Voilà que cela fait plus de trois mois depuis mon dernier article pour le blogue. Je travaillais sur un manuscrit qui va paraître cet automne, manuscrit qui porte sur les dérapages du système économique et sur les défaillances dans nos efforts de le contrôler. Je prétends que c’est maintenant trop tard pour continuer dans la même veine que celle marquant nos interventions depuis des décennies, que les projections de Halte à la croissance se réalisent (la figure) avec un effondrement de l’économie de production industrielle. Quand le texte sera publié, je m’organiserai pour permettre des commentaires sur le blogue, en espérant que je vais réussir à intéresser plusieurs.
L’Accord de Paris, un premier pas en avant (sic…)
Entretemps, et en parlant de défaillances : Lors d’une récente rencontre qui abordait le dossier des changements climatiques, un des leaders des principaux groupes environnementaux a conclu sa présentation en soulignant que l’Accord de Paris est un «premier pas en avant» vers un éventuel contrôle du réchauffement. C’était assez difficile à comprendre, un discours lénifiant et trompeur, l’Accord de Paris étant fort probablement le dernier pas avant de constater l’échec de l’ensemble des efforts et la nécessité de passer à un autre mode d’intervention, en dépit de l’inertie qui marque les interventions des groupes environnementaux .
À toutes fins pratiques, et en dépit du fait qu’ils sont le principal véhicule de sensibilisation à cet égard, les groupes qui insistent sur le succès inhérent dans l’adoption de l’Accord de Paris rejettent ainsi les travaux du GIÉC et des décennies d’expérience. Le GIÉC nous a donné et un budget carbone – la quantité maximale d’émissions de GES que nous pourrons produire tout en respectant l’objectif de Paris d’un réchauffement contenu en dedans de 2°C – et un échéancier tenant compte de la situation actuelle et du budget carbone. L’intervention trompeuse était vraiment difficile à comprendre, même s’il y a peu de raisons de croire que des interventions différentes constituant de vrais «premiers pas», prônant par exemple l’élimination de la voiture personnelle, seraient écoutées par le public et les responsables politiques.
Le budget carbone est clair et j’en ai parlé à plusieurs reprises, dont ici. Il s’agit d’une vraie première dans l’ère des préoccupations environnementales, une limite quantifiée que doit respecter notre civilisation dans ses activités économiques et sociales si elle ne veut pas déclencher son propre effondrement. Jusqu’ici, le mouvement environnemental a toujours cherché à restreindre les ardeurs des promoteurs du développement économique sans remettre en question le modèle de développement lui-même. Aujourd’hui – et c’était le défi de la COP21 – cette approche ne peut plus fonctionner dans un cadre restreint: pour l’ensemble de l’humanité, nous connaissons maintenant les limites de ces ardeurs et cela dans un contexte d’énormes inégalités entre les différentes populations des pays riches et des pays pauvres.
Presque sans exception, nos leaders environnementaux insistent sur le succès important de Paris, cela parce que les pays du monde y ont accepté un Accord – peu importe que cet Accord n’ait pas d’assises dans des engagements volontaires des pays visant à restreindre les émissions de GES de leurs activités respectives de manière à respecter le budget carbone. Les pays ont «annoncé» à Paris leur intention de poursuivre dans une voie qui va nous mener à une hausse de température d’environ 3°C, une véritable catastrophe reconnue par tout le monde. Le «développement économique» ne permet pas de faire autrement, et cela est vrai non seulement en Chine et aux États-Unis, mais ici au Canada aussi. Pour en avoir le portrait, voir le récent livre de Normand Mousseau sur douze mythes touchant les changements climatiques qu’il faut déboulonner au Canada. Un treizième mythe, celui qui croit en la croissance économique verte et sans limites, représente plutôt la trame de fond des critiques, non reconnue comme mythe par Mousseau.
Et on continue…
Pendant la période de rédaction du livre, je suivais quand même, distraitement, l’impressionnante revue de presse Enjeux énergies et environnement mise en ligne par Stéphane Brousseau. Il était presque fascinant de voir la couverture médiatique et le grand ensemble d’intervenants en environnement qui la commentait poursuivre dans la même veine qui définit les activités depuis des décennies, sans constater le manque de succès que je considère définitif de notre approche, prise aujourd’hui par une inertie consacrée par des décennies d’activités. En contrepartie, le 24 août, j’ai entendu aux nouvelles de Radio-Canada, pour une première fois, un reportage/analyse sur la possibilité que les finances ne seront pas là pour Énergie Est, pas plus que pour les sables bitumineux eux-mêmes… La revue de presse, en dépit de son moteur de recherche exceptionnel, n’a apparemment pas capté la nouvelle, peut-être parce que c’était de l’audio. J’avance l’idée depuis un certain temps, suggérant que le questionnement de fond sur les énergies non conventionnelles, sur le plan des coûts et de leur ÉROI, devrait être fondamental.
Une trame de fond de mon propre manuscrit – et de mon blogue – est l’échec du mouvement environnemental (le sujet du premier article du blogue) et la nécessité, l’urgence, de commencer à reconnaître cet échec et agir autrement. Cela pourrait commencer par une reconnaissance de l’échec de Paris. L’ouragan Harvey à Houston fournit des perspectives sur la situation. En rédigeant ce texte, j’avais commencé à décrire la situation à Houston en me référant aux deux ouragans probablement de récurrence 100 ans, cela depuis 2001 (Allison) et incluant Harvey. D’autres ont poussé la petite recherche plus loin: Karel Mayrand a contribué au portrait le samedi 2 septembre à Faut pas croire tout ce qu’on dit de Michel Lacombe en notant qu’il y a eu trois événements météorologiques de récurrence 20 ans depuis 1 an à Houston, le dernier, Harvey, représentant une instance de récurrence 100 ans; Francine Pelletier, dans sa chronique du 6 septembre au Devoir, ajoute que, depuis 1989, Harvey représente le 6e événement météorologique à Houston de récurrence de 100 ans… La ville est apparemment localisée dans une région de milieux humides, et sa croissance pendant les dernières décennies s’est faite carrément dans des zones inondables; un tel aménagement n’est peut-être pas surprenant dans un État où la population est probablement majoritairement climatosceptique, dans un pays qui est officiellement climatosceptique depuis la décision de Trump de le retirer de l’Accord de Paris. En dépit des évidences, la croissance – démographique, économique, territoriale – insiste sur d’autres priorités qu’une préoccupation pour des contraintes restreignant nos activités. En contraste, on peut soupçonner de nombreux militants de suggérer qu’il s’agira d’un «premier pas» dans la reconnaissance (enfin) des menaces des changements climatiques et de la nécessité de s’y attaquer. Je suggère que cela ne sera pas le cas. Pire, en mettant l’accent sur les menaces écologiques, ils ne voient pas les menaces qui pointent du coté du modèle économique lui-même, le pendant de l’incapacité des décideurs de voir les menaces écologiques.
Cette croissance est recherchée universellement par les décideurs, dont l’ensemble des participants à la COP21 où les engagements en termes de réductions des émissions de GES ont manqué à l’appel. Notre propre pays, officiellement préoccupé par le défi des changements climatiques, insiste pour agir de la même façon que partout ailleurs, cherchant à mitiger ses impacts à travers des décisions qui cherchent en permanence le développement énergétique fondé sur l’énergie fossile. Nous avons pourtant connu nos mini Houston (et, dans un tout autre contexte, nos feux qui ne sont pas mini, en Colombie Britannique). Et au Québec le gouvernement soutient l’idée du gaz naturel comme énergie de transition qui est digne d’un positionnement d’il y a 25 ans, et s’attaque en priorité aux «vraies affaires».
Pourtant
Les projections de Halte suggère un effondrement de notre système économique de production industrielle (la courbe mauve dans la figure ci-haut), aux environs de 2025, dit autrement et suivant d’assez près Naomi Klein et sa « décennie zéro », pour la période 2020-2030. Cela est projeté pour arriver avant des effondrements écosystémiques (la courbe bleue) que tout le monde peut commencer à imaginer face aux multiples événements qui se présentent (et Irma arrive, apparemment la plus importante perturbation climatique de l’histoire de l’Atlantique). L’échéancier établi par le GIEC (développé par Gignac et Matthews ou Gignac dans le texte déjà commenté) et que la COP21 n’a pas pu reconnaître dans ses engagements insiste pour un changement de paradigme dans nos interventions.
Nos journalistes passent proche de mieux cerner cet enjeu que les intervenants de la société civile (du moins dans leurs discours pour le public). Pendant ma période de rédaction et de réflexion, Gérard Bérubé du Devoir a produit deux chroniques intéressantes, un premier un juin sur le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, un deuxième sur les enjeux associés à l’absence d’assurance adéquate aux États-Unis face aux menaces de perturbations climatiques (80% des résidents de Houston n’aurait pas d’assurance pour couvrir leurs pertes récentes). Les articles fournissent des perspectives sur les enjeux économiques mais sans se pousser encore jusqu’à voir l’incompatibilité entre notre modèle et la nécessité de réduire nos émissions, c’est-à-dire réduire notre dépendance à l’énergie fossile et notre activité économique. De son coté, Francine Pelletier se montre assez régulièrement lucide face à l’échec de nos interventions, mais ne pousse pas encore pour le changement de paradigme.
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Conclusion : «Halte à la croissance ?» aura vu juste. Ce que semblent bien confirmer ses dernières mises à jour, faites par divers chercheurs.
Notre civilisation thermo-industrielle (et capitaliste) est bel et bien « verrouillée » par de multiples « verrous technoéconomiques»: de la croissance nécessaire du PIB pour payer les dettes publiques et privées (« créer de l’emploi » et se faire élire à nouveau…), au moteur à explosion (hydrocarbures fossiles et autoroutes) aux textiles synthétiques (microparticules dans l’eau douce et salée et la chaîne alimentaire) en passant par la pharmacologie (la course contre la multi-résistance aux antibiotiques de plusieurs bactéries), etc. Ajoutons la déplétion inéluctable des ressources minérales – dont certaines nous servent d’engrais – requises à l’harnachement des énergies renouvelables (dont l’EROI ne saurait compenser la décroissance tout aussi inéluctable des hydrocarbures fossiles)…
Bref, ce sera l’effondrement… ou le + ou – rapide déclin. Faudra faire avec, comme on dit.
P.S. Tout comme vous, ce qui ne cesse de m’étonner, et ce, depuis des décennies, c’est le peu de cas que font les journalistes (oublions nos pseudo décideurs) de ces… incontournables problématiques. Peut-être parce qu’elles sont, à bien y penser, sans solution possible : on n’arrête pas un train en plaçant une cenne noire sur le rail. 😉
Le titre de Halte à la croissance n’avait pas de point d’interrogation. Pour le reste, voilà des sujets que j’essaie de traiter dans le livre que j’ai annoncé. Pour le reste, les journalistes agissent comme tous les autres, suivant le modèle économique acheté par toute la société. Mon espoir est que la société civile va finir par se réveiller et commencer à gérer les vrais défis, face à un effondrement plus que probable – mais qui ne paraît pas…
La grande majorité de la population n’est pas prête à entendre et concevoir ce discours (à propos de l’effondrement). Les gouvernements et les médias ne sont finalement que le reflet de l’opinion de la majorité. Même les scientifiques condamnent les discours trop virulents qui pourraient faire peur (l’article de cet été dans le NYmag – the uninhabitable earth). Le problème est que l’opinion générale va changer quand ça va faire mal (et trop tard), quand on ne pourra plus continuer le business as usual.
Le seul point positif que je vois à la COP21 est qu’au moins elle aura donné une visibilité mondiale aux changements climatiques. Il ne se passe plus une journée sans que ce sujet soit abordé dans les médias, ce qui n’était pas nécessairement le cas avant. Mais même si on a augmenté la conscience globale à ce problème il reste beaucoup à faire parce que les changements climatiques ne seront en fin du compte qu’un accélérateur potentiel à l’effondrement et non sa cause première.
Comme le résume assez bien un expert du GIEC, en ce moment à Montréal :
«Pour faire face aux changements climatiques, il n’y a que trois options », a souligné Youba Sokona, qui est originaire du Mali. « D’abord, réduire nos émissions de CO2, pour diminuer l’ampleur du réchauffement. C’est l’activité humaine qui a créé le problème, alors il faut changer nos comportements. Ensuite, il faut s’adapter, puisqu’on ne peut trouver de solutions du jour au lendemain. Finalement, nous devons nous préparer à souffrir, à cause des éléments que nous ne pouvons pas contrôler, ou si nous ne pouvons pas nous adapter. »
http://www.lapresse.ca/environnement/dossiers/changements-climatiques/201709/06/01-5130981-quand-les-experts-en-changements-climatiques-songent-au-sociofinancement.php
Nous ferons peu quant à la première option en raison des verrouillages technoéconomiques; un peu plus quant à la deuxième: débourser – mais pas trop car « nous avons d’autres priorités » – afin de nous adapter autant que faire se peut sans trop changer notre mode de vie; et à peu près rien quant à la troisième, puisque nous n’y pourrons rien et que nous serons passés du déni en mode survie.
Il faut lire le billet d’Yves Cochet, ex-ministre français de l’environnement, publié le 23 août et intitulé « De la fin d’un monde à la renaissance en 2050 »
http://www.liberation.fr/debats/2017/08/23/de-la-fin-d-un-monde-a-la-renaissance-en-2050_1591503
Excellent article. Enfin quelqu’un qui ose avancer des dates (à part le Club de Rome et certains comme M. Mead).
Par contre je ne suis pas d’accord avec son délai entre l’intervalle de survie (2030-2040) et celui de renaissance (2040-2050). Selon moi la transition avant de passer à la renaissance sera d’au moins deux générations. Suite à l’effondrement (2020-2030), notre génération et celle de nos enfants, en plus de devoir y survivre auront tendance à essayer de revenir à un état antérieur qu’ils auront connus. C’est probablement la ou les générations subséquentes qui n’auront pas connu l’ère industrielle telle que nous la connaissons présentement, qui seront à même de se réinventer, d’imaginer et d’implanter une nouvelle société. Si en plus les conditions terrestres continuent de se dégrader longtemps (ex. incident nucléaire, guerre, chg climatiques…) la période de survie en sera d’autant plus longue.
Évidemment, il y a d’autres prospectivistes comme Naomi Oreskes et Erik M. Conway qui, dans « The Collapse of Western Civilisation », font état d’une période beaucoup plus longue de recouvrement (d’ailleurs quasi-accidentelle et due à un lichen OGM miraculeusement efficace qui s’étend et bouffe du CO2, une sorte d’effet deus ex machina un peu alambiqué). Il y a en fait plusieurs bifurcations possibles: si la température terrestre moyenne ne dépasse pas 2°, d’accord, il y a possibilité de maintenir une civilisation post thermoindustrielle; à 4°, ça devient beaucoup plus difficile et probable que l’effondrement débouchera soit sur des régimes autoritaires, soit sur des sociétés fondées sur des principes de bioéconomie avec des risques de conflits meurtriers et de migrations massives entre des États déliquescents; à 6° on entre dans des scénarios catastrophiques débouchant sur une augmentation de température possiblement amplifiée par le dégazement des hydrates de méthane et amenant l’homéostasie planétaire à des niveaux ou la survie d’homo sapiens comme de bon nombre d’autres mammifères devient improbable… sans doute un monde terrestre peuplé d’arthropodes, sinon microbien, une faune marine décimée… sans parler de la possibilité d’une planète Sagan.
Merci pour le lien à cet article. Encore une fois, mon livre cherche à couvrir les constats de Cochet, en mettant un accent sur les possibilités pour le Québec dans les prochaines années, les prochaines décennies. Cochet parle d’un espoir pour la décennie 2040-2050 et je n’entrerai pas dans le débat là-dessus avec Éric – c’est trop loin…
Suite à la lecture cet été d’une bonne partie d’un livre intéressant (mais très long), Annals of the Former World de John McPhee (1981), sur l’histoire géologique du continent nord-américain, je viens de relire Beyond Oil: The View From Hubbert’s Peak, publié par Ken Deffeyes en 2005 et qui prévoyait un vrai pic de pétrole pour la décennies suivante; le géologue pétrolier Deffeyes était un important joueur dans le livre de McPhee. J’y reviens dans mon prochain article.