Le 10 octobre dernier n’était pas tout à fait ce que le gouvernement Couillard espérait en mettant l’économie avant tout dans sa campagne de 2014. D’une part, le ministre des Finances était obligé d’annoncer que les estimés de la croissance pour l’année étaient trop élevés, du 2% utilisé pour le travail sur le budget, le taux de croissance ne dépassera vraisemblablement pas 1,5%. Le même jour, Investissement Québec a confirmé ce qui n’était que rumeur : sans partenaire financier et sans acheteur pour le produit, il est obligé de repousser les échéances pour la mine Arnaud. La mine Arnaud était un élément clé du Plan Nord qui, à son tour, est un élément clé dans les orientations économiques du gouvernement.
Deux jours plus tôt, un article intitulé «Le monde saura-t-il éviter le pire?» couvrait les projections du FMI pour des baisses dans l’activité économique mondiale; le résultat pourrait être l’équivalent d’une récession mondiale et une baisse du PIB du Canada et des États-Unis de 1%, ce qui les amènera au bord de la récession aussi. Gérard Bérubé titrait sa chronique de la journée «Oiseau de malheur». Déjà, le 16 septembre, l’OCDE avait baissé ses projections pour la croissance au Canada, en accord avec ce que la Banque du Canada avait déjà fait.
L’économie dans la campagne fédérale
Cette sorte de nouvelles, jouant le jeu du suivi des données pour les indicateurs du modèle économique qui régie nos gouvernements et nos décideurs économiques et financiers, jouaient aussi pendant la campagne électorale fédérale. Nous connaissions déjà les orientations du gouvernement Harper à l’égard de l’économie. Thomas Mulcair en a pris une partie avec son engagement d’avoir un budget en équilibre pour sa première année (si élu), en dépit d’importanes promesses de dépenses. De son coté, Justin Trudeau chantait un autre refrain, toujours bien traditionnel : des dizaines de milliards de dollars en investissements pour les infrastructures assureraient une reprise de la croissance au Canada, même si cela nécessiterait des déficits pendant ses premières années en poste (si élu).
Il est de plus en plus reconnu que les enjeux environnementaux, longtemps considérés à part, jouent un rôle fondamental dans l’activité économique. Pourtant, les débats en matière d’environnement pendant la campagne, cela dans la tradition des dernières décennies, portaient sur des enjeux bien secondaires, comme le rejet temporaire d’eaux usées à Montréal. Une lecture de la plateforme du Parti vert du Canada ne nous sort pas de cette tradition. La plateforme, tout comme le début de cet article, s’insèrent au départ dans les paramètres du modèle économique; elle souligne que le gouvernement Harper est responsable de la récession annoncée en pleine campagne, et propose d’y remédier. La section sur l’économie propose des orientations en faveur d’une nouvelle économie verte, alors que celle sur les changements climatiques évite toute suggestion d’incidences sur l’économie d’interventions sérieuses à leur égard, pourtant des évidences.
Des évidences, en suivant l’analyse d’Éric Desrosiers dans sa chronique du 17 octobre. Desrosiers souligne que ce dossier de l’heure, les changements climatiques, comporte d’importantes incidences pour l’économie, mais note que les candidats n’ont pas jugé bon d’en parler. Concrètement, cela signifie que
à moins d’inventer de nouveaux procédés de production de pétrole ou de captation des GES, l’industrie des sables bitumineux devra se résoudre à freiner, voire à réduire ses activités. Cela veut dire aussi que les Canadiens devront, entre autres, revoir en profondeur leur façon de se déplacer, soit en adoptant massivement les transports en commun, en abandonnant leurs véhicules à l’essence pour des voitures électriques ou en renonçant à s’installer toujours plus loin en banlieue, ou un peu tout cela à la fois. En fait, on parle de changements importants pour tout le monde….
On comprend mal dans ce contexte que nos politiciens en campagne n’ont pas ressenti le besoin pressant d’expliquer aux électeurs leurs objectifs et leurs stratégies en la matière. L’enjeu principal des élections était l’économie? Mais toutes ces questions d’impacts des changements climatiques et de réduction des GES touchent directement à l’économie! Elles l’influenceront bien plus au cours des prochaines décennies que le fait d’enlever ou d’ajouter quelques points de pourcentage à l’impôt des compagnies ou quelques milliards de déficits budgétaires à Ottawa.
Il est presque surprenant que Desrosiers soit surpris de cette absence de débat. Comme il dit, le Canada est dans une position où ses objectifs sont tout à fait insuffisants pour répondre au minimum qui sera recherché à Paris en décembre, mais même dans une telle situation, il est difficile de voir comme il va pouvoir y arriver.
L’exception qui a montré la règle : Linda McQuaig
On s’attendait à ce que les différents partis (oublions les Conservateurs, dont les analyses de base sont quand même plus cohérentes avec la situation que celles des autres partis) aient quand même développé un positionnement sur la question des changements climatiques et l’exploitation des sables bitumineux. C’était très intéressant dans ce contexte de voir que Linda McQuaig ait décidé de se présenter de nouveau sous la bannière du NPD dans le comté de Toronto Centre. C’était également intéressant, et pas vraiment surprenant, de l’entendre, tôt dans la campagne, souligner qu’il serait fort probable qu’il faudra laisser le pétrole des sables bitumineux dans la terre. Ce qui était surprenant (presque) était d’entendre Thomas Mulcair la ramener à l’ordre dès le lendemain. De toute évidence, la question n’avait pas été abordée lors de discussions sur la candidature de McQuaig, ni même en cherchant à formuler la plateforme du NPD. Le NPD et le PLC semblent avoir décidé de restreindre leur positionnement, même là restant dans le flou, à un débat sur la pertinence on non de nouveaux pipelines pour transporter le pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan vers des ports pour exportation – encore un dérapage par rapport aux enjeux, ramenant la question aux débats traditionnels en matière d’environnement et d’impacts locaux. Les résultats pour McQuaig ne sont peut-être pas surprenants non plus : elle finit troisième, loin derrière le Libéral et même loin derrière le Conservateur.
Ce qui est en cause, cela de façon de plus en plus claire
Desrosiers semble toucher seulement la pointe de l’iceberg avec sa liste des changements de comportements nécessaires au Canada pour aboutir à quelque chose de pertinent face au défi de réduire nos émissions de GES. Pour lui (et c’est quand même déjà majeur), il faudra que les citoyennes, c’est-à-dire les voteurs, «revoi[en]t en profondeur leur façon de se déplacer, soit en adoptant massivement les transports en commun, en abandonnant leurs véhicules à l’essence pour des voitures électriques ou en renonçant à s’installer toujours plus loin en banlieue, ou un peu tout cela à la fois» – sauf qu’il débute cette liste avec «entre autres». Voilà pour les comportements.
Du coté de l’activité économique, Desrosiers propose qu’il faudrait «freiner, voire réduire» l’exploitation des sables bitumineux. En fait, comme il dit : «Même si le Canada effaçait de la carte l’ensemble de son secteur pétrolier et gazier du pays, qui représente 179 MT, il n’y arriverait pas [à attendre l’objectif déjà insuffisant de réductions de GES qu’il s’est donné]. D’importants efforts devraient aussi être déployés dans les autres secteurs de l’économie, à commencer bien sûr par le transport (170 MT), mais aussi ceux des bâtiments (86 MT), de la production d’électricité (85 MT), les autres industries énergivores (76 MT) — comme les mines, les cimenteries et les industries manufacturières — ou l’agriculture (75 MT).» Il faudrait non seulement freiner, voire réduire, l’exploitation des sables bitumineux; il faudra freiner, voire réduire l’activité économique elle-même. Il faudrait planifier une récession permanente, et cela rapidement.
L’énorme transformation de la société et de son économie que Desrosiers frôle par sa réflexion mériterait beaucoup plus d’explicitation. En effet, elle serait telle que les aborder comme plateforme politique représenterait clairement un suicide politique, ce que même le Parti vert reconnaît. C’est pour cela que le Parti vert, les groupes environnementaux, presque tous les intervenants face aux changements climatiques, deviennent des promoteurs de l’économie verte. Par contre, refuser ainsi de s’engager dans la direction suggérée par la chronique de Desrosiers représente un suicide collectif tout court que l’échec de la COP21 à Paris en décembre consacrera.
L’exploitation des sables bitumineux a été, pendant l’ère Harper, le moteur de l’activité économique au Canada, et son abandon en enlèverait autant. Il s’agirait d’embarquer de façon volontaire dans ce que Tim Morgan appelle la «récession permanente» dans Perfect Storm : Energy, Finance and the End of Growth. En fait, une telle expression est imbibée des valeurs et des orientations du modèle économique actuel, et il semble plus approprié de parler de la fin d’un modèle et d’un effort de la société à mieux s’orienter en fonction de nouvelles valeurs, de nouvelles contraintes et de nouvelles reconnaissances. Nous serions en train d’aborder notre indifférence envers les trois quarts de l’humanité, avec une nouvelle tendance à les rejoindre dans leurs niveaux de vie et d’empreinte écologique beaucoup plus bas que les nôtres, ce qui est exigé par la planète. L’incapacité de la COP21 en décembre à conclure un accord respectant le budget carbone établi par le GIEC résultera de la même situation que celle qui banalise nos élections, soit l’incapacité d’abandonner, chaque pays de sa façon, ses sables bitumineux, son charbon, son pétrole, plus généralement, ses comportements et ses façons de penser bien enracinés depuis des décennies.
Il est toujours périlleux pour les économistes de faire des projections, voire des prédictions quant à la performance de l’économie dans l’avenir. Mes propres analyses fonce dans le péril, avec de plus en plus de conviction venant de plus en plus d’indications que l’effondrement du l’économie industrielle, tel que projeté par le Club de Rome il y a plus de 40 ans, est en cours. Ce qui est désolant est qu’il n’y a même pas de débat sur la question, le déni amenant l’adhésion au mieux à l’économie verte. C’était bel et bien une occasion ratée, cette dernière campagne électorale fédérale, tout comme la campagne au Québec l’an dernier. L’adhésion du gouvernement Couillard à son modèle semble déjà en train d’être compromise, et on peut soupçonner que celle du gouvernement libéral nouvellement élu au Canada le sera dès le départ.
Avec trois ou quatre ans avant d’être soumis de nouveau à un électoral qui ne saisit pas l’envergure des enjeux, Élizabeth May du Parti vert du Canada et les députées de Québec solidaire n’ont pas beaucoup à perdre à s’y mettre. La plateforme de ce dernier remonte maintenant à 2011, où on lit: «Le constat est limpide : notre mode de vie «occidental» n’est ni durable ni généralisable à l’ensemble de la planète. Un choix de civilisation nous est posé.». Cette plateforme, en dépit d’une obéissance à l’économie verte, jette les bases pour la transformation requise, mais a grand besoin d’une mise à jour et de plus de clarté.
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Ce plan de recherche devrait vous intéresser et ses suites s’intégrer à la plate-forme de Québec Solidaire…sans trop attendre.
http://en.wiki.floksociety.org/w/Research_Plan
Un article et une vidéo
http://internetactu.blog.lemonde.fr/2015/10/17/faut-il-prendre-leffondrement-au-serieux/
https://www.youtube.com/watch?v=xcYBCGHq3nc
Le commentaire est pas mal laconique…
Le deuxième lien nous envoie à un texte sur le récent livre de Philippe Bihouilx, L’âge des low tech, que je viens de terminer. La première moitié du livre nous fournit une bonne vulgarisation des enjeux associés à l’effort de nous préparer pour l’effondrement, et la deuxième moitié nous fournit ses propositions à cet effet. Ce qui me frappe est que Bihouilx fait porter ses réflexions presque exclusivement sur la France, et ne tient presque pas compte des implications de l’effondrement à l’échelle planétaire pour se propres propos.
Le troisième lien nous fournit une vidéo de 75 minutes. J’ai regardé une vingtaine de minutes, pour voir de quoi il s’agit, votre note ne fournissant aucun commentaire là-dessus. Finalement, la vidéo semble nous mettre devant encore un autre cas de limites de ressources – ici le sable – mais je n’ai aucune idée pourquoi ce cas l’emporte sur d’autres plus importants, concernant l’énergie, par exemple.
Le premier lien nous met devant un document imposant, sans que nous n’ayons la moindre idée de votre part quant à son intérêt. Encore une fois, je n’ai aucune idée pourquoi vous pensez que le document devrait m’intéresser, l’idée d’une «social knowledge economy» n’ayant pas beaucoup pour frapper au départ, avec des liens suggérés avec le discours sur l’économie de connaissance que nous entendons un peu partout et que je trouve plutôt creux. J’ai lu plusieurs pages du document, et même pour le philosophe de formation que je suis, je les trouvent dans les nuages.
Finalement, vous ne fournissez aucune façon de voir comment vous pensez que tout cela pourrait convenir à une plateforme de Québec Solidaire. Avez-vous quelque chose de plus élaboré à dire concernant ces références???