L’adhésion à la mythologie de la croissance est tellement ancrée dans la pensée politique contemporaine qu’il est difficile à voir comment aborder les éléments de la situation, par exemple celui de la démographie, qui est, finalement, une de surpopulation, au Québec, dans les pays riches, dans le monde entier. D’une part, mon calcul de l’empreinte écologique quand j’étais Commissaire au développement durable montrait que notre mode de vie ici dépasse par trois fois la capacité de support de la planète. Cela fait que nous dépassons déjà et que chaque personne ajoutée à notre population augmente le dépassement. À différents niveaux, d’est le cas dans l’ensemble des pays riches.
Dans les pays pauvres, leur incapacité à soutenir leurs populations est une évidence – à laquelle la réponse mythique (cela remonte au président américain Harry Truman en 1948, qui nous a donné le terme «sous-développés» pour les décrire) est d’encourager le développement économique (lire: la croissance économique) à l’image des pays riches. Cela fait trois-quarts de siècle que nous essayons de faire cela, sans succès.
Des alternatives pour l’avenir
Dès que nous regardons la situation, nous nous trouvons devant une impasse, sempiternellement cherchant à résoudre nos défis dans une perspective de court terme et de courte vue. Au début des années 1990, quand je devenais sous-ministre adjoint, la nouvelle équipe gouvernementale dont je faisais partie a reçu une formation incluant des présentations sur des scénarios démographiques pour les décennies à venir. Nous savions déjà que la croissance de la population associée à la génération des babyboomers n’allait pas continuer, qu’il y aurait une période où la population par conséquent allait se stabiliser et ensuite décliner. C’est ce qui est projeté pour l’ensemble de la population humaine, dans Halte.
Le tout se passe comme projeté, et nous voilà à une période où la société québécoise se trouve devant une «pénurie de main-d’œuvre», le temps que les activités sociales et économiques s’ajustent d’une période intense rendue possible par la population croissante et ses activités, générant depuis des décennies un PIB en hausse, passant aujourd’hui à une période plus proche de ce qui serait soutenable. La pandémie nous a frappé avec des situations qui ressemblent à celle qui nous attend, où les activités habituelles sont ralenties (voire arrêtées). Dans le cas de la pandémie, il s’agit pouvons-nous croire d’une situation temporaire, mais ce que la pandémie nous révèle s’avère permanent.
Il semble y avoir deux ou trois alternatives quant aux actions à poser. (1) D’une part, nous pourrons chercher à compenser les tendances démographiques baissières par une hausse de l’immigration. Dans ce contexte, nous pouvons constater que la population mondiale a cru en même temps que celle du Québec, passant de 2 536 274 721 habitants en 1950 à 7 794 799 en 2020. Disons qu’il y a beaucoup de monde dans les pays pauvres prêts à émigrer vers les pays riches… Le problème est que leur croissance des dernières décennies, comme celle du Québec, n’est pas soutenable: l’humanité est devant une population qu’elle ne peut pas soutenir avec les ressources disponibles sur la planète et qui comporte un grand nombre de personnes prêtes à migrer en des lieux plus propices pour leur bien-être.
En fait, le Québec n’a qu’à décider combien d’immigrants il veut, et lesquels, puisqu’il y a disponibilité presque sans limitations. Voilà donc l’occasion pour une réflexion sur la population «optimale» définie comme – dans la pensée politique partout – celle requise pour le maintien de la croissance économique, mais qui peut être, doit être définie autrement.
(2) En contre-courant, l’automatisation (robots, etc.) nous offre une façon de pallier la pénurie et de poursuivre sans même nous préoccuper de la taille de la population et du statut de cette population, en termes de ses possibilités de travail. En effet, je ne connais pas de documents, de réflexions dans ce deuxième sens, ce qui me surprend depuis longtemps. C’est tout simplement une autre indication de l’omniprésence de l’idéologie de la croissance.
La surpopulation qui en résulte ou qui accompagne la croissance économique – il n’y a aucune incitation à contrôler notre population – est ressentie dans ses effets dans de nombreux pays, mais au Québec (et au Canada) il n’y a aucune perspective pouvant nous guider dans une réflexion sur la situation, sur notre avenir. L’alternative est quand même de poursuivre dans les tendances des dernières décennies, sur le plan de la croissance démographique interne (et donc, une baisse), ou de continuer les débats sur la croissance venant de l’immigration.
Les réflexions sur ces alternatives n’aboutissent pas à une planification qui fournit une confiance quant à la capacité d’assimiler de nouveaux arrivants – du moins, si nous nous attardons aux nombreux défis qui sont reliés déjà à la taille de notre population. En fait, nous ne sommes pas en pénurie de main-d’œuvre, mais en surpopulation.
– Tout d’abord, nous devons faire face à nos émissions de GES pour éviter des changements climatiques catastrophiques. Cela suggère que nos transports (entre autres) doivent être radicalement changés, alors qu’il n’y a pas de tendances en ce sens et les solutions, une augmentation de notre approvisionnement en énergie (hydroélectrique) ou une baisse du nombre de véhicules…
– L’étalement urbain en cours depuis des décennies est le résultant de différentes décisions cherchant à répondre à l’augmentation de la population. Celles-ci comportent entre autres des problèmes en termes de protection du territoire agricole et du maintien de territoires permettant une certaine sauvegarde de la biodiversité, tout comme des coûts exorbitants pour fournir les services de bases aux populations des banlieues.
– Un niveau de vie qui dépend en bonne partie d’importations – nous ne sommes autosuffisants en rien, sauf peut-être le bois et l’eau… – , qui doivent être justifiées par des exportations pour éviter un élément négatif dans le bilan économique (où plus de 60% du PIB est liée à la consommation). Cela exige des productions ici, alors que nous sommes en situation de dépassement.
(3) Une troisième alternative est de (i) reconnaître qu’il y a des limites quant à la taille de la population humain, (ii) reconnaître qu’agir en fonction de cette reconnaissance comporte des effets directs et indirects importants sur les populations actuelles et (iii) poursuivre comme si rien n’était.
La vieillesse
On peut voir le défi autrement en regardant de plus près la situation, ce qu’un récent article de L’actualité aborde avec une entrevue avec Guy Rocher, 97 ans («Voir la vieillesse autrement», octobre 2021)
Un article du Devoir du 30 octobre.«Le multiculturalisme: ambiguë, erroné et dangereux», signé Pierre Duchesne, biographe de Rocher, fournit une vue d’ensemble de la contribution importante de cet homme. Pour les besoins de cet article, ill est plutôt fascinant de voir la perspective de Rocher sur la baisse démographique du Québec, en réponse à la question: Pouvez-vous nous dire ce que vous entrevoyez comme avenir pour le Québec?
Il y a des tendances lourdes qui, déjà, peuvent annoncer l’avenir. La première, c’est la démographie. On ne peut pas la contredire. Elle dit ce qu’elle a à dire. Ce qui est frappant, au Québec comme dans certains autres pays, c’est le taux de natalité très faible. Trop faible pour que la population se renouvelle naturellement. Notre taux est autour de 1,6 ou 1,7 alors qu’il doit être de 2 à 2,5. Nous sommes dans une société déclinante démographiquement. Et, par conséquent, vieillissante. Une société qui, dans l’avenir, va se réduire numériquement ou va perdurer par l’apport de l’immigration.
C’est un aspect très important de l’avenir du Québec. Aurons-nous une politique nativiste ? Je ne pense pas. J’ai eu connaissance que M. Lévesque aurait voulu instituer une politique nativiste, et ça a été très mal reçu. Ça veut dire que, pour l’avenir du Québec, c’est encore plus important de donner aux générations qui viennent une culture du Québec vivante, riche, attrayante. Parce que c’est évident que le déclin démographique pose un problème d’identité collective. C’est inévitable.
En ce moment, nous travaillons à une politique linguistique, mais elle ne peut pas être détachée d’une politique culturelle pour l’avenir. C’est-à-dire une politique culturelle basée sur une connaissance de notre histoire, qui nous dit à la fois ce que nous avons été, mais aussi ce que nous pouvons encore être.
Pour une population stable, le taux de remplacement des générations est environ 2,1, mais Rocher n’a jamais vu, pendant sa longue vie ici, une population stable. Elle est en constante augmentation depuis des décennies; après la génération de ses parents, où le taux de natalité (avec les grandes familles visant la revanche des berceaux) était important mais le niveau de vie probablement encore respectant la capacité de support de la planète (et du territoire de la province), l’après-guerre a donné lieu au boum démographique, celui des babyboomers. C’est après cette expérience et d’autres que les femmes, alors participant plus directement aux activités sociales et économiques, ont pris connaissance des exigences des familles nombreuses. C’est cela, entre autres, qui a donné lieu au taux de natalité autour de 1,5 mentionné par Rocher.
En effet (je n’ai pas les chiffres – quelqu’un peut aider?) – , sans les babyboomers (qui se trouvent de plus en plus à la retraite maintenant…) et sans l’immigration, la population de base au Québec est probablement en baisse depuis 20 ou 30 ans. Il s’agit d’un paramètre (parmi cinq ou six) de ce que Halte à la croissance associait à l’effondrement projeté vers 2025. La façon dont nous allons gérer ce défi sera déterminante pour l’avenir du Québec, mais pas nécessairement celui envisagé par Rocher. Nous rentrons plutôt dans la période de l’effondrement projeté.
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Rochon, Rocher ???
Le « planning » démographique et la capacité de charge écologique et agricole du territoire québécois : il va de soi que ces deux leviers de «l’habitabilité» du territoire n’ont pas été pensés de concert par nos gouvernants. 😉
Notre société vieillissante fut « modélisée » par nos démographes il y a de cela des décennies. Mais, justement, ce sont des démographes, pas des écologistes brevetés. 😉
Nos gouvernants (fonctionnaires experts et élu.e.s) n’en ont toujours eu que pour « la croissance », maintenue par le rapport travailleurs actifs / inactifs, entre autres facteurs et considérations. Et le maintien de ce rapport passe par l’immigration. D’où la croissance démographique.
Les externalités ont conséquemment crû : destruction des terres agricoles et des milieux écologiques (ou de ce qu’il en restait déjà) par l’expansion des banlieues, pollution tous azimuts et coûts de dépollution croissants, bouchons de circulation et nids de poule gigantesques 😉 etc.
Et lorsque nos descendants (déjà présents et futurs) seront passés dans l’ère technicienne « post-combustibles fossiles »… et qu’ils devront retourner aux champs pour se nourrir… 😉
Bonjour Monsieur Mead
Avez-vous réfléchi, ou connaissez-vous quelqu’un qui a réfléchi à ce qui pourrait remplacer le système capitaliste basé sur la croissance? Ce système que vous décrivez comme étant dommageable pour l’environnement planétaire, idée à laquelle j’adhère.