L’automobile en question: les cibles de réductions de GES dans les transports sont inatteignables

Une récente étude du Conference Board conclut qu’il n’y a pas moyen d’atteindre les réductions d’émissions de GES requises dans les transports sans un bouleversement dans nos mœurs en ce qui concerne les transports. Un rapport synthèse 2015 du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) aboutit à la conclusion qu’en dépit de ses meilleurs efforts à date pour imaginer des trajectoires, dont la contribution des technologies dans l’ensemble des secteurs, il ne trouve pas suffisamment de réductions pour atteindre les cibles du GIÉC; le travail du DDPP pour le Canada, le DDPC, se trouve devant un défi irréaliste dans ses exigences … Il s’agit de contributions à la compréhension de l’échec prévisible de la COP21 et peut-être le début d’un processus qui met en question le rôle non seulement des combustibles fossiles mais également de l’auto dans nos sociétés. Un changement à cet égard risque d’avancer assez rapidement.

La Chine et l'automobile

Il était fascinant de lire (ce n’est pas toujours le cas…) trois récentes publications ayant des liens avec les préparatifs pour la COP21 à Paris à la fin du mois. D’une part, et discrètement – j’étais sur leur liste d’envoi pour les mises à jour et n’ai rien reçu, et des contacts avec les membres de l’équipe canadienne sont restés sans réponse – , le Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) a sorti en septembre le résumé exécutif du rapport 2015 promis pour le début de l’année (quelques jours donc après mon constat que non seulement ils étaient en retard avec la publication, et que leur site web n’était pas à jour, à toutes fins pratiques abandonné); le rapport pour le Canada a également été mis en ligne. (suite…)

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La dépossession a plusieurs visages

La déclaration de l’équipe de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) en 2009, dans le premier numéro de la revue en ligne Revue Vie Économique (RVÉ), donnait bien l’impression que les jeunes chercheurs du groupe saississaient bien les enjeux contemporains en termes d’orientations économiques. La question de limites y est associée explicitement, par ailleurs, aux enjeux écologiques.

Il est donc assez surprenant de voir un ensemble de ces chercheurs sous la direction de Simon Tremblay-Pepin, dans leur livre Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain publié en mars dernier, foncer dans un oubli frappant des enjeux écologiques qui s’imposent comme cadre pour n’importe quel ouvrage sérieux de nos jours. J’ai déjà commenté les quatre premiers chapitres (sur cinq) de ce livre (IRIS dans le moteur de recherche de ce blogue sortira les quatre articles), en soulignant, à travers une bonne présentation de la dégradation de la situation depuis plusieurs décennies, l’absence presque complet du portait du Québec qu’ils imaginent, un Québec aux «immenses ressources» dont elles veulent reprendre le pouvoir de gestion.

Source:  Living Planet Report, WWF, Zoological Society of London et Global Footprint Network (2006) . Même si les données datent de 2005, le portrait reste le même 10 ans plus tard, à quelques modifications près.

Un colloque pour revisiter le travail

L’IRIS a eu la bonne idée d’inviter un ensemble de commentateurs à participer à une journée de réflexion sur l’ouvrage, tenue le 12 novembre dernier. Il m’a invité à participer à un des quatre panels de la journée, en posant des questions pertinentes en fonction de mes commentaires du printemps. Ce deuxième temps d’arrêt sur le livre m’a frappé : comment cela se fait-il que l’équipe a pu faire autant de travail (i) sans identifier l’état des lieux qu’ils voulaient décrire? et (ii), dans un ouvrage portant sur les ressources naturelles, en négliger le portrait au point de ne pas voir les enjeux écologiques en cause? (suite…)

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À la recherche de la vie

Géo Plein Air hiver 2006La science me fascine depuis mon adolescence, et j’ai même gagné le prix en sciences de mon école secondaire (il y a donc longtemps…), avant de décider de poursuivre mes études au collège dans un programme d’études mettant l’accent sur l’ensemble des connaissances; cela passait par le contact direct avec les auteurs de la grande tradition de la culture européenne. Ma thèse de doctorat portait sur le travail de l’astronome Ptolomée de l’Égypte ancienne montrant deux façons d’expliquer la façon dont le soleil tourne autour de la terre…

Je regarde depuis longtemps le programme Découverte et d’autres programmes qui vulgarisent la science avec beaucoup d’intérêt, toujours fasciné par les merveilles de ce monde que la science réussit à pénétrer dans ses merveilleuses manifestations. Cela est en complément à une volonté permanente de me trouver physiquement dans cette nature merveilleuse. Il y a quelques semaines, je me trouvais en réaction, sans émerveillement, à une épisode de Découverte. Après deux épisodes sur le pétrole et son transport dans notre monde contemporain, reportages qui nous mettaient devant les enjeux qui dépassent les connaissances scientifiques pour aborder notre modèle de civilisation, je me trouvais devant les suites de l’inclusion de Julie Payette parmi les partenaires de l’émission.

Mars

Déjà Payette m’avait déstabilisé en insistant lors d’une émission des Années lumières pendant l’été sur son optimisme en matière de technologie face aux enjeux climatiques (je ne me rappelle pas de ses propos avec précision, ni de la date de l’émission). Ce qui m’a frappé en octobre était une épisode [1] couvrant le projet d’envoyer des humains sur Mars, cela possiblement d’ici une vingtaine d’années. Je me sentais en train de regarder de la science fiction.

Où mettre notre argent?

Cela fait longtemps que nous nous disons que l’argent dépensé pour nos programmes spatiaux, en dépit de leur énorme fascination dans l’imaginaire (voire, dans le concret, avec l’alunissage de 1969 et plusieurs autres exploits), pourrait être mieux consacré à sortir les humains de la pauvreté dans de nombreux endroits du monde. Nous disons la même chose des dépenses militaires, énormes. Dans les deux cas, nous savons en même temps que cette volonté n’aboutit pas et nous comprenons de plus en plus que l’élimination de la pauvreté et des inégalités viendra seulement d’un changement de modèle et que l’élimination des dépenses militaires …

Visionner l’épisode sur l’expédition à Mars m’a laissé avec une autre réaction que celle à l’effet que nous devrions mettre cet argent ailleurs. (suite…)

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Élections et vraies affaires

Le 10 octobre dernier n’était pas tout à fait ce que le gouvernement Couillard espérait en mettant l’économie avant tout dans sa campagne de 2014. D’une part, le ministre des Finances était obligé d’annoncer que les estimés de la croissance pour l’année étaient trop élevés, du 2% utilisé pour le travail sur le budget, le taux de croissance ne dépassera vraisemblablement pas 1,5%. Le même jour, Investissement Québec a confirmé ce qui n’était que rumeur : sans partenaire financier et sans acheteur pour le produit, il est obligé de repousser les échéances pour la mine Arnaud. La mine Arnaud était un élément clé du Plan Nord qui, à son tour, est un élément clé dans les orientations économiques du gouvernement.

Deux jours plus tôt, un article intitulé «Le monde saura-t-il éviter le pire?» couvrait les projections du FMI pour des baisses dans l’activité économique mondiale; le résultat pourrait être l’équivalent d’une récession mondiale et une baisse du PIB du Canada et des États-Unis de 1%, ce qui les amènera au bord de la récession aussi. Gérard Bérubé titrait sa chronique de la journée «Oiseau de malheur». Déjà, le 16 septembre, l’OCDE avait baissé ses projections pour la croissance au Canada, en accord avec ce que la Banque du Canada avait déjà fait.

L’économie dans la campagne fédérale

Cette sorte de nouvelles, jouant le jeu du suivi des données pour les indicateurs du modèle économique qui régie nos gouvernements et nos décideurs économiques et financiers, jouaient aussi pendant la campagne électorale fédérale. Nous connaissions déjà les orientations du gouvernement Harper à l’égard de l’économie. Thomas Mulcair en a pris une partie avec son engagement d’avoir un budget en équilibre pour sa première année (si élu), en dépit d’importanes promesses de dépenses. De son coté, Justin Trudeau chantait un autre refrain, toujours bien traditionnel : des dizaines de milliards de dollars en investissements pour les infrastructures assureraient une reprise de la croissance au Canada, même si cela nécessiterait des déficits pendant ses premières années en poste (si élu).

Il est de plus en plus reconnu que les enjeux environnementaux, longtemps considérés à part, jouent un rôle fondamental dans l’activité économique. Pourtant, les débats en matière d’environnement pendant la campagne, cela dans la tradition des dernières décennies, portaient sur des enjeux bien secondaires, (suite…)

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La Chine – économie écologique 101?

L’article de Khalid Adnane dans Le Devoir du 13 octobre, intitulé «Capitalisme 101 ou le dur apprentissage économique de la Chine», frappe par les œillères portées par l’auteur; ce sont finalement celles de n’importe quel cours d’économie 101, celles même de bien trop d’économistes de nos jours. Adnane cherche à comparer l’expérience de la Chine en matière de développement économique depuis l’ouverture dans les années 1980 à celle des États-Unis depuis plusieurs décennies, voire depuis un siècle. Il note que depuis 1960 la croissance du PIB des États-Unis – de la richesse, dit-il, suivant nombre d’économistes – tourne autour de 3 et 4% en moyenne décennale, en comparaison de celle en Chine, se situant pendant 20 ans au-dessus de 10% et maintenant rendue à environ 7,3%, celle du dernier pic connu par les États-Unis en 1984.DSC07290

D’une part, Adnane prend pour acquis qu’une croissance du PIB au-delà de 10% ne peut pas continuer indéfiniment, sans fournir d’explication de son constat. D’autre part, Adnane insiste que le taux de croissance va nécessairement baisser aux niveaux connus par les économies matures, comme celle des États-Unis, et finir autour des 3 ou 4%, encore une fois, sans fournir d’explication de son constat. En fait, ce qu’Adnane ne constate pas, et c’est fondamental pour son cours 101, est que la croissance du PIB pour l’ensemble des pays riches est en baisse constante depuis justement des décennies.

 

Le conseil d’Adnane, encore une fois sans reconnaissance du cadre véritable, est que la Chine devrait abandonner le recours à des exportations pour doper son économie et cibler la consommation interne, cela parce qu’un «ralentissement du commerce mondial semble s’installer durablement». Adnane ne fournit pas d’explication du ralentissement, et ne le situe même pas dans ses constats précédents.

Le plus dur apprentissage pour la Chine face au capitalisme, termine Adnane, sera de vivre avec les vices du capitalisme, et non seulement avec ses vertus – la croissance. Soulignant le krach boursier chinois de l’été dernier, Adnane insiste qu’il s’agit d’un aspect indissociable du capitalisme, soit – j’imagine – des moments de hauts et d’autres de bas… La Chine est en train d’atteindre sa «pleine maturité» avec ses mauvaises expériences économiques actuelles, avec encore beaucoup à apprendre (des économies matures…).

Les économies «matures», des exemples pour la Chine? (suite…)

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Croissance verte, croissance inclusive – le jeu continue, à Davos

Mon recours à des analyses critiques de documents venant des grandes organisations internationales peut certainement paraître redondant pour plusieurs, et la lecture que j’en fais ne me met pas en extase. Reste que la présence de nombreux adhérents à l’économie verte et, plus généralement, à l’espoir que nous allons pouvoir prendre le contrôle de nos crises environnementales, sociales et économiques avec une transition en douceur m’amène à revenir sur les questions de temps en temps, pour souligner les failles dans l’approche. Par ailleurs, le sens de justice est un critère important du récent Manifeste pour un grand bond en avant, et c’est l’objectif clé de l’effort du Forum économique mondiale (WEF) de Davos dans le document commenté ici, ciblant la «croissance inclusive», complément de la croissance verte de Rio+20… À noter la récente intervention de Mark Carney mettant un accent sur de véritables coûts de la transition vers l’économie verte, et une échéance serrée pour celle-ci, rare bémol parmi ses promoteurs.

C’est comme si le rapport de 2009 de Stiglitz, Sen et Fitoussi, analysant toutes les failles dans le recours au PIB comme indicateur, n’a jamais été produit. Le récent document du World Economic Forum de Davos (WEF), The Inclusive Growth and Development Report 2015, s’ouvre en laissant de coté les corrections qui s’imposent (finalement, rien de neuf dans cela) et propose d’aller plus loin, en proposan la croissance inclusive :

Inclusive growth has been defined as output growth that is sustained over decades, is broad-based across economic sectors, creates productive employment opportunities for a great majority of the country’s working age population, and reduces poverty. Inclusive growth is about both the pace and pattern of economic growth.

Photo Harvey Mead  Dans le bidonville Kibera de Nairobi, où vivent environ un million de personnes, la vue des châteaux des riches est omniprésente, comme un peu partout dans le Sud.

However one defines it, there is no bigger policy challenge preoccupying political leaders around the world than expanding social participation in the process and benefits of economic growth and integration. A central lesson of the recent financial crisis is the need for a rebalancing of the emphasis placed by policymakers on drivers of what could be considered the “top-line” measure of national economic performance, GDP per capita growth, on the one hand, and factors that influence its “bottom-line” performance in achieving broad-based progress in living standards, on the other. In advanced and developing countries alike, it is increasingly recognized that GDP per capita growth is a necessary but not sufficient condition for the satisfaction of societal expectations.

Even if the precise nature and relative importance of the causes of rising inequality remain in debate, a geographically and ideologically diverse consensus has emerged that a new, or at least significantly improved, model of economic growth and development is required…. This new political consensus about inclusive growth is rooted in a significant widening of inequality, affecting economies at various levels of development. (p.1)

Le constat est unanime à l’effet que la croissance non-inclusive perdure maintenant depuis des décennies et l’intervention de l’élite de Davos sur la croissance inclusive ne pourra être confirmée qu’au bout de quelques autres décennies, selon la définition donnée. Face à son propre constat de risques dramatiques et de tendances lourdes nous menant à une catastrophe appréhendée, Davos fonce dans le déni (suite…)

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Indifférence des pays riches face aux inégalités: risquée

Dans un récent éditorial dans Le Devoir, «Indifférence occidentale», sur la crise des migrants, Guy Taillefer souligne une responsabilité importante pour les pays riches. Elle découle de leur manque d’engagement face aux millions de réfugiés syriens dans les pays limitrophes de la Syrie, au Liban, en Jordanie et en Turquie (voir à cet égard la Mise à jour à la fin de mon récent article sur la question) et les appels des Nations Unies pour l’aide financière nécessaire pour leur maintien. La situation que vivent ces gens dans les camps, comme celle vécue par ceux qui restent en Syrie, ne peut que les pousser à migrer.

Finalement, c’est une autre manifestation d’une indifférence bien plus grande, bien plus historique et bien plus dramatique, celle qui existe tout simplement dans les pays riches envers les pays pauvres de la planète. Les distinctions entre pays émergents et pays développés se font en fonction de certains indicateurs économiques; ils ne tiennent tout simplement pas compte des inégalités de base, inégalités qu’André Jacob marque comme inégalités sociales, économiques, politiques et militaires. Celles-ci sont à l’origine d’autres migrations en cours et potentielles, celles «économiques», et le modèle économique lui-même est en cause.

Global Risks: le rapport annuel du World Economic Forum de Davos

Les analyses de Thomas Homer-Dixon représentent probablement mes sources préférées depuis presque vingt ans. Dans The Upside of Down: Catastrophe, Creativity and the Renewal of Civilization publié en 2006, Homer-Dixon est clair: d’abord, comme le titre du livre l’indique, d’après son évaluation de la situation, nous étions déjà en dépassement au moment où il écrivait le livre; ensuite, les stress tectoniques qu’il y identifie comme déterminants pour le «tremblement de terre» de l’avenir étaient déjà bien connus.

Les stress tectoniques sont démographiques, associés aux écarts entre les taux de croissance des populations des pays riches et pauvres et à l’urbanisation massive dans les pays pauvres; énergétiques, surtout devant l’arrivée du pic du pétrole; environnementaux, associés à la dégradation des écosystèmes terrestres, marins et d’eau douce: climatiques, associés aux changements de la composition de l’atmosphère: économiques, associés à la volatilité/instabilité du système économique global et aux écarts grandissants entre riches et pauvres. Homer-Dixon ajoute à ce portrait deux stress multiplicateurs, la vitesse croissante et l’interconnectivité de nos activités, de nos technologies et de nos sociétés et le pouvoir croissant de petits groupes, dans leur capacité de détruire et les choses et les gens.

Davos global risks 10 years table

À partir de 2006, année de publication du livre, the World Economic Forum (WEF) de Davos s’est mis à consulter un nombre important de l’élite qui constitue son réseau, pour identifier les risques auxquels nous faisons face et tenter d’améliorer notre façon de les aborder. Chaque année, le rapport fournit les résultats d’un sondage auprès d’environ 700 décideurs portant sur les risques mondiaux tels que perçus par les répondants. Les rapports, leur préparation par le WEF, tendent à suivre l’actualité. Des drames de fond se constatent néanmoins de plus en plus clairement tout au long de la période couverte par ces rapports et aboutissent finalement en 2015 à l’identification de tendances lourdes.

Les risques sont classés par les rapports de Davos en cinq groupes, soit les risques économiques, sociétaux, environnementaux, géopolitiques et technologiques, et cela en fonction de leurs impacts et de leurs probabilités, fidèles aux méthodologies de gestion de risque courantes. Le rapport de 2015 marque un certain tournant dans le processus, la première fois que les risques économiques perçus disparaissent du classement des cinq plus importants risques, en termes d’impacts et en termes de probabilités. Le tableau synthèse du document ci-dessus est assez intéressant à cet égard (cliquer dessus pour une image plus claire et une esquisse de l’évolution de certains risques).

Les inégalités économiques au coeur des analyses

De façon générale, la lecture en est intéressante, mais marquée par le contraste entre l’identification des risques, dans un processus plutôt indépendant, et les objectifs de l’ensemble des décideurs et du Forum visant à poursuivre le développement économique. Pour plusieurs comme moi, c’est ce contraste qui est le plus frappant chaque année, au fur et à mesure que les problèmes, soit les risques concrétisés, se manifestent; pour moi, pour Homer-Dixon et pour une multitude d’intervenants qui poursuivent la réflexion sur le développement remontant au discours de Truman en 1949, les résultats étaient déjà connus, l’exercice ayant comme objectif non avoué – ou du moins, comme résultat – d’amener les décideurs dans le réseau de Davos à mieux comprendre la situation.

La quasi disparition en 2015 des risques économiques (en bleu) parmi les plus importants ne semble pas pour autant représenter une amélioration de la situation économique. Clé dans le portrait, les inégalités économiques, identifiées depuis plusieurs années parmi les risques économiques ou sociétaux (elles changent de classement entre 2011 et 2012) importants, sont reclassées encore dans Global Risks 2015 comme une tendance lourde et, dans la figure 3 du rapport, elles représentent la tendance qui, avec les changements climatiques, est la plus importante de toutes (voir figure ci-dessous – cliquer dessus pour voir plus clair).

Voilà une bonne partie de l’explication pourquoi les risques économiques ne sont plus parmi les plus importants (on peut voir la section du rapport de 2015 qui débute à la page 18 pour une réflexion des auteurs du rapport qui poussent les résultats de cet aspect du sondage plus loin). On commence à voir que la compréhension des risques économiques s’insèrent justement dans un cadre de risques sociétaux; ceux-ci sont reconnus maintenant non seulement comme des possibilités mais comme des tendances claires et structurelles.

Davos 2015 Fig 3

Davos rejoint le Club de Rome

En effet, à de nombreux égards ce nouveau portrait du WEF en 2015 rejoint les projections du Club de Rome dans Halte, à l’effet que l’effondrement se fera en premier lieu dans le secteur économique, avec une réduction dramatique de la production industrielle. Comme esquissé dans des articles récents sur ce blogue, ainsi que dans le résumé fait par Tverberg dans son récent article, c’est probablement l’incapacité des sociétés (riches) à se maintenir face à des pressions multiples, comme les prix des «internalités» – les intrants – et les coûts des externalités qui serait en cause.

Il y a lieu de croire que l’affaiblissement de la croissance économique de plus en plus évident comme une autre tendance lourde rentre directement dans le portrait, la baisse de revenu entraînant la baisse de production. Pour Tverberg, la baisse des revenus et le chômage, que Davos reconnaît maintenant comme structurels, sont les fondements de la baisse de l’activité économique elle-même. Dans le portrait des liens entre les composantes de la figure 3, le chômage structurel important, reconnu depuis plusieurs années comme risque important, se situe en lien avec l’instabilité sociale, un risque sociétal, et s’en démarque en étant moins important que cette dernière, qui en est un résultat important.

L’effondrement semble être en cours, marqué par les inégalités que Halte ne mentionne même pas, tellement elles sont au cœur du modèle économique que ses auteurs modélisaient.

Le déni de Davos

Le risque d’une stagnation économique prolongée, la déflation généralisée, ne figure même pas parmi les 10 risques les plus importants identifiés par les répondants dans les rapports. En 2015, elle se trouve parmi les 25 risques les plus importants (Figure 1.1, p.15) comme un risque à court terme, mais un qui diminue dans une perspective de 10 ans. Ce que l’on peut constater quand même, presque en accord avec les auteurs de Global Risks 2015, est que les risques qui sont suivis depuis maintenant 10 ans s’insèrent tous dans des tendances lourdes qu’ils reconnaissent aujourd’hui et enfin comme plus que des risques.

Où il n’y a pas d’accord, c’est dans l’identification des causes profondes de cet ensemble de tendances qui semble mener vers le chaos social. Il s’agit du modèle économique lui-même, qui fait son apparition régulièrement dans le rapport comme présupposé. Fidèle aux hypothèses de base du travail du WEF qui ne mettent pas en question le modèle, la tendance vers des inégalités économiques structurelles est associée à la corruption, aux défis démographiques (vieillissement), à la fragilité des États, aux déséquilibres globaux et au risque d’effondrement des marchés ; il n’y a pas le moindre soupçon que le modèle lui-même derrière les hypothèses serait en cause, que le néolibéralisme et la globalisation (avec des énormes multinationales contemporaines) sont en cause dans la dégradation des capacités des États, que la concurrence fondamentale est en cause dans les échecs en matière de coopération voulue. Pour les crises environnementales, devenues imposantes dans le portrait, il n’y a pas de réalisation que celles-ci sont toujours considérées comme des externalités.

Des appels pour la coopération multipartite se trouvent partout, mais il n’y a aucune reconnaissance que le modèle de mondialisation ciblant la croissance met nécessairement toutes les parties en concurrence en ce qui a trait à de nombreux risques. Ceci semble vrai à l’intérieur des pays, et entre les pays. Les auteurs soulignent:

Widening income inequality is associated with lower and more fragile economic growth, which reduces the scope to meet rising social expectations in emerging market. … Rising structural unemployment drives both inequality and social pressures. … While inequality and unemployment contribute to social instability, social instability in turn impacts negatively on equality, employment and wealth creation.The multidirectional cause-and-effect relationship makes it harder to address the related risks. (p.15)

Le portrait continue:

Disillusion about globalization is leading to more self-interested foreign policies in combination with a rise in national sentiment (Figure 3) fuelled in part by the social pressures described above. … (p.16)

At the heart of the problem is a risk-management approach based on responsive measures that assume things go back to normal after a crisis – an approach that falls short with complex or slowly evolving environmental risks such as climate change. Stakeholders have been slow to address the underlying causes of environmental risks or to address their economic, social, political and humanitarian consequences. (p.21)

Croissance inclusive, une nécessité – et une impossibilité

Le portrait de 2015 aboutit à un constat critique où les inégalités économiques jouent un rôle fondamental:

This [societies less bound by common values and polarized into the haves and have-nots] in turn increases the risk of prolonged economic stagnation, creating the potential for a self-reinforcing downward spiral into social chaos. States will need to mitigate this risk through policies to make growth more inclusive: providing public goods and services such as social protection, hospitals, schools, transport and telecommunications infrastructure. (p.16)

On insiste que les projections de Halte à la croissance sont catastrophistes. Ceux qui le disent seraient bien avisés de lire au moins la première partie de ce rapport Global Risks 2015, où les auteurs décrivent d’un tel sérieux l’ensemble des risques et, nouvel élément dans l’analyse, et plus fondamental, les tendances lourdes qui s’inscrivent dans la permanence, que l’on peut facilement les décrire comme catastrophistes contemporains dont les projections sont justement – et plus faciles à faire donc – pour le court terme, au plus, d’ici 10 ans. Homer-Dixon mettaient un accent déjà en 2006 sur les tendances lourdes qui nous mènent à l’effondrement. Les auteurs de Davos les cernent maintenant avec pas mal de clarté mais constatent :

Consensus is no longer accepted as the baseline model for economic development, but neither has it been replaced by an alternative set of unified values. (p.11)

Curieux que le consensus soit identifié comme le modèle de base pour le développement économique, mais le constat suggère qu’il y a reconnaissance que le modèle actuel comporte des problèmes. Pour revenir à mon point de départ, les inégalités économiques constituent un facteur qui risque de contribuer de façon massive à de nouvelles migrations[1], un phénomène parmi de nombreux qui marquent l’instabilité sociale soulignée par le WEF.

Nous avons dans Global Risks 2015 ce qui semble être l’inspiration – le risque de chaos social à assez court terme – pour la production d’un nouveau document résultant d’une réflexion à part, The Inclusive Growth and Development Report 2015. Le premier paragraphe du Résumé exécutif de ce document revient sur l’idée d’un nouveau modèle, et l’insère dans la problématique des inégalités économiques.

There is no bigger policy challenge preoccupying leaders around the world than expanding social participation in the process and benefits of economic growth and integration. Even if the precise nature and relative importance of the causes of rising inequality and stagnating median household incomes remain in debate, a geographically and ideologically diverse consensus has emerged that a new, or at least significantly improved, model of economic growth and development is required. (p.vii)

Je reviendrai sur cette intervention du WEF dans un prochain article.

 

[1] Dans le chapitre sur les stress tectoniques démographiques de The Upside of Down, Homer-Dixon fournit une version texte de la carte que j’ai présenté dans le récent article sur les migrations. Il fait une comparaison entre les pays de l’Union européenne et les quelque 25 pays limitrophes en Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest. En 1950, les pays limitrophes avaient une population la moitié de celle de l’Europe (163/350 millions). En 2000, la première avait presque quadruplé, dépassant en taille celle de l’Europe (587/451 millions). Selon les projections des Nations Unies, en 2050 la population des pays limitrophes sera trois fois celle de l’Europe (1,300/401 millions), cette dernière ayant diminué de quelque 50 millions de personnes. Les premières populations seront en augmentation de quelque 16 millions de personnes par année, celles de l’Europe seront en diminution de quelque 2 millions de personnes par année. Sa conclusion : des millions de personnes dans les pays limitrophes, en grande partie pauvres, vont migrer vers l’Europe, riche (p.64-65).

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Un grand bond vers l’avant?

La publication récente du Manifeste pour un grand bond vers l’avant s’inscrit dans la lignée des promoteurs de l’économie verte. Ces initiateurs – en grande majorité du Canada anglais – représentent une population très sensibilisée aux enjeux environnementaux et sociaux qui marquent les objets d’interventions depuis des décennies, et qui sont probablement à leur plus fort niveau actuellement. Je respect beaucoup ces gens, j’en connais plusieurs, mais j’insiste que leur analyse est déficiente, ce que David Suzuki, au moins, devrait savoir en suivant ses interventions à Rio+20, entre autres.

Ce document était tout à fait prévisible, tout comme son contenu, et cela depuis assez longtemps. Comme pour le Manifeste pour un élan global, je crois qu’il s’y trouve une prétention qui n’est pas justifiée mais qui est fondamentale pour les signataires dans leur espoir pour une transition en douceur. Beaucoup trop de monde pense que «nous pourrions vivre dans un pays entièrement alimenté par des énergies réellement renouvelables et justes»; bon nombre d’articles sur ce blogue cherche à montrer que cela est une illusion, au Canada, et davantage si la préoccupation pour la justice va plus loin que le Canada…

Je suis intervenu sur le récent livre Tout peut changer de Naomi Klein, une des signataires dont je suis avec admiration la carrière depuis assez longtemps. Je suis également intervenu pour souligner les faiblesses des Dialogues pour un Canada vert, une des sources de ce nouveau manifeste. Dans les deux articles, j’essaie de présenter la nécessité d’un changement de discours et d’action plutôt qu’une accentuation de l’effort de porter pression suivant les grandes lignes des dernières décennies, voire des dernières années.

 

 

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Immigration, crise ponctuelle ou permanente?

NOTE: Je me permets des généralisations ici qui mériteraient normalement beaucoup de distinctions et d’argumentaires et dont le portrait est très complexe et dépend de nombreux facteurs qui ne sont pas mentionnés. Cela sera laissé à d’autres moments, l’objectif étant de présenter un point qui n’en dépend pas directement ni nécessairement.

Il est déconcertant et en même temps fascinant de voir le monde se déchirer face aux défis de l’immigration, en Europe en suivant les nouvelles quotidiennes, mais également en Amérique du Nord. Sur ce dernier continent, la course à l’investiture républicaine en fait un débat plutôt à l’image de celui qui se fait en Europe face aux immigrants arrivés depuis déjà longue date; l’éventuelle campagne présidentielle de l’année prochaine mettra le/la républicain qui gagne l’investiture contre la/le démocrate, dont l’héritage du gouvernement Obama suggère qu’il y aura ouverture vers la légalisation du statut de plus d’une dizaine de millions d’immigrés illégaux en provenance du sud. Quant à ceux qui arrivent…

Démographie

 

Plusieurs facettes du phénomène

Directement et immédiatement, il s’agit en Europe de nombres importants de réfugiés fuyant des situations de guerre et de persécution dans de nombreux pays limitrophes; il y a également des migrants cherchant une meilleure vie. Les perturbations en cours semblent dessiner de profondes transformations de l’ensemble des pays de la communauté européenne. Aux États-Unis, la taille de la population hispanique fournit un premier aperçu de ce qui s’en vient à l’autre bord de l’Atlantique. (suite…)

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Analyse et prévisions de Tverberg

Le blogue de Gail Tverberg, Our Finite World, est un des sites dont je recommande un suivi. Elle vient de publier un nouvel article, « Deflatiionary Collapse Ahead? » qui mérite lecture. Elle part de la problématique indiquée par le graphique suivant:

Tverberg oil-price-and-supply-with-notes2

 

La lecture de ses articles antérieurs fournit une expérience intrigante. Je soupçonne que je ne reviendrai pas directement sur cet article, qui parle pour lui-même.

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