Pour le 40e anniversaire de la fondation de Nature Québec, j’ai écrit un court texte qui parlait, d’une part, de certains acquis de l’organisme au fil des ans et, d’autre part, d’une sorte d’échec global. Mon point principal à cet égard: alors qu’il y a 40 ans l’humanité en général et ses différentes populations à travers le monde étaient peut-être dans une situation gérable, aujourd’hui la croissance économique, couplée à une croissance démographique, ont rendu la situation non gérable, celle des crises que nous connaissons aujourd’hui.
Pendant ce temps, l’augmentation de la population (d’environ 30%) faisait que des atteintes moins flamboyantes se faisaient partout, pour fournir des milieux de vie et de travail pour tout ce monde. Finalement, en dépit de progrès importants dans la gestion du territoire, la simple expansion de la population et la croissance économique qui y était associée ont réussi ce que des projets d’envergure ne réussissaient pas à faire, soit une dégradation importante de l’ensemble des milieux naturels de la province.
Cette population a connu son essor – c’était ce qui se passait partout dans les pays riches – grâce à un recours à l’énergie fossile, pour ses usines, pour ses transports, pour presque toute l’activité économique et sociale. En dépit de l’énorme contribution de l’énergie venant des barrages d’Hydro-Québec (que Nature Québec contestait souvent…), quand ce n’était pas une reconnaissance de ce qui avait été fait (Baie James, Manicouagan-Outardes) avant sa création, le Québec est devenu en grande partie dépendant pour un ensemble de ses activités d’une énergie fossile venant d’ailleurs et qui était presque invisible.
Et voilà le drame en cause pour toute rétrospective sur le mouvement environnemental. Les sociétés riches, pendant ces 40 ans, ont tellement exagéré leur recherche de bien-être, sans prendre en compte ses impacts sur la planète, que nous nous trouvons aujourd’hui devant l’alerte rouge du GIEC : il est tout simplement inimaginable que l’humanité échappe à son échec en termes de développement. Le changement climatique – longtemps sourd, muet et invisible – se prépare à rendre la planète invivable, du moins pour une partie importante de sa population (qui a presque triplé depuis ma naissance) dont la survie dépasserait la capacité de la planète à la soutenir.
La croissance économique dépend en partie de la croissance démographique, qui fournit des consommateurs influençant de façon importante le PIB et le «progrès» que cet indicateur suit. Cette vision des choses se trouve dans l’ensemble de la couverture des médias de nos jours, et l’espoir pour la post-pandémie est que la croissance reprendra. On doit constater que cette croissance et cette consommation sont à l’origine des crises actuelles et une sorte de «retour aux sources» s’imposera, ce que Deneault appelait un «retour à l’anormal».
Il était donc plutôt surprenant de voir Philippe J. Fournier, chroniqueur en science pour le magazine L’actualité, en parler dans une chronique récente en promettant d’y revenir dans une deuxième, cela en introduisant le terme «dépopulation» comme thématique. Fournier fait référence à quelques reprises dans ces chroniques au taux de fertilité nécessaire pour renouveler les générations, nous fournissant même le terme technique pour cela. Par contre, au fond de toute la question et de la narration de Fournier, il y a la réalité vécue pendant ma vie. L’humanité est passé de quelque 2,3 milliards à ma naissance en 1940 à quelque 7,8 milliards aujourd’hui. Fournier nous raconte même sa vie personnelle à cet égard, et je puis faire de même: à la naissance de notre deuxième enfant, mon épouse et moi avons pris la décision d’arrêter la famille à deux enfants, le nombre pour nous remplacer dans le grand ordre des choses. Par un curieux hasard, ni l’une ni l’autre de nos enfants n’a eu d’enfant, et nous voilà donc en train de contribuer à la stabilisation de la population….
Il est troublant de voir Fournier terminer sa réflexion en suggérant, comme scientifique, que le monde humain est en déclin, avec les prospectives justement pour une stabilisation et par la suite une diminution de la surpopulation qu’il appelle, de façon invraisemblable, une dépopulation. Il n’y a eu aucun scénario pendant toute ma vie où nous pouvions penser «remplacer» les générations; il n’y a eu que croissance de la population depuis des décennies, nous mettant dans une situation de surpopulation et ayant besoin d’un «déclin». Pour le Québec, la situation est la même, la province ayant une population en 1940 de 3,3 millions et de 8,6 millions en 2020.
Fournier semble presque insensible à cette énorme croissance du nombre d’humains qui ont peuplé la planète pendant nos vies. Il rejette l’idée d’une surpopulation décrite par les chiffres et, en partant de la situation actuelle, ne peut penser qu’à une dépopulation. Même la Chine rentre dans cette vision tordue: ce pays, qui est peut-être capable de nourrir de ses propres terres agricoles environ 900 millions de personnes, a pris la décision de restreindre la croissance de sa population et voilà, note Fournier, cette population est en déclin après avoir atteint près de 1,5 milliards d’individus…
La vision de Fournier est alimentée par la pensée économique en place depuis près de 100 ans, à l’effet que ce n’est que par la croissance économique que le monde pourra réussir à avancer.
Voici donc l’importance de la science des projections démographiques: nous entrerons peut-être bientôt dans une ère où les gouvernements de la planète ne pourront plus compter sur un renouvellement continu de la population pour financer la qualité de vie des prochaines générations. Il sera crucial de nous y préparer.
En effet, tout récemment, je me trouvais surpris que nous sommes déjà dans la période où les projections de Halte nous voient à un moment charnière où les populations humaines vont commencer un déclin assez abrupte. Entre Fournier, qui regrette que la croissance ne puisse pas continuer, et des gens comme moi qui voyons la situation dans un tout autre contexte, les courbes de croissance dans tous les secteurs ne peuvent pas continuer, et – comme Fournier souligne, sans en comprendre le contexte – il faut se préparer pour cela.
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