La tournée Faut qu’on se parle et son livre bilan semblent vouloir amorcer de nouveaux échanges, un nouveau débat, de nouvelles orientations. L’initiative semble bien partie en insistant sur l’écoute, mais rien pour le moment ne suggère qu’elle va pouvoir dynamiser la société. Elle évite le piège des manifestes, mais doit se montrer capable d’élaborer un programme et une mobilisation conséquente.
Le titre laisse songeur, tellement il est clair que nous devrons renoncer à beaucoup de choses. En même temps, il cible la volonté de s’impliquer, de générer un mouvement social qui semblait exister au moment de la grève étudiante et du Jour de la terre de 2012 arc-en ciel, mais qui s’est effondré. Ne renonçons à rien, disent les auteurs, en s’appuyant sur les milliers de personnes rencontrées lors de la tournée, ne renonçons à à rien jusqu’à ce que les impossibilités nous forcent à nous raviser, dont-on comprendre.
Le lancement de la tournée était fondé sur la proposition de 10 questions et une trentaine de constats sur la situation actuelle. L’initiative était intéressante, une contre proposition à de nombreuses initiatives qui finalement ne donnent pas la parole aux gens mais la prennent pour rester dans le cercle restreint des idées derrière elles. C’était mon expérience de l’enseignement pendant des décennies : j’exigeais la lecture d’un texte et le «cours» que j’animais cherchait à trouver ce qu’il y avait de mieux dans le texte à travers les différentes interprétations qu’en faisaient mes étudiants.
Le livre bilan qui vient de sortir (Ne renonçons à rien, Lux 2017) ne cherche donc pas à fournir une vision d’ensemble et les pistes pour un véritable plan d’attaque. Plus que les trois-quarts du livre (7-146) portent sur un portrait des défis actuels. Esquissé, doit-on présumer, en tenant compte de ce que les auteurs ont entendu, je me trouve incapable d’y trouver un plan, seulement une série de réflexions décousues dont quelques portraits d’un avenir meilleur, dans la dernière section.
Le quart qui reste présente huit priorités qu’ils appellent des projets concrets mais qui restent beaucoup dans le général et très incomplet comme programme; elles ne figurent même pas dans la Table des matières. Les sous-titres des sections en fournissent les grandes lignes: nos écoles d’abord; une politique industrielle écologique; démocratiser la démocratie; un nouveau modèle culturel et médiatique; assumer notre diversité; réaliser la réconciliation avec les Premières Nations; améliorer la couverture publique et l’accès aux soins de santé; faciliter la vie des familles.
Mise en œuvre, démarrage…
L’initiative cherche à stimuler la participation des gens à la recherche de pistes de sortie de ce qu’ils voient comme une apathie généralisée. On doit s’attendre à une mobilisation pour les suites de la tournée. Cela viendrait au départ, pourrait-on croire, du Chantier de l’économie sociale (dont Jean-Martin Aussant est le directeur mais déjà trop occupé pour participer pleinement à la tournée, comme il l’indique dans le livre) et de la Fondation Suzuki (dont Karel Mayrand est le directeur et qui semble être plutôt mal parti avec un appui au REM de la Caisse de dépôt en se débarassant trop facilement des mises en garde du BAPE), les deux seuls représentants de réseaux dans le groupe.
Ce que l’on doit ajouter d’emblée et de façon prioritaire est la poursuite du travail dans les réseaux sociaux, autochtone, fémiministe, militant de tous genres tel que permettent de l’esquisser les engagements des signataires. Maïtée Labrecque-Saganash livre un ensemble d’éléments de son portrait, et de ses intentions, dans une entrevue pour le numéro de Châtelaine de mars 2017. On peut soupçonner que Gabriel Nadeau-Dubois organisera un autre réseau à la tâche au sein de Québec Solidaire; trois leaders de QS ont signé un texte dans Le Devoir pour un renouveau politique la semaine du lancement du livre, espérant un suivi de Faut qu’on se parle dans la forme d’une «vaste convergence des forces sociales progressistes et indépendantistes», un courant qui dépasserait les partis politiques – cela «en vue de 2018»…[1]
Pour le moment, la situation rappelle beaucoup trop celle de 2012, voire l’initiative derrière la création du réseau pour un Changement de logique économique en 2011, qui était mort-né, tellement ses initiateurs n’avaient pas le temps d’en assurer les suites. On peut toujours espérer[2], mais il reste que le projet est assez flou et doit bien prendre des orientations claires pour aller quelque part. Il est pour l’éducation, pour la santé, pour la démocratie, pour la culture et pour la vie familiale, objectifs qui ne soulèveront pas beaucoup d’objections même devant les quelques détails proposés, pas plus, probablement, que pour la volonté de nous réconcilier avec les Premières Nations, voire avec les immigrants.
Une politique industrielle écologique
Il est intéressant de voir le projet laisser presque en plan toute orientation explicite touchant les enjeux environnementaux, dont celui du climat qui figure parmi les premières préoccupations dans le document de départ; toute la dernière section «sectorielle» de la présentation (109-133) fournit une esquisse d’enjeux environnementaux, de l’agriculture et de l’énergie avec un titre qui reste dans le vague: «Tout ce que nous pouvons». Une espèce de précision qui s’y trouve dans le grand portrait du livre, à l’effet qu’une bonne orientation serait l’abandon de l’auto privée (128-132), est soutenue par une référence au travail de Renaud Gignac pour le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement de 2014. Ces réflexions ne trouvent pas de place facilement parmi les priorités telles que celles-ci sont énoncées.
On peut comprendre que la résolution des défis environnementaux réside dans les décisions prises en amont, au niveau de l’économie, voire de la société. Parmi les huit priorités retenues dans le bilan de la tournée se trouve l’adoption d’une « politique industrielle écologique ». Cette volonté reprend une thématique chère à l’IRÉC, qui y voyait une industrie verte centrée sur le monorail, et plus récemment, une industrie verte centrée sur les biocarburants et bioproduits qui serait au cœur d’une transition vers des systèmes de transport verts. Il n’en est rien, d’après la lecture de la courte section du livre (156-162) qui décrit cette priorité, mais voilà, cette section est beaucoup trop courte pour permettre au lecteur de trancher.
La section se limite à critiquer le libre-échange, à favoriser les entreprises collectives – dans les initiatives industrielles qui ne sont pas précisées – , opérer la transition écologique – terme utilisé à toutes les sauces actuellement, mais précisé aux pages 160-161 – , et à mettre un accent sur le développement économique régional. La réflexion des pages 128-132 y est oubliée, comme le travail de Gignac qui fournirait une approche au désinvestissement dans le pétrole qui ne dépendrait pas des décisions fédérales comme le texte suggère.
Le modèle économique à chercher
Finalement, on se rabat sur la première section du livre, «Des modèles qui prennent l’eau» (15-43), pour une critique assez directe et assez explicite du modèle économique qui occasionne, finalement, les déboires de notre civilisation actuelle. La réflexion de cette section, comme celles de l’ensemble du grand portrait constituant les trois quarts du livre, méritent attention même si elles ne sont pas retenues dans l’énoncé des priorités.
En particulier, c’est ici que l’on trouve un aperçu des orientations en matière économique pour les suites.
Ces liens de toute nature qui nous unissent à nous-mêmes et au monde, la capacité de déterminer comment être «Maîtres chez nous», disit-on jadis, voilà ce qu’engagent les modèles de développement économique… Ils concourent à rendre le monde habitable, à nous y faire une place, à nous permettre d’y vivre avec les autres. (17)
La référence à des modèles au pluriel est clairement pour permettre de chercher un bon par rapport au mauvais qui domine aujourd’hui.
L’économie est certes difficile à prévoir, mais ce n’est pas une séquence de cataclysmes: c’est une activité humaine à laquelle il est possible de réfléchir et que nous pouvons, aussi, transformer… Un modèle de développement économique, c’est un cadre en constante redéfinition, fluctuant, mais c’est aussi un système à réinventer constamment. (19)
Et les auteurs identifient le modèle actuel :
Le mot d’ordre est connu: remettre les clés de la cité au marché, renoncer à donner une direction à l’économie et concéder que développer, c’est être sans dessein. En ce sens, on ne nous propose plus de véritables modèles de développement, qui viseraient par exemple à valoriser l’humain plutôt que le capital, la finesse du travail plutôt que la croissance à tout prix, la capacité à répondre à nos besoins plutôt que l’accumlation privée de profit – bref, quand «développement» rime avec «progrès». (21)
Le texte aborde brièvement l’endettement (surtout personnel) et le libre échange international comme des tendances à contrer, ainsi que la propriété collective et l’ÉSS comme éléments du modèle à soutenir, alors qu’elles sont «confinées à la marge» actuellement (27).
La vision se concrétise, en soulignant les composantes de l’économie, même si l’on peut trouver curieux que l’accent à cet égard n’est pas plutôt sur celles-ci comme étant les bases de la société.
Il nous faut une économie plurielle, basée sur les trois grands piliers qui permettent de tendre vers une forme d’équilibre : le pilier de l’État, le pilier privé, et le pilier collectif. (28)
Pour conclure :
En matière économique, vous n’avez eu de cesse de nous ramener à une question: qui décide et au nom de quels principes? L’économie québécoise est imbriquée dans une économie mondialisée de laquelle il est très difficile de s’extraire… Il ne s’agit pas pour nous de rêver d’y échapper ou de les refuser en bloc. Il s’agit de rendre ces tensions fécondes là ou elles nous semblent trop souvent malsaines. (34)
Même si tout porte à croire que c’est le pilier collectif qui devrait recevoir la priorité, et qui semble la recevoir dans le livre, cette conclusion au portrait très critique du modèle économique capitaliste semble laisser la porte ouverte pour le pilier privé et l’objectif pour le pilier collectif de chercher des ouvertures dans le modèle capitaliste. Cela fait des décennies, voire des siècles que cette situation fournit les bases de domination pour le modèle capitaliste, souvent au dépens du pilier collectif. Les dérapages des dernières décennies semblent presque inscrits dans le programme, tellement le propos est flou et passe proche de l’abandon.
Le troisième secteur
Le langage du texte rappelle le travail de Henry Mintzberg, professeur de business et management à l’Université McGill, qui a récemment écrit un essai insistant pour une place plus importante pour la société civile mais retenant celle du secteur privé. Dans Rebalancing Society : Radical Renewal Beyond Left, Right, Center, il y livre un plaidoyer pour une meilleure reconnaissance du rôle de la société civile, qu’il appelle le secteur pluriel de la société et qu’il situe, comme Lietaer, dans un cadre où ce secteur fournit un complément aux deux autres.
En dépit du titre et de sa présentation dans le livre, le «renouveau radical» qu’il propose laisse continuer dans l’imaginaire le modèle économique capitaliste comme autre secteur de la société, une société d’équilibre entre ces deux secteurs et le troisième, celui des gouvernements. Le texte de Ne renonçons à rien met l’accent sur l’économie – nous proposerions de le mettre sur la société elle-même plutôt – comme plurielle, et centre sa réflexion sur ce secteur comme étant celui du collectif. Pour Mintzberg, il faut ramener le secteur privé à l’ordre pour laisser plus de place au secteur qu’il appelle «pluriel», et cela est la clé du travail.
Je propose plutôt que le travail – énorme – est de tout simplement présumer de la disparition de la dominance, voire de la présence du secteur capitaliste. Comme je l’indique dans mes articles sur l’échec du mouvement social et ailleurs, l’effondrement de l’économie tel que projeté par Halte fait en sorte que la recherche d’équilibre ne représente plus une voie de solution. Il faut que la société civile, ce que nous appelons l’économie sociale et solidaire, ce que Mintzberg appelle le secteur pluriel, ce que les auteurs appellent le secteur collectif, devienne le fondement de la future société – plutôt, pourrait-on dire, que de l’économie. Il faudra suivre l’évolution des choses, les suites du FQSP, pour voir s’il s’agit d’une initiative qui répondra aux attentes.
[1] Pour sa part, Françoise David a livré son bilan plutôt sobre à Josée Boileau pour Châtelaine.
[2] Reste que l’espoir ne mènera pas loin. Dans Le Devoir du 28 février, nous voyons deux interventions qui suggèrent le problème. Un collectif y manifeste son étonnement que la Politique énergétique ne comporte pas un sérieux volet transport et lance un appel pour un nouveau pacte social.
Normand Mousseau, pour sa part, constate que le Québec court à l’échec en matière de changement climatique, soulignant dans son nouveau livre Gagner la guerre du climat : Douze mythes à déboulonner. Lecture à suivre, mais il semblerait surpris de la force des mythes dans notre incapacité à aborder le défi et de la résistance du gouvernement à le relever, surprise surprenante pour le co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec dont le rapport a été déposé en 2014.
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Une façon intuitive et proche de l’automatique d’aborder cet article est de garder à l’esprit que je suis, d’une part, immigré, et d’autre part, anglophone d’origine. Je n’apprécie donc pas les préoccupations de la population québécoise francophone, et cela déteint sur mon analyse, faudrait-il le croire. De mon coté, en dépit de mon choix du Québec, par intérêt, il y a plus de 50 ans, comme cette entité francophone noyée dans le flot d’anglophones (et de plus en plus d’allophones) en Amérique du Nord, c’est clair que les enjeux qui menacent l’humanité toute entière trouvent dans la croissance démographique probablement le facteur objectivement le plus problématique, facteur qui complexifie et augmente l’importance de tous les autres enjeux. C’était le sujet du troisième article de mon blogue, en janvier 2013; l’article portait sur le rapport de recensement de l’année précédente et il est fascinant de voir jusqu’à quel point les mêmes commentaires qu’aujourd’hui se faisaient. Il couvre toujours pour l’essentiel les éléments importants manquant dans le discours public, et je vous invite à y jeter un coup d’oeil.[1]
«Au moins la population du Québec a augmenté, et cela est bien.» C’est ainsi, approximativement, que Michel C. Auger commentait en ondes le 8 février le recensement de Statistique Canada quand j’ai commencé à l’écouter. Auger faisait référence à un élément du recensement montrant que le Québec, même s’il dépasse maintenant les 8 000 000 d’habitants (c’était un peu plus de 2 000 000 quand je suis né) perd du poids politique en termes démographiques face au reste du Canada. Finalement, le commentaire, déconcertant pour moi, n’était quand même pas surprenant, puisque tout le monde, incluant l’ensemble des journalistes, semble souscrire à l’idée que croître est bon en soi, même au niveau démographique, sans se poser des questions là-dessus.
La croissance démographique, facteur clé dans la déstabilisation mondiale
C’était plus surprenant de voir, au lendemain, un article de première page du Devoir par Alexandre Shields sur la même question. Le journaliste sur les questions environnementales y couvre le sujet comme presque n’importe quel journaliste, soulignant la perte de poids politico-démographique du Québec face au reste du Canada, qui a cru plus que le Québec. Nulle part dans son article Shields ne mentionne les enjeux touchant la démographie qui sont cruciaux pour presque tous les sujets qu’il aborde quand il agit à titre de journaliste en environnement.
Je n’ai jamais vu ni entendu mention, dans un livre, dans un article de journal, dans une entrevue, un effort d’aborder la question d’une «population optimale» pour le Canada, pour le Québec. On parle incessamment d’immigration, de taux de natalité, de migrations inter-provinciales, voire du déclin démographique, sans que jamais ne soit posée la question de limites. Dans son article, Shields cherche pour commentaires la porte-parole de Statistique Canada et Pierre Fortin, économiste québécois réputé et qui est intervenu régulièrement sur les questions de démographie; cela aurait peut-être pris quelqu’un comme moi, venant de l’extérieur, pour aller plus loin. En fait, la croissance démographique fait partie d’un ensemble de mesures qui sont critiques pour la croissance économique, et le «déclin» démographique de presque tous les pays riches de la planète (davantage en excluant l’immigration de la décompte) fait partie intégrante de la croissance économique de plus en plus faible qui les marque. Fortin en est très conscient et, je crois, en est préoccupé. Moi aussi, mais autrement.
La réflexion sur le «déclin» démographique est presque facile pour une juridiction riche comme le Québec, jusqu’à ce que l’on sorte de sa bulle[2]. Il y a une immense couverture médiatique des crises environnementales, sociales, voire économiques qui sévissent. Il y a couverture du défi de nourrir les 9 ou 10 milliards que nous serons en 2050, de trouver l’énergie nécessaire pour les populations actuelles et encore plus pour celles de l’avenir, de gérer les défis des mégalopoles avec des populations de 20 ou 30 millions d’habitants, voire les défis des «petites» villes des pays riches, où l’étalement urbain et la congestion dans les transports sont constamment mis en question, d’éliminer la pauvreté qui domine dans l’Inde, qui va ajouter des centaines de millions de personnes à sa population, d’éliminer la pauvreté qui domine dans l’Afrique sub-saharienne, dont la population va probablement doubler d’ici 2050, de réduire le dépassement de l’empreinte écologique par les pays riches où chaque individu a un impact qui dépasse celui des pauvres par des facteurs de trois, six, dix.
Une stabilisation, et ensuite une baisse, de la population – partout – est plus que souhaitable
La croissance est tellement prise presque automatiquement comme leit-motif que le regard est porté sur la façon de gérer ces crises, jamais sur la question de limites à identifier, limites qui s’imposent. Il faut sortir de la couverture médiatique et des discours politiques animés par les économistes à la recherche de la croissance économique pour trouver d’autres perspectives. Rendu dans le monde scientifique – que cela soit celui des sciences de la nature ou de celui de celles sociales qui portent un regard sur les enjeux touchant directement nos sociétés – on subit le choc des contrastes. Ce choc est en fait celui rencontré en abordant n’importe laquelle des crises, où la couverture se montre incapable d’associer les enjeux de fond à l’actualité des différents pays eux-mêmes. Shields doit bien par ses lectures se trouver dans un tel état de choc de temps en temps, mais dans l’article du 9 février, c’est comme s’il changeait de chapeau pour jouer le rôle d’un journaliste en actualités sociales qui ne voit pas le rôle qu’y joue la démographie.
Je me suis attardé à ces enjeux dans deux articles du blogue l’été passé. Un premier portait sur les enjeux pour l’économie écologique face à un ensemble de défis; j’y aborde brièvement le drame que représentent les projections pour le Sahel dans les prochaines décennies (voir le graphique plus haut, obtenu lors d’une participation à un dernier atelier de la conférence de l’Association des économistes écologiques, portant sur la démographie): les Nations Unies y prévoient une augmentation de la population pour atteindre plus de 300 millions de personnes, et le GIÉC prévoit pour cette période que le Sahel ne sera plus habitable… Un deuxième article abordait le thème du «vieillissement des populations», dont des couvertures de presse sur différentes questions démographiques et le défi (le drame, pour le journaliste cité) que représente, entre autres, la stabilisation de la population de la Chine et d’autres pays.
La réflexion se poursuit presque n’importe où que l’on regarde, en sortant de sa bulle pour voir chez les scientifiques les énormes défis que représente une population de 7 milliards de personnes, et en croissance.
[1] En relisant l’article, je note que les documents de base du processus prébudgétaire de 2010, dont les fascicules du Comité consultatif pour le processus budgétaire de 2010, ne se trouvent plus en ligne; Pierre Fortin, mentionné plus bas dans mon texte ici, suivant l’article de Shields, était un des quatre membres du Comité. La question démographique était loin d’être la seule d’intérêt de ces travaux.
[2] C’est la même bulle que je mentionnais en parlant de l’expérience du lecteur à lire le récent rapport de l’IRÉC, dans mon avant-dernier article.
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Je ne voulais pas intervenir seulement pour critiquer la position de trois portes-parole de groupes environnementuax, mais les développements m’incitent à le faire, parce que le manque de perspective du gouvernement des «vraies affaires» se voit repris par ces groupes. (Voir maintenant les mises à jour de cet article, en date du 4 mars et du 15 mars, à la fin du texte.)
Il y a quelques années, je participais à un panel avec des représentants de deux groupes écologistes, mon invitation découlant de la publication de mon livre sur l’IPV, une critique fondementale de certains aspects de notre modèle économique. Cela faisait déjà un certain temps que j’essayais d’encourager les groupes à mieux intégrer une compréhension de ce modèle dans leurs interventions, et j’étais frappé de voir que les deux autres panelistes utilisaient en effet différents aspects du modèle dans leurs discours. Ce à quoi je ne m’attendais pas était que les deux s’inséraient dans le discours économique sans le moindre recul, sans la moindre critique.
Le BAPE une référence
Cela fait plusieurs décennies que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) constitue une référence pour le mouvement environnemental, voire pour la société. Non seulement constitue-t-il une occasion d’intervenir face à différents projets de développement privés ou gouvernementaux, mais ses rapports, régulièrement, fournissent non seulement des perspectives étoffées sur différentes critiques de ces projets tirées de l’écoute pendant la consultation, mais ils cherchent à situer ces projets dans une vue d’ensemble. Fondamental, la «justification» des projets est régulièrement examinée, sous différents angles. Son dernier rapport, de décembre 2016, sur le projet de la Caisse de dépôt pour un train électrique à Montréal (le réseau électrique métropolitain de transport collectif, ou REM), poursuit dans la tradition qui a fait du BAPE une sorte d’autorité indépendante pour les questions de développement, alors que les gouverments successifs sont restés dominés par le modèle économique qui exclut la prise en considération des «externalités» environnementales et sociales. C’est à peu près cela que les groupes ne voient pas dans leurs démarches.
On voyait cette situation mise en lumière avec le commentaire du Premier ministre Couillard, de Davos (coïncidence intéressante, même si les responsables du Forum économique mondial semblent bien plus préoccupés par la situation mondiale que notre Premier ministre), à l’effet qu’il soupçonnait que le BAPE avait dépassé son mandat en se mêlant de considérations économiques dans son rapport. À la base de son soupçon: une institution censée être centrée sur l’environnement ne devrait pas se mêler de choses importantes comme l’économie. Cela en dépit d’une Loi sur le développement durable qui souligne clairement que les externalités ne le sont pas dans le cadre des suites du rapport Brundtland et la poussée pour des corrections dans notre modèle de développement[1]. Ce qui est surprenant dans tout ceci est de voir que les gouvernements aient créé et par la suite maintenue une institution québécoise qui par son mandat même met en question le modèle économique…
En fait, le gouvernement refuse depuis 1988 et le dépôt du rapport Lacoste d’élargir le mandat du BAPE pour inclure un examen des programmes et politiques, et il a enlevé au BAPE (comme à l’Assemblée nationale) certains aspects techniques des dossiers touchant l’énergie et Hydro-Québec, pour mandater la nouvelle Régie de l’énergie à les traiter. Plus récemment, on apprenait que le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles serait en train de créer une instance d’examen interne qui se pencherait sur les enjeux économiques touchant ses grands projets. La réponse du ministre laisse penser qu’il s’agit plutôt d’un de ces comités formés pour tout projet qui se penchent sur ses implications économiques, imposés au moins au ministère de l’Environnement depuis des décennies.
La dérive des groupes
Un ensemble de groupes est intervenu en septembre 2016 pour insister que le REM aille plus loin qu’initialement prévu. Cette intervention insistait entre autres pour que le REM ait des liens avec le métro existant! Plusieurs de ces groupes étaient de retour récemment pour appuyer le REM. Les porte-parole d’Équiterre, de la Fondation Suzuki et Vivre en ville sont intervenus pour donner leur appui au projet de la Caisse. Les groupes voulaient contrer les critiques qui originent de l’analyse du BAPE dans son rapport, presque dans la foulée de l’intervention du Premier ministre. Plusieurs éléments du dossier peuvent être consultés au Devoir.
La lecture du communiqué des trois groupes est révélatrice de leur adhésion, plus ou moins voulue, plus ou moins reconnue, au modèle économique qui est derrière les crises qui menacent l’effondrement de notre civilisation. Le communiqué fait un point principal: l’investissement d’autant d’argent dans un projet (qui s’appelle) de transport collectif représente le premier engagement de taille du gouvernement depuis 50 ans dans cette orientation fondamentale pour la société et il devrait être appuyé. Finalement, l’appui est pour un projet de l’économie productiviste dont la justification ne se trouve pas dans une volonté d’améliorer les transports en commun, dont l’orientation de base ne visait même pas cela.
Comme il a été le cas dans d’autres interventions, les groupes en cause semblent juger que, une fois le meilleur résultat possible politiquement est obtenu d’un gouvernement, il faut l’appuyer – presque sans jugement sur la valeur de la décision finale en cause. Ils continuent à vouloir y apporter des améliorations, mais il faut associer cela à une sorte de désespoir de voir de véritables initiatives en matière de transports en commun se manifester. Il n’est pas facile par ailleurs de voir comment les groupes contestent le rapport du BAPE, Steven Guilbeault insistant que les réductions d’émissions de GES sont plus importantes que suggérées par le BAPE, Karel Mayrand insistant que c’est un projet de transport en commun.[2]
Petite synthèse du dossier
Daniel Breton, ancien (pour une courte période) ministre de l’Environnement du gouvernement Marois, est lui-même intervenu récemment, juste avant les groupes, pour fournir une synthèse de la situation tirée du rapport et qui suggère que l’appui des groupes devrait être bien plus étoffé, voire – mon ajout – retiré. Il couvre une série de questions. (i) Nous faut-il une augmentation de l’offre de transport en commun dans la région de Montréal? La réponse, reconnue par tout le monde, est oui. (ii) Est-ce que la Caisse a fait une analyse sérieuse de ses différentes options pour le transport en commun dans l’ouest de l’Île et la Rive Sud? La réponse, détaillée en fonction des documents soumis au BAPE lors de la consultation (d’autres l’ont été, mais trop tard pour être pris en considération dans la rédaction du rapport) est non. (iii) Quel est l’impact du projet sur les émissions de GES? La réponse est que le REM réduira émissions entre 0,15% (Breton) et 0,30% (Caisse le 6 février), ce qui reviendrait (le GRAME) à des milliers de dollars la tonne de GES évitée, alors que le gouvernement fédéral cible pour 2022 une valeur d’environ 50$ la tonne pour sa taxe carbone. (iv) Qu’en sera-t-il du transfert modal (de l’auto au transport en commun)? La réponse est que la quasi-totalité de l’achalandage du REM proviendrait des usagers actuels du transport en commun qui empruntent déjà le pont Champlain. Comme Breton le résume, ce projet de plusieurs milliards de dollars permettra peut-être de «convertir» entre 5% et 10% des voyageurs qui prennent actuellement leur auto (presque solo). (v) Les obligations de rendement de la CDPQ pourraient-elles avoir un impact monétaire pour les usagers et les contribuables? Breton de répondre:
Pour le projet de REM, la CDPQ Infra exigerait un rendement d’au moins 10% sur les fonds qu’elle investirait dans le projet, au-delà de ce que les gouvernements provincial et fédéral investiraient. Précisons que les sommes investies par les gouvernements – empruntées sur le marché – commanderaient un taux d’intérêt de 3 % selon les cours actuels.
Ainsi, par rapport au taux d’emprunt du gouvernement, on parle d’un écart de 7%. Traduit sur un investissement de 3 G$, ça veut donc dire que les usagers du transport en commun et les contribuables de la grande région de Montréal devraient lui verser 210 M$ de plus par année que si le gouvernement finançait tout cela à un taux de 3%.
Breton conclut en insistant sur le fait que si ce projet dispendieux n’est pas bien fait, il risque de discréditer toute la filière (du transport électrique, pour lui, du transport en commun plus généralement, j’ajouterais).
Le défi des transports en commun
Le REM est une nouvelle intervention de la Caisse, et elle a agi en amateur en ce qui concerne son insertion sociale, parce qu’elle intervenait comme elle devait en fonction presque uniquement de ses objectifs financiers. L’analyse du dossier, dont celle d’une intervention du pdg de la Caisse, Michael Sabia, le 7 février, suggère que l’intérêt de la Caisse pour le projet est son insertion dans le mouvement économique d’innovations, dans ce cas, l’occasion de participer à la technologie d’électrification des transports. Le rapport du BAPE montre assez clairement (comme on pouvait presque le soupçonner d’avance) que la Caisse ne s’intéresse pas au défi social de la congestion comme tel. À cet égard, Breton note que «l’ennemi principal en ce qui a trait à la congestion est l’auto solo. En effet, aux heures de pointe, on ne retrouve que de 1,1 à 1,2 personnes par voiture dans la circulation. Donc, pour beaucoup d’entre nous, il est faux de dire que nous sommes pris dans la congestion. Nous devrions plutôt comprendre que nous sommes la congestion.»
Le dernier calcul de Breton dans son petit document synthèse rejoint, probablement sans qu’il y pense, le travail intéressant de Bertrand Schepper de l’IRIS sur l’enjeu des transports et des émissions de GES. Breton note qu’il aurait «un coût supplémentaire d’au moins $2 milliards de plus en 10 ans pour un REM financé par la CDPQ Infra plutôt que si le gouvernement investissait la totalité des sommes. C’est donc l’équivalent de 200 à 300 autobus 100% électriques supplémentaires PAR ANNÉE qui pourraient être achetés par les sociétés de transport. Donc, pourquoi le gouvernement ne fait-il pas ce projet lui-même?» C’est sûrement une question de «vraies affaires».
Schepper présente dans «Le transport en commun comme solution à la relance économique et à la crise environnementale au Québec» un argument à l’effet qu’un recours à des autobus représente probablement la meilleure approche au défi, cela tout en fournissant un incitatif économique à des entreprises du Québec pour la construction et l’entretien d’une flotte d’autobus. Cette approche semble tellement plus intelligente, tellement plus respectueuse des moyens financiers disponibles, tellement plus cohérente par rapport aux objectifs de la société (abstraction faite de son insertion dans le modèle économique), que l’adhésion des groupes au REM, avec quelques bémols, est presque incompréhensible. Sauf qu’il faut comprendre que les trois groupes cherchent à endosser, comme Michael Sabia mais de leur façon, ce modèle économique, la volonté d’innovation dans l’économie vouée une nouvelle croissance et – éventuellement – une société où les transports en commun seraient au cœur des déplacements de la population. Cela n’est visiblement pas le cas pour le REM, qui vise surtout le premier point et entraîne dans son sillage les trois groupes. Avec leur adhésion au modèle économique, ceux-ci semblent même prêts à appuyer une mise en question du BAPE au moment même où le gouvernement semble y songer…
MISE À JOUR le 4 mars 2017
Le Réseau électrique métropolitain (REM) et la nouvelle filiale de la Caisse de dépôt et placement du Québec, CDPQ Infra, font couler beaucoup d’encre. Le mégaprojet de REM est un train électrique qui reliera la Rive-Sud de Montréal, l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, le centre-ville de Montréal, l’ouest de l’île et Deux-Montagnes ; il sera financé non par le gouvernement ou par un consortium privé, mais par une filiale privée de la Caisse, un investisseur institutionnel au Québec. Pour certain·e·s, il s’agit de la mise en place d’un mode de financement d’infrastructures publiques qui ouvrira des horizons pour le Québec. Pour d’autres, ce n’est rien de plus qu’une forme de partenariat public-privé. Récemment, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) s’est montré très critique face au projet de la CDPQ en le qualfi ant d’incomplet, notamment sur les questions économiques. Il a dit que le REM ferait peu pour atteindre les objectifs de déplacement propres au transport en commun à Montréal. De plus, l’indépendance de CDPQ Infra nuirait à la planification du transport en commun dans le grand Montréal. Face à ces conclusions, plusieurs acteurs des milieux politiques dont le maire de Montréal et le premier ministre du Québec4 se sont portés à la défense du projet de REM.
Alors que Paris réussit à construire vingt kilomètres de voies de tramway en moins de trois ans sur les Grands Boulevards, Montréal, qui n’a ajouté ni station de métro ni autre infrastructure lourde de transport en commun sur son territoire depuis vingt-cinq ans, accueille béatement le projet de train de l’Ouest de la Caisse de dépôt, qui absorbera l’essentiel du financement public destiné au transport en commun dans la région de Montréal pour desservir ses quartiers les plus riches et repousser,, encore une fois, les développements du transport en commun dans l’est de l’île. (248)
MISE À JOUR le 15 mars 2017
Voir maintenant une bonne analyse dans le sens de cet article, au Devoir aujourd’hui.
[1] Il faut quand même reconnaître que même la LDD a été adoptée en voulant lui assigner un rôle mineur dans les processus gouvernementaux. J’ai fait une présentation à l’ÉNAP sur le contournement impliqué.
[2] Pendant ma deuxième année comme Commissaire au développement durable, j’ai fait une vérification sur la planification du transport et de l’aménagement dans la région métropolitaine de Montréal. Je voulais voir s’il y avait cohérence dans les travaux du ministère des Affaires municipales et des Régions et dans ceux du ministère des Transports. La conclusion était à l’effet que les travaux ne favorisaient pas la cohérence. Le mandat donné par le gouvernement Couillard à la Caisse de dépôt et de placement du Québec – pour des raisons que j’ignore – la laisse complètement indépendante des travaux des ministères et des instances municipales qui cherchent à coordonner et rendre cohérents les travaux de planification et d’aménagement. Il serait intéressant si des lecteurs pouvaient fournir des informations et des analyses des motifs du gouvernement en donnant le mandat à la Caisse.
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