Images saisissantes, études presque inutiles

J’ai récemment eu l’occasion de regarder sur Explora l’émission Peuples des fleuves portant sur le Gange de l’Inde. Comme elle le devait, elle présentait le portrait d’un grand fleuve dont les origines dans les glaciers des Himalayas sont en régression, dont les abords sont peuplés de dizaines sinon de centaines de millions de personnes plutôt pauvres dans ce pays le deuxième plus peuplé du monde. Le fleuve est grossièrement pollué de toutes les façons imaginables et sur presque toute sa longueur, mais les nombreuses traditions religeuses associées à ce fleuve continuent dans leur tradition d’un fleuve dont l’eau est vierge tout en reconnaissant que ce n’est pas le cas.Célébration religieuse sur un ghat au bord du Gange, à Varanasi

 

Que pensent nos chercheurs et nos décideurs?

À peu près en même temps, un ami m’a rappelé le travail de la Banque mondiale depuis 2012 pour produire la série Turn Down the Heat; elle cible l’urgence de contrôler les changements climatiques et de régler la pauvreté trop présente dans le monde. J’ai regardé le rapport de la série qui était déjà dans mes dossiers, le rapport de juin 2013 portant sur l’Afrique sub-saharienne, l’Asie du sud-est et l’Asie du sud (et donc incluant l’Inde), me limitant au résumé exécutif. J’aurais pu continuer, comme j’ai fait l’été dernier avec toute la série de rapports préparatoires à la COP21 de Paris en décembre prochain, lire l’ensemble et les commenter dans une série d’articles pour le blogue. Finalement, après la trentaine de pages du résumé, je n’en avais pas le goût.

J’étais laissé plutôt songeur en voyant de si importantes institutions et des chercheurs chevronnés abonder dans l’optimisme devant les rapports accablants. (suite…)

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Catastrophisme pour de vrai

Dans mon récent article sur le livre de Naomi Klein, je soulignais que l’accent peut-être démésuré sur les changements climatiques risque de nous mener à ne pas voir l’ensemble des crises qui sévissent, qui interagissent et qui ne se comprennent pas en isolation. En contrepartie, je rappelais le travail du Club de Rome dans Halte où plus d’une centaine de composantes interagissanes de notre civilisation sont traitées ensemble par le modèle, d’où des projections qui me paraissent toujours assez bien fondées.

Pierre-Alain Cotnoir m’a posé des questions en réaction (le 20 juillet) :

Je partage votre réalisme et du même coup je suis curieux de connaître votre appréciation de deux contributions. La première, c’est celle du Dr. Guy R. McPherson, auteur de Going Dark où il défend la thèse d’une humanité vouée à l’extinction à fort brève échéance (http://www.guymcpherson.net/books.html). La seconde, c’est celle du site Arctic-News (http://arctic-news.blogspot.ca/) animé par l’énigmatique Sam Carana (existe-t-il vraiment ou est-ce un collectif qui se cache sous ce nom?).

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Je ne connaissais ni McPherson ni Wadhams ni Carana, et j’ai regardé ce que les liens fournissaient comme introduction à leurs positions. C’est en effet dramatique, mais je me suis donné du temps pour réfléchir avant d’essayer de fournir une réponse probablement banale de toute façon. Un échange avec un autre lecteur pendant ce temps a souligné que mon blogue, qui critique sans proposer des solutions à une longue série d’interventions (Klein, Rifkin, Lovins, Villeneuve, Favreau et d’autres) donne l’impression que j’ai abdiqué (voir ma réflexion sur le livre de Claude Villeneuve, Est-il trop tard ?) et proposait que je lance des idées encourageantes.

Un des objectifs de ce blogue est d’essayer de faire réfléchir de nombreux intervenants qui, ensemble, pourraient bien dessiner des pistes d’attaque pour nous préparer pour l’effondrement plutôt que pour la transition (plutôt en douceur…) dont de nombreux auteurs parlent constamment et patiemment. (suite…)

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Retour à la terre

Résumé. Par indirection, une réflexion sur le Partenariat transpacifique (PTP), en esquissant le caractère social bien plus qu’économique de notre agriculture. L’idée d’une nouvelle agriculture est introduite en se référant à un autre chapitre du projet de livre Indignés sans projets? Ensuite, une analyse est présentée des dérapages majeurs du soutien gouvernemental via l’Assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) et de l’objectif social de la gestion de l’offre en cause dans les négociations sur le PTP. Finalement, ni le 60% de l’agriculture soutenue par l’ASRA ni le 40% protégée par la gestion de l’offre ne s’insère dans l’économie de marché, et cela ouvre la porte à un nouveau modèle par les principes mêmes qui sont en cause. Le fait que les coûts des externalités de l’agriculture équivalent aux bénéfices des produits (subventionnés) ne fait qu’accentuer l’intérêt d’un changement radical du système. Le PTP arrive à un moment où même la Chine est en train de penser sérieusement à un nouveau modèle, tellement ses défis l’amènent ailleurs que dans la mondialisation style actuel. Il est temps que l’énorme mouvement social auquel a donné naissance la grève des étudiants en 2012 soit ressuscité et mis en branle. 

Probablement le principal constat venant de mon récent voyage en Chine, le quatrième, était la mise en cause de mon sens que le paysan chinois représente un des «modèles» pour la société humaine après l’effondrement du système économique actuel. Partout où je voyageais en campagne, c’était le même constat: les jeunes ont quitté les villages, d’une part parce que la vie de paysan chinois ne représente pas un idéal pour eux, d’autre part parce que le rêve de la vie à Shanghai en représente un – même s’il ne semble pas que les jeunes trouvent des emplois dans les villes…

Fermiers, les jeunes?

Tout récemment, j’ai reçu d’Yvon Poirier le texte pour la présentation de l’économie sociale et solidaire, sa contribution au livre Les indignés sans projets? – des pistes pour le Québec. Il s’agit d’un élément clé dans la conception d’un Québec passant à travers l’effondrement du système économique actuel. La revitalisation des milieux ruraux constitue un élément central dans la vision qui soutient le chapitre, et le livre. En même temps, j’ai eu l’occasion de faire une entrevue pour un journaliste de L’actualité alimentaire. Pensant au thème soulevé, le vrai coût des aliments, j’ai relu le chapitre de mon livre sur l’agriculture (voir les pages 10-14 de la Synthèse, si vous n’avez pas le livre) et, par la suite, la chronique de Josée Blanchette sur le «retour à la terre» de certains jeunes (et il me resterait à peut-être revoir la vidéo d’une présentation par le jeune agriculteur dont il est question dans la chronique de Blanchette).

«C’est un métier extraordinaire qui se caractérise moins par la quantité d’heures passées au travail et le salaire que par la qualité de vie qu’il procure. Peu de gens peuvent l’imaginer, mais en dépit de l’intensité de notre travail, il reste beaucoup de temps pour faire autre chose. Notre saison débute lentement en mars pour se terminer en décembre. C’est tout de même neuf mois de travail pour trois mois de temps libre.» – Jean-Martin Fortier, Le jardinier-maraîcher

J’ai fait part des tendances manifestées par ces jeunes, pour le moment marginaux, devant un groupe d’étudiants à l’Université d’Ottawa l’an dernier. J’y présentais mon sens qu’il faut se préparer pour un autre modèle économique et que ces tendances marginales ne devraient pas rester ainsi très longtemps. Deux des étudiants sont venus me voir, pour souligner que cela est justement leur objectif en termes de carrière. Sauf que ce n’est pas une évidence, nos jeunes en général étant même beaucoup plus ancrés dans le modèle actuel que les jeunes Chinois. (suite…)

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Les solutions existent…

Tel est le discours omniprésent non seulement au sein des groupes environnementaux mais également chez de plus en plus d’intervenants aujourd’hui qui deviennent de plus en plus conscients des crises qui sévissent, environnementales bien sûr, mais également sociales et économiques. Deux récents éditoriaux percutants de Guy Taillefer dans Le Devoir s’insèrent dans cette mouvance et soulignent la situation que j’ai décrite récemment en commentant le nouveau livre de Naomi Klein, This Changes Everything. Le premier éditorial brosse un tableau des crises de l’eau, le deuxième offre quelques perspectives de solutions possibles. Tout en étant impressionné par ces interventions, je me sens interpellé.

Les solutions existent depuis longtemps

J’avais justement décidé cette semaine de passer au recyclage plusieurs séries de magazines conservées sur les tablettes de ma bibliothèque depuis des décennies, n’ayant plus de place pour des ajouts. Déjà pendant l’hiver j’avais décidé de passer à l’action en numérisant les anciens (85) numéros de la revue de Nature Québec, d’abord Franc-Nord et ensuite Franc-Vert, qui ornaient ma bibliothèque mais qui prenaient de la place. Ils seront mis en ligne par l’organisme sous peu. Ce ne sera pas le cas pour Nature Canada, Québec Oiseaux, Environnement (pour les numéros avant 2007), Equinox, Canadian Geographic et plusieurs autres, qui se trouvent dans le bac de recyclage en attente de la prochaine collecte.Solutions Pâques

J’étais particulièrement intrigué de voir les numéros d’Environnement, datant des années 1990 mais rendu aujourd’hui à son 57e numéro, avec un sous-titre: Science and Policy for Sustainable Development). Ils étaient (et le sont toujours) publiés par un obscur éditeur et dont je ne me rappelle même plus d’y avoir été abonné. J’ai relu un premier article de page titre de 1995 sur la dégradation des terres agricoles dans les pays «sous-développés», et j’étais frappé de voir, tout au long de l’article, la minimisation, par le processus de mentions d’exception, des grandes problématiques identifiées. L’article souligne entre autres comment un projet réussi par une minorité au Kenya (dont la population va doubler d’ici quelques décennies) démontre que la question de surpopulation ne mérite pas trop de préoccupation. Je vais lire dans les prochains jours les numéros sur le sommet de Rio (1992) et sur le Jour de la Terre 25 (1995)… (suite…)

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Tout peut changer, de Naomi Klein : Tout change, mais rien ne suggère que tout peut changer comme on veut.

En 1966, après la naissance de nos deux enfants à 15 mois d’interval, mon épouse et moi avons décidé d’arrêter la famille à 4. Plusieurs raisons jouaient un rôle dans la décision, mais pour moi, c’était la conviction que deux enfants étaient une limite dans un contexte de crises environnementales empirées par la croissance démographique. Il était fascinant, 50 ans plus tard, de lire dans ce contexte This Changes Everything, de Naomi Klein: après plus de 400 pages de cette intéressante présentation du défi des changements climatiques, Klein débute le Chapitre 13, le dernier, sur le droit de se régénérer, avec la narration de ses difficultés, à la fin de la trentaine, dans l’effort de concevoir un enfant. Elle décrit dans ces pages sa réaction à l’époque aux échanges avec des environnementalistes dont les propos portaient sur nos responsabilités envers nos enfants et nos petits-enfants. Elle trouvait dans sa réaction personnelle de ne pas être mère une source de réflexion sur les maux qui affligent la planète et y voyait le reflet d’une sorte de syndrome d’infertilité de la planète elle-même. Nulle part, par contre, ne paraît une indication que parmi les principaux défis de l’humanité actuellement est le défi de sa grossière fertilité, où, par exemple, l’Inde ajoute à sa population (surtout à sa partie pauvre) environ 55,000 personnes net par jour

Photo Marie-Josée Bergeron à la gare de Varanasi en Inde, le 18 février 2014 Je n’arrive pas à éditer le texte ci-dessus, qui devait se lire comme suit: L’inde connaît une croissance démographique d’environ 20 millions de personnes par année, alors que la Chine est en voie de stabiliser sa population, mais cela à environ un milliard et demi de personnes (contre environ 500 millions il y a un demi siècle). Les défis pour les deux pays restent énormes, alors qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires sur leurs territoires respectifs pour assurer un bien-être minimal à leurs populations. Pour une analyse en profondeur de ces enjeux, voir The Security Demographic: Population and Civil Conflict after the Cold War, par Richard P. Cincotta, Robert Engelman and Daniele Anastasion (Population Action International, 2003). Le document n’est plus disponible en ligne, et je l’ai donc rendu disponible sur mon site, à http://www.harveymead.org/wp-content/uploads/2013/06/Security-Demographic-2003.pdf.

J’attendais ce dernier chapitre, et la Conclusion, pour mieux saisir le positionnement ultime de Klein face au sujet du livre, les changements climatiques qui menacent à court terme l’avenir de l’humanité. Un sens du temps parcouru me frappait: Klein ne réalise pas que les «générations futures» de la Commission Brundtland ne sont plus nos enfants et petits-enfants, mais des gens de l’âge de Klein – elle est l’enfant de Brundtland, et son livre montre jusqu’à quel point Brundtland voyait juste. Ses engagements pour son enfant (elle a finalement réussi) doivent être, finalement, pour elle-même.

Comment se positionner

La situation me rappelle celle de David Suzuki, dont je suis les analyses des problématiques environnementales sur The Nature of Things depuis probablement plus de 30 ans (tout comme celles de Klein, sociales et socio-économiques, depuis près de 20 ans et la publication de No Logo). C’était la fille de Suzuki qui a livré le plaidoyer pour les jeunes au Sommet de Rio en 1992 et qui est revenue, avec son père, pour condamner l’échec de l’humanité dans les vingt ans qui suivaient, lors d’interventions à Rio+20 en 2012.

J’attendais la chance de lire le nouveau livre de Klein depuis plusieurs mois, et les 300 premières pages me rejoignent presque au paragraphe près. (suite…)

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En attendant l’échec de la COP21 à Paris en décembre

Résumé: Les acteurs dans les différents secteurs touchés par les changements climatiques ne peuvent présumer d’un succès dans les efforts de négocier une entente pour la COP21 de décembre prochain. Le dilemme posé par les implications de cela comporte soit le rejet des travaux du GIÉC soit le constat de sérieux problèmes. Le cours d’été du CERIUM qui s’est déroulé cette semaine m’a fourni l’occasion de revenir sur mes critiques de l’économie verte comme piste de solution, en relevant les défis formulés par un des leaders du mouvement environnemental. En guise de réponse, je propose d’autres pistes, partant du constat de l’effondrement de nos structures sociétales, débutant fort possiblement pendant la prochaine décennie. Une première, inévitable de toute façon, est une réduction dramatique de la consommation d’énergie par les pays riches; une deuxième est la priorisation de la vie communautaire par rapport aux excès de consommation matérielle qui marque ces sociétés contemporaines une troisième est une intervention ciblant une révision en profondeur de nos modes de transport, transformant radicalement le rôle de l’automobile..

Je me suis attardé pendant plusieurs semaines l’été dernier aux défis inhérents dans l’effort de négocier une entente internationale contraignante face à la menace des changements climatiques. Je les ai esquissé dans trois articles: un premier portant sur les implications d’un budget carbone et le paroxysme de l’économie verte qui en découle; un deuxième soulignant une sorte de paralysie devant la quasi impossibilité de répondre aux constats du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIÉC) et son budget carbone; un troisième souligne l’impossibilité économique inhérente dans les défis, les autres ayant parlé des impossibilités technologiques et politiques.DSC08665

Depuis ce temps, les médias suivent les nombreux pourparlers et rencontres et gardent ces défis dans l’actualité. Comme il a été le cas à plusieurs reprises au cours des décennies, tout ce brassement portant sur l’environnement – pour caser le dossier ainsi – donne l’impression qu’il y a du progrès sur ce front dans nos perspectives de développement. Lorsque l’on regarde l’ensemble de la situation, on est néanmoins obligé de constater que ce brassement n’arrive toujours pas pour autant à s’intègrer dans celui tournant en permanence autour du développement économique.

L’échéance est décembre 2015 et la 21e conférence des parties (la COP21) de l’accord de Kyoto qui aura lieu à Paris; le défi est de respecter la limite physique établie par le GIÉC en ce qui concerne la quantité de carbone que l’humanité peut se permettre d’émettre sans s’exposer à des risques inacceptables d’une hausse catastrophique de la température planétaire.

Mercer

Cette présence d’une limite dans notre gouverne du dossier environnemental représente une nouveauté et une contrainte inconnue antérieurement, alors que nous dépassions allègrement les limites de la capacité de la planète à nous soutenir. Cette fois-ci, il faut soit rejeter l’autorité du GIEC, la seule instance «environnementale» capable de nous orienter, soit se soumettre à des exigences qui dépassent à leur tour notre propre capacité à agir.

C’est ce dilemme – ce que j’appelait le bluff dans un jeu de poker – qui marque, finalement, la couverture médiatique des préparatifs en cours en parallèle à celle des défis économiques. (suite…)

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Heurtel et Ouellet – le rôle de l’environnement dans les décisions

Dans les années 1970 et 1980, les milieux écologistes ont réussi à faire créer au sein de nombreux gouvernements à travers le monde des ministères de l’Environnement. C’était un acquis qui semblait bien une assurance que les dossiers environnementaux allaient être pris en considération lors de décisions politiques émanant de gouvernements divers. Finalement, plusieurs avancées dans les années suivantes ont bien vu adoptées des lois cherchant à encadrer par des réglementations diverses différents problèmes environnementaux, comme la pollution de l’eau et de l’air. Ce qui allait de pair avec ces lois était la réalisation par les milieux économiques que leur objectif était de restreindre dans une certaine mesure les activités en matière de développement. Finalement, le rôle des ministères de l’Environnement est devenu celui d’empêcheur de tourner en rond, représentant justement un frein plutôt qu’un facteur de décisions intelligentes en matière de développement.

Il était bien intéressant de voir la semaine dernière la plus récente page de la saga du ministre Heurtel, l’approbation des forages par TransCanada sans tenir compte des prérequis. Presque prévisible, le ministre met la faute sur les fonctionnaires (comme le sous-ministre adjoint qui signe les autorisations, comme j’ai fait pendant deux ans); aucune admission que son cabinet suivait de près tout ce qui touchait le dossier… La situation nous retourne à l’an dernier quand le même ministre indiquait qu’il ne connaissait pas les détails des émissions qui seraient générées par l’éventuelle cimenterie de Port-Daniel, alors que son ministère (ses fonctionnaires toujours) avait un rapport complet sur la question venant du promoteur. Ses omissions allaient de pair avec l’intervention explicite qui refusait d’exiger une audience du BAPE pour la cimenterie, se fondant sur une analyse légale au mieux théorique mise en pièces par le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). La situation a amené Antoine Robitaille à écrire un éditorial dessus.

Le ministre Heurtel se distingue ainsi d’autres ministres en cherchant (des fois) à cacher son rôle comme représentant du gouvernement (même si de façon plutôt marginale) dans les dossiers du développement pétrolier et du développement économique. Ses dérives ciblant différentes failles ou de l’ignorance, tout simplement, semblent revenir sur lui chaque fois. Avec le changement de nom (pour une énième fois) du ministère pour inclure référence aux changements climatiques (dossier chaud, mais loin d’être prioritaire), on aurait pensé qu’il ferait au moins meilleure figure dans le semblant de responsabilité.

La situation me rappelle celle dans laquelle se trouvait Martine Ouellet pendant sa première semaine comme ministre des Ressources naturelles, au début du mandat du gouvernement Marois. Ouellet était probablement la ministre la mieux préparée depuis des décennies pour assumer les responsabilités inhérentes au titulaire de ce ministère. Non seulement avait-elle agi pendant de nombreuses années comme gestionnaire pour Hydro-Québec dans des dossiers touchant l’énergie; elle avait réussi à compléter son travail professionnel par des engagements dans des organisations de la société civile comme Eau secours! Ce bénévolat qui lui a permis de connaître tout cet autre pan d’informations pertinentes pour prendre des décisions éclairées prenant en compte un ensemble de facteurs.

Dans les jours suivant sa nomination, la ministre Ouellet est intervenue, suivant un positionnement antérieur du PQ qui rejoignait ses connaissances professionnelles, pour souligner qu’elle ne voyait pas le jour où des études sérieuses montreraient la faisabilité, en termes environnementaux et économiques, de la fracturation comme technologie pour extraire les gisements de gaz et de pétrole des schistes. Cela n’a pris la première ministre Marois que deux ou trois jours pour annoncer publiquement que son gouvernement était favorable aux projets visant l’exploitation de cette énergie non conventionnelle… Le successeur de la ministre Ouellet dans le gouvernement Couillard, Pierre Arcand, sait d’avance que son rôle n’est pas de fournir des évaluations sérieuses et multifacettes en vue de décisions gouvernementales touchant le développement énergétique, mais de soutenir le gouvernement. Le gouvernement a déjà pris des décisions importantes en termes d’orientations dans ces domaines, tout comme le gouvernement Marois l’avait très rapidement fait au début de son mandat.

Nous voyons avec ces situations deux phénomènes différents, mais complémentaires. D’une part, nous voyons plus clairement, plus publiquement, que le rôle des ministres d’un gouvernement est de faire avancer les objectifs du gouvernement déjà inscrits dans ses orientations publiques, mais aussi internes. Il est rare que des ministres aient la latitude pour émettre des avis indépendants – sauf s’il s’agit de dossiers qui ne touchent pas les priorités. Et voilà, d’autre part, la leçon que nous avons eue de ces récents événements publics touchant différents ministres, de l’Environnement aussi bien que des Ressources naturelles. Leurs déclarations, et leurs gestes, révèlent justement des orientations internes déjà établies, mais maintenues souvent dans le flou pour le public.

En particulier, nous avons appris jusqu’à quel point le gouvernement Marois et le gouvernement Couillard ont acheté l’image des états pétroliers roulant dans l’argent et cherchant presque désespérément un potentiel de revenu qui pourrait les sortir des contraintes budgétaires qu’ils savent permanentes. Même des acteurs économiques de l’extérieur les encouragent allègrement, avec par exemple le Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole devancier 2014 (que Madame Marois a dû lire assez vite, tout comme M. Couillard). Non seulement les acquis des années 1970-1980 étaient-ils plutôt illusoires; le mouvement écologiste comprend mieux maintenant jusqu’à quel point leur champ d’action, l’environnement, représente une «externalité» pour les gouvernements, un frein au développement, et cela en dépit des bibliothèques complètent qui auraient dû depuis longtemps convaincre les économistes qui mènent la barque au sein des gouvernements, via les ministres des Finances en particulier, de l’erreur de leur vision. Je me suis permis une longue réflexion sur cette question lors d’un colloque de l’ÉNAP en 2013.

 

 

 

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Sortir le Québec du pétrole

Je ne connais pas les dessous de ce livre[1], mais sa production a été une opération éclair dirigée par Ianik Marcil, conseillé par Dominic Champagne et Sylvie Van Brabant. Comme pour la plupart des auteurs, mon court chapitre n’exigeait pas une grande réflexion, portant comme il fait sur des préoccupations de longue date. Reste que le fait de convaincre une quarantaine de personnes de mettre leur pensée par écrit dans un très court laps de temps était tout un exploit. À la lecture, je trouve intéressante l’expérience de pouvoir établir le contact avec autant d’auteurs, et de passer des unes aux autres, rapidement, parce que les textes sont courts, et d’actualité.

L’effort d’imaginer la société à venir

Je ne connais pas Ianik Marcil, en dépit du fait que j’essaie de prends le pouls de nos économistes depuis des années maintenant. Je le connais à peine mieux en lisant sa page web, tellement il est partout et commentant différents sujets d’importance; il est «spécialisé en transformations technologiques et sociales, en développement économique, justice sociale et économie de la culture». Finalement, son introduction au livre, «Drogue dure», m’explique un peu pourquoi il se présente comme «économiste indépendant», plutôt que, par exemple, comme économiste hétérodoxe, terme qui réunit la plupart de nos économistes de gauche.

Source : Graham M. Turner, «Looking Back on the Limits of Growth», 2008  Le graphique montre la comparaison entre les données réelles sur 30 ans et les projections de l’équipe du MIT en 1972. L’ellipse en noir souligne l’inflexion de la courbe pour la population humaine vers 2030, cela après l’inflexion d’autres courbes, dont celle pour la production industrielle. Turner est revenu en 2012 avec les données sur 40 ans, sans fournir un graphique similaire, même si les tendances se maintiennent. «On the Cusp of Global Collapse?», Gaïa, 2012, p.123.

Marcil met de l’avant, dès les premiers paragraphes, les préoccupations des grandes institutions économiques comme le Fonds monétaire international (FMI) et le Forum économique de Davos face aux changements climatiques. C’est l’effondrement même de notre système économique qui est en jeu, souligne-t-il, citant la président du FMI à l’effet qu’à moins de trouver une croissance verte, les «générations futures seront rôties, toastées, frites et grillées».

Il prend les travaux de l’équipe de MIT pour le Club de Rome dans Halte à la croissance comme élément explicatif (en partie) de la situation. Les crises imbriquées décrites par ces travaux fournissent le portrait d’un monde où les écosystèmes, les sociétés et les économies s’alimentent mutuellement face à la croissance démographique et à celle de la pollution pour nous mettre devant le mur. Premier élément discordant dans le portrait présenté par Marcil : les chercheurs du MIT projetaient cet effondrement d’ici 30 ou 40 ans, dit-il, alors que la date fatidique pour eux était clairement autour de 2025-2030, à peine d’ici une décennie (cliquer sur le graphique).

Il est déjà impressionnant pour moi de voir un économiste québécois faire résonner dans son petit texte le principal thème de mon blogue. Il n’arrête pas là, mais poursuit en citant les interventions récentes de Jeff Rubin, dont les analyses lient l’effondrement projeté à notre dépendance au pétrole. Une citation intéressante de La fin de l’abondance de John Michael Greer, dans le sens du titre de ce livre (publié par Écosociété en 2013), complète le tour d’horizon  … sauf pour un deuxième élément discordant. Marcil termine en faisant référence à la «transition écologique de l’économie» décrite par Louis Favreau et Mario Hébert. Pour lui, une transition en douceur semble apparemment toujours possible en dépit du portrait d’ensemble que Halte et Greer décrivent plutôt comme la fin de l’ère industrielle : «Pour arriver à imaginer et à mettre en œuvre cette transition … , il nous faut des connaissances, des analyses et des sources d’inspiration. Voilà l’objectif du présent livre … Les solutions existent» (16-17), insiste-t-il.

Le premier texte à suivre cette introduction est celui d’Éric Pineault et Laure Waridel signé pour Le Devoir l’an dernier. «Les trois mythes pétroliers» est intéressant, mais représente finalement un certain échec relatif du récent livre dans sa poursuite de son objectif, l’imaginaire de la croissance verte … échec comme le mien, dois-je admettre, dans l’effort de réunir un collectif d’auteurs pour cibler précisément cette société à venir, qu’il faut imaginer et ensuite préparer. Finalement, je cherche presque sans succès dans le livre de Marcil des textes qui fournissent les éléments qui décrivent «la transition écologique de l’économie» (et non seulement une transition énergétique). On y voit de nombreux textes qui décrivent bien un ensemble d’informations et de failles dans différents aspects du dossier pétrolier, mais on sent chez plusieurs des auteurs une sorte d’optimisme face à l’effondrement du système actuel que je n’arrive pas à partager.

Il semble en ceci y avoir beaucoup de ressemblances avec l’effort de cibler le même objectif par l’IRIS dans Dépossession, que j’ai commenté en quatre articles en mars et avril derniers avant de partir pour la Chine. J’y souligne que les auteurs ont bien décrit le passé et le contexte des crises qu’il nous faut résoudre, mais ont évité presque complètement l’effort d’imaginer notre avenir, effort nécessaire pour permettre l’effort de le préparer.

Syndicats et organismes écologiques

Je résume certains aspects du problème dans un texte de décembre dernier. Disons tout d’abord que nous manifestons un certain conflit d’intérêts dans notre mouvement contre le pétrole. Nous nous sommes plutôt bien adaptés au pétrole, depuis cinquante ans et plus, quand les dégâts de son exploitation et de son transport se trouvaient ailleurs. L’incapacité du pétrole conventionnel de répondre à notre demande croissante pour cette énergie extraordinaire a amené les pétrolières à l’exploitation du pétrole non conventionnel, à un prix bien supérieur, ce qui a permis l’exploitation des gisements nord-américains, dans le schiste et dans les sables bitumineux.

Je m’étais déjà proposé de suggérer, en 2005-2006, que les groupes acceptent l’arrivée de projets d’exploitation de pétrole dans le golfe, histoire de nous sensibiliser à ce qui se passait déjà un peu partout ailleurs et qui ne nous dérangeait pas assez pour demander que le monde sorte du pétrole (et du charbon, mais cela est une autre histoire). Voilà que, en dépit de notre opposition, nous nous trouvons confrontés à ses impacts et nous commençons à en voir leur importance – et leurs implications.

C’est Gabriel Nadeau-Dubois qui nous fournit le meilleur texte de la collection en ce sens. En ses quelques pages, il réussit à souligner de grandes problématiques presque pas mentionnées ailleurs dans le livre, et qui ne concordent pas d’emblée et évidemment avec l’économie verte soujacente à plusieurs des autres textes. Dominic Champagne nous met devant le défi de «nous réinventer» (206), mais Nadeau-Dubois passe proche d’en voir le piège en insistant sur le fait que «réinventer notre manière de travailler, de produire et de consommer … exige de repenser en profondeur notre système économique, ce qui implique d’assumer une rupture avec l’ordre actuel» (230). Même si lui aussi trouve évidente une orientation vers les «technologies et énergies vertes» (234), c’est dans un tout autre contexte.

La proposition (comme dans Dialogues pour un Canada vert) d’avoir recours aux énergies renouvelables pour maintenir nos sociétés énergivores est fondamentalement irrecevable, tellement elle en escamote les implications. D’une part, elle se fait en maintenant le modèle de développement actuel plutôt qu’un modèle alternatif que Nadeau-Dubois trouve nécessaire face à l’effondrement projeté par Halte. Notre défi n’est pas de trouver davantage d’énergie verte pour combler les lacunes laissées par une sortie du pétrole, mais de voir comment nous organiser pour réduire dramatiquement notre consommation excessive d’énergie. D’autre part, et poursuivant dans ce sens, les anciens débats sur le développement dans la Baie James, à la Manic et ailleurs, tout comme les récents débats sur l’éolien, devraient nous rappeler que même ces énergies «vertes» comportent des impacts, lors de la construction des installations tout comme en permanence devant la perte de territoire que celles-ci nécessitent.

Nadeau-Dubois met l’accent sur le fait que «le fossé séparant ces deux mondes [celui du mouvement syndical et celui des militants écologistes] est plus grand que les protagonistes impliqués ne le reconnaissent» (227) et que «les deux postures sont à la fois justifiées et insuffisantes» (228, ses italiques). Pour Nadeau-Dubois, les deux mouvements sont en crise, suite aux gains des néolibéraux face aux syndicats et à l’échec de l’effort de compromis pour les écologistes impliqué dans leur adhésion aux principes du développement durable. Il offre deux pistes de solution pour la transition: d’une part, le désinvestissement des syndicats dans le monde pétrolier; d’autre part, un accent sur les circuits économiques courts dans les régions. Un certain lyrisme accompagne ces deux propositions, où il met lui-même un accent sur des secteurs «verts et durables» à la place des secteurs où domine le fossile; il suggère possible pour la deuxième piste «l’épanouissement économique et social des communautés rurales de manière durable» (234). La contribution à l’objectif du livre, presque la seule, est importante. Reste pour l’ensemble de voir plus clairement les implications, ce qu’il ne fait pas.

Enjeux écologiques, enjeux économiques : indissociables

Fortune 500 1-12

Dans son court texte pour la collection, «À la guerre comme à la guerre», Ianik Marcil met un accent sur l’énorme importance économique de l’industrie pétrolière. Celle-ci représente 17 des entreprises à la Fortune 50, et cela pour 44% du chiffre d’affaires(132). J’ai déjà eu l’occasion de faire cette référence, mais en me limitant à la Fortune 12 pour 2012 (voir le graphique): s’y trouvaient Wal-Mart, symbole de notre surconsommation à bas prix, 9 pétrolières ou compagnies d’énergie et 2 compagnies d’automobile. Marcil ne le mentionne pas, mais je crois que les compagnies de construction d’automobiles devraient nous intéresser presque autant que les pétrolières. Ici au Québec, ni les unes ni les autres n’emploient beaucoup de monde; c’est probablement la construction tout court qui les remplace par son importance.

Les groupes écologistes savent que c’est presque impossible de contrer des propositions venant d’Hydro-Québec, tellement la construction (où la FTQ-Construction mentionnée par Nadeau-Dubois joue un rôle important) est omniprésente et représente des emplois en nombres importants et en région – et récemment il a été presque la même histoire avec la construction d’éoliennes, à plus petite échelle. En effet, il y a eu d’importantes oppositions aux récentes propositions d’énergies vertes, tout comme aux anciennes propositions. Cela est presque oublié dans les réflexions et les interventions contre le pétrole, mais tout au long de ces histoires, les groupes écologistes se trouvaient en confrontation avec les syndicats. Suggérer que ce serait un secteur de collaboration possible comporte le maintien du même modèle, suivant la même logique, mais avec l’étiquette verte en prime et en présumant que les critiques des énergies vertes à date pourraient être évitées.

Notre situation se manifeste autrement aussi. On décrit Nadeau-Dubois comme étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQAM, et voilà des liens que l’on peut soupçonner avec d’autres travaux, dont ceux d’Éric Pineault (sociologue et économiste à l’UQAM) et François L’Italien, qui ont montré les importants investissements de notre Caisse de dépôt et placement dans les sables bitumineux, celles qui assurent plus que tous les autres des retours intéressants sur le bilan de l’institution.

Nadeau-Dubois nous apprend que les deux institutions d’épargne collective de nos syndicats, le Fonds de solidarité de la FTQ et le Fondaction de la CSN, «investissent massivement dans les deux plus grandes entreprises de transport de pétrole bitumineux au pays … sans compter les investissements significatifs du Fonds dans la quasi-totalité des entreprises canadiennes exploitant les sables bitumineux» (233). Sans en réaliser pleinement les implications, nous disons souvent que notre économie roule sur l’énergie fossile, littéralement, dans le cas des autos, indirectement quand il vient à assurer notre «bien-être».

On comprend que les fonds des syndicats et la CDPQ investissent dans le pétrole parce que ce secteur est parmi les plus rentables en termes de retour sur l’investissement. La piste alternative, ciblant un transfert des investissements vers des «technologies et énergies vertes … mais aussi la culture, l’éducation et l’ensemble des services publics» (234), donne une idée de la «rupture avec l’ordre actuel» dont il parle: le retour sur l’investissement risque fort d’y être bien moindre, avec tout ce que cela  comporte. De la même façon, l’accent sur les circuits courts pourrait bien être associé à une nouvelle vitalité dans les régions, mais il n’est pas évident que cela permettrait d’éviter «l’appauvrissement» (229) que les syndicats cherchent à éviter. L’appauvrissement serait bien relatif, tout comme l’austérité.

Le portrait n’est pas clair, et on peut espérer que l’approche d’Éric Pineault ciblant une «économie ordinaire et vernaculaire» se montrera éventuellement pleine de pistes. Essentielle dans l’approche, dans la transition: une réalisation que les emplois hautement rémunérés dans la construction comme dans d’autres secteurs énergivores et intensives en ressources du modèle économique actuel ne pourront pas faire partie du Québec de l’avenir. Note discordant: Pineault et L’Italien proposent dans leur texte pour l’IRÉC (voir le lien plus haut) que le désinvestissement «pourrait signifier de mettre la CDPQ au service de la reconversion écologique de la base industrielle et énergétique du Québec. Cette reconversion aurait avantage à se faire plus tôt que tard puisqu’elle propulserait le Québec dans le peloton de tête des sociétés occidentales à fort potentiel d’innovation» – soit, nous maintenir dans l’ordre actuel…

L’automobile

Dans le livre dont j’ai essayé de coordonner la production et qui aller porter sur un portrait du Québec ayant opéré la rupture avec le système actuel – j’ai dû abandonner le projet devant mon incapacité de convaincre les auteurs de plusieurs chapitres clé à écrire leurs textes – j’ai écrit le chapitre sur la situation énergétique après la rupture. J’y rejoignais, presque à ma surprise, l’optimisme de plusieurs qui soulignent comment le Québec est bien placé face à l’effondrement du système économique qui s’annonce. Nous avons 50% de notre énergie à l’épreuve des soubresauts de l’économie mondiale et – contrairement à la volonté des promoteurs de l’économie verte de suggérer le maintien du système et un recours accru aux énergies renouvelables – j’y propose de nous restreindre à cette énergie pour fonder notre nouvelle société. Nous serions, même avec une telle réduction de notre consommation, parmi les plus importants consommateurs d’énergie du monde – c’est-à-dire, parmi les pays riches qui doivent s’organiser pour une opération contraction-convergence permettant aux pays pauvres d’atteindre un niveau de vie meilleur, le tout dans le respect des contraintes planétaires. Ce n’est pas seulement le Québec qu’il faut sortir du pétrole.

C’est là où s’opère la restructuration radicale de l’économie, mais dont il n’est presque pas question dans Sortir le Québec du pétrole. Nous ne devrions pas tout simplement électrifier notre réseau de transports, privés et collectifs, mais le transformer complètement en reconnaissance du rôle grossièrement excessif que l’automobile joue dans nos économies de consommation et la nécessité non seulement de sortir du pétrole, mais de sortir de la surconsommation. Dialogues en parle dans son récent document, et Renaud Gignac fournit pour ce livre quelques pistes dans son texte «La dépendance au pétrole plombe l’économie québécoise». Il cite entre autres un travail récent de Luc Gagnon qui souligne les coûts sociaux et économiques de l’automobile depuis des décennies. Par contre, et même en mettant de l’avant l’économie écologique, Gignac semble lui aussi succomber à la tentation d’un maintien du modèle actuel par une économie verte, comme le titre de son texte suggère.

Le pendant de ces sorties est une transformation de notre relation à l’emploi. Des emplois pour les femmes qui ont investi le marché de l’emploi depuis quelques décennies ont exigé que la taille de l’économie double pour leur trouver de la place; des emplois pour les milliards des paysans du monde actuel exigeraient quelque chose d’encore plus dramatique, même si nous savons que cela n’arriverait de toute façon pas dans le système actuel. En fait, cela n’arrivera pas non plus dans des sociétés restructurées et réinventées, parce qu’il est inimaginable de concevoir (comme le fait pourtant l’OCDE, la Banque mondiale et d’autres institutions de l’économie internationale dans leurs plaidoyers pour l’économie verte…) une économie mondiale plusieurs fois la taille de celle d’aujourd’hui, alors que celle-ci est déjà en dépassement de la capacité de support de la planète.

Alain Deneault a choisi de faire porter «Rendre révolue la colonie», son court texte pour le livre, sur autre chose, mais il le termine avec ce qui aurait pu mener à un autre texte : «[Dans] notre vaste zone administrative dans laquelle les colons ne disent rien parce qu’ils vivent comme les administrés des colonisateurs … tout ce qui compte est d’avoir un emploi … à moins de faire des assujettis du régime des citoyens d’un monde à s’offrir en partage» (192). Le texte d’Yves-Marie Abraham qui suit aborde directement ce qui est en cause : «Ce qu’il nous faut pour vivre». Ce qu’il nous faut sera beaucoup moins que ce que nous avons aujourd’hui, et le partage risque fort d’y être fondamental, en contraste avec la concurrence actuelle.

Le débat pour nous sortir du pétrole a beaucoup trop porté sur la bataille traditionnelle cherchant pour une énième fois à stopper des projets de notre mal-développement. Il reste toujours un besoin urgent pour faire le portait réaliste d’un Québec ayant passé à travers l’effondrement. Marcil débute le livre en soulignant que cet effondrement s’en vient, mais le livre n’arrive à nous fournir que quelques pistes pour passer à travers. Commençons par cibler une réduction de 50% de notre consommation d’énergie. Ensuite, cherchons à trouver comment identifier ce qu’il nous faut pour vivre sur cette planète malmenée (et pas seulement le long du fleuve potentiellement malmené) avec l’idée que cela aussi se situera dans l’ordre de 50% de moins, en travail rémunéré tout comme en objets de consommation…

L’élan global

Et voilà le problème de ce récent Manifeste, dont le texte termine le livre. Il s’y trouve une naïveté et un refus de voir la société «réinventée» comme elle devra l’être. J’ai signé le Manifeste, mais en soulignant que c’était parce que le texte reste juste assez flou pour ne pas me mettre dans la contradiction. «Nous avons la chance de vivre sur un territoire qui regorge de sources d’énergie renouvelable» [lire : que nous pourrons développer en remplacement de l’énergie fossile abandonnée], souligne-t-il, passant par la suite, pour la seule fois dans le livre, à noter que notre énergie renouvelable actuelle a été installée «en inondant la taïga, en déplaçant des nations autochtones, en détournant des rivières et en noyant épinettes, lichens et caribous» (311). Il poursuit pourtant avec l’optimisme de l’économie verte : «Les solutions existent. Nous avons les moyens technologiques et humains qui permettent de lancer un vaste chantier de développement véritablement durable, viable, juste et équitable. Nous avons le devoir les leaders de ce nouvel élan global qui marquera le 21e siècle» (312).

En passant à travers le livre, le lecteur (et les auteurs) oublient l’effondrement annoncé dès les premières pages, qui terminent avec cette même phrase: «les solutions existent». Il faut croire que l’erreur dans sa lecture des projections de Halte à la croissance, qui ciblent 2025 comme date fatidique plutôt que 2045-2050, amène Marcil à son propre optimisme, mais les travaux de Turner sur les données correspondant à ces projections (cliquer sur le premier graphique) suggèrent que nous sommes probablement déjà dans les premières perturbations de l’effondrement : l’absence de la reprise attendue après la Grande Récession; la baisse constante du niveau de croissance, même dans les pays émergents; la baisse du prix du pétrole, possiblement un recul face aux prix élevés que les économies ne pouvaient assimiler, baisse qui annonce une certaine sortie du pétrole plutôt inattendue; les inégalités rampantes partout sur la planète, susceptibles de perturber des sociétés entières et connues de toutes et tous…

Comme je suggère dans mon propre texte pour le livre, Brundtland a suggéré une croissance pour les moins nantis seulement, et les propositions pour une approche contraction/convergence reprend aujourd’hui le même thème. Nadeau-Dubois revient sur ce dernier élément en insistant sur le fait qu’il n’y a pas un, mais deux grands défis de notre siècle : les changements climatiques et les inégalités sociales (235, mes italiques).

 

[1] Sortir le Québec du pétrole, sous la direction de Ianik Marcil, avec la collaboration de Dominic Champagne, Pierre-Étienne Lessard et Sylvie Van Brabant, Éditions Somme Toute (2015)

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Dialogues pour un Canada vert : un avant-goût des interventions qui viendront après l’échec de COP21…

Dans une note envoyée juste avant mon départ pour la Chine, Jocelyne Néron demande ce que je pense des travaux de Dialogues pour un Canada vert (SCD), dont la publication date de mars 2015 et que je ne connaissais pas. Voilà que je suis de retour, et je viens de consulter les documents produits par ce regroupement impressionnant de chercheurs universitaires canadiens de toutes les provinces et qui s’attaque au défi des changements climatiques. Précédent les travaux de SCD, le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIÉC) avait déjà publié son cinquième rapport, la première partie en septembre 2013, les deux autres en mars et avril 2014. Il s’agit du point de départ pour toute intervention dans le domaine, mais dans la foulée du rapport du GIÉC, je ne comprends pas ce que les chercheurs du SCD pensent être en train de faire.

Un contexte incontournable: le budget carbone

Le rapport du GIÉC de septembre 2013 établit la quantité totale de carbone que l’humanité peut se permettre d’émettre tout en se donnant une chance raisonnable de maintenir la hausse de température en dessous de 2 degrés. Peu après, en novembre 2013, Renaud Gignac a produit pour l’IRIS une note d’information portant sur ce budget carbon. L’étude part des travaux du GIÉC et introduit dans la réflexion, et dans les calculs, une orientation de contraction/convergence qui propose que toute intervention sérieuse en matière de changements climatiques doit tenir compte des énormes déséquilibres actuels entre les différents pays en matière d’émissions (et d’usage d’énergie, et de niveau de vie, et …). Cela en sus d’une prise en compte du budget carbone lui-même.

À l’échelle internationale, les travaux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) menés par Jeffrey Sachs et lancés pendant l’été 2014 partaient aussi avec l’engagement de respecter ce budget carbone calculé par le GIÉC. Dans la première version globale de la publication qui présente ses résultats, le DDPP en septembre 2014 n’était pas capable d’imaginer des propositions susceptibles de respecter le budget carbone pour l’ensemble de l’humanité. Le DDPP promet sur son site une mise à jour globale d’ici la fin de juin, mais rien sur le site ne suggère que les résultats ont changé. Le DDPP semble beaucoup plus sérieux que d’autres récentes interventions, comme celle de Risky Business menée par des milliardaires américains ainsi que l’initiative de la commission de Nicholas Stern et Felipe Calderon, New Climate Economy, que j’ai déjà commentés.

Le DDPP inclut une équipe qui travaille sur les possibilités pour le Canada de participer à cet effort international qui inclurait le respect du budget carbone dans les négociations pour la COP21 qui auront lieu d’ici décembre 2015. La première étape du travail était d’identifier le potentiel technologique pour respecter le budget carbone; une deuxième étape promise portera sur les coûts/bénéfices de telles interventions. Le groupe ne semble pas promouvoir une approche contraction/convergence, mais son effort d’intervenir au niveau mondial (il y a 15 pays ayant 70% des émissions globales qui sont couverts par le travail fait à date) semble fournir une approche complémentaire. Le défi: réduire les émissions per capita de 20,61 tCO2e/cap à moins de 2 d’ici 2050. Les réductions viendraient de deux sources principales: une réduction dans l’intensité de carbone dans l’utilisation d’énergie et une réduction dans l’intensité énergétique de l’économie elle-même (6-7).

L’équipe pour le Canada (qui n’inclut pas les chercheurs impliqués dans le SCD) confronte directement le dossier des sables bitumineux. Elle souligne la nécessité incontournable de la mise en oeuvre d’un ensemble de technologies (surtout celle de la capture et séquestration des émissions) à toutes les étapes du processus de développement des ressources qui sont responsable d’environ 35% des émissions canadiennes (30). Elle souligne aussi que les coûts de ceci risquent d’être très élevés et suggère – sans l’inclure dans le travail, fidèle à la méthodologie du DDPP – qu’une approche qui comporterait des échanges de crédits de carbone entre différents pays (comme le mécanisme de développement propre de Kyoto) sera plus efficiente.
Un article de novembre dernier de David Roberts dans Grist souligne comme moi que le travail du DDPP est parmi les plus importants en cours actuellement, précisément parce qu’il reconnaît le budget carbone comme balise fondamentale. Roberts poursuit ses réflexions dans d’autres articles, dont un de janvier 2015 qui insiste sur la nécessité d’une quantification des composantes des travaux sur la décarbonisation. Il s’agit d’un effort de bien cerner les défis en cause.
Où se positionne le SCD?

Dans un tel contexte, le SCD est désappointant à plusieurs égards:

(i) SCD ne fait que mentionner le budget carbone et ne présente aucune cible quantitative tenant compte des travaux du GIÉC. Il n’est tout simplement pas possible de voir le lien entre leurs objectifs quantitatifs et ceux du GIÉC. Ils proposent qu’il est possible d’imaginer pour 2035 que la production canadienne d’électricité soit 100% fondée sur les énergies renouvelables (actuallement, les sources non fossiles représentent seulement 23% de l’ensemble), et qu’une réduction des émissions globales d’au moins 80% pour 2050 semble possible. Les références fournissent probablement les détails pour ces projections, mais nulle part n’est-il question du respect ou non du budget carbone comme guide pour leurs propositions.

(ii) SCD ne touche presque pas au défi de l’exploitation des sables bitumineux, proposant tout simplement que toute aide gouvernementale en soit retirée et qu’un prix sur le carbone soit établi. Comme tout le monde, SCD souligne qu’il serait plus qu’intéressant si des technologies de capture et séquestration des émissions s’améliorent et deviennent disponibles.

(iii) L’exploitation des sables bitumineux est presque exclusivement pour exportation, et leur consommation ailleurs n’affecte donc pas, directement, les émissions canadiennes. SCD ne semble d’aucune façon aborder la question de l’équité internationale soulignée par les travaux de l’IRIS sur le budget carbone, et faisant partie de la méthodologie du DDPP. Seule les émissions résultant de l’extraction et du raffinage rentrent dans leurs perspectives, d’après la meilleure lecture que je puis faire de leur publication.

Le document est guidé partout par la pensée de l’économie verte et, comme d’habitude pour cette pensée, n’aborde pas l’analyse des changements qu’il semble présumer en ce qui a trait aux contraintes sociales, politiques et économiques liées à la transition, qui se présente pour le SCD tout simplement comme faisable. Les politiques climatiques proposées sont censées avoir plusieurs caractéristiques : elles doivent être efficaces sur le plan environnemental, comporter un bénéfice net en matière de coût, être faisable sur le plan administratif, être équitable et être faisable sur le plan politique. Le document souligne que l’ensemble des propositions ne peut répondre aux 5 critères en même temps.

Pour situer ces critères, la note 46 réfère au texte de Jaccard et Rivers «Canadian Policies for Deep Greenhouse Gas Reductions», écrit pour l’IRPP en 2007, au moment de la publication du rapport précédent du GIÉC, et qui cible des réductions d’émissions d’environ 60% d’ici 2050. La référence confirme ma lecture des documents de SCD à l’effet qu’il s’agit d’une sorte de synthèse de propositions qui circulent depuis des années, tout à fait intéressantes, voir stimulantes, mais qui manquent une méthodologie partant des contraintes établies par le GIEC dans son cinquième rapport de 2013-2014, même si le document du SCD cible des réductions des émissions de 80% pour 2050 (27-28).

Quelques détails

SCD semble proposer de maintenir une grande consommation d’énergie, «simplement» convertissant l’économie et la société dans la transition et ayant comme objectif un recours aux énergies renouvelables pour décarboniser l’électricité; je ne trouve aucune indication d’un calcul quant aux émissions associées anx importants projets d’infrastructures ainsi inclus dans les orientations (mais voir la référence de la note 64 qui date de 2011 et dont un résumé est en ligne) ni d’une reconnaissance que nous consommons une énorme quantité d’énergie qu’il est difficile d’imaginer possible pour l’ensemble de l’humanité.

Tout le secteur du pétrole et du gaz se trouve encadré par SCD avec la proposition «d’intégrer le secteur de la production dans les politiques climatiques» qui comporte «une réglementation claire et cohérente avec la transition» (33), sans aucun détail que je puisse trouver. SCD s’attaque aux transports en ciblant de meilleures normes d’émissions, une électrification du transport routier, une diminution de la dépendance à l’auto privée et une amélioration des transports inter-cité et inter-modaux (34-35). Et elle met comme élément critique une amélioration importante de l’efficacité énergétique.

À titre d’exemple du défi qui ne semble pas pris en compte explicitement : le Québec propose de réduire ses émissions de 20% d’ici 2020 (c’était 25%, pour le gouvernement péquiste). Non seulement la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a-t-elle conclu qu’une réduction de 15% pour 2025 semble être le maximum atteignable, mais les calculs de Gignac pour l’IRIS concluent qu’il faudrait une réduction de 40% d’ici 2020 pour arrêter de cumuler les déficits face au budget carbone. SCD ne semble pas regarder de tels détails.

Il y a une série d’orientations dans le chapitre 3 qui ciblent une amélioration de la biodiversité et de la qualité de l’eau et une transition vers des approches soutenables à l’agriculture, à la foresterie et aux pêches tout à fait dans la lignée de l’économie verte, qui ne fournissent aucune indication quant à ce qui pourrait changer les orientations actuelles. La section 3.4 souligne ce que nous savons depuis les premières pages, que SCD représente une intervention de scientifiques canadiens experts dans les domaines en question. La proposition dans 3.4 est de construire une gouvernance qui permetta la soutenabilité, et suivent des pages qui soulignent l’importance de la science dans la prise de décision et qui vont à l’encontre de près de 10 ans de gestion par le gouvernement conservateur.

Finalement, une autre intervention pour une économie verte

Il est intéressant de voir cette intervention d’universitaires canadiens qui ne sont pas bâillonnés par ce gouvernement, mais il y a du travail important qui reste à faire pour qu’elle soit une véritable contribution. Le document contient un ensemble de propositions tout à fait intéressantes mais ayant été le sujet de débats et d’analyses depuis des années, voire des décennies. L’absence de tout effort de quantifier sérieusement les implications de ces propositions, et surtout l’absence de tout effort d’intégrer les énormes contraintes imposées par le budget carbone et la nécessité de mettre en place un processus de contraction/convergence enlève presque tout l’intérêt du travail. N’importe qui qui a suivi le secteur connaît ces orientations (nous y travaillions à la Table ronde nationale en 2002-2005), mais le GIÉC nous met devant un défi qui n’a pas été inclus dans les débats antérieurs.

Acting on Climate Change: Solutions from Canadian Scholars reflète l’ensemble des documents qui soutiennent la volonté de voir arriver une économie verte. Le thème est explicite dans la Conclusion (53), tout comme dans la traduction française de SCD fournie par Catherine Potvin, une des auteurs du document, dans son chapitre pour le tout récent livre Sortir le Québec du pétrole[1] que je commenterai dans un prochain article. Elle y résume les travaux du SCD où il n’y a aucune analyse fournie pour suggérer ce qui pourrait bien changer les orientations des dernières années, des dernières décennies, qui ont rendu le développement durable un rêve du passé plutôt qu’une orientation d’avenir. Pour Potvin, ce vocable, transformé en «viabilité», serait pourtant censé comprendre l’idée «d’augmenter le mieux-être des personnes dans le respect de l’environnement» (p.64, mes italiques).

La Conclusion réfère également aux travaux de la commission de Nicholas Stern et Felipe Calderon et l’initiative du New Climate Economy, que j’ai déjà commentés. Encore une fois, l’ensemble représente des efforts fondés dans la science et dans l’analyse pour essayer de répondre aux énormes défis actuels. Comme SCD note à la toute fin, «plusieurs des orientations et actions proposées pourraient être mises en œuvre complètement dans les 15 prochaines années, s’il y a une volonté politique et des efforts d’engager des acteurs à travers tous les secteurs de la société» (mes italiques). La couleur rose de l’économie verte ne peut être plus clairement exprimée.

Ici au Québec, nous n’avons pas à regarder loin pour comprendre que de telles conditions n’existent toujours pas, pas plus qu’elles n’existent à l’échelle canadienne ou mondiale. L’ensemble des décideurs cherchent toujours la croissance comme objectif premier de toute intervention et les promoteurs de la croissance verte manquent toujours à l’appel quand il est question de montrer les changements dans les processus décisionnels qui permettent de croire à leur option.

[1] Sortir le Québec du pétrole, sous la direction de Ianik Marcil, Éditions Somme toute 2015

 

 

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Notes de la Chine – Shanghai 2010, 2015

Parmi les grandes villes chinoises, Xi’an – en raison de son quartier musulman, entre autres – et Shanghai – en raison de ces anciens quartiers survivant à travers le neuf – m’avaient le plus impressionné lors de mes visites précédentes. Une dernière journée de voyage cette année, à Shanghai, est prévue pour un retour à cette ville que j’avais trouvée attrayante. Ma vieille auberge de jeunesse est située pas très loin du Bund, le secteur anciennement celui des pouvoirs coloniaux, en marge de la rivière Suzhou qui s’y déverse à son extrémité nord. Je prends note rapidement que les bords de la rivière Suzhou ont eu un traitement à la façon de la rivière Saint-Charles à Québec, avec les rives canalisées et des plantations tout au long. Le parc semble être un petit paradis pour les joggers de la ville (à leurs risques et périls, reconnaissant la mauvaise qualité de l’air…), et je le suis tranquillement jusqu’au Bund, une petite heure de promenade.

Sur le Bund, je suis moins impressionnés que la première fois par les touristes qui s’y trouvent (presque en exclusivité, prenant leurs selfies et leurs photos des proches comme ils font partout). Les abords de la rivière Pu, où l’on a vu se construire environ 3000 édifices en hauteur en 20 ans pour créer le nouveau secteur (financier, entre autres) du Pudong du coté est de la rivière, en face du Bund, est toujours impressionnant, mais de nombreuses villes chinoises que j’ai maintenant visitées rivalisent dans le coup d’oeil quant au nombre d’édifices, dans leur hauteur, dans la densité de l’occupation.DSC00132-no2

Cette visite obligatoire faite, je me dirige vers les secteurs en retrait du Pu à la recherche de mes vieux quartiers. Il y a quelques rues dans les secteurs que je soupçonne surtout touristiques, assez près du Bund, qui gardent leur caractère. Il reste que, après deux ou trois heures de marche sans trouver ceux dont je me rappelle, je commence à réaliser ce qui est en cause. En 2010, j’avais visité un musée en bordure du Parc du Peuple où une maquette immense de la Shanghai de 2030 occupait tout le deuxième étage, et n’avait que du neuf. Voilà que me vient la réalisation que je suis justement en train de me promener dans des quartiers plutôt neufs, avec une nouvelle autoroute, de nouveaux musées et parcs – tout ceci a remplacé les vieux quartiers que j’avais trouvé tellement plaisants à visiter en 2010, et ceux-ci n’existent tout simplement plus. La maquette n’était pas seulement un rêve, mais un plan. Je n’ai pas de problème à comprendre la vie des gens aisés qui habitent maintenant ces quartiers, mais je me demande ce qui est arrivé aux résidents des anciens quartiers populaires.

En fin d’après-midi, je trouve une rue restant d’un ancien quartier, où justement les Range Rover et les Audi cherchent à se frayer un passage, passage qui leur sera plus facile sous peu… Un peu plus loin, je trouve des quartiers voués à la disparition, avec les ouvertures autrefois lieux des activités commerciales populaires maintenant placardées. Je trouve des quartiers résidentiels où il y a encore des résidents, mais des résidents qui n’ont plus les secteurs commerciaux juste à coté qui donnaient l’impression d’une communautés vibrante. Je trouve même un de ces marchés de premier étage qui occupe une superficie l’équivalente de celle de l’édifice, et où se trouve tout: légume, fruits, poissons, viandes, oeufs, pâtes, – tout, finalement, et une sorte de vie comme on trouvait dans les rues des anciens quartiers.

Comme je dis presque sans exagérer, toute la population chinoise veut vivre comme les Shanghaïens, et voilà, je suis en train de voir ce que cela signifie dans le quotidien. Convaincu en même temps que cela reste un rêve qui ne pourra se réaliser, ni en Chine ni pour l’humanité tout entière, je me rabats sur le questionnement de base: si l’on oublie le 1%, ou le 3% ou le 5%, qu’est-ce que la Chine nous montre quant aux possibilités? Le fait que les jeunes semblent quitter la campagne en grand nombre, le fait qu’ils ne trouvent pas d’emploi ce faisant, le fait que les édifices fantômes ne se remplissent pas parce qu’ils sont trop chers – un ensemble de phénomènes suggère qu’il y a une transition en cours qui manque de définition mais qui comportera une correction nécessaire par rapport au rêve…

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