Cela a commencé à la fin des années 1970 avec des constats d’un type constamment utilisé depuis des décennies, soit que le projet d’expansion du port de Québec à même le fleuve et la construction d’une autoroute reliant la Côte de Beaupré (et l’Île d’Orléans) avec la Haute Ville comportait une dégradation importante de l’environnement qu’il fallait «gérer». Une coalition d’intérêts divers et intéressants a rendu à l’intervention un caractère beaucoup plus global, plus englobant, plus porteur. Il s’agissant d’une prise de conscience de l’importance de l’aménagement urbain dans tout effort de mitiger les impacts environnementaux, mais aboutissant à la longue au constat que les facteurs dominants dans l’aménagement, dont le développement économique, constituent les véritables sources de ce qu’il est convenu d’appeler la technique de l’os, à l’encontre d’objectifs sociaux qui devraient primer d’emblée.
La vision des promoteurs de l’époque, le remblayage des abords du fleuve à Québec jusqu’à la pointe ouest de l’Île d’Orléans, constitue en fait l’os qui va rester tant et aussi longtemps que la Baie de Beauport ne sera pas rongée jusqu’à l’os. Concernant la bataille sur les battures de Beauport en 1978-1980, le portrait se trouve dans le dossier 0 du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), pour ce qui est du projet autoroutier; des audiences sur le projet d’expansion du port ont été conduites par le gouvernement fédéral, avec une participation provinciale, et ont abouti à l’abandon du projet.
Un site impressionnant
La vue du Cap Diamant qui se présente à une personne qui arrive en bateau en remontant le fleuve est presque sans pareil, tellement c’est majestueux en dépit de nombreuses atteintes au fil des siècles, au fil des décennies. De la terre ferme, sur la rive nord, la Baie de Beauport (la photo) représente encore un lien visuel et physique avec le fleuve qui est, encore une fois, impressionnant et cela, en plein centre de la ville. Finalement, du haut du Cap Diamant, de la Terrasse Dufferint (ou du restaurant Le Ciel, où j’étais récemment), on comprend d’emblée un élément du portrait qui fait que Québec est reconnu comme un site de patrimoine mondial reconnu par l’UNESCO. En imaginant une extension du port actuel sur 600 mètres directement dans le cœur de ce site, on se demande à quoi pensent les responsables de l’APQ et les décideurs de la région qui ont endossé le projet de Beauport 2020. C’est proche d’être incompréhensible.
La plage que nous imaginions dans le temps s’est réalisée, et une importante activité récréotouristique s’est installée dans la Baie de Beauport, site toujours grandiose en dépit des siècles de remblais et de développement industriel et portuaire. Une importante courbe dans l’autoroute a permis d’éviter son passage sur pilotis à travers le centre de la Baie tel qu’envisagé dans le temps. En pleine vue de la Terrasse Dufferin, le site (devrait) figure(r) parmi les plus intéressants au Canada. Pourtant, 40 ans plus tard, voilà que l’Administration portuaire de Québec (APQ) propose de prendre une autre partie de l’os. L’APQ est une instance fédérale, comme le site du port, et même si l’empiètement projeté aura des incidences sur tous les alentours, de juridiction provinciale, l’APQ refuse de reconnaître la pertinence d’une audience du BAPE et le processus d’approbation s’est enclenché avec une intervention de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. Le mémoire de Jean Gauthier, un des participants au mouvement Sauvons les battures, est tiré de plus de 40 ans d’expérience et de connaissances professionnelles, et complète plusieurs autres interventions.
Beauport 2020
Ce qu’il faut essayer d’imaginer est l’argumentaire écnomique qui amènent les décideurs à vouloir scrapper ce site pour des bénéfices économiques qu’ils proposent l’emportent sur les évidences. Leur argument ne tient tout simplement pas la route. Le projet Beauport 2020 créerait 17,5 hectares de nouveaux terrains, il générerait une soixantaine d’emplois directs localement si les matières en vrac n’étaient que solides, et une trentaine d’emplois directs si les matières en vrac n’étaient que liquides. En comparaison, la RMR de Québec dénombrait 442 000 emplois au 30 septembre 2016. C’est ainsi que le travail de Jean Lacoursière et d’autres d’Accès Saint-Laurent Beauport (ALSB), digne successeur du mouvement Sauvons les battures, décrit la situation (25/82). Leur mémoire poursuit en fournissant le portrait global, laissant presque de coté la destruction du site patrimonial qui serait en cause tellement les fondements économiques demeurent faibles:
Avec cet agrandissement, le promoteur veut concurrencer des ports américains pour le transport de marchandises qui, pour la plupart, ne sont ni requises ni produites par les entreprises canadiennes, afin de dégager des profits suffisants pour restaurer les infrastructures actuelles. Les sections précédentes du présent mémoire ont démontré que le projet Beauport 2020 est inacceptable à plusieurs niveaux :
Les écosystèmes qui ne paraissent même pas
L’intervention de plusieurs d’entre nous en 1978 était fondée sur le fait que la Baie de Beauport constituait un des trois plus importants sites pour les oiseaux de migration de toute la grande région de Québec. Les atteintes au site ont sûrement fait que cette situation a changé, comme par ailleurs celle qui décrit l’ensemble des écosystèmes du Québec. Il reste que d’importants éléments écosystémiques méritent toujours d’être signalés. Nature Québec, successeur du mouvement Sauvons les battures, les signale dans son mémoire :
Les habitats décrits dans l’ÉIE du projet Beauport 2020 sont incontestablement d’une grande importance écologique, notamment pour la faune aviaire et ichtyenne (poissons). Ils abritent, entre autres, une aire d’alimentation pour les esturgeons, des aires d’alevinage utilisées par plusieurs espèces de poissons, dont l’Alose savoureuse, le Baret et le Bar rayé (espèce en voie de disparition), des sites de nidification pour certaines espèces d’oiseaux comme l’Hirondelle de rivage, l’Engoulevent d’Amérique et le Canard colvert, en plus de constituer une halte migratoire d’importance mondiale pour la Sauvagine et les oiseaux de rivage.
Les firmes GHD et Englobe, mandatées par l’APQ pour caractériser les milieux naturels et la faune, sont sans équivoque sur ce point :
La baie de Beauport constitue donc un habitat unique et essentiel pour le développement des poissons d’eau douce, du stade larvaire à adulte, dans cette partie du fleuve Saint-Laurent.[…];
la zone centrale de l’estuaire de la rivière Saint-Charles constitue un habitat d’alimentation important pour les esturgeons jaunes adultes et les esturgeons noirs juvéniles. De plus, bien que les rives soient principalement constituées de quais et de murs de soutènement, la dynamique de courant lors des marées fait en sorte que beaucoup de jeunes poissons sont entraînés dans l’estuaire et se concentrent particulièrement dans une baie en rive nord utilisée notamment par des jeunes bars rayés et aloses savoureuses.
La zone intertidale de la portion interne de la baie de Beauport constitue un important habitat d’alevinage et de croissance pour les jeunes de plusieurs espèces de cyprinidés ainsi que pour l’Alose savoureuse, le Baret, la Perchaude, les Meuniers et le Bar rayé.
Tous les milieux humides du rentrant-sud-ouest, et ceux avoisinants de la Baie de Beauport, servent de halte migratoire printanière et automnale pour les oiseaux. Ces haltes ont un rôle majeur pour ces oiseaux qui peuvent s’y reposer et s’alimenter. 22/73
L’organisme remonte aux audiences du BAPE de 1978 en soulignant la progression de la technique de l’os :
La sévérité des impacts environnementaux a été si marquée dans ce secteur, que dans son rapport sur les audiences publiques du BAPE concernant le projet autoroutier Dufferin-Montmorency tenues en 1978, le commissaire cite le mémoire d’Environnement Canada dans les termes suivants :
considérant que la portée environnementale déborde de beaucoup la simple question des oiseaux, les battures de Beauport devraient recevoir la protection la plus intégrale possible (…); les zones intertidales en eau douce constituent un biotope particulièrement rare dans l’ensemble des écosystèmes de notre planète (…); la retenue de sédiments fait des battures de Beauport un milieu épurateur des eaux du fleuve (…); la protection intégrale des battures de Beauport doit être maintenue malgré les effets nocifs des empiétements déjà survenus» (27/73).
La fin du dossier?
Il est difficile donc de comprendre que l’Agence canadienne d’évaluation environnementale approuvera le projet Beauport 2020, tellement il n’a pas de sens. Il est tout aussi difficile de concevoir qu’elle ne l’approuvera pas, tellement le modèle économique autorise tous les dérapages…
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