On obtient une idée de l’ampleur des préjugés induits par le modèle économique en lisant la récente chronique d’Alain Dubuc dans La Presse portant sur le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEÉQ). Dubuc débute avec la confusion inhérente dans la position des économistes qui insistent que l’activité économique se fait dans une bulle plutôt que sur la planète Terre. Une «militante environnementaliste» comme la ministre Ouellet n’a pas de place dans des jugements économiques importants, dit-il – même si elle est ingénieure ayant justement près de vingt ans d’expérience dans le milieu économique.
Montrant le préjugé presque universel à l’effet que les enjeux environnementaux sont secondaires et doivent le rester, Dubuc transforme la mention, dans le mandat de la CEÉQ, de la lutte contre les changements climatiques en une orientation environnementale au dépens de volets de développement économique. Pourtant, la première phrase de la note de la Ministre dans le document de consultation insère cette problématique dans un cadre plus vaste et qui devrait normalement être reconnu :
Avec la lutte contre les changements climatiques, l’augmentation importante du prix du pétrole et les bouleversements associés à l’exploitation des hydrocarbures non traditionnels, la question de l’énergie occupe l’avant-scène depuis une dizaine d’années.
En fait, mais apparemment dans ma confusion, j’avais vu le document de consultation de la CEÉQ justement comme un outil de promotion du développement économique, en dépit de son titre et de ses orientations apparentes… Cette vue semblait même intégrale au mandat donné à la CEÉQ, repris dans la lettre de transmission du rapport Maîtriser notre avenir énergétique pour le bénéfice économique, environnemental et social de tous :
La consultation en vue de l’adoption d’une politique énergétique en 1996 marquait déjà une sorte de première : on mandatait un ministère «à vocation économique» à encadrer la réflexion, plutôt que le BAPE, reconnu pour ses capacités à intégrer l’ensemble des enjeux dans les différents dossiers qu’il avait traités depuis 1980. Pour Dubuc, même l’idée d’une consultation par le MRN, dirigé par une «militante environnementaliste», faisait fausse route, l’empêchant d’intégrer le point de vue économique : «Autre manifestation de la circularité de l’exercice, le rapport repose beaucoup sur les audiences que la commission a tenues, où s’est manifesté le déséquilibre des points de vue que l’on peut constater dans les débats énergétiques – la domination du discours environnementaliste et le silence des milieux économiques qui n’ont d’ailleurs pas été bien accueillis aux audiences.» Difficile de voir comment il a pu constater le silence des milieux économiques, mais on doit présumer que ceux-ci ne reconnaissant pas plus que Dubuc le fait que les enjeux énergétiques, déjà d’une envergure impressionnante, ne peuvent pas se traiter en ciblant uniquement le développement économique.
Finalement, Dubuc semble – presque «tour simplement» – contre l’effort du rapport d’intégrer l’ensemble d’enjeux mentionnés par la Ministre dans sa note dans le document de consultation. Il va jusqu’à inventer un cycle dans les approches aux problématiques de l’énergie qui suggère – étrange pour un porte-parole des milieux économiques – de reporter les décisions, et, doit-on présumer, l’adoption d’une nouvelle politique énergétique, pour continuer à poursuivre avec les décisions ad hoc. « En énergie, il y a un changement de paradigme tous les cinq ou 10 ans. Il est présomptueux et risqué de définir les choix d’une génération à partir d’une situation qui changera encore. Et de le faire sur un mode qui est presque cavalier.» L’effort de synthèse de 300 pages faisant référence constamment à près de 500 mémoires est «presque cavalier» !
En terminant, Dubuc propose une nouvelle conception du role des consultations publiques, qu’il réussit à voir comme se faisant «en vase clos». Pour agir correctement, dit-il, il faut que les responsables de la consultation remplacent les responsables politiques et s’assurent de l’application de leurs recommandations : «Ce rapport, produit en vase clos, fait penser à certains rapports du coroner qui proposent de grands changements qui ne seront jamais appliqués. Une commission, pour être pertinente, ne doit pas seulement émettre des idées, elle doit aussi assurer leur mise en oeuvre. Sinon, c’est la tablette.»
Il y a beaucoup d’indications déjà que le rapport va être tabletté, justement parce que les responsables politiques mettent l’accent, comme Dubuc, sur le développement économique dans un contexte où ce n’est pas le secteur de l’énergie qui est sujet à un changement de paradigme, mais le modèle économique lui-même. On pouvait voir la grande inquiétude des milieux économiques dans la publication de leur manifeste sur le développement du secteur pétrolier, où la pauvreté de la réflexion était déconcertante. Avec l’intervention de Dubuc, c’est au tour de l’incohérence…
À VENIR : une réflexion sur le rapport de la CEÉQ
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Bonjour Harvey, il ne faut pas trop s’en faire avec les commentaires d’Alain Dubuc, il a toujours été à droite de la droite dans le comité aveugle des robots de la finance. Il n’a jamais compris que quand la terre ne livrera pas de fruit, l’argent ne se mangera pas pour assouvir sa faim. Il ne semble pas s’être intéressé à ces autres écrits de l’économie qui expliquent la valeur financière des services écologiques ni à ceux qui montrent, exemples à l’appui, que le souci de protéger l’environnement s’est souvent traduit par des économies pour leur utilisateurs plutôt que des pertes (il y a un rapport du congrès américain à cet effet!). Bonne continuation
GT http://www.aguanishleroman.ca