieu urbain. Ensuite, effectivement, c’est à double tranchant, les gens vont continuer à se conforter au mode du tout à l’auto si on dit que la voiture n’est plus une grande source de pollution…donc ça peut même encourager l’étalement urbain. Oui, la voiture est une mauvaise allocation de ressources, en terme d’efficacité, d’occupation du territoire, d’impact sur la santé, etc. Alors, réduisons sa place, et électrifions les voitures qu’il restera. Et pour ça, Musk pousse dans le cul des autres; en même temps, ça favorise le développement du stockage et du solaire dont on aura besoin. La voiture électrique n’est pas la panacée, mais je ne pense pas qu’on puisse s’en passer.
Finalement, je dois m’inscrire contre vos propos. Pierre-Alain Cotnoir en résume brièvement certains éléments de la problématique. J’ai essayé d’en brosser le portrait plus en détail dans le chapitre sur l’énergie que j’ai écrit pour Indignés.
La voiture personnelle passe proche d’y disparaître. J’y mets un accent aussi sur l’ÉROI des énergies renouvelables que vous mentionnez comme un élément important à l’avenir (je présume pour d’autres sociétés), en soulignant leur ÉROI bas. Tesla est bien le fun à suivre dans le cadre des jeux traditionnels de l’économie, mais représente une approche sans perspectives dans le cadre des effondrements projetés (davantage dans le cadre des catastrophes dont il est question dans cet article).
Ma réflexion sur cette question, depuis un certain temps, me surprend moi-même avec la pensée que, en tout réalisme et à assez court terme, la voiture personnelle risque de tout simplement disparaître. L’idée me vient entre autres de l’observation des tendances – clé pour la santé des producteurs d’automobiles – vers des voitures de plus en plus luxueuses, renforçant ce qui est déjà presque une évidence, que la voiture personnelle est un objet de statut et un luxe bien plus qu’une nécessité de base. Une simple analyse coûts/bénéfices de nos besoins en transports me paraît montrer que la voiture personnelle n’est pas la meilleure réponse face aux contraintes.
La voiture personnelle va de pair avec l’étalement urbain qui la rend nécessaire, alors que les deux représentent – suivant la Fortune 500 que je mentionne de temps en temps – les fondements du modèle économique qui depuis les années 1950 (cf. David Halberstam, The Fifties) a clairement favorisé une classe moyenne vivant dans les banlieues. C’est un modèle qui va devoir être remplacé en même temps que l’usage des carburants fossiles.
Vous partez d’une prémisse implicite laissant entendre que le déclin de la civilisation thermo-industrielle se fera progressivement de manière quasi-linéaire, donnant du temps pour une transformation du parc automobile, etc. Permettez-moi de vous présenter un autre scénario.
Cet effondrement se déroulera par chutes brutales et successives. La première affectera le système financier dont l’endettement atteint 600 mille milliards $US (soit près de deux fois le PIB mondial). C’est la bulle de l’industrie pétrolière qui éclatera la première. D’une part, avec un baril de pétrole à 50 $US et avec le retour dans un très proche avenir de l’Iran sur le marché du pétrole, le prix de celui-ci risque de plonger encore d’une dizaine de dollars, avec comme conséquence que l’exploitation du pétrole de schiste ou des sables bitumineux ou de plateformes en eaux profondes ne peut plus demeurer rentable (il faudrait un prix autour de 100$ le baril), de sorte que les entreprises impliquées dans cette industrie vont avoir de plus en plus de difficultés à rencontrer les charges liées à leurs services de la dette. D’autre part, le TRE (Taux de retour énergétique ou ERoEI en anglais) ayant passé de 100:1 à quelque chose comme 12:1 au cours des 60 dernières années, celui de l’exploitation des pétroles non-conventionnels étant encore plus bas, les investissements nécessaires à l’extraction de quantité de plus en plus réduites de pétroles mènent cette industrie vers un mur. Songez que pour remplacer la production d’une plateforme moyenne en mer du nord donnant 25K barils de pétrole par jour, il faut une trentaine de forages pour du pétrole de schiste donnant entre 600 et 1000 barils par jour pendant environ 3 mois (au mieux), puis décroissant de 70% au cours des mois suivants. Ainsi, il faut forer continuellement de nouveaux puits qui s’épuisent aussitôt (au coût d’environ 8M$ par puit!), sans parler des dommages environnementaux. La quote-part du PIB qui devra être consentie pour maintenir l’accès à ces sources d’énergie fossile a pour conséquence que toute croissance économique devient caduque. Or notre système financier est fondé sur la croissance économique (le taux directeur des banques centrales reflétant cette adhésion à une croissance illimitée). Méchant problème dans un horizon pas si lointain.
La seconde dégringolade qui suivra celle du système financier, c’est celle de l’économie réelle. Plus de crédits, plus de confiance ni dans les institutions financières, ni dans les monnaies, ces dérèglements vont venir perturber durement l’économie globalisée. Troisième débarque, les systèmes de transport à flux tendu vont se gripper, l’approvisionnement se faisant plus difficilement. La mondialisation de l’économie avec le déplacement vers l’Asie de la production mondiale va s’en trouver complètement perturbée.
Quatrième menace, les changements climatiques, s’ils sont accélérés comme plusieurs océanographes et climatologues l’estiment présentement par un dégazage accéléré du pergélisol arctique et du littoral au nord de la Sibérie (avec une profondeur de moins de 70 m, ce littoral a amorcé le largage du méthane avec une possibilité d’émission de 500 milliards de tonne (l’apport anthropique en CO2 depuis 1850 est estimé à 350 milliards de tonne! Or une molécule de CH4 à l’émission possède 150 fois la capacité d’effet de serre d’une molécule de CO2; puis après 20 ans, 86 fois et enfin après 100 ans: 23 fois).
Et je ne parle pas de l’effondrement de la biodiversité (ressources halieutiques au premier chef), de l’épuisement de ressources non-renouvelables autres que les énergies fossiles (dont plusieurs minerais).
Dans ce sens, le maintien du mode de vie des habitants des sociétés dites avancées, que dire, des banlieusards dont vous espérez transformer le parc automobile m’apparaît assez dérisoire. La chute sera brutale. Dans quel horizon peut-on anticiper une telle série d’événements? Dans 50 ans, dans 25 ans? Non, dans un horizon bien plus rapproché, certains n’hésitant pas à pronostiquer la venue de la crise financière pour d’ici 2020…
Alors pour les voitures électriques et autres « plasteurs », on repassera!
Évidemment on peut nier ce scénario. C’est bien beau le déni, mais encore faut-il le documenter. Or, je n’ai pas encore lu de rapports en provenance tant des scientifiques qui se penchent sur les questions environnementales que d’experts en énergie fossile qui me permettent d’entrevoir une descente en douceur vers les énergies vertes et autres lubies dites de développement durable (c’est quasiment un oxymoron cette expression).
Il faut donc selon moi commencer à entrevoir comment passer à travers ce temps d’effondrement. Comme la seule chose qui soit assez certaine, c’est que les sociétés les plus inégalitaires en feront plus durement les frais, que les sociétés où toute forme de solidarité n’est pas ancrée dans la culture ne réussiront pas à trouver des traits leur permettant de développer des manières d’être qui leur permettent de s’adapter à un monde complètement différent… dans lequel nous sommes déjà engagés.
Une question de bonne foi, messieurs Cotnoir et Mead: que peut-on reprocher au mouvement de transition? Si je google le terme, j’obtiens comme description:
« The Transition Movement is comprised of vibrant, grassroots community initiatives that seek to build community resilience in the face of such challenges as peak oil, climate change and the economic crisis. »
Tout cela me semble bel et bon, non? Je creuse un peu plus en consultant https://www.transitionnetwork.org/about/principles …
Hmm, la seule chose que je note est l’absence de terme comme effondrement et crise… mais on y trouve les termes « défis urgents » 😎 Et ils n’insistent pas sur le fait que le développement des technologiques dites vertes nous sauvera… Bon, ils insistent aussi sur l’importance d’avoir une approche positive… Est-ce cet aspect jovialiste qui vous agace?
Cela me semble essentiellement une question de degré, non? Comme j’ai écrit ailleurs: ça va chier, faut se préparer… C’est tout! Qu’on appelle ça effondrement, renaissance, transition, extinction… Je trouve qu’on perd beaucoup de temps (et d’occasion d’oeuvrer ensemble) à se picosser dessus pour des peccadilles. Pendant ce temps là, les gens de TransCanada, eux, s’affairent…
Ce qui m’agace un peu avec ce mouvement de transition, c’est qu’il partage certains de ses aspects avec le mouvement des survivalistes, sauf qu’il se veut communautaire. Je peux difficilement imaginer que ces petites poches ne se feront pas balayées par le tsunami des affrontements sociaux qui surviendront, encore faut-il qu’ils réussissent à devenir autarciques, ce dont je doute. Mon père a vécu sur une ferme tout ce qu’il y avait de plus autarcique au début du XXe siècle, ce qui n’a pas empêché toute sa famille de se retrouver pauvres comme Job dans le faubourg à la mélasse du bas de la ville de Montréal. Les humains dépendent des autres. Même avant l’arrivée des Européens en ces terres, les Amérindiens échangeaient des produits des 4 coins de l’Amérique, pierre pour des calumets ou pour des pointes de flèches, coquillages pour des parures, etc. Je peux difficilement concevoir que les transitionnistes pourront se passer d’échanges.
Je plaide plutôt pour une transformation comme celle qu’a connu l’Argentine au début des années 2000 quand frappée par la fureur capitaliste des banques (dont plusieurs canadiennes), leur monnaie s’est effondrée entraînant l’économie dans sa spirale. On a vu naître des initiatives de reprise en main, coordonnées à l’échelle nationale et débouchant sur l’élection d’un gouvernement progressiste. Même constat avec l’Islande plus récemment. Ce qui me console, c’est de savoir que notre peuple pourrait posséder certains traits culturels (attitudes et valeurs) lui permettant de se solidariser plutôt que de s’antagoniser. Colin Woodard a écrit en 2011 « American Nations: A History of the Eleven Rival Regional Cultures of North America ». Voici un extrait de ce qu’il dit concernant ce qu’il nomme la NEW FRANCE. « New France is the most overtly nationalistic of the nations, possessing a nation-state-in-waiting in the form of the Province of Québec. Founded in the early 1600s, New French culture blends the folkways of ancien régime northern French peasantry with the traditions and values of the aboriginal people they encountered in northeastern North America. Down-to-earth, egalitarian, and consensus-driven, the New French have recently been demonstrated by pollsters to be far and away the most liberal people on the continent. Long oppressed by their British overlords, the New French have, since the mid-twentieth century, imparted many of their attitudes to the Canadian federation, where multiculturalism and negotiated consensus are treasured. They are indirectly responsible for the reemergence of First Nation, which is either the oldest or newest of the nations, depending on how you look at it. 3 Today New France includes the lower third of Québec, northern and northeastern New Brunswick, and the Acadian (or “Cajun”) enclaves of southern Louisiana. (New Orleans is a border city, mixing New French and Deep Southern elements.) It is the nation most likely to secure an independent state, although it would first have to negotiate a partition of Québec with the inhabitants of First Nation. » et il précise dans un article publié en 2013: « After a long history of imperial oppression, its people have emerged as down-to-earth, egalitarian, and consensus driven, among the most liberal on the continent, with unusually tolerant attitudes toward gays and people of all races and a ready acceptance of government involvement in the economy ».
De nombreuses autres études ont relevé ces différences dont plus particulièrement celles menées par Grabb et Curtis publiées dans une monographie en 2005 (rééditée en 2010) intitulée « Region apart : the Four Societies of Canada and the United States ». Celle-ci révèle que la prépondérance « collectiviste » des Québécois génère des différences marquées au niveau de leurs valeurs et de leurs attitudes comparativement à leurs voisins américains et canadiens-anglais. Citons-en un extrait: « More specifically, our research has shown that, along with being the least committed of all the four sub-groups to conventional religious beliefs, Quebecers are the most open a host of non-traditional ideas, principles, and practices. This is evident in their relatively more supportive stances on women’s equality, gay rights, alternative forms of sexuality, same-sex marital unions, and interracial marriages, as well as their generally more liberal approach to criminal justice. »
Le documentaire de Carole Poliquin et Yvan Dubuc illustre d’ailleurs bien ce propos (voir http://lempreinte.quebec).
Je comprends que la premier de ces deux récents commentaires de Pierre-Alain Cotnoir répond à Jean-François Morissette plutôt qu’à moi – je fais les mêmes points régulièrement – , même si mes interventions prônent une recherche de préparatifs pour un effondrement qui pourrait être progressif (sans proposer qu’il puisse être linéaire). À cet égard, rien n’empêche les catastrophes décrites comme rapides et mondiales d’être plausibles, mais ces scénarios nous paralysent, et je préfère chercher des interventions qui me paraissent possibles.
À cet égard, en réponse à Raymond Lutz, je vois d’importantes distinctions entre les transitions dont on parle dans le langage de résilience et celles prônées par les promoteurs de l’économie verte. J’ai déjà eu l’occasion de parler du livre The Resilience Imperative de Michael Lewis et Pat Conaty où un ensemble de propositions se situent dans le même type de préparatifs que je pense possibles et souhaitables.
En préparant mon prochain article, et en contraste assez profond avec l’approche de la résiliance, je rencontre le livre de Gaël Giraud, illusion financière : des subprimes à la transition écologique, où l’illusion financière est bien présentée mais où l’ampleur des défis est à peine soulevée et certainement sous-estimée. Je rencontre aussi les nombreuses interventions de l’IRÉC sur «la reconversion écologique de la base industrielle et énergétique du Québec», que j’ai déjà critiquées et qui prônent une nouvelle société verte sans prise en compte adéquate des défis.
D’après mon expérience, on peut bien continuer à intervenir pour contester ÉnergieEst de TransCanada ainsi qu’une multitude d’autres projets mal orientés, mais je crois que l’expérience nous montre que le modèle économique gagne presque tout le temps – sauf que ce modèle s’effondre. Malheureusement, je ne vois pas beaucoup d’individus ou de groupes qui mettent l’accent sur la préparation pour cet effondrement, et c’est clair qu’il y a risque de verbiage dans l’effort de pousser pour le changement de cap, alors qu’il y a quand même des milliers de pages très sérieuses qui cherchent à contourner les défis.
Je me propose de convoquer une rencontre – en ciblant les groupes environnementaux mais également de nombreux autres intervenants, dont les lecteurs de ce blogue – après l’échec de la COP21 en décembre, pour voir s’il n’y a pas possibilité que nous fassions la promotion d’autre chose que des gestes cherchant à restreindre le réchauffement à peut-être 3 degrés, un objectif catastrophique en soi mais ce qui restera comme possibilité pour les groupes…
Merci à tous pour vos commentaires éclairants.
Évidemment, selon l’effondrement envisagé, linéaire ou pas, il y a plusieurs mesures qui ne sont plus utiles. L’électrification des transports doit se faire rapidement pour avoir un impact non-négligeable. Si on juge que la catastrophe est inévitable, on ne fera rien. Or, même si je suis souvent découragé par l’humain et son attitude face à cette crise, je ne veux pas être pessimiste et immobiliste.
Je pense que la voiture en propriété individuelle et dont l’organisation de la vie en société tourne autour est vouée à disparaître (en tout cas il le faudrait), mais je ne crois simplement pas en la disparition de ce moyen de transport, à moins d’un scénario catastrophe majeur. Je persiste à voir une place pour la voiture comme complément aux transports en commun et transport actif via le taxi/’autopartage/voiture en libre service dans une forme que nous ne connaissons pas encore, qui requerra beaucoup moins de voiture et qui en réduira les coûts et les impacts pour la société. Mais bon, le temps manquera peut-être, ou alors la volonté, et on foncera dans un mur et tout cela aura servi à rien.
Je persiste à croire qu’il vaut mieux, je ne sais trop comment, amoindrir la chute et la voir venir plutôt qu’elle nous saute dans la face d’une façon encore plus pernicieuse et catastrophique.
M. Cotnoir, les initiatives de transition qui sont soutenues par des gens comme Rob Hopkins ou par M. Servigne n’ont rien à voir avec du survivalisme communautaire. Je crois que vous confondez avec le mouvement des communautés intentionnelles qui visent parfois l’autarcie et la vie en groupe affinitaire. Les initiatives de transition ne visent pas la vie en autarcie mais visent à préparer la descente énergétique en incitant les gens à se réapproprier les savoir faire qui pourraient nous aider à combler en partie nos besoins de base physiques et psychologiques, donc améliorer notre résilience. Nous encourageons l’entraide et la coopération et ne vivons pas au fond des bois. Au contraire, nous sommes actifs dans la promotion de l’agriculture urbaine, les potagers partagés, la mise en commun d’outils »low tech », la réutilisation plutôt que le recyclage, le bon voisinage, etc. Bref, on essaie de se préparer et d’inciter nos voisins à faire de même. Nous ne sommes pas en train de fuir dans les bois ou d’aller nous cacher en laissant nos enfants se débrouiller seuls dans un monde chaotique.
Je remercie M. Lutz pour avoir soulevé la question ainsi que M. Mead pour sa réponse qui présente bien les différentes interprétations qu’on peut accoler au mot transition. Malheureusement, nous voyons bien les effets du verrouillage socio-technique dont parle Pablo Servigne et, malgré beaucoup d’efforts de la part de certaines personnes, encore peu de groupes mettent l’accent sur la préparation à l’effondrement, comme le souligne à juste titre M. Mead.
Ici une très bonne recension du livre de Pablo Servigne et Raphael Stevens: https://jeanneemard.wordpress.com/2015/08/10/leffondrement/
Un site intéressant (de Pablo Servigne & Raphaël Stevens) : http://www.collapsologie.fr
De même que celui de l’Institut Momentum (référé par les auteurs précédemment mentionnés) : http://www.institutmomentum.org/language/fr/
Autre site web de la même mouvance : http://adrastia.org
Au plaisir de vous lire à nouveau !