Brasser la cage (2) – «l’austérité joyeuse»

Les cinq chantiers proposés par l’IRIS dans son récent livre s’insèrent dans une vision d’une société où l’économie est «l’ensemble des activités socialement utiles et [dont] l’articulation doit être pensée sur le plan collectif» (p.18). Les auteures ne fournissent pas de référence pour cette vue de l’économie, mais ce qui est clair est qu’elle est plutôt incompatible avec la vision de l’économie néoclassique. Ces chantiers fournissent en fait quelques fondements d’une nouvelle société et non, comme elles veulent, la nôtre adaptée pour en prendre compte, adaptation qui se montre illusoire d’après des décennies d’efforts.

Le livre sur les chantiers est une sorte de clarification des objectifs du livre Dépossession (voir la série d’articles du blogue de mars 2015) qui ne réussit pas à fournir le portrait de l’avenir que les auteurs pensent souhaitable. Dépossession annonce un deuxième volume sur les enjeux sociaux, qui pourrait être ce livre sur les chantiers, même s’il n’y est nullement mention.

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Un territoire agricole à mettre sous gestion publique, option déjà possible pour le territoire de la forêt publique

Réapproprier son territoire

La définition du territoire dans le quatrième chapitre fournit déjà des perspectives plutôt nouvelles; il est «un espace social, vécu et occupé par des groupes qui s’y donnent un mode de vie et une représentation d’eux-mêmes» (83). Il s’agit d’un complément à la définition du premier chapitre de l’économie et permet d’aborder la question de l’aménagement et de l’occupation du territoire suivant une perspective de changement profond.

Comme c’est le cas pour les autres chapitres, celui-ci cible pour sa réflexion des enjeux déjà reconnus et pour lesquels il existe déjà des modèles à suivre, même s’ils se trouvent à un niveau marginal actuellement. Les implications d’un effondrement rehaussent l’intérêt de leurs modèles dans un contexte plus exigeant quant à la recherche de véritables pistes pour passer à travers. Le tout cherche à sortir de la domination de l’économie marchande qui exige une «soumission» au rendement et à la croissance, dans ce chapitre plus explicitement que dans les trois premiers.

Les auteurs ne semblent souligner nulle part que l’objectif de «se donner la capacité d’agir sur les conditions de la vie collective» (87) plutôt que de se soumettre aux objectifs de croissance comporte presque inéluctablement l’abandon du modèle dominant et – nulle part mentionnée – une diminution de revenus qui est refusée explicitement dans le chantier sur la réduction du temps de travail, et esquivée ici. Comme souligné dans la précédent article, il s’agit pourtant d’un fondement d’une nouvelle société qui cherche à s’insérer dans la durée alors que nous risquons des effondrements à l’échelle planétaire.

Dès le départ, les auteures cible la propriété privée comme source des problèmes, revenant à un autre fondement de ce modèle dominant, avec celui du travail salarié. Elles reconnaissent d’emblée une autre façon d’identifier le territoire que le niveau de revenus que l’on estime pouvoir en tirer et un autre mode de propriété que la propriété privée, en échange de bénéfices sociaux accrus. Ils proposent deux mesures, des «organismes foncièrement utiles» (OFU) et, pour regrouper les OFU, des communes, le tout fondé sur le modèle des fiducies foncières communautaires et qui mettrait l’accent sur les décisions prises collectivement concernant l’usage de ces territoires, soustraits à un impératif de rendement.

Leurs propositions pourraient s’appliquer aussi bien dans le cas d’un effondrement que dans l’effort illusoire de changer l’économie productiviste; problématique qui échappe à l’analyse, la question du financement entourant le rachat de grands pans du territoire par la société/l’État. Voilà une occasion pour une intervention d’une CDPQ ayant transformée ses objectifs face à la menace (aussi illusoire que la proposition de l’IRIS…), alors qu’elle est déjà intéressée par ce secteur d’intervention, comme en témoigne son projet avec la FTQ de Pangea[i]. Les propositions du chapitre visent à «localiser et décentraliser la gestion du territoire et à développer le terrioire en fonction du mode de vie (l’usage) plutôt que de la valoirisation marchande (l’échange)» (87).

Dans le cadre d’une importante partie du territoire régie par les OFU, des communes seraient nécessaires comme «nouvelle répartition du pouvoir et des ressources qui rendra possible l’exercice de ce pouvoir… Il faut rompre avec un modèle d’État extrêmement centralisé pour permettre la gestion collective» (96). Voilà un portrait qui rendrait le territoire rural agricole similaire à ce qui caractérise déjà 90 % du territoire forestier (quitte à reconnaître d’importants problèmes à cet égard).

Les auteurs terminent en insistant que cette sorte de gestion territoriale collective exigera un engagement en temps de la part des personnes qui l’occupent, et retournent à la proposition du premier chapitre à générer plus de temps «libre» pour les activités sociales et personnelles. On doit «tout simplement» souligner, à cet égard, que ce temps risque d’être bénévole, solidaire, plutôt que rémunéré, dans une société ayant passée à travers un effondrement de sa structure économique.

Transition

Le dernier chantier du livre fournit, presque sans le vouloir, les fondements pour une transformation du positionnement de l’IRIS, qui doit reconnaître que l’austérité «expansive» qu’il critique ne pourra être remplacée que par une sorte d’«austérité joyeuse», et non par une continuité dans l’abondance obscène qui caractérise actuellement les sociétés riches (dont le Québec). Comme ils disent dès le premier paragraphe «le poids des activités économiques dépasse depuis longtemps les seuils critiques de protection de la nature» (103).

Il s’agit d’une des rares reconnaissances dans le livre de l’état de dépassement qui caractèrise la société actuelle et qui est en train de mener à son effondrement, mais elle cible l’effondrement des écosystèmes planétaires plutôt que celui du modèle sociétal fondé sur l’économie néoclassique (voire néolibérale). Ce dernier est la projection de Halte à la croissance à laquelle je réfère assez souvent.

Le lien est fait avec le portrait d’un ensemble de gouvernements incapables de gérer les défis des changements climatiques, semblerait-il en raison des contraintes économiques liées au modèle de développement économique industriel qu’une telle gestion imposerait, même si cela n’est pas indiqué explicitement.

Les auteurs passent tout de suite à la pièce maîtresse de leur constat, en présentant le budget carbone – celui des émissions que le Québec pourra se permettre tout en respectant les travaux du GIÉC et en évitant une hausse catastrophique de la température à l’échelle planétaire. À la COP21 en décembre 2015, les groupes ont incité la ministre fédérale de l’Environnement à endosser l’idée d’une cible d’une hausse maximale de 1,5°C de température à l’échelle planétaire, même si l’Accord de Paris cible finalement 2°C. Même ce dernier objectif ne nous donne que deux chances sur trois de succès, pas très fort comme avenir prévisible)… Ici, les auteurs fournisent les chiffres:

Si l’on tient compte de son poids démographique relatif, le budget carbone du Québec est de 1,4 Gt de CO2 pour une limite sécuritaire de 2°C. Si l’on vise un seuil limite plus prudent, soit 1,5°C, alors le budget passe à seulement 0,4 Gt de CO2. Cela représente sept années d’émissions au niveau actuel. Cela veut dire que, pour respecter ces limites, il faut réduire nos émissions de GES d’au moins 53 % d’ici 2030 et de 88 % d’ici 2050 si l’on vise le seuil de 2C. Pour celui de 1,5°C, il faudrait atteindre la neutralité carbone (-100 %) dès 2030. (107)

Voilà un élément incontournable de la problématique: les cibles sont inatteignables et les gouvernements ne cherchent même pas à les atteindre de toute façon[ii]. Les auteurs sont tout à fait conscients de la possibilité d’un effondrement dans de telles circonstances, comme ils disent au tout début, en maintenant une causalité à l’envers de celle du Club de Rome:

Si un changement de direction majeur ne survient pas rapidement, le monde pourrait se diriger vers une augmentation importante et permanente des événements météorologiques extrêmes, ce qui pourrait, à terme, paralyser les activités économiques, créer des millionis de réfugiés climatiques et mettre en péril notre avenir économique est social. (103)

Ils poursuivent leur présentation de propositions, dans le contexte de ce budget carbone, avec deux propositions concernant les transports, principale source d’émissions de GES au Québec, l’idée d’introduire un tarif enironnemental sur les importations (dans le respect des ententes commerciales) et un accent sur les circuits économiques courts. Les premières propositions ciblent une diminution constante du transport routier, partant de la conclusion de leur analyse déjà citée dans le premier article à l’effet que le transport routier n’est tout simplement pas viable économiquement pour le Québec.

Ils proposent un investissement gouvernemental dans le transport en commun de six milliards de dollars sur cinq ans, répartis sur tout le territoire québécois. En complément aux efforts de gérer les transports urbains, ils proposent la création d’un monopole pour les transports collectifs interurbains et sa prise en charge par l’État. Encore une fois, dans le cadre d’une planification pour préparer un effondrement, de tels investissements pourraient être recherchés du coté de la CDPQ, en insistant que les orientations de la Caisse soient changées, orientations montrées récemment et encore une fois à l’encontre de l’intérêt public en matière de transports dans ses propositions concernant le REM à Montréal.

Les implications du tarif proposé sur les importations sont intéressantes: elles comportent une réduction probablement dramatique de la consommation au Québec de produits fabriqués ou cultivés ailleurs au monde. Commes ils disent, «les contraintes environnementales que nous connaissons aujourd’hui nous forcent à définir un modèle de développement économique qui favoriserait une économie locale plus diversifiée, tout en permettant aux communautés de satisfaire leurs besoins en diminuant leur vulnérabilité face aux soubresants de l’économie mondiale.» (118). C’est le portrait que nous essayons d’esquisser en d’autres termes en mettant un accent sur l’empreinte écologique et la surconsommation au Québec.

Quant à l’idée de cibler des circuits économiques courts, les auteurs prônent une relève par les entreprises locales pour remplacer ce qui est actuellement importé, cela en cherchant à «éviter que cela ne se traduise en une hausse du prix du panier de consommation». Ici ils rejoignent les autres auteures du livre dans ce qui semble être un effort d’imaginer des bouleversements économiques et commerciaux et une réduction de notre empreinte écologique – qui doit nécessairement être dramatique – sans que cela ne comporte des coûts pour les individus de la société.

Finalement, leurs propositions, qu’ils reconnaissent ou non l’effondrement qui arrive, y aboutissent, l’impossible budget carbone étant le fond du problème. Au strict minimum, leur vision d’entreprises locales qui produisent avec une empreinte beaucoup moindre oublie le fait que cela nécessite quand même l’intégration du coût des externalités dans le prix à la consommation, ce qui n’existe tout simplement pas aujourd’hui et fait que les prix actuels pour les produits dans le commerce sont beaucoup trop bas…

Leur principal exemple pour les circuits courts est le programme de «l’agriculture soutenue par la communauté», les «paniers bio». Je présume, sans l’avoir vérifié, que les prix pour ces paniers sont plus élevés que ceux dans les supermarchés, mais peut-être l’élimination des intermédiaires aboutit à un prix moindre. Reste que la combinaison de cette initiative, à beaucoup plus grande échelle, avec la proposition de réapproprier le territoire agricole et le soustraire à la concurrence du commerce, national et international, représente le fondement de l’agriculture paysanne que j’ai esquissée ailleurs comme fort probablement un portrait de notre avenir régional.

Le chapitre termine en revenant sur la nécessité de «transformer» notre économie, ajoutant que «devant la crise environnementale, et considérant la piètre performance du modèle économique actuel, il apparaît primordial de sortir de notre vieille logique de développement et de se tourner vers un réel projet de société qui sera à la fois vert et émancipateur» (124). L’économie verte implicite ici en moins, la vision du livre de l’IRIS fournit de nombreux éléments d’un portrait de la future société québécoise cherchant à affronter l’effondrement.

Pour conclure

Comme l’ensemble de ces chercheurs soulignent dans la brève conclusion:

[I]l est possible selon nous de permettre à tout le monde de vivre mieux. Pas seulement mieux selon la bête logique de la croissance du PIB, mais mieux au sens de mener une vie plus agréable, plus digne, moins soumise à des logiques de domination ou d’oppression (126).

Cette vision, ce portrait de l’avenir fourni par les jeunes de l’IRIS, fournissent un complément intéressant à mes propres efforts de mettre en évidence la transformation des projections de Halte en prévisions, cela pour un avenir très rapproché. Il faut juste attendre qu’elles réalisent qu’elles proposent une véritable révolution, une révolution qui va nous tomber dessus et qui mérite que nous nous y préparions.

L’anthropologue Marshall Sahlins nous suggérait des éléments d’une telle piste d’«austérité joyeuse» il y a presque un demi-siècle:

Il y a deux voies possibles qui procurent l’abondance. On peut «aisément satisfaire» des besoins en produisant beaucoup, ou bien en désirant peu. La conception qui est familière, celle de Galbraith, est donnée sur des hypothèses plus particulièrement adaptées à l’économie de marché: les besoins de l’homme sont immenses, voir infinis, alors que ses moyens sont limités quoique perfectibles; on peut réduire l’écart entre fins et moyens par la productivité industrielle, au moins jusqu’à ce que les «besoins urgents» soient pleinement satisfaits. Mais il y a aussi une voie «Zen» qui mène à l’abondance, à partir de principes quelque peu différents des nôtres: les besoins matériels de l’homme sont finis et peu nombreux, et les moyens techniques invariables, bien que, pour l’essentiel, appropriés à ces besoins. En adoptant une stratégie de type Zen, un peuple peut jouir d’une abondance matérielle sans égale – avec un bas niveau de vie. (Âge de pierre, âge d’abondance: L’économie des sociétés primitives, (Gallimard, 1976), p.38)

 

[i] Voir par exemple http://quebecsolidaire.net/nouvelle/accaparement-des-terres-agricoles-quebec-solidaire-sinquiete-de-la-consolidation-des-terres-agricoles-et-soppose-a-la-transaction-entre-pangea-la-cdpq-et-le-fonds-ftq ou https://www.upa.qc.ca/en/press-releases/2017/04/pangea-la-cdpq-et-le-fonds-ftq-le-gouvernement-du-quebec-doit-bloquer-cette-transaction/ pour la manifestation de préoccupations pour l’orientation actuelle, qui mériterait d’être conciliée avec la proposition de l’IRIS.

[ii] Pour un portrait plutôt complet de l’échec canadien à tous les niveaux de gouvernement face à l’exigence de monter des programmes pour contrer la menace des changements climatiques, voir – en dépit du titre – le récent livre de Normand Mousseau, Gagner la guerre du climat : Douze mythes à déboulonner (Boréal, 2017) ainsi que l’article du blogue de l’auteur, à http://www.harveymead.org/2017/03/10/gagner-la-guerre-du-climat-vraiment-un-treizieme-mythe-a-deboulonner/ .

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Brasser la cage (1)

C’est ainsi que l’IRIS décrit son effort de fournir un «éventail d’alternatives concrètes et audicieuses pour changer le Québec, à l’opposé des politiques d’austérité» dans son récent ouvrage collectif Cinq chantiers pour changer le Québec : Temps, démocracie, bien-être, territoire, transition (Écosociété, 2016) [i]. Il est fascinant de lire ce fascicule en fonction des analyses et des propositions cherchant à fournir un portrait d’un Québec possible plus ou moins sorti du modèle économique néoclassique, tâche que je me donne assez régulièrement. L’IRIS, comme un ensemble d’intervenants progressistes au Québec, cible le néolibéralisme pour ses critiques, alors que c’est le système fondé sur l’économie néoclassique qui est à l’origine de nos problèmes. Halte à la croissance a été publié bien avant la venue du néolibéralisme, toute en soulignant les défis qui sont toujours en cause.

Les propositions de l’IRIS constitue une sorte d’«austérité joyeuse» pour une société où l’économie serait reconnue comme «l’ensemble des activités socialement utiles et [dont] l’articulation doit être pensée sur le plan collectif» (p.18). Une adaptation des propositions à une vision d’une société post-capitaliste et non seulement post-néolibérale se fait presque sans heurts tellement elles ciblent des interventions proches du vécu au Québec. Les propositions se déroulent en cinq chapitres.

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Réduction du temps de travail, pour des voyages ou pour une implication sociétale? rémunéré, ou non?

En modifiant les perspectives de Cinq chantiers pour changer le Québec, on voit toute une série de propositions qui permettent de mieux décrire certaines options pour un avenir qui risque de se confronter à un effondrement de son modèle économique.

La réduction du temps de travail

Dans le premier chapitre «Temps», les auteures proposent une réduction du temps de travail comme moyen d’améliorer la qualité de vie des individus tout comme de la collectivité. Il est presque surprenant de les voir insister, ce faisant, que cette réduction devrait être sans perte de revenus. Les auteurs s’insèrent ainsi dans un effort de corriger certains méfaits du néolibéralisme, dont la rétention des gains de productivité par le 1%, alors que ces gains pourraient être redistribués parmi justement les personnes qui y ont contribué. Il reste que la conception ainsi faite de la réduction du travail l’insère dans le système productif qui est au cœur de l’effondrement prévisible et critiqué de fond en comble par le livre.

Il semblerait pertinent d’envisager une telle mesure, décrite pour inclure la longueur de la semaine de travail, la longueur de l’année de travail ainsi que pour identifier du temps libre inscrit dans le plus long terme. Une perte de revenus correspondant à la réduction du temps de travail irait de pair avec une perte du «pouvoir d’achat», c’est-à-dire une réduction de la consommation, absolument essentielle dans la conception de la société que nous pourrions identifier comme ayant passé à travers l’effondrement et tout à fait prévisible dans une telle éventualité. Le Québec dépasse actuellement par au moins trois fois, par son empreinte écologique, la capacité de support de la planète, et il nous importe d’essayer de voir ce qui pourrait permettre de corriger cette situation.

Une démocratie au travail

Les changements implicites dans les structures d’entreprises associées à cette transformation de la société ne sont pas abordés par les chercheures du premier chapitre, mais ils le sont par ceux du deuxième. En fait, la première et principale proposition du deuxième chapitre est de mettre un accent sur les coopératives de travail. Sans qu’ils ne l’abordent dans le détail, l’esquisse fournie par cette proposition note qu’elle remonte aux origines du socialisme, et fournit sans le dire un portrait d’une société où le travail serait beaucoup plus collectif mais beaucoup moins rémunéré. Comme ils soulignent, l’objectif du profit n’existe pas dans les coopératives comme priorité; celles-ci mettent un accent sur une contribution à la collectivité et une satisfaction dans le travail, cela normalement sans la rémunération requise par les entreprises privées qui cherchent par une meilleure productivité à se maintenir dans la concurrence.

Le «contre-modèle» que représentent les coopératives ouvre donc des perspectives dans le livre pour l’idée de «démocratiser l’économie». À cet égard, les auteurs présentent un portrait de l’économie sociale où ils notent que l’ÉSS reste toujours marginale dans la société et n’est qu’un point de départ pour ce qui est nécessaire. En contre-partie, un tableau dans le texte montre jusqu’à quel point les entreprises de l’économie sociale durent plus longtemps que celles inscrites dans la concurrence du modèle dominant; on peut y voir un élément du portrait d’une société où la rémunération ne dominerait pas dans les perspectives des entreprises. On doit probablement oublier l’idée de l’IRIS de voir le gouvernement investir des milliards dans un effort de stimuler la création de ces entreprises, mais y voir plutôt une initiative qui viendra de la base face aux énormes contraintes que nous risquons de connaître.

Les contrats gouvernementaux, qui offrent pour les auteurs un potentiel pour une augmentation de la part de l’ÉSS dans la société, risquent également d’être beaucoup moins importants en termes de budgets disponibles, ouvrant la porte à des besoins sociétaux auxquels une ÉSS fonctionnant toujours avec moins de rémunération pourrait répondre; il est également à noter que, selon le chapitre 5 du livre, une très grande partie de ces contrats est associée aux transports et représentent visiblement un élément important dans la non viabilité de notre système de transports actuel (111).

Le chapitre aborde aussi l’objectif de démocratiser les services publics, avec des propositions pour les secteurs de l’éducation et de la santé. Les auteurs touchent ainsi et directement à une situation où les finances publiques ne seront pas, dans un avenir défini par l’effondrement, à la hauteur des besoins tels que conçus selon les barèmes actuels. Comme pour le cas des entreprises, leurs propositions s’insèrent ici aussi dans une telle perspective. Les travailleuses dans les CPE ne sont pas particulièrement bien rémunérées actuellement, et contribuent ainsi à une économie sociale où le travail n’est pas associé en priorité à la rémunération. L’idée de voir les garderies privées subventionnées actuelles transformées en CPE irait de pair avec une disparition de telles subventions faute de budgets gouvernementaux.

Pour la démocratisation des écoles, le chapitre met un accent sur la prise de contrôle par les instances communautaires locales et une gestion par des conseils d’établissement, structures déjà existantes et fonctionnant en bonne partie sans rémunération à la hauteur du privé. Cela ferait partie d’une «prise en charge par les usagers et les employé.e.s de la gestion quotidienne des services publics» (48) et introduit ainsi la série de mesures proposées dans le secteur de la santé, mesures qui débutent avec un retour à une conception du début de la Révolution tranquille, celle des médecins salariés et sans le pouvoir de contrôle qu’elles exercent actuellement. En contre-partie, les auteurs ciblent directement les CLSC. Ceux-ci sont en voie de disparition, mais constituent un modèle bien connu dans le système québécois mais sabordé dans son rôle au fil des années. La priorisation des CLSC et des interventions qui coûtent moins cher que les interventions plus spécialisées, tout comme la critique des revenus des médecins, s’insèrent facilement dans une perspective où le gouvernement n’aura pas le budget pour maintenir le système de santé dans l’état actuel.

La critique par l’IRIS de l’approche de la nouvelle gestion publique calqué sur le modèle privé s’attaque aussi et ainsi au pouvoir des gestionnaires dans le système actuel. Ils proposent «un modèle radicalement différent, qui mettrait l’accent sur l’interdisciplinarité des équipes de soins, où les médecins n’auraient plus les attributs d’une caste privilégiée et où l’ensemble du personnel aurait l’autonomie et les moyens nécessaires à la pleine réalisation des soins requis par la population» (54). Suit l’idée de prioriser la prévention et «une première ligne ayant une vision sociale et communautaire de la santé»; le portrait semble rejoindre ce faisant une approche qui tiendrait compte de l’effondrement prévisible des finances publiques.

Un bien-être redéfini

Le livre de l’IRIS n’aborde pas le défi de la surconsommation actuelle des sociétés riches comme la nôtre. Il reste que le troisième chapitre s’attaque «aux aspects systémiques qui conduisent à l’aide sociale» pour cibler l’idée d’une sécurité de revenu, à «la possibilité collective d’assurer à toutes et à tous la capacité de couvrir leurs besoins de base» (59). Le bien-être recherché est collectif et ne comporte pas nécessairement une capacité pour une surconsommation.

Avec une sous-section ciblant «néolibéralisme, austérité et pauvreté», le chapitre aborde des enjeux qui exigeront des décisions collectives pour passer à travers l’effondrement pour arriver à une société qui serait à l’opposé à maints égards à celle d’aujourd’hui et qui ciblerait la sécurité de revenu. Clé semble être l’abandon de l’idée de forcer une intégration dans le marché du travail; sans le dire, il s’agit d’une mise en question d’un fondement du modèle néoclassique, le travail salarié. Comme ils disent, tout le monde gagnerait à ce que «le travail salarié accapare une place moins importante de la vie» (18), même si, contrairement à leur vision, le temps libéré n’était pas rémunéré.

D’une part, les auteures insistent : «l’activité humaine constituée en « marché du travail » ne produit pas que de la richesse et de la qualité de vie. C’est aussi un système gagnant-perdant qui favoriste la concentration de la richesse. Il génère des inégalités de la pauvreté et de l’exclusion… [I]l y a d’autres richesses et ressources que l’argent, et d’autres contributions à la vie collective que celles qui sont reconnues dans le marché du travail» (64-65). Elles visent non seulement un marché du travail qui est inégalitaire, mais un marché qui de toute façon ne réussira pas à fournir de l’emploi à toutes les personnes de la société à venir. Elles semblent viser prioritairement un nouveau pacte social et fiscal (65) qui en premier lieu exigerait une meilleure distribution de la richesse et insistent qu’il faut finalement «refonder la société sur des valeurs de coopération» (67), incompatible faut-il suggérer avec une société fondée sur l’économie néoclassique.

Encore une fois, les auteures présument du fonctionnement actuel d’une société inégalitaire pour esquisser quelques calculs sur sa «capacité productive» (69). Ils proposent trois actions spécifiques (71-71) : (i) étendre le rôle du crédit d’impôt pour solidarité (CIS); corriger les inégalités dans le calcul du niveau de vie minimal des différents types de ménages; augmenter le salaire minimum pour que toute personne qui travaille à temps plein sorte de la pauvreté. Les coûts de telles actions pourraient vraisemblablement être couverts par une meilleure distribution de la richesse, en en prenant aux riches.

Dans le cadre d’un effondrement, le défi serait différent, soit de se mettre ensemble pour valoriser une société plus égalitaire mais où le revenu serait sensiblement plus bas, où l’emploi serait bien plus rare et où la pauvreté et la richesse seraient probablement à redéfinir. Alors qu’elles voudraient «assurer une transition qui ne pénaliserait pas les petites entreprises et les petits organismes, une aide gouvernementale temporaire pourrait leur être offerte». Il y a lieu de croire que leur portrait de la société à venir, souhaitable, dépendra justement de l’action citoyenne qu’ils priorisent plutôt d’une économie productiviste générant des surplus repris par les gouvernements, économie qui est finalement au cœur des problèmes auxquels elles s’adressent et qui est à risque de s’effondrer en raison de ses dépassements.

L’IRIS fournit dans ce livre une intéressante contribution à la réflexion qu’il faut poursuivre sur la façon de nous préparer pour l’effondrement qui semble probable. Cet effondrement frappera aussi bien l’économie néolibérale qui préoccupe l’IRIS que l’économie néoclassique dont la première n’est qu’une variante. C’est intéressant de voir les deux derniers chapitres du livre fournir plus directement le portrait d’une société qui aura laissé dernière elle les méfaits de l’économie néoclassique. J’y reviendrai sous peu.

 

[i] Un groupe d’auteurs français fournissent d’autres perspectives dans Un projet de croissance : Manuel pour une Dotation inconditionnelle d’autonomie (Écosociété, 2014). Tout comme deux initiatives britanniques font de même dans The Great Transition (new economics foundation, 2010 – en ligne) et Manuel de transition : De la dépendance au pétrole à la résilience locale (Écosociété, 2010).

 

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Pour sortir du pétrole – vraiment…

Le mouvement environnemental en général me paraît assez mal orienté, et j’essaie ici – comme je ferai par la suite – de préciser mes critiques et mes analyses, sachant que celles-ci doivent également être mieux énoncées.

J’ai récemment eu l’occasion de faire une présentation à un groupe environnemental très impliqué dans les différentes coalitions intervenant dans l’opposition au fracking, à Énergie Est et à d’autres aspects du positionnement «sortir du pétrole». J’y ai fait un effort d’élaborer – et de clarifier – mon sens que ces interventions, bien ancrées dans la tradition du mouvement et tout à fait justifiées, manquent quand même la cible principale.

Je laisse de coté ce qui semble être une volonté de la part de plusieurs des groupes nationaux ici au Québec de ne pas mettre en évidence et critiquer les énormes dérapages des différents gouvernements au Canada pour respecter les exigences de l’Accord de Paris. Cette volonté, ce refus d’engager les vrais débats qui s’imposent, me désappointent mais relèvent d’une autre sorte de façon de manquer la cible. On peut avoir une idée des importantes lacunes dans le «positionnement» canadien en lisant Gagner la guerre du climat : Douze mythes à déboulonner de Normand Mousseau; les «pistes» qu’il propose ne font que renforcer le constat que nous ne gagnerons pas cette guerre et devons nous préparer pour les conséquences, travailler sur une position de repli.

Les interventions des groupes régionaux me dérangent d’une autre façon. Je me suis déjà dit que les pipelines Keystone XL, Énergie Est et les autres allaient être construits peu importe l’opposition, qui est loin d’en être une des seuls groupes environnementaux. Par après, j’ai commencé à avoir des doutes, tellement les campagnes semblaient aller plutôt bien. Je voudrais tenter d’aborder les enjeux d’une toute autre manière ici, soupçonnant de nouveau que l’opposition ne réussira pas à arrêter les projets, en dépit d’un investissement de temps et d’énergie impressionnant, et convaincu que cette opposition devrait s’orienter autrement de toute façon.

La question du rendement de nos ressources en énergie fossile

Ceci aussi je me l’étais déjà dit aussi: si Keystone XL et Énergie Est sont construits, ils ne fonctionneront pas longtemps, laissant comme principal impact ceux de la construction, et non ceux des fuites etc., qui sont les risques à long terme soulignés par l’opposition. De la même façon, l’opposition à l’exploitation des sables bitumineux eux-mêmes pourrait être plus pertinemment faite aussi.

Je me fonde sur des analyses qui ne paraissent presque jamais dans les interventions, d’après mon suivi de celles-ci. Ces analyses tournent autour du pic de pétrole, mais en insistant sur la distinction fondamentale à faire entre les énergies fossiles conventionnelles et celles non conventionnelles. Pour le charbon, la distinction est probablement plus celle entre le charbon de haute qualité et le reste (mais il en reste de la bonne qualité, avec un ÉROI de plus de 50, déconcertant…), mais pour le pétrole et le gaz, elle insiste sur la question de l’accès aux gisements, de plus en plus difficile et coûteux et exigeant de technologies performantes.

J’en parle assez souvent: il s’agit de la question du «rendement énergétique» de ces ressources, de leur ÉROI (retour en énergie sur l’investissement en énergie). J’ai l’impression que les pétrolières (et les autres) ciblent presque uniquement les coûts qui sont en cause face au prix requis pour une rentabilité de l’exploitation, présumant que le prix va remonter; cela est dans le cadre d’une concurrence mondiale qui semble être au cœur de la baisse du prix depuis 2014, qui suivait une surexploitation entre autres des réserves de gaz de schiste aux États-Unis.

Résumé succinct

Drilling Down, Tainter et Patzek, figure 3.9

L’ÉROI du pétrole conventionnel découvert en Arabie saouidite dans les années 1930 était environ 100 (100 barils extraits pour un baril requis en investissement). Aujourd’hui, nous parlons d’un ÉROI de l’ensemble de la production mondiale qui s’approche du 15, et voilà le défi. Le graphique fournit une image de la situation: l’ÉROI va baisser davantage dans les années à venir en partie en raison de la baisse dans l’exploitation des gisements conventionnels, en partie parce qu’il y a de plus en plus de ressources non conventionnelles dans l’approvisionnement (même si bien limitées par rapport au passé du conventionnel), et celles-ci ont dès le départ un ÉROI assez bas – à moins que les réserves manquantes (le bleu pâle) soient comblées par des découvertes de nouveaux gisements de pétrole conventionnel…

Pour situer ce qui me dérange dans les interventions actuelles, il importe de souligner que l’ÉROI des sables bitumineux est en bas de 5, peut-être aussi bas que 3. Les travaux de Charlie Hall aboutissent au constat qu’il nous faut un approvisionnement en énergie avec un ÉROI au-dessus de 10 pour soutenir notre civilisation, énergivore (voir aussi un autre article de Hall).

La «récession permanente» prévisible

Autrement dit, il me semble assez clair qu’au fur et à mesure que notre approvisionnement dépendra des énergies non conventionnelles, nous allons nous trouver assez rapidement avec un ÉROI global et un coût d’exploitation qui frôleront la non rentabilité en ce qui a trait au maintien de notre civilisation.

Ce constat suggère qu’il n’y aura pas d’exploitation accrue des gisements des sables bitumineux, parce que la production pétrolière qui en proviendra ne permettra pas le maintien de l’ensemble d’infrastructures physiques et sociales qui définissent notre civilisation. Il se peut que les pipelines seront construits par Enbridge ou Transcanada, en se fiant à leur conviction dans une remontée des prix pouvant couvrir leurs coûts d’exploitation. Il ne se pourra presque pas que les sables bitumineux puissent nous fournir ce qu’il nous faut pour nous maintenir.

Ceci s’explique en partie par le coût nécessaire pour l’exploitation des sables bitumineux, qui s’approche de 100$ le baril pour de nouveaux projets (entre 43$C et 70$C pour l’extraction, entre 60$ US et 75$ US livré selon le plus récent rapport du Canadian Energy Research Institute). Il s’explique en plus par le fait que les coûts d’exploitation et l’ÉROI bas résultent de l’importance d’énergie fossile dans le processus d’extraction.

Face à cette situation, il y a eu des décisions des majors (Shell, Exxon, Statoil, autres) de se retirer des sables bitumineux, n’y voyant pas d’intérêt économique pour le court et le moyen termes. Leurs actifs ont été achetés par deux ou trois compagnies canadiennes, dont je ne réussis pas à concevoir le raisonnement dans la planification inhérente dans leurs acquisitions autre que le retour de prix trop élevés…

Ce qu’un ensemble de récessions depuis les années 1970 suggère est qu’un tel prix dépasse la capacité de notre civilisation à se procurer l’énergie qui lui est nécessaire. Il se peut que le creux dans le prix actuel soit temporaire, et qu’il y ait une nouvelle resurgence de production à des prix rentables. J’en doute, mais si oui, il semble assez clair qu’une telle situation nous mettra devant une autre récession assez rapidement, celle-ci fort probablement plus sérieuse que les précédentes. Comme Tim Morgan le caractérise dans Perfect Storm, nous sommes devant une situation économique définie en fonction d’une «récession permanente»: nous sommes au bord de la falaise…

Morgan cliff

Comment agir

J’imagine qu’il demeure important de contester les pipelines et les autres projets d’exploitation et de transport de pétrole et de gaz qui essaiment actuellement, au cas où, comme un ami dans les groupes nationaux m’a répondu face à ces réflexions, l’analyse suggérée soit erronée. L’opposition à ces projets exige de la part des acteurs, comme c’était le cas pour contester les projets de terminaux de gaz naturel liquifié (Rabaska, Cacouna) qui ne se sont pas réalisés, comme ce serait le cas à Québec pour un projet de troisième lien pour permettre l’accroissement du transport par automobile, qui ne verra jamais le jour, comme ce sera peut-être/probablement le cas pour tout ce qui tourne autour des sables bitumineux.

Devant la probabilité calculée de façon raisonnable et assez conservatrice, et devant l’importance des enjeux, je réponds qu’il faut se préparer aussi et presque plutôt – au moins, en même temps – pour la sortie du pétrole tout court. Il faut nous organiser en préparation de cela, alors que les groupes nationaux et les groupes régionaux se démènent à contester les menaces de court terme. Comme j’ai souligné dans mon article sur le livre Sortir le Québec du pétrole, déjà mentionné plus haut:

Le débat pour nous sortir du pétrole a beaucoup trop porté sur la bataille traditionnelle cherchant pour une énième fois à stopper des projets de notre mal-développement. Il reste toujours un besoin urgent pour faire le portait réaliste d’un Québec ayant passé à travers l’effondrement. Marcil débute le livre en soulignant que cet effondrement s’en vient, mais le livre n’arrive à nous fournir que quelques pistes pour passer à travers. Commençons par cibler une réduction de 50% de notre consommation d’énergie. Ensuite, cherchons à trouver comment identifier ce qu’il nous faut pour vivre sur cette planète malmenée (et pas seulement le long du fleuve à risque d’être malmené), avec l’idée que cela aussi se situera dans l’ordre de 50% de moins, en travail rémunéré tout comme en objets de consommation…

La nouvelle approche pourrait commencer avec une reconnaissance de l’échec de la COP21 et l’échec tout à fait prévisible de l’Accord de Paris (surtout si l’on se restreint au Canada et au Québec), comme Bill McKibben commence à réaliser en regardant les orientations de Justin Trudeau. Cette reconnaissance ne doit pas nous amener à mettre l’accent en priorité sur les adaptations nécessaires aux débordements du climat (qui viendront), mais à nous attaquer au système économique qui définit notre civilisation, notre société, système qui s’approche d’une récession permanente où le pétrole ne sera pas omniprésent et où l’automobile, pour cette raison et pour d’autres, ne le sera pas non plus…

L’automobile privée

Voilà un autre élément du positionnement qui ne me semble pas adéquat actuellement. L’opposition à tout ce qui tourne autour des sables bitumineux se fait dans le cadre d’une sortie du pétrole qui doit être précisée dans ses propres exigences. D’une part, il me semble inacceptable de nous voir souligner les risques potentiels de l’exploitation et du transport du pétrole des sables bitumineux alors que nous avons accepté sans la moindre préoccupation un approvisionnement en pétrole depuis des décennies provenant d’outre-mer, où des risques étaient souvent des réalités.

Les impacts se faisaient sentir dans des pays qui, par ailleurs, se trouvent souvent sur des listes dressées pour critiquer les pays qui ne respectent pas différents droits humains (pour un récent exemple, voir la chronique de Francine Pelletier dans Le Devoir du 3 mai dernier, qui fournit le lien à l’article de McKibben) et qui bénéficient – qui dépendent, assez souvent – de leurs expéditions de pétrole. Nous aurions dû «sortir du pétrole» il y a longtemps, si le raisonnement impliqué dans l’opposition actuelle était appliqué avec rigueur en tenant compte des externalités sociales et environnementales.

D’autre part, et probablement plus important dans le portrait, il y a des leurres dans l’opposition qui prône la sortie du pétrole. Plusieurs – presque tous – présument implicitement ou explicitement que nous allons pouvoir faire cette sortie en remplaçant l’énergie fossile par les nouvelles énergies renouvelables, cela donc en maintenant le modèle économique et de société que nous connaissons actuellement. J’ai déjà fait plusieurs articles ici pour souligner les failles importantes dans ces présomptions.

Depuis le 5e rapport du GIÉC en 2013-2014 et la COP21 de décembre 2015, nous devons aussi tenir compte d’autres aspects de la sortie du pétrole, soit la réduction dramatique et rapide de nos émissions de GES – maintenant quantifiés et avec un échéancier. Ici aussi, je suis intervenu avec plusieurs articles pour souligner l’importance – finalement, l’impossibilité – de ses nouvelles exigences. Pour le positionnement qui nous voit électrifier nos transports et ainsi régler nos défis en matière d’émissions, je souligne que dans sa politique énergétique de 2016 le gouvernement québécois vise une flotte en 2030 de 5 millions d’automobiles, et on n’y trouvera qu’un million de véhicules électriques. L’Accord de Paris ne nous permettra pas d’être si lents, cela sans même parler des exigences similaires (mais plus importantes) pour l’ensemble des pays riches et de la résolution des inégalités qui doivent primer dans la confrontation à notre situation, y compris en matière de transports, mais non seulement là.

Du travail à faire encore

Bref, je m’attendrais à ce que les groupes, nationaux et régionaux, interviennent face à des défis sociaux bien plus complexes et plus dérangeants pour le public que le passage de pipelines, de trains et de tankers. Notre défi, celui du mouvement environnemental, est bien plus social qu’environnemental, même en voulant agir pour éviter le pire des changements climatiques.

Un des grands dépotoirs à ciel ouvert de Ciudad Guatemala fournit de l'activité pour la population d'un bidonville qui s'y accote. Le recyclage en cause ne sortira quand même pas le bidonville de sa misère.

Un des grands dépotoirs à ciel ouvert de Ciudad Guatemala fournit de l’activité pour la population d’un bidonville qui s’y accote. Le recyclage en cause ne sortira quand même pas le bidonville de sa misère.

 

MISE À JOUR le 8 mai

Dans un article du Devoir de ce matin, au moins deux des signataires représentent des groupes nationaux. Leur article insiste sur la non rentabilité de l’exploitation des sables bitumineux, cela en suivant les décisions de plusieurs acteurs et tel que suggéré dans mon article, et sur les risques que cela fait courir à la Caisse de dépôt avec ses investissements dans le secteur.

Par contre, les signataires suggèrent que les décisions de la Caisse présument de l’échec de l’Accord de Paris et vont donc à l’encontre du positionnement du gouvernement du Québec à cet égard. Je ne sais pas à quoi ils réfèrent en pensant que le gouvernement du Québec cherche à respecter l’Accord de Paris. Je suggère que la lecture du livre de Normand Mousseau, Gagner la guerre du climat, fournit les bases d’un questionnement quant à leur position à eux à cet égard…

Derrière le tout, les signataires mettent en évidence «la transition énergétique» comme source de réplique, avec «l’essor des énergies renouvelables» et font référence à l’horizon de 2050. Il reste à voir quand les groupes nationaux vont se pencher sur les exigences quantifiées et avec échéancier de l’Accord, ce sur quoi j’insiste dans l’article.

 

 

 

 

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