Voilà la récapitulation d’Alison Martin, directrice des risques à la compagnie d’assurance Zurich Insurance Group, commentant les travaux de son groupe pour le Forum économique mondial…
Je dois bien avouer que j’ai de plus en plus de difficulté à lire les innombrables documents qui prônent ou présument, comme si rien n’était, la poursuite de la croissance à l’échelle planétaire – et toujours dans son pays à soi en priorité. Récemment, j’ai eu l’occasion de lire le 14e dans la série d’analyses de risques produits par Le Forum économique mondial de Davos; j’en ai déjà lus et commentés plusieurs des autres (dont celui-ci de 2015 et cet autre de 2018).
«Un monde en mal de solutions collectives»
Le portrait de la situation (voir les figures I et II) – et c’est un effort de faire un portrait de toute notre civilisation, de l’ensemble des risques qui la menaçent – se ramène, plus ou moins explicitement, à la globalisation, dont quelques brefs passages suggèrent que les auteurs sont conscients de quelques défaillances. Il y a beaucoup de références à la Quatrième Révolution industrielle, le tout suivant finalement l’effort de constater les tendances lourdes de nos systèmes économiques, sociaux et écologiques.
Fait notable: le document souligne l’échec de la COP21 et de l’Accord de Paris, dont le respect, loin de se concrétiser, nous mettrait face à des catastrophes climatiques, alors que les tendances nous mènent vers un dépassement d’une hausse de température de 2°C.
Finalement, ce qui caaractérise ces rapports (peut-être les meilleurs que je connais), dont celui de cette année, est la vue globale qu’ils offrent, couvrant non seulement les risques et tendances économiques, mais également ceux sociaux et environnementaux. Dans le rapport lui-même, un accent est mis sur les interractions entre l’ensemble des menaces, et il faut bien reconnaître que notre fixation sur les changements climatiques (et les GES dont il faut réduire dramatiquement les émissions) oublie de se situer dans l’ensemble.
Les risques environnementaux ne représentent pas ce à quoi les participants à Davos portent naturellement le plus d’attention, mais cela fait plusieurs années qu’ils représentent, presque en dépit de leur vision, la menace dominante. Pour 2019, les risques environnementaux représentent trois (sur cinq) des risques les plus probables et trois (sur cinq) des risques les plus importants en termes d’impacts, ce qui fait un portrait fort en vert… (voir la figure I ici et la figure IV dans le document). Reste que le document de Davos insère tout dans un complexe d’interactions (voir le figure III dans le document) qu’il ne faut pas perdre de vue.
Le document souligne en même temps l’absence de toute indication d’un renversement des tendances, cela dans un contexte qui présente cet ensemble de risques comme comportant même des tendances lourdes qui vont dans de mauvaises directions. Le 17 janvier dernier, Éric Desrosiers a consacré son analyse hebdomadaire dans Le Devoir à «un monde en mal de solutions collectives». Suivant dans la même veine plusieurs interventions depuis maintenant plusieurs années, dont les miennes, il cite la directrice des risques à la compagnie d’assurance Zurich Insurance Group en commentant le travail: «Le monde avance en somnambule vers la catastrophe» et poursuit:
«Nous nous enfonçons plus profondément encore dans des problèmes mondiaux dont nous aurons bien du mal à nous extraire». Nourrie, entre autres, par le fossé grandissant entre riches et pauvres, la polarisation du débat politique, l’impact des transformations économiques et technologiques et un mal-être croissant, cette tendance au repli sur soi, aux guerres commerciales et au rejet des règles internationales risque même de s’aggraver avec le ralentissement économique qui se dessine dans le monde.
Desrosiers est frappé par ailleurs par la nouvelle section portant sur ce que le rapport appelle les Future Shocks:
Nous vivons dans un monde où un problème peut rapidement en entraîner un autre de façon imprévisible et incontrôlable, préviennent les auteurs du rapport. «La complexité et l’interconnexion croissantes des systèmes mondiaux peuvent entraîner des boucles de rétroaction, des effets de seuil et des perturbations en cascade.»
Il s’agit d’un des sept stress tectoniques de Homer-Dixon dans The Upside of Down de 2006.
Il n’y a plus de héros pour l’élite globale de plutocrates
Ce n’est pas seulement un journal comme Le Devoir qui reconnaît des problèmes grandissants avec les risques, et avec les efforts de Davos de promouvoir un avenir tenant compte de ces risques à travers le maintien de la globalisation et le modèle économique fondé sur la croissance. Le Financial Times y est allé avec une chronique de Gideon Rachman le 28 janvier intitulée «No more heroes for the global elite»
For the past 30 years, Davos has been the best place to monitor the ideas and crazes that were exciting the rich and powerful [des plutocrats, indique Rachman]. It is the place where elite consensus was both formed and promoted…
La chronique passe en revue plus d’une dizaine d’années de reconnaissances par le Forum de leaders politiques, d’innovations technologiques, de perspectives économiques, pour insister qu’il n’y en a aucune qui a résisté à l’épreuve du temps, même assez court.
In the past, when politicians have seemed particularly hopeless, Davosites have turned to industry for inspiration. But the tech groups are mired in controversy and the future they represent looks increasingly dystopian. Davos is also the place where legacy industries rebrand themselves as futuristic. Oil companies talk about renewables and car companies show off their electric vehicles. But this year, the oil companies are reeling from shareholder divestment drives and the German car companies are still struggling with the aftermath of the diesel scandals. So there was no cheer to be found there. It seems as if the world has disappointed Davos. But, then again, maybe Davos has disappointed the world.
C’est un portrait tout à fait en ligne avec le rapport sur les risques. On constate que la paralysie qui semble dominer les différents gouvernements et sociétés de la planète face aux risques esquissés caractérise assez bien ces mêmes institutions réunies de par leurs élites au Forum de Davos.
Une autre version de l’effondrement qui s’approche?
Il est presque aussi déstabilisant de chercher toutes ces pistes situant l’effondrement possible qu’il est de suivre l’élite ploutocrate dans ses efforts de stimuler la croissance, dont à prime abord ceux de tous les intervenants économiques pour qui c’est l’object primordial, inscrit dans leurs travaux qui n’ont souvent rien à voir explicitement avec cela mais qui en dépendent de façon inéluctable. Les carences de plus en plus graves du modèle économique (néoclassique, et non seulement néolibéral) se trouvent plus ou moins clairement dans presque tous les risques présentés.
Je n’ai pas suivi avec soin les reportages nous faisant part des activités de l’élite pendant la rencontre même de Davos, marquée cette année par l’absence de plusieurs leaders politiques retenus chez eux par des perturbations sociales de différentes sortes. Même si celles-ci semblent spécifiques à chaque situation, détaillées par Rachman, tout – comme l’élection de Trump – semble souligner des failles dans les sociétés plutôt que le choix d’un véritable leader. L’ensemble des situations rentrent presque directement dans l’instabilité et les menaces détaillées par le rapport sur les risques, plutôt que des indications de poussées vers des solutions.
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