Ce texte est une réflexion basée sur un article que j’ai soumis aux journaux pour publication pendant la semaine du climat. Il n’a pas été retenu et je profite de l’occasion pour y aller plus en longueur (profondeur?).
En décembre 2017-janvier 2018 on sentait que Josée Blanchette ruminait sa prochaine intervention en matière d’environnement. Elle était à Paris avec son (ex-, d’après une récente chronique) mari, un économiste qui participait à une conférence dans son domaine, et y a fait une longue entrevue avec Aymeric Caron, auteur de UtopiaXXI. Le résultat était une chronique qui mettait l’accent sur l’espoir (le rêve) et une couverture du livre de Caron (plutôt que le mien, me disais-je).
Pendant l’été 2018, Nicolas Hulot a démissionné de son poste de ministre de la Transition écologique, et sans vraiment que je c0mprenne pourquoi, cela a tellement frappé Blanchette qu’elle est revenue sur l’alternative qu’elle avait en janvier 2018, soit la couverture possible de mon livre qui venait de sortir; elle me mentionne dans une chronique où elle manifestait son rejet de l’espoir, ou du moins de l’optimisme. Je la cite:
Hulot n’est pas seul à être devenu éco-cynique ou éco-désespéré, à perdre la foi (ses mots), même si on lui reproche sa collection personnelle de moteurs à pistons. Je pense à Harvey Mead, ancien commissaire au développement durable — son dernier livre s’intitule Trop tard (besoin d’un dessin ?) —, au généticien David Suzuki, au biologiste Jean Lemire (lisez son Odyssée des illusions), à Jacques Languirand, l’ex-porte-parole du Jour de la Terre, au journaliste Hervé Kempf (Comment les riches détruisent la planète), un autre objecteur de «croissance». Et je me demande où en est notre ami Al Gore après Une vérité qui dérange en 2006. Huit véhicules sur dix vendus au Canada en 2017 étaient des VUS et des camions légers.
François Delorme, son mari à l’époque, est intervenu dans la même semaine, suite à la démission de Hulot, écrivant dans Le Devoir qu’il avait jugé mes analyses avec condescendance, et semblait avoir changé d’idée – encore une fois, difficile à comprendre devant la seule démission de Hulot… Il souligne que Hulot est convaincu qu’il nous faut faire disparaître l’économie de marché, racine des problèmes et Delorme indique qu’il n’y croit plus non plus. Ce qui était frappant dans l’article de Delorme, sous le titre «Les illusions perdues», était sa conclusion:
[C]e sont ces jeunes qui portent l’avenir. Et j’ose espérer qu’ils sauront investir ce qui nous reste d’institutions démocratiques pour imprimer le virage radical dont nous avons urgemment besoin. Cédons-leur donc la place !
Ce qui est manifesté par cette conclusion est la démission face aux enjeux auxquels les économistes comme lui peuvent peut-être mieux que quiconque s’attaquer. J’y reviens parce que c’est précisément cela que Greta Thunberg souligne avec son «How dare you?» face à la volonté des plus vieux de mettre leurs espoirs dans la jeune génération.
Une «transition» mieux décrite
Le 27 septembre, jour de la manifestation à Montréal, Le Devoir publiait un extrait du manifeste de Greta avec comme titre «Aux puissants maintenant à faire leurs devoirs» où elle intervient de manière très juste, sommant les gens comme Delorme à faire leurs devoirs, elle et les jeunes ayant fait les leurs:
Vous ne pouvez pas rester sans rien faire à attendre que l’espoir vous tombe dessus. Ou alors vous agissez comme des enfants irresponsables et gâtés.
Vous n’avez pas l’air de comprendre que l’espoir est une chose que vous devez aller chercher, que vous devez gagner. Et si vous êtes encore là, à raconter que «nous sommes en train de gâcher notre précieux temps d’apprentissage», alors laissez-moi vous rappeler que nos dirigeants ont gâché des décennies en déni et inaction. Et comme le temps est en train de nous échapper, nous avons décidé d’agir.
Nous avons commencé à nettoyer votre désastre. Et nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas fini.
Je ne sais pas si Delorme a changé l’approche de ses cours en économie depuis qu’il s’est désillusionné. J’ai essayé d’intervenir auprès de l’Université de Sherbrooke en 2014, où il enseigne mais avant que je ne le connaisse, pour que le programme de maîtrise en environnement organise ses cours en économie en fonction d’une approche de l’économie écologique plutôt qu’en fonction de l’approche traditionnelle. Ma suggestion n’a pas été retenue, et le programme du cours que j’ai vu maintenait la pensée que Greta critique.
Il faut revoir nos objectifs
Les perspectives changent un peu depuis quelque temps, incluant la semaine de manifestations sur les changements climatiques qui a obtenu une couverture internationale:
De façon générale, et même avec ces «précisions» dont la mise en œuvre est loin d’être évidente, nous nous trouvons avec un accroissement d’appels pour que les gouvernements prennent les décisions nécessaires (l’alternative au transfert de cela par Delorme aux jeunes) pour contrôler les changements climatiques sans la moindre indication de ce que ces décisions représenteraient.
Une empreinte écologique oubliée
Important pour nous dans les pays riches, ces campagnes, bien compréhensibles devant les impacts de plus en plus imposants sur nos territoires des phénomènes climatiques, ne semblent jamais reconnaître le contexte plus général de nos problèmes, soit une situation où environ un milliard d’êtres humains vivent dans une richesse jamais vue alors que quatre ou cinq milliards d’autres humains vivent dans une pauvreté abjecte.
Les changements climatiques sont l’externalité – le terme technique utilisé par les économistes qui, justement, n’en tiennent pas compte – la plus évidente de cette vie de riches avec ses transports et sa production industrielle à grande échelle, mais l’ensemble de la vie dans les pays riches comporte justement plus que cela, incluant une production agricole (pas toujours dans ces mêmes pays) qui détruit les écosystèmes en répondant aux demandes pour de plus en plus de viande et des activités minières partout qui grugent des gisements de plus en plus faibles en concentration de minerais, entre autres pour nous fournir nos véhicules et nos équipements électroniques.
Finalement, le maintien de notre système de production industrielle et de notre mode de vie en général revient à la nécessité incontournable d’un approvisionnement en énergies fossiles faciles d’accès. Ce qui s’impose, en ligne avec les quelques précisions sur les objectifs maintenant un peu plus explicites tels que mentionnés plus haut, est la disparition de cet approvisionnement, et le problème non reconnu par presque tous les intervenants est que les énergies renouvelables – éolien, solaire … – n’arrivent pas, et n’arriveront pas, à remplacer les énergies fossiles pour nous permettre de continuer notre vie de riches en faisant abstraction de la vie des pauvres.
Voilà ce qui est derrière l’appel de Greta, par exemple, qui insiste que nos vies doivent changer, cela rapidement, cela en se «privant» de ce qui les soutient en priorité, une abondance d’énergie. D’une part, on entend ces appels, d’autre part on entend les promoteurs du modèle économique et de la production industrielle, incapables de penser autrement que selon leur modèle, insister pour que cela se fasse par un processus de mitigation des impacts qui s’est finalement avéré un désastre au fil des ans. Bref, nous pensons vouloir changer notre façon de vivre, mais nous n’avons finalement presque aucune idée de ce qui serait en cause, parce que cela exigera des changements insoupçonnables dans le vie que nous connaissons depuis trop longtemps.
Un avenir inattendu
En pensant à la révolution sociale immédiate requise et recherchée sans le savoir, ce qui ne fait pas partie des débats, des réflexions et des appels, est que nous n’arriverons pas à pouvoir poser les gestes requis. Par contre, la réponse semble bien arriver subtilement. Connu dans le déni par l’industrie est que l’approvisionnement en pétrole achève, dans les quantités, les prix et les rendements nécessaires. Déjà, depuis une dizaine d’années, l’Agence internationale de l’énergie, bras de l’OCDE, organisation des pays riches, reconnaît que les réserves de pétrole conventionnel sont en déclin et que le déclin va continuer (voir la page 145 de mon livre). Comme une sorte de mise à jour, la banque HSBC a publié en 2017 un rapport étoffé qui arrive au même constat.
Ce déclin n’est pas pour 2050 et au-delà, il est déjà en cours et inéluctable, et frappera à la base même de notre civilisation, notre production industrielle. Cela est précisément la projection de Halte à la croissance, qui voyait en 1972 un effondrement du système aux environs de 2025 si nous suivions la lubie signalée par Greta, un modèle qui dépend de la croissance économique continuelle. Nous ne réglons pas les défis associés aux réductions dramatiques de nos émissions de GES parce que celles-ci frapperaient directement à la base de notre système.
Tout semble indiquer que la réponse aux crises qui sévissent ne viendra pas de nos efforts, et Greta souligne ceci en insistant sur le fait que notre civilisation industrielle a détruit sa jeunesse et celle de l’ensemble des jeunes, les «générations futures» du rapport Brundtland. La réponse viendra plus probablement, et assez rapidement, d’une «récession permanente», ainsi désignée par Tim Morgan dans sa Tempête parfaite et associée aux problèmes dans l’approvisionnement en énergie de notre système économique. Il faut que nous nous y préparions, jeunes, vieux, gouvernements, entreprises.
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Ce soir, lors du premier débat électoral fédéral en français, ils avaient tous à la bouche le mot « croissance » comme s’il s’agissait d’une incantation, même quand ils parlaient d’environnement!
Alors qu’il faudrait à l’échelle planétaire multiplier par cinq d’ici 2030 les engagements nationaux pris dans la foulée de l’Accord de Paris pour éviter un emballement du climat dépassant une hausse de plus de 1,5°C, engagements qui ne sont même pas respectés par presque tous ceux qui les ont pris, je m’imagine mal voir l’ombre même d’un politicien venir oser remettre en question le dogme de la croissance économique.
Je suis plus enclin à penser que notre civilisation ne commencera à réagir que lorsque l’inéluctable deviendra apparent, l’atteignant de crise en crise dans ses fondements. Or il sera déjà « Trop tard ». J’ose espérer que ce sont les crises financières qui viendront d’abord ébranler l’ordre établi, plutôt que des désastres permanents liés aux dérèglement induits par la sacro-sainte « croissance économique ».
Le paléontologue Stephen G. Gould a formulé la théorie des équilibres ponctués. Celle-ci postule que l’évolution des espèces se produit nécessairement lorsque les conditions écologiques obligent les espèces à sortir de leur zone de confort et que l’assimilation du changement ne leur demeure plus possible (ce qu’on appelle aujourd’hui la résilience), sinon par des modifications structurales des populations. Ce processus a été désigné sous le vocable d’accommodation dans le jargon biologique du XXe siècle. Ce qui a été vrai pour la mémoire génétique l’est sans doute aussi pour la mémoire culturelle de notre espèce. Il est donc peu plausible que notre civilisation thermo-industrielle s’adapte aux nouvelles contraintes sans passer par ce que la langue anglaise désigne par le terme « predicament ». James Lovelock, père de la théorie de Gaïa, a déjà écrit que le XXIe siècle commencerait à 6 milliards d’humains et se terminerait à un milliard…
Que puis-je faire à ma mesure? Au-delà des actes personnels de réduction de mon empreinte carbone qui, avouons-le, demeurent cosmétiques par rapport aux défis posés, même si je ne possède plus d’automobile depuis 1982, même si je vis dans une coopérative multilogements, même si j’ai réduit ma consommation carnée, il n’en reste pas moins essentiel que ce sont des actions collectives qui doivent être posées.
Pour moi, la première d’entre elles consiste à semer des ferments culturels différents de ceux d’un capitalisme prédateur. C’est pourquoi je me suis investi dans la création de coopératives où la spéculation est absente ou les actifs demeurent une propriété commune ne pouvant être dilapidée. Celle dont je suis le plus fier, c’est bien la Maison de la coopération du Montréal métropolitain (http://mc2m.coop) hébergeant une trentaine de locataires dont une majorité d’entreprises d’économie sociale. C’est pourquoi aussi que, plus récemment, je me suis investi dans la mise en place d’une fiducie d’utilité sociale agricole dans la municipalité rurale de Très-Saint-Rédempteur près de Rigaud afin de créer des communs dédiés à une alimentation de proximité saine et respectueuse du vivant.
Mais c’est loin d’être suffisant… Car, faut-il le marteler, la dérive de notre civilisation mondialisée provient d’un modèle économique qui nécessite une croissance sans limites sur une planète aux ressources limitées. Pourquoi une telle nécessité ? Parce que notre système économique établi sur faire de l’argent avec de l’argent doit piller sans vergogne pour se maintenir.
Comment ? À chaque fois qu’une banque centrale détermine son taux d’escompte (son taux directeur appliqué aux banques du pays concerné), elle fait un pari sur un taux de croissance de l’économie. Comme la monnaie réelle n’occupe qu’un faible pourcentage de celle qui circule, c’est un vaste système de prêt et d’emprunt de monnaie scripturale (nourri par l’apport d’intérêts liés au taux directeur) qui sert de rouage à ce système kafkaïen . Ce système, fondé sur la détention de capital, s’effondrerait s’il n’avait plus le combustible de la croissance pour le maintenir. Voilà pourquoi il brûle tout sur son passage, ressources forestières, ressources halieutiques, ressources minérales et surtout… les ressources énergétiques fossiles.
Celles-ci sont centrales pour son maintien: car ce système ne carbure qu’à l’énergie pour alimenter toutes les machines sur lesquelles repose la production qu’il génère: c’est son sang! Les quatre cinquièmes de cette énergie sont d’origine fossile, l’éolien et le photovoltaïque ne comptant que pour 1,7 %, le nucléaire pour 1,9 %. Or l’humanité est entrée en contraction énergétique depuis qu’elle a passé le pic du pétrole conventionnel en 2008, le pétrole conventionnel constituant les trois quarts du pétrole consommé. Qui plus est, c’est celui possédant le plus haut taux de retour énergétique permettant de fournir l’énergie requise pour toutes les autres activités économiques. Car les sources de pétrole non conventionnel (sables bitumineux, exploitation offshore, pétrole de roche-mère, etc.) ont des taux de retour énergétique en moyenne quatre fois plus bas.
Alors quand le retour du balancier viendra plomber les lendemains qui chantent que restera-t-il de ces modestes initiatives? Montréal devra-t-il être déserté par des populations à la dérive laissant en ruines cette Maison de la coopération? Les extrêmes climatiques rendront-ils arides ces hectares de terre que nous nous employons à sauvegarder en bien commun?
Il me reste sans doute moins de 20 ans à vivre. Que puis-je faire de plus pour laisser aux enfants de l’avenir un futur qui mériterait encore d’être vécu?
« Que puis-je faire de plus pour laisser aux enfants de l’avenir un futur qui mériterait encore d’être vécu ? »
« À l’impossible, nul n’est tenu. » 😉
L’épuisement inéluctable des hydrocarbures fossiles – sang de notre civilisation thermo-industrielle -, les GES, les impacts climatiques, la biodiversité qui décline à vitesse grand V, la qualité des sols agricoles qui s’effrite sous la pression des monocultures industrielles intensives…
J’acquiesce à la prédiction de J. Lovelock : + ou moins 1 milliard d’humains à la fin du siècle… si tout va pour le mieux. 😉
Car tout reposera alors sur la capacité de charge des écosystèmes et sur notre technosphère bringue-ballante pour alimenter nos descendants : retour à l’agriculture à l’huile de coude et à l’animal de trait. Bon… peut-être en 2130 pour l’animal de trait… le temps de reconstituer une lignée minimalement efficace… en assez grand nombre. 😉
Mais il me semble pour le moins évident que sans hydrocarbures fossiles – ou presque -, nos descendants devront « faire avec » la capacité de charge des écosystèmes, des sols agricoles et forestiers… travaillés à la main.
P.S. Pas de bagnole depuis 1989. Un petit jardin au nord du sixplex que j’habite.
Pierre Alain,
Merci de ces réflexions. J’ai visionné le débat jusqu’à la fin du segment Économie et Environnement, et en effet il y avait beaucoup de préoccupation pour la croissance économique. J’aurais juste un ajout: Le débat passait en ondes quelques jours seulement après les manifestations mondiales insistant sur des interventions face aux changements climatiques, et c’est comme si celles-ci s’étaient passées dans un autre monde. Je pense que nous pouvons prendre le débat comme encore une autre indication de l’incapacité des gens qui nous gouvernent, mais cela étant le reflet des gens qu’ils gouvernement, de l’incapacité des sociétés riches elles-mêmes d’agir, voire de comprendre.
Et voilà pourquoi je propose qu’il est en effet trop tard pour les interventions – traditionnelles – cherchant à modifier le système. Même les manifestations, en grande partie, cherchaient toujours des corrections dans le mode traditionnel plutôt qu’à commencer la préparation pour le nouveau monde qui nous arrive.
Bonjour M. Mead,
Je me permets de soumettre une réfexion qui fait suite à la vôtre quant à la grève du 27 septembre dernier et qui a aussi été refusée au journal Le Devoir ainsi qu’au journal de gauche L’Aut’journal dirigé par Pierre Dubuc.
Grève du vendredi 27 septembre
3 figures politiques de l’espèce parlante et leur foi industrielle
Le vendredi 27 septembre avait lieu une grève mondiale d’une journée, en forme d’adresse aux représentant d’États en Amérique du Nord, d’Europe et jusqu’en certains pays d’Afrique, pour que les gouvernements agissent en réponse aux récents rapports du GIEC. D’autres scientifiques nous ont annoncé dès 1995 que nous étions entrés de plein pied dans une nouvelle ère géologique, l’Anthropocène, en raison de l’empreinte écologique de l’humanité.
À cette interprétation scientifique du réchauffement climatique s’est aussi ajoutée l’interprétation anthropologique d’un intellectuel peu diffusé au Québec et qui se nomme Pierre Legendre et qui, lui, a élaboré une réflexion très éclairante sur le processus de dé-civilisation de l’Occident et la débâcle des institutions humaines occidentales. Bien que son travail se soit poursuivi sur plus de 50 ans en France et qu’il ait développé une anthropologie dogmatique par un exercice d’érudition de plus d’un demi-siècle sur les origines romano-chrétiennes de l’Occident, ces livres sont peu distribués au Québec. Pourtant, les travaux fascinants de Pierre Legendre nous aideraient grandement à nous interroger sur le réchauffement climatique comme manifestation visible d’une crise civilisationnelle profonde qui touche l’animal humain.
Première figure politique: Justin dans la foule et la théâtralisation du vide
Si le pouvoir politique en Occident s’est adressé à ses sujets à travers des représentations cérémoniales et rituelles afin d’instaurer la distance séparatrice qu’exige la différenciation liée à la fonction institutionnelle du premier ministre d’un pays, Justin Trudeau a fait fi de cet impératif et s’est prêté au jeu de descendre dans la rue et de hurler les slogans des manifestants, lors de la manifestation du 27 septembre dernier. Cependant, beaucoup de Québécois ne sont pas dupes des sorties médiatiques vertueuses de Justin et de ses masques: celui pour les Premières Nations, les LGBT, les groupes anti-racistes et le costume folklorique qu’il traîne dans sa valise diplomatique selon le pays qu’il visite en tant que PM.
Aussi, peut-être avez-vous trouvé outrancier qu’il se mêle à la manifestation. Au même titre, aurait-on pris au sérieux la première ministre Pauline Marois si elle s’était jointe en 2013 aux manifestants, lesquels s’opposaient au développement pétrolier au Québec et aux gaz de schiste en Gaspésie? Même si nous ne partageons pas le délire pétrolier de Mme Marois, il faut lui accorder qu’elle avait à l’esprit comme politicienne d’exercer sa fonction de représentation, celle de première ministre, dans le cadre de l’institution politique du Québec qu’est l’Assemblée nationale. Justin Trudeau a franchi une limite, celle de la déraison, en délaissant sa place d’interlocuteur institutionnel envers les opposants aux projets pétroliers au Québec et générateurs de GES au niveau planétaire. Dans cette indifférenciation assumée par le premier ministre avec les manifestants, à qui ces derniers peuvent-ils s’adresser et crier leur colère? Un peu plus, il distribuait les joints de marijuana à ses nouveaux compères pour participer aux cris de la foule en liesse, à l’affût des paroles de la jeune Greta Thunberg.
Du haut de sa tribune, ce sont les mots de Greta qui ont fait office de miroir à la foule, reflétant leur désarroi et leur colère; la parole de la fille a pris la place vide du PÈRE. Il y a un renversement de place de discours dans cette histoire de déraison. Dans ce contexte généalogique, Greta fait entendre la voix de la limite comme détermination de la Raison, elle vient nous parler d’une déraison à l’œuvre dans la fonction du principe généalogique de nos gouvernants. Greta vient nous parler d’une crise anthropologique, alors que nos politiciens interprètent les rapports du GIEC dans un esprit de gouvernance par les nombres et du Management, à savoir évaluer le calcul mathématique de GES que nous pourrons réduire sans affecter la croissance (le sans limite économique).
Greta interpelle ses semblables et beaucoup de jeunes s’identifient à elle et y trouvent une expression de leurs inquiétudes. Néanmoins, derrière la crise écologique mondiale, sa présence nous révèle la débâcle généalogique de notre société: notre référent, notre garant de la vérité et l’État législateur s’est transformé en simple entrepreneur et gestionnaire. La place du Référent est vide et Justin porte le masque de ce vide.
Deuxième figure: la toute-puissance de l’entrepreneur
Monsieur Legault, moins enclin au déguisement, s’assume comme entrepreneur chef de l’État. Pour lui, toutes solutions est de nature managériale ou financière. Il s’est donc adressé aux manifestants de son bureau de premier ministre en leur rappelant que la crise climatique le préoccupe. Il maintient cependant qu’il gardera le cap sur son agenda caquiste, dont le projet de gazoduc de gaz liquéfié GNL, qui traversa tout le Québec, le troisième lien autoroutier à Lévis aussi et l’exploitation des forêts qui s’intensifiera jusqu’en flanc de montagne. Ces projets, nous assure M. Legault, se réaliseront en diminuant les gaz à effet de serre, car Hydro-Québec y verra en électrifiant toute la province d’ici quelques années! M. Legault va même jusqu’à voir une superpuissance énergétique dans le Québec de demain. La toute-puissance délirante du premier ministre de la belle province se marie bien au vide abyssal du premier ministre canadien.
Troisième figure: la mairesse de Montréal en Marguerite Bourgeois soignante de la mobilité
Mme Valérie Plante quant à elle s’est faite un plaisir aussi de descendre dans la rue et d’inviter Greta en sa demeure, pour lui remettre les clés de la ville. Une ville qui pour elle doit se définir surtout par sa mobilité. Terme gestionnaire s’il en est, c’est-à-dire pour permettre la croissance de tous les modes de déplacements les plus efficaces possible afin de répondre au développement optimum de Montréal et à sa croissance économique, en soutenant le développement immobilier sur tout le territoire. Le trajet du REM a d’ailleurs été conçu dans le but de faire essaimer de nouveaux quartiers autour de ses rails. La croissance économique de Montréal est bien visible par ses métros saturés et Mme Plante s’assura qu’on en ait un rose d’ici bientôt. Malgré ses divergences occasionnelles avec M. Legault et sa plus grande sympathie avec Justin, on voit qu’elle partage la même foi industrielle que ses confrères politiques. Greta l’a compris et même si elle a accepté de rencontrer Justin et Mme Plante, c’est avec la Raison du peuple québécois qu’elle souhaitait un vrai face à face.