J’écoutais distraitement le 11 novembre l’entrevue avec Gabriel Nadeau-Dubois (GND) à «Plus on est de fous plus on lit» avec Marie-Louise Arsenault, mais quelques phrases m’ont frappé: Le monde n’acceptera pas des sacrifices face aux propositions pour contrôler les changements climatiques, y disait-il, et il faut être positif dans notre approche. Ce qui frappe le monde plus que toute autre chose est le manque de temps, y continuait-il, et l’on pourrait offrir du positif, en mettant un accent sur le télétravail comme exemple de geste important.
Le Devoir du 8 novembre avait déjà publié un extrait du nouveau livre de GND portant sur une entrevue que Luc Ferrandez lui a accordé sous le titre «Être le concierge de ses électeurs» [1], où GND réaffirme l’importance d’être positif: «Il faut plaire, impérativement, ou à tout le moins choisir habilement à qui déplaire, pour survivre dans cet univers [politique», dit-il.
L’entrevue semble lui avoir donné l’orientation de base de son livre, s’il ne l’avait pas déjà. «Cette phrase assassine [le titre de l’extrait cité plus haut] est sa réponse à la question toute simple que je viens de lui poser: «Pourquoi nos gouvernements échouent-ils en matière de lutte aux changements climatiques?».
Je commençais à avoir l’impression d’un dérapage du co-porte-parole de Québec Solidaire (QS), et j’ai acheté le livre, Lettre d’un député inquiet à un premier ministre qui devrait l’être. Il est bien écrit, mais semble clairement rater sa cible dans un effort de faire la promotion des politiciens de QS qui n’échoueront pas, comme les autres politiciens, dans la lutte aux changements climatiques.
La question de la responsabilité citoyenne et politique
Une bonne partie (p.41-49) du deuxième chapitre du livre porte sur l’entrevue avec Ferrandez, terminant avec l’affirmation qu’«il existe d’autres voies que le renoncement qui, lui, disons-le, est une posture irresponsable» (p.49). Il n’est pas tout à fait explicite qu’il applique cela à Ferrandez, et la lecture se poursuit jusqu’à la page 91 où le jugement se confirme :
Pour la majorité d’entre nous, ce programme de transition peut et doit rimer avec une meilleure vie. C’est sans doute ce que ne considère pas suffisamment Luc Ferrandez quand il se désespère devant les limites de la démocratie. Avec un peu d’imagination et beaucoup de courage politique, il est possible de rendre les choix écologiques abordables et pratiques pour nos concitoyens, tout comme il est possible de s’assurer que cette transition économique se fasse sans laisser personne derrière.
C’est déjà assez fort de le voir dire que Ferrandez a manqué d’imagination et de courage politique dans sa carrière, mais ce qui ressort du livre, finalement, est justement l’excès d’imagination de GND. Et le jugement tombe dans une réflexion qui met l’inimaginable transition énergétique (p.90), économique (p.91 et un peu partout, dans sa volonté de changer d’idée le Premier ministre) ou écologique (p.87, 91) en primeur. Pour ce qui est de cette transition, il a déjà indiqué, à la page 65, qu’«il faut changer de cap immédiatement».
Le quatrième chapitre débute avec un intéressant portrait du dust bowl qui a eu lieu aux États-Unis pendant les années 1930, une mise en scène pour un portrait des interventions de Roosevelt pendant la Dépression, son New Deal. GND insiste sur l’importance de ces interventions (le lecteur soupçonne pourquoi) et termine le portrait sans mentionner le rôle central que la Deuxième Guerre mondiale a joué pour mettre fin à la Dépression, ce que le New Deal lui-même ne réussissait pas à faire. Et voilà, GND nous fournit le Green New Deal comme la réponse aux défis contemporains et le cœur de l’action autour de la transition qu’il croit être en train de s’opérer ou qu’un nouveau genre de politiciens vont mettre en branle. Si les Américains ont pu le faire dans les années 1930-1940, nous pourrons le faire aujourd’hui, dit-il…
Le plan d’action (du gouvernement Legault, à venir, du gouvernement Trudeau, à venir, de QS…)
Le livre de GND est bien documenté, avec des références intéressantes pour plusieurs des constats. Ce qui est frappant, et le lecteur le ressent au fur et à mesure qu’il s’approche de la fin de ses quelque 90 pages, est qu’il ne s’y trouve aucune documentation, aucun portrait chiffré de ce qui sera nécessaire pour intervenir «immédiatement» dans le respect de notre meilleur guide, le GIÉC. Le GIÉC est mentionné par GND pour l’objectif d’une réduction des GES d’entre 80 et 85% pour 2050, mais le livre reste complètement muet pour l’objectif de 2030, soit une réduction de 45% pour limiter la hausse de la température planétaire à 1,5°C.
Dans ses affirmations, GND cite le GIÉC à l’effet qu’il nous faudra des transformations radicales dans la société, dans l’économie, dans nos modes de vie, mais tourne tout avec son excès d’imagination en une série de suggestions à l’effet que tout est possible – surtout, une meilleure vie, des perturbations qui ne seront pas négatives pour nous, etc., cela à l’instar de Naomi Klein dans Tout peut changer qu’il cite à plusieurs reprises (et dont il pourrait citer le plus récent livre, La maison brûle, portant justement sur le Green New Deal). Au moins Klein soulignait, il y a maintenant plus d’une demi-décennie, que nous sommes dans la décennie zéro.
Peut-être curieux dans tout ceci (peut-être pas pour quelqu’un qui a grandi sur le Plateau à Montréal…), il souligne régulièrement que c’est l’automobile qu’il faudra viser en priorité. Cela risquerait de frapper un grand nombre de citoyens dans les priorités de leur vie, mais GND semble résumer la façon de relever le défi en ciblant la transformation électrique de la flotte, tout en insistant sur l’importance de nous libérer de notre dépendance à la voiture.
Il faut plaire, impérativement, ou à tout le moins choisir habilement à qui déplaire, pour survivre dans cet univers. C’est en outre pour cela qu’il est beaucoup plus facile, en politique, d’enfoncer virilement des portes ouvertes que de travailler laborieusement à transformer en profondeur la société.
En effet, le travail laborieux dont il sera question n’est pas celui de l’électrification de la flotte, mais de sa quasi-élimination…
Dans ma lettre ouverte à Luc Ferrandez suite à sa démission au printemps dernier, je sortais de ma propre paralysie pour suggérer qu’une initiative se développe, qu’une plateforme soit développée – par le Parti vert du Canada (PVC) pour la campagne fédérale de cet automne – pour insister sur les vrais défis tels que quantifiés par le GIÉC, sur les vrais gestes qu’il faudrait poser face à ces défis. Le PVC n’a pas jugé bon de réagir à cette suggestion (de rêve), présumément parce que l’initiative (incluant l’abandon des sables bitumineux) comporterait une sorte de suicide politique; le résultat de l’élection pour le PVC était finalement l’équivalent d’un suicide de toute façon… [2]
Le positionnement de GND, ce qui motive clairement la rédaction de son bouquin, semble venir de ce même sentiment de la possibilité d’une certaine prise de pouvoir sur le plan politique qu’il ne faut pas gaspiller. Il a bien raison de soulever des doutes quant aux capacités du gouvernement Legault de comprendre la situation et de poser les gestes qui s’imposent. Mais il se permet, comme le faisait le PVC, de rester dans le flou quant à ces gestes (tout comme QS dans sa plateforme) pour ce qui est du court terme établi comme temps d’urgence par le GIÉC. Il lui incombe de proposer sa version (complètement laissée en plan dans le bouquin) d’une économie verte qui pourrait nous sauver. Il l’appelle, suivant de nombreux autres, le Green New Deal (avec comme acronym GND, comme il note…). Mais on reste avec 2050 comme cible, cible incapable de nous fournir les pistes pour le court terme et dépendant justement de gestes posés au court terme.
Un plan d’action pour le court terme (d’ici 2030)
Le gouvernement s’est engagé à déposer au début de 2020 un plan d’action pour lutter contre les changements climatiques. Déjà il a en main un rapport préparé par la firme Dunsky et peut-être d’autres, ainsi que l’expertise de ses fonctionnaires dans plusieurs ministères. Dans mon récent article là-dessus, je souligne que le plan d’action ne sortira pas du rapport, qui ne porte pas là-dessus, et va nécessiter un travail qui me paraît extrêmement ardu. Le cadre pour le travail de Dunsky et pour le plan d’action, tel que prévu/voulu par le gouvernement Legault, est le maintien de l’économie néoclassique, avec une croissance de presque tout sauf les émissions de GES, et cela nous donne une idée de l’énorme défi imposé par le maintien du modèle économique alors qu’un contrôle des émissions dans la situation actuelle paraît déjà hors de portée.
GND critique ce modèle économique, mais le problème fondamental est que l’économie verte retenue par GND et par le PVC comporte les mêmes contradictions inhérentes dans la croissance que celles critiquées. En ce qui a trait au modèle et aux orientations du gouvernement Legault, il reste dans des généralités dans sa critique de Legault, sans mettre l’accent sur ce qui est central, le mythe de la croissance. Ma critique de ce modèle et de tout le système socio-économique qui définit notre civilisation constitue le cœur de mon livre. GND (et QS, doit-on présumer) n’est pas encore rendu à voir toute l’incohérence en cause.
Au minimum, il lui faut concrétiser son «économie verte» dans le respect des chiffres et de l’échéancier fournis par le GIÉC, ce qui semble loin d’être prévu, ce qui semble loin d’être dans les capacités de notre nouveau parti, qui tient un bien meilleur discours que les anciens face aux défis soulignés par Greta et les autres, mais qui s’oriente inéluctablement, à en juger par le livre de GND, vers le même échec que les autres.
[1] Un article de Joseph Yvon Thériault du 16 novembre dans Le Devoir fournit une intéressante réflexion sur cette question, même s’il porte plutôt sur la question du coton ouaté de Catherine Dorion…
[2] Elizabeth May est intervenue récemment pour lier son appui au gouvernement Trudeau à l’abandon de l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain, ce qui équivaudrait à l’arrêt de l’expansion du développement des sables bitumineux; une telle position ne semblait pas être claire pendant la campagne, d’après mes recherches, mais elle se trouve clairement sur le site du PVC aujourd’hui (avec l’objectif de réduire les émissions de GES de 60% d’ici 2030), et je me suis peut-être trompé.
by Lire la suiteCet article fait suite à une intervention de La Presse+ du 19 août dernier. J’avais écrit un article du blogue en mai dernier sur la démission de Luc Ferrandez comme membre du conseil de la Ville de Montréal et maire du Plateau; j’y soulignais ma compréhension de son geste, ayant déjà commenté favorablement la démission de Nicolas Hulot pour sa décision similaire. Elle semblait pour plusieurs autres plutôt incompréhensible, et pendant l’été, le journaliste Jean-Thomas Léveillé a décidé de convoquer une rencontre entre Ferrandez et plusieurs personnes – environnementalistes – qui se sont montrées en désaccord avec sa décision. La rencontre était intéressante, réunissant Daniel Green, chef adjoint du Parti vert du Canada pour le Québec, Steven Guilbeault, rendu candidat du Parti libéral du Canada, Luc Ferrandez et moi-même (à sa suggestion, histoire d’équilibrer l’échange…). Finalement, et contrairement à ce qui semblait être attendu, nous étions trois à se poser des questions sur la décision de Guilbeault de se présenter comme candidat aux élections fédérales. L’article qui en a résulté indique certaines des grandes lignes de l’échange, sur lequel je reviens ici, maintenant que Guilbeault est bel et bien élu.
Steven,
Tu as attendu la décision du gouvernement Trudeau concernant l’expansion du pipeline TransMountain avant de te lancer dans la campagne, en indiquant publiquement ton désaccord avec la décision. À ce moment-ci, nous ne savons pas si tu vas te trouver au sein du Conseil des ministres du nouveau gouvernement Trudeau, mais on peut penser que cela importera presque peu, tellement tu vas être coincé face à une série de décisions déjà prises par le gouvernement qui sont cruciales face au défi de contrôler les émissions de GES:
– rétention de l’objectif du gouvernement Harper quant à l’objectif à viser – beaucoup trop restreint – en ce qui concerne les réductions des émissions de GES;
– établissement d’une taxe sur le carbone beaucoup trop faible pour avoir l’effet souhaité, même si elle est contestée déjà à ce niveau;
– achat du pipeline TransMountain (parce que le privé allait l’abandonner) dans le but de procéder à son expansion avant d’essayer de le vendre une fois complété.
Tout cela était associé à un discours gouvernemental omniprésent à l’effet que le développement des sables bitumineux était compatible avec l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris (encore une fois trop limités, de toute façon).
Sauf erreur, tu étais contre les interventions et les objectifs de Harper, tu connais bien les fondements pour la critique de la taxe sur le carbone à l’effet qu’elle est trop faible, et tu t’es prononcé contre l’expansion de TransMountain (et contre le développement continu, je crois, des sables bitumineux, mais là, je puis me tromper). Je ne vois pas comment tu pourras conseiller le gouvernement autrement qu’en proposant le retrait de ces décisions, autrement te trouvant carrément en contradiction avec tes connaissances et tes positions. Ce n’est plus le temps de planifier une transition pouvant durer des décennies au gré de l’évolution de la compréhension des politiciens des enjeux. Je t’offre ici quelques réflexions sur la situation.
Effondrement prévisible de l’industrie pétrolière dans les sables bitumineux
Luc Gagnon, dans un récent article dans Le Devoir, a introduit de nouveaux éléments dans le débat public, soulignés par le titre, «L’Alberta et l’industrie pétrolière dans un cul-de-sac». Il débute avec ce qu’il appelle quelques «détails techniques»:
Les problèmes économiques de l’Alberta sont dus au fait qu’elle a tout misé sur le pétrole. La province a présumé que le prix du pétrole serait toujours à la hausse, alors que le prix a baissé. Dans la période de prospérité, elle n’a rien fait pour diversifier son économie.
Dans le monde, les industries pétrolières et gazières sont parfois distinctes. Au Canada, les deux industries sont très intégrées et font souvent un lobbyisme commun.
L’exploitation des sables bitumineux exige de grandes quantités d’énergie. Comme l’élite pétrolière possède aussi les entreprises gazières, toute l’énergie requise pour traiter les sables bitumineux provient du gaz. Il en résulte de fortes émissions de GES.
J’ajoute que cela entraîne un coût d’exploitation plus important que pour les ressources conventionnelles, rendant non rentable l’ouverture de nouveaux projets d’extraction depuis 2014. Gagnon propose que l’Alberta aurait pu diversifier son économie et développer son potentiel hydroélectrique ou des centrales nucléaires, en insistant sur un effondrement des économies fondées sur les énergies fossiles non conventionnelles comme les sables bitumineux (sans se commettre sur un effondrement possible de toute l’industrie de l’énergie fossile). Il ne remet pas en question le modèle économique lui-même, mais insiste sur un problème avec une dépendance à (certaines) énergies fossiles…
Les citoyens de l’Alberta devraient comprendre la réalité suivante: même si l’Alberta gagne cette guerre, la lutte contre les changements climatiques causera un effondrement économique encore plus grand dans 10 ou 15 ans. Plusieurs autres pays vont refuser d’acheter le brut des sables bitumineux. Plusieurs pays vont diminuer leur consommation de pétrole. Dans un marché en décroissance (même faible), les pays vont préférer acheter du pétrole traditionnel bon marché du Moyen-Orient.
Il n’y a pas mention du déclin du pétrole conventionnel tel qu’esquissé par l’Agence internationale de l’énergie en 2013 et, plus récemment, par la banque HSBC dans une analyse approfondie de 2017 (voir mes récents articles et la page 145 de mon livre Trop Tard).
Bref, Gagnon fait introduire dans le débat l’avenir même de l’industrie pétrolière, du moins celle ayant recours aux énergies non conventionnelles, dont les sables bitumineux. Il propose que les interventions face aux changements climatiques – aussi faibles soient-elles, doit-on présumer – vont réduire la demande pour les énergies émettant trop de GES, et cela est inévitable devant le refus de l’Alberta de développer un recours à d’autres sources d’énergie. J’ajoute encore, et je soupçonne que tu reconnais, que cela sera la situation pour l’ensemble de l’industrie de l’énergie fossile.
Comment aborder cela dans le cadre politique actuel?
Jean-Robert Sanfaçon, dans un éditorial du 24 octobre, pousse la réflexion un peu plus loin. II y fournit le contexte pour le mauvais positionnement des provinces de l’Ouest face à la nécessaire conversion de leurs économies en ligne avec les exigences du XXIe siècle. Encore une fois, la réflexion touche directement à ce qui pourrait être ton rôle de conseiller du nouveau gouvernement Trudeau. Les pipelines constituent des infrastructures qui vont durer un demi-siècle et (contrairement à ce que Sansfaçon propose, histoire d’avoir trop travaillé dans la pensée économique) ne doivent pas être construits. Il faut planifier pour l’avenir en tenant compte de la disparition de l’industrie pétrolière plutôt que d’investir dans un avenir où elle continuerait à dominer l’économie jusqu’à son effondrement.
La récente élection a réglé, sur le plan politique, toute illusion quant à des gains politiques à faire dans l’Ouest pour les libéraux. Il faut que le nouveau gouvernement, avec trois partis d’opposition en accord avec la nécessité de combattre les changements climatiques, reconnaisse la mauvaise situation des provinces de l’Ouest, mais sans répondre à leurs revendications toujours fortes pour maintenir l’économie fossilifère.
Comme un des participants à notre échange pré-électoral l’a suggéré sans prétendre à être particulièrement sérieux, c’est le temps pour l’Alberta – en dépit de son refus de mettre en place des taxes de vente, etc. comme le font d’autres provinces tel le Québec, et en dépit de ses décisions de ne pas constituer une réserve souveraine établie en fonction des revenus de l’État venant des bénéfices de l’industrie pétrolière dans le passé – de se préparer pour être bénéficiaire éventuelle du système de péréquation établi pour assister les provinces (ou territoires) dont l’économie ne fonctionne pas assez bien. L’Alberta et la Saskatchewan sont de toute évidence devant une sorte de récession permanente, même si elles ne reconnaissent pas cette situation. Le gros problème pour le nouveau gouvernement Trudeau (comme pour l’ancien) est que cela aura un impact sur le bilan économique de l’ensemble du pays aussi, si l’on fait abstraction de la trajectoire esquissée par Gagnon et Sansfaçon, ce qu’il ne veut pas accepter.
L’Alberta souffre?
En effet, les provinces productrices de pétrole et de gaz ont été souvent dans les dernières décennies des moteurs des économies provinciales et nationale. Une récente intervention du blogue Anybody But Conservative permet de voir plusieurs aspects du portrait actuel (même si l’intervention est partisane, les données ne le sont pas). Quelques éléments du portrait de l’Alberta:
En 2017, au pire de la récession en Alberta, le revenu médian après impôt dans la province était $70,300, ayant décru d’un sommet de $74,200 en 2014. Personne ne veut voir son revenu chuter de 5% en 3 ans, mais d’une perspective non-albertaine, même au pire de la récession, le revenu médian en Alberta était $7,600 supérieur à celui de l’Ontario (12,2%) et $10,500 plus (17%) que le moyen national. En dépit d’un revenu plus bas maintenant, l’Alberta reste, de loin, la province la plus riche du Canada
En regardant le taux de chômage, il se situe à 6,6% en Alberta. Même si cela est 1,1% plus haut que la moyenne nationale, il est beaucoup plus bas que celui de Terre Neuve et Labrador (à 11,5%) et de toutes les provinces maritimes. C’est aussi bien plus bas que le sommet atteint en Alberta au pire de la récession (9,1%).
L’auteur fournit en même temps des informations sur les états financiers des grandes entreprises pétrolières de l’Alberta.
Les cinq plus grandes pétrolières dans les sables bitumineux ont congédié 20 000 employés [durant la récession] tout en engrangeant d’importants profits. Elles ont payé $31,76 MM aux actionnaires, incluant $12,56 MM après la chute du prix du pétrole en 2014. En 2017, les cinq ont transféré aux actionnaires un total de $6,2MM et ont gardé des surplus résiduels de $7,3 MM, tout en payant $4,72 MM en impôts et redevances aux différents niveaux de gouvernement.
Le profit agrégé des entreprises était de $46,6 MM, près du revenu global du gouvernement de l’Alberta, à $47,3 MM.
Un tel portrait ne semble pas pour le moment mettre l’Alberta en ligne pour une aide par la péréquation… En effet, ces données fournissent le contexte pour un portrait intéressant du positionnement politique de l’Alberta et de la Saskatchewan. Ces deux provinces ont des économies fondées sur les ressources en énergies fossiles depuis des décennies et veulent continuer dans cette lignée. Leur problème apparent est l’accès limité à des marchés pour leur pétrole, ce qu’elles reconnaissent et cherchent presque désespérément à régler. Leur problème réel, qu’elles doivent ressentir, est que leur pétrole, maintenant en grande partie non conventionnel, se bute aux problèmes esquissés par Gagnon et, plus généralement, par un marché de plus en plus sensible aux défis associés aux émissions de GES.
Continuer à concilier l’inconciliable?
Tu es connu pour ton ouverture à un travail avec les opposants à tes positions, mais cette fois-ci constitue le moment – c’est ce qui me pousse à écrire – de reconnaître l’ultime échec de ce travail antérieur. Le GIÉC nous fournit un échéancier et des objectifs assez clairs dans notre lutte contre les changements climatiques, et contrairement à ce que Trudeau proclame depuis quatre ans, et ce que tu connais clairement, le développement des sables bitumineux est tout simplement et mathématiquement incompatible avec cet échéancier et ces objectifs, en ce qui concerne le Canada. Il faut que tu conseilles Trudeau à cet effet.
Encore plus important probablement, et souligné par les textes de Gagnon et Sansfaçon que je cite ici, mais rarement explicité et expliqué, le développement des sables bitumineux représente un non-sens, un investissement de ressources énergétiques (gaz, charbon, hydroélectricité ou nucléaire) pour lequel le retour en énergie (l’ÉROI) est tout simplement insuffisant pour nous fournir un rendement – un surplus – capable de soutenir notre société dans ses besoins en énergie. Alors que des analyses sérieuses mettent le retour sur l’investissement suffisant pour maintenir notre société à environ 10 pour 1, le retour venant de l’exploitation des sables bitumineux est plutôt autour de 3. C’est pour cela, entre autres, que cette exploitation est si polluante; l’utilisation de l’énergie requise pour obtenir un produit utilisable comporte des émissions trop importantes, sans même compter celles associées à l’utilisation (la combustion) du produit lui-même.
Comme Sanfaçon le dit:
Ceux qui accusent les libéraux, les néodémocrates ou les bloquistes d’être responsables de la division opposant l’est et l’ouest du pays font fausse route. Cette division est d’abord et avant tout le fait des positions d’arrière-garde soutenues par les conservateurs fédéraux et leurs homologues provinciaux dans un monde en profonde mutation.
D’ores et déjà, l’Alberta et la Saskatchewan peuvent difficilement compter sur l’exploitation pétrolière pour assurer leur prospérité. L’une et l’autre doivent dès aujourd’hui travailler à l’avènement d’une économie du XXIe siècle.
Cette démarche aurait été rendue plus facile grâce aux milliards de dollars tirés des redevances pétrolières qui ont servi à maintenir les taux d’imposition les plus faibles au pays au lieu d’être épargnés comme en Norvège. Là encore, ce ne sont ni les libéraux ni le NPD et encore moins le Bloc qui sont responsables de cette absence de prévoyance, mais les élus conservateurs, locaux et nationaux, pour qui des impôts peu élevés sont toujours le meilleur signe d’un bon gouvernement.
Le nouveau gouvernement Trudeau doit renverser ses décisions antérieures, à commencer par l’abandon de l’expansion du pipeline TransMountain (où sa vente à des intérêts qui partagent les illusions des provinces productrices). C’est ce que tu proposes en principe, même comme candidat et maintenant élu.
MISE À JOUR le 11 novembre: Dans un éditorial sur le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, Guy Taillefer termine:
Excuse me Mr., chantait Ben Harper. Toutes les manifestations et toutes les Greta Thunberg du monde ne feront pas changer d’idée M. Trump et ses aficionados. Soit, dit Naomi Klein, qui vient de publier un nouveau livre, Plan B pour la planète — Le New Deal vert. Un changement radical pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2030 n’est pas moins possible, plaide-t-elle, convaincue qu’on assiste à une vraie évolution dans les opinions publiques. Alors quoi ? Ne pas cesser, en tout cas, de talonner les Trudeau et les Macron de ce monde, tous ces politiciens qui tiennent sur le climat un double langage qui trompe de moins en moins. Eux aussi font partie du problème.
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Lorsque Gandhi animait des masses pour protester de façon non violente, son objet était évident et on pouvait difficilement – sauf pour ceux qui constituaient l’objet – remettre l’intervention en question. Quand Martin Luther King et de nombreux autres se mettaient en marche à travers les États-Unis, leur objet était évident et on pouvait difficilement – sauf pour ceux qui vivaient dans le drame de l’objet depuis des générations – remettre l’intervention en question.
Les récentes interventions d’Extinction Rébellion, qui se réclament de la tradition de la désobéissance civile et de celle de Thoreau, ratent la cible, n’ayant ni objet (évident ou pas) ni adhésion recherchée ne pouvant être remise en question. Finalement, le mouvement veut que les gouvernements [1] (i) déclarent une urgence climatique, (ii) agissent pour ramener les émissions à zéro d’ici 2025 et (iii) mettent en branle une assemblée citoyenne sur le climat et la justice écologique. Nulle part sur le site, nulle part dans les interventions, n’avons-nous la moindre idée de ce qui serait en cause et il est à soupçonner que les responsables n’en ont pas non plus. Alors que l’impérialisme et le racisme dans de nombreuses formes s’identifiaient assez facilement, l’urgence climatique, bien que d’origine humaine, n’est pas la responsabilité d’une partie mal orientée de la société, en l’occurrence les gouvernements, mais de la mise en œuvre depuis des générations d’un modèle de développement qui implique toutes les parties des pays riches.
L’incompréhension des enjeux
Je me plains constamment de l’absence d’un portrait réaliste et convainquant de notre situation, limité presque exclusivement pour le moment à un calcul fait par Normand Mousseau en 2013 et qui paraît dans un encadré du document de consultation de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec qu’il co-présidait. Clé dans son calcul, la nécessité de transformations majeures dans le parc automobile, soit le retrait des routes de la moitié du parc soit sa conversion en véhicules électriques. Récemment, un document a été rendu public qui me donnait l’espoir d’y trouver des mises à jour.
Le rapport Dunsky Trajectoires de réduction d’émissions de GES du Québec – Horizons 2030 et 2050: Rapport final fournit, en utilisant un modèle (NATEM) reconnu et compréhensif, les résultats requis mais sans entrer dans le détail de la façon dont les gestes en cause influeraient sur la vie des gens. Même les auteurs du rapport constatent à plusieurs reprises qu’ils ne sont pas capables d’identifier ce qui, dans le modèle, aboutit à certains résultats.
Le rapport est, finalement, une esquisse dans les grandes lignes mais sans précisions de la vision de l’économie verte retenue par l’ensemble des acteurs cherchant à gérer les crises environnementales et économiques à partir de changements structurels et partant en bonne partie des revendications des mouvements environnemental et social au fil des décennies. Les principales hypothèses du rapport semblent voir la mise en œuvre de ces revendications selon un échéancier qui est, pour une première fois, établi, cela en suivant les avertissements du GIÉC. Le rapport cible 2030 et 2050 pour ses analyses. La principale valeur du rapport semble être une sorte de démonstration que la mise en place d’une économie verte qui permettrait d’atteindre la cible de réductions de GES pour 2030 est possible.
L’atteinte des objectifs semblerait possible…
L’objectif retenu est celui du gouvernement, soit une réduction de 37,5% des émissions d’ici 2030. Le GIÉC cible maintenant une réduction de 45% d’ici 2030 pour éviter un dépassement de 1,5°C, et on peut situer l’objectif gouvernemental dans une perspective voyant le dépassement atteindre 2°C, si je comprends bien les calculs. Entre autres, on y projette des constructions d’infrastructures électriques assez importantes, même si c’est surtout pour après 2030. Et les exportations provenant de l’électricité ainsi produite constituent une bonne partie du portrait. Ceci correspond en même temps aux orientations du gouvernement Legault.
Le rapport est parsemé de constats à l’effet que les interventions devront être massives, rapides et généralisées et constituer des «changements sans précédent», «une profonde réforme économique», «un changement de cap majeur», «une transformation majeure», comportant «des investissements massifs en capitaux» mais, suivant l’approche retenue et le modèle, ne représente pas un plan d’action (ce qui est attendu du gouvernement Legault au début de 2020).
Ce rapport est le fruit d’un exercice de modélisation visant à tracer les grandes lignes d’une décarbonisation de l’économie québécoise. Ni prévision, ni plan d’action, il décline les changements requis pour atteindre les cibles et objectifs du Québec, tout en abordant les coûts et bénéfices qui en découleront pour le Québec. Pour que ces changements aient lieu, des mesures économiques et règlementaires vigoureuses seront nécessaires.
Les mesures se déclinent en quatre blocs: la maîtrise de l’énergie, l’électrification de nombreux usages de l’énergie, la production accrue d’électricité et de bioénergies, ainsi que d’autres mesures touchant l’agriculture, les déchets et l’industrie. (Avant-Propos)
Une sorte de résumé de ce qui serait en cause se trouve dans le Sommaire.
Au regard de cette analyse, voici les priorités qui émergent en vue de la cible de 2030:
Si le Québec souhaite tirer le maximum de co-bénéfices de sa transition vers une société sobre en carbone — tant pour l’économie que pour la santé humaine —, il lui faudra prioriser l’électrification des transports, la réduction et la valorisation des déchets, ainsi que la production et l’utilisation de bioénergies (ceux-ci représentent 60 % des réductions attendues en 2030).
Les réductions dans les transports sont parmi les plus coûteuses, mais sont probablement celles qui procurent les bénéfices les plus importants (amélioration de la balance commerciale du secteur énergétique, de qualité de l’air et de la santé des Québécois).
Afin de minimiser les coûts et les risques de cette transition, le Québec devra miser davantage sur l’efficacité énergétique et la réduction des demandes. Des actions en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire, d’économie circulaire ou d’ajustement du système alimentaire rendront la marche moins grande à monter quand viendra le temps de remplacer les technologies actuelles par des solutions de rechange sobres en carbone.
Nous concluons que le Québec est particulièrement bien placé pour réussir la décarbonisation de son économie et pour tirer son épingle du jeu sur les plans de l’économie et de la santé humaine. Toutefois, l’effort nécessaire ne doit pas être sous-estimé, et devra viser toutes les occasions de réduction sans exception. xvii-xviii
Des tableaux fournissant les pistes à court, à moyen et à long termes se trouvent aux pages 80-84, suivant les mêmes secteurs que ceux couverts beaucoup plus simplement par Mousseau. Les pistes ne comportent ni de précisions ni de spécificités, alors que celles-ci constitueront des défis majeurs pour les responsables gouvernementaux qui travaillent sur le plan d’action pour l’an prochain. Et même si les priorités identifiées dans ce texte définissent les scénarios alternatifs présentés dans le deuxième chapitre du rapport, ceux-ci ne semblent pas nécessaires pour l’atteinte de la cible de 2030, fondée sur le recours à une multitude de technologies existantes déjà. Dans la période pré-2030, ils représentent de grandes orientations sans exiger des interventions pendant cette période.
Vraiment la responsabilité des gouvernements?
En analysant ce rapport produit pour le gouvernement, on pourrait se laisser croire que tout est fonction d’interventions gouvernementales, mais là aussi, sans entrer dans les détails, le rapport insiste sur l’effort qui devra venir de tous les secteurs de la société, y compris les individus et le secteur privé. Extinction Rébellion pourrait s’y insérer, dans son absence de spécificités quant aux mesures réclamées, en imaginant un gouvernement doté de tous les pouvoirs nécessaires, y compris sur les individus et les entreprises, et cela sans s’occuper de leur adhésion à l‘effort. Ce n’est pas tout à fait la vision de ce groupe, dont un des trois piliers est un renforcement de la démocratie… En fait, une telle situation est inimaginable et non désirable de toute façon.
Beaucoup est caché par le modèle, mais il n’est pas facile à voir comment le futur plan d’action sortirait de la complexité du modèle, dont seul le scénario C paraît mériter attention. Dès le départ – ce n’est pas
surprenant… – le travail s’effectue en présumant du modèle économique actuel, avec un ensemble de défis associés à la croissance jugés normaux. Il s’agit d’une version de «l’économie verte» prônée explicitement pendant la campagne fédérale par le Parti vert du Canada (en fait, par tous les partis implicitement, puisqu’il n’existe pas d’alternatives qu’ils soient capables d’imaginer) et que je critique pour ses illusions depuis des années. C’est le sujet du chapitre 5 de mon livre.
Le modèle est «un outil d’optimisation économique» , et tout le travail se fait dans le cadre du maintien du système actuel visant la croissance. Sous contrat avec le gouvernement, qui adhère à ce modèle, le travail maintient la cible de -37.5% pour 2030, la décrivant comme ambitieuse sans référence à l’intervention du GIÉC qui indique qu’il nous faudrait atteindre -45%. Il présente quatre scénarios pour la période d’ici 2030, dont les deux premiers ne comportent pas l’atteinte de la cible de -37.5% et qui ne sont donc pas vraiment d’intérêt. Le 4e scénario atteint l’objectif de -87.5% versus le 3e qui n’atteint que -75%, et ces deux scénarios représentent des équivalences, face aux incertitudes en cause dans des projections visant 30 ans…
Une grande complexité d’intervention pour éviter les écueils sociaux
On voit l’approche du modèle en regardant ses constats sur le parc automobile en 2030. Dans les transports, il n’y a pas beaucoup de changement dans le transport des personnes, avec la consommation d’essence encore importante en 2030 et le parc automobile en augmentation, dépassant les 5 millions de véhicules en 2030 et continuant à augmenter par après. Alors qu’on serait porté à penser qu’il s’agit du secteur où la transformation sociétale devrait s’opérer, presque en priorité, ce n’est pas le cas, et même le camionnage lourd et l’avion restent importants dans le scénario C.
Le modèle semble éviter les perturbations sociétales (et de consommation) qui comporteraient de sérieux problèmes d’«acceptabilité sociale» et passe par une complexité importante dans l’ensemble de mesures inscrites dans sa programmation et qui touchent l’ensemble des secteurs, cela en fonction de paramètres ciblant le coût et la technologie disponible.
Il faut souligner que les interventions en matière de transport figurent parmi les plus coûteuses. On doit présumer qu’un énorme effort est fait par le modèle «derrière la scène» pour travailler les options moins coûteuses, en grand nombre… Cela semble confirmé à la page 45, où on trouve le coût moyen pour le scénario C à environ 2,6MM$ par année à l’horizon 2030, bien en deçà du coût marginal à cette date.
Par contre, la hausse de prix du carbone affecte très peu les solutions des scénarios de réduction, car dans ceux-ci la cible ou l’objectif de réduction de GES est beaucoup plus contraignant que le prix du carbone. Autrement dit, les contraintes de réduction de GES des scénarios vont bien au-delà des réductions que permet d’obtenir le prix du carbone et ce sont donc ces contraintes qui dé́terminent en majeure partie les résultats de la modélisation…
Cela signifie que le prix du carbone induit par le marché du carbone, s’il se situe en deçà des niveaux alternatifs de prix du carbone modélisés, serait insuffisant pour permettre à lui seul l’atteinte des cibles et objectifs de réduction du Québec (avec des réductions en territoire québécois seulement), selon l’étendue des hypothèses de prix actuelles. (p.46-47)
Cette conclusion préliminaire aboutit au chapitre sur les scénarios alternatifs, puisque le travail doit aborder une série de défis (les projections de demandes, les risques technologiques, les ressources disponibles ou les contraintes d’acceptabilité sociale – p.48) en voyant que le prix du carbone ne fournit pas à lui seul le résultat voulu. Il reste que le modèle permet d’atteindre la cible de -37.5% en 2030 avec son scénario C, cela avec seulement le recours aux technologies existantes. C’est l’atteinte de l’objectif de 2050 (-85%) qui exige le recours aux scénarios alternatifs du chapitre 2.
L’atteinte de la cible 2030 exige les énormes transformations de la société signalées à répétition, mais le document ne fournit pas des précisions quant à celles-ci, en mettant l’accent sur l’effort d’atteindre l’objectif de 2050 que les scénarios de réduction de GES du chapitre 1, générés par le modèle, ne réussissent pas à faire complètement.
Une vue d’ensemble (?)
Le rapport conclut:
La réduction des demandes doit faire partie de la solution.
La combinaison de nos réductions de demandes (scénario 4) amène une baisse du coût marginal de plus de 40 % à l’horizon 2050 (scénario C). La réduction des demandes permet également d’aller plus loin dans l’atteinte des cibles et objectifs de réduction, soit jusqu’à 85 % de réduction à l’horizon 2050 permettant ainsi l’atteinte de la cible et des objectifs du Québec.
Le CSC et la BECSC doivent également faire partie de la solution comme technologie de dernier recours.
Les scénarios 6 (CSC sans contrainte et BECSC) et 8 (scénario favorable incluant le CSC sans contrainte) sont les seuls à atteindre le scénario de réduction D sans l’achat de crédits de carbone internationaux. Ces technologies permettent également de réduire les coûts marginaux, surtout à long terme.
Des risques technologiques importants demeurent.
Avec le retrait des technologies jugées plus risquées (scénario 5), seul le scénario de réduction A est atteint. Ceci confirme l’importance d’appuyer le développement de technologies afin de consolider les options de réduction disponibles. (p.89)
Il est intéressant de voir les interventions d’Extinction Rébellion cibler les transports urbains, en pensant apparemment que les perturbations occasionnées chez les automobilistes vont aboutir à des actions gouvernementales qui n’auront rien à voir avec ces transports. On va manger moins de viande, on va frapper l’industrie de l’aluminium – mais presque aucun impact pour les transports personnels?
Finalement, Extincion Rébellion vise la bonne cible, en toute inconscience. La multitude de gestes identifiés par le modèle du rapport Dunsky sans qu’ils ne soient identifiables ni par le commun des mortels ni par les responsables des politiques publiques semble comporter une telle complexité dans la mise en œuvre de politiques qui s’y attaquent que nous devons probablement et plutôt penser qu’il faut viser – comme Extinction Rébellion à son insu – un secteur stratégique d’intervention où il sera possible de faire intervenir l’ensemble de la société. Nous sommes de retour à l’approche de Mousseau d’il y a maintenant six ou sept ans pour identifier les cibles.
[1] On voit en même temps une situation au Canada qui fera que les gouvernements ne répondront pas, surtout depuis l’élection fédérale du 21 octobre. Un article d’Annie Chaloux et Hugo Séguin dans Le Devoir du 24 octobre esquisse les obstacles, assez bien connus et assez évidents, et un éditorial du même journal le même jour, «Est-Ouest: Concilier l’inconciliable» aborde le même thème. Le premier note que nous sommes devant des options «économie verte» (voir plus haut dans l’article ici) et décroissance, ce qui semble sortir de l’ordinaire parmi les commentaires. Le deuxième insiste sur le changement de modèle en cours (mais probablement pensant à un remplacement de l’énergie fossile par les énergies renouvelables):
Ceux qui accusent les libéraux, les néodémocrates ou les bloquistes d’être responsables de la division opposant l’est et l’ouest du pays font fausse route. Cette division est d’abord et avant tout le fait des positions d’arrière-garde soutenues par les conservateurs fédéraux et leurs homologues provinciaux dans un monde en profonde mutation.
D’ores et déjà, l’Alberta et la Saskatchewan peuvent difficilement compter sur l’exploitation pétrolière pour assurer leur prospérité. L’une et l’autre doivent dès aujourd’hui travailler à l’avènement d’une économie du XXIe siècle.
Cette démarche aurait été rendue plus facile grâce aux milliards de dollars tirés des redevances pétrolières qui ont servi à maintenir les taux d’imposition les plus faibles au pays au lieu d’être épargnés comme en Norvège. Là encore, ce ne sont ni les libéraux ni le NPD et encore moins le Bloc qui sont responsables de cette absence de prévoyance, mais les élus conservateurs, locaux et nationaux, pour qui des impôts peu élevés sont toujours le meilleur signe d’un bon gouvernement.
Trudeau était dans une bien meilleure position en 2015 qu’aujourd’hui, et on ne doit pas s’attendre à ce qu’il intervienne comme il faut. Pour un prochain article…
NOTE: Un deuxième rapport qui vient de sortir est le résultat de travaux menés par une équipe de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, sous Pierre-Olivier Pineau, avec Philippe Gauthier comme principal consultant: Portrait et pistes de réduction des émissions industrielles de gaz à effet de serre au Québec: Projet de recherche sur le potentiel de l’économie circulaire sur la réduction de gaz à effet de serre des émetteurs industriels québécois. Il est intéressant d’y voir le portrait fourni du secteur industriel du Québec, et l’énorme complexité qui serait en cause dans l’effort de réduire davantage ses émissions, celles-ci ayant été déjà réduites sensiblement depuis quelques années.
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Ce texte est une réflexion basée sur un article que j’ai soumis aux journaux pour publication pendant la semaine du climat. Il n’a pas été retenu et je profite de l’occasion pour y aller plus en longueur (profondeur?).
En décembre 2017-janvier 2018 on sentait que Josée Blanchette ruminait sa prochaine intervention en matière d’environnement. Elle était à Paris avec son (ex-, d’après une récente chronique) mari, un économiste qui participait à une conférence dans son domaine, et y a fait une longue entrevue avec Aymeric Caron, auteur de UtopiaXXI. Le résultat était une chronique qui mettait l’accent sur l’espoir (le rêve) et une couverture du livre de Caron (plutôt que le mien, me disais-je).
Pendant l’été 2018, Nicolas Hulot a démissionné de son poste de ministre de la Transition écologique, et sans vraiment que je c0mprenne pourquoi, cela a tellement frappé Blanchette qu’elle est revenue sur l’alternative qu’elle avait en janvier 2018, soit la couverture possible de mon livre qui venait de sortir; elle me mentionne dans une chronique où elle manifestait son rejet de l’espoir, ou du moins de l’optimisme. Je la cite:
Hulot n’est pas seul à être devenu éco-cynique ou éco-désespéré, à perdre la foi (ses mots), même si on lui reproche sa collection personnelle de moteurs à pistons. Je pense à Harvey Mead, ancien commissaire au développement durable — son dernier livre s’intitule Trop tard (besoin d’un dessin ?) —, au généticien David Suzuki, au biologiste Jean Lemire (lisez son Odyssée des illusions), à Jacques Languirand, l’ex-porte-parole du Jour de la Terre, au journaliste Hervé Kempf (Comment les riches détruisent la planète), un autre objecteur de «croissance». Et je me demande où en est notre ami Al Gore après Une vérité qui dérange en 2006. Huit véhicules sur dix vendus au Canada en 2017 étaient des VUS et des camions légers.
François Delorme, son mari à l’époque, est intervenu dans la même semaine, suite à la démission de Hulot, écrivant dans Le Devoir qu’il avait jugé mes analyses avec condescendance, et semblait avoir changé d’idée – encore une fois, difficile à comprendre devant la seule démission de Hulot… Il souligne que Hulot est convaincu qu’il nous faut faire disparaître l’économie de marché, racine des problèmes et Delorme indique qu’il n’y croit plus non plus. Ce qui était frappant dans l’article de Delorme, sous le titre «Les illusions perdues», était sa conclusion:
[C]e sont ces jeunes qui portent l’avenir. Et j’ose espérer qu’ils sauront investir ce qui nous reste d’institutions démocratiques pour imprimer le virage radical dont nous avons urgemment besoin. Cédons-leur donc la place !
Ce qui est manifesté par cette conclusion est la démission face aux enjeux auxquels les économistes comme lui peuvent peut-être mieux que quiconque s’attaquer. J’y reviens parce que c’est précisément cela que Greta Thunberg souligne avec son «How dare you?» face à la volonté des plus vieux de mettre leurs espoirs dans la jeune génération.
Une «transition» mieux décrite
Le 27 septembre, jour de la manifestation à Montréal, Le Devoir publiait un extrait du manifeste de Greta avec comme titre «Aux puissants maintenant à faire leurs devoirs» où elle intervient de manière très juste, sommant les gens comme Delorme à faire leurs devoirs, elle et les jeunes ayant fait les leurs:
Vous ne pouvez pas rester sans rien faire à attendre que l’espoir vous tombe dessus. Ou alors vous agissez comme des enfants irresponsables et gâtés.
Vous n’avez pas l’air de comprendre que l’espoir est une chose que vous devez aller chercher, que vous devez gagner. Et si vous êtes encore là, à raconter que «nous sommes en train de gâcher notre précieux temps d’apprentissage», alors laissez-moi vous rappeler que nos dirigeants ont gâché des décennies en déni et inaction. Et comme le temps est en train de nous échapper, nous avons décidé d’agir.
Nous avons commencé à nettoyer votre désastre. Et nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas fini.
Je ne sais pas si Delorme a changé l’approche de ses cours en économie depuis qu’il s’est désillusionné. J’ai essayé d’intervenir auprès de l’Université de Sherbrooke en 2014, où il enseigne mais avant que je ne le connaisse, pour que le programme de maîtrise en environnement organise ses cours en économie en fonction d’une approche de l’économie écologique plutôt qu’en fonction de l’approche traditionnelle. Ma suggestion n’a pas été retenue, et le programme du cours que j’ai vu maintenait la pensée que Greta critique.
Il faut revoir nos objectifs
Les perspectives changent un peu depuis quelque temps, incluant la semaine de manifestations sur les changements climatiques qui a obtenu une couverture internationale:
De façon générale, et même avec ces «précisions» dont la mise en œuvre est loin d’être évidente, nous nous trouvons avec un accroissement d’appels pour que les gouvernements prennent les décisions nécessaires (l’alternative au transfert de cela par Delorme aux jeunes) pour contrôler les changements climatiques sans la moindre indication de ce que ces décisions représenteraient.
Une empreinte écologique oubliée
Important pour nous dans les pays riches, ces campagnes, bien compréhensibles devant les impacts de plus en plus imposants sur nos territoires des phénomènes climatiques, ne semblent jamais reconnaître le contexte plus général de nos problèmes, soit une situation où environ un milliard d’êtres humains vivent dans une richesse jamais vue alors que quatre ou cinq milliards d’autres humains vivent dans une pauvreté abjecte.
Les changements climatiques sont l’externalité – le terme technique utilisé par les économistes qui, justement, n’en tiennent pas compte – la plus évidente de cette vie de riches avec ses transports et sa production industrielle à grande échelle, mais l’ensemble de la vie dans les pays riches comporte justement plus que cela, incluant une production agricole (pas toujours dans ces mêmes pays) qui détruit les écosystèmes en répondant aux demandes pour de plus en plus de viande et des activités minières partout qui grugent des gisements de plus en plus faibles en concentration de minerais, entre autres pour nous fournir nos véhicules et nos équipements électroniques.
Finalement, le maintien de notre système de production industrielle et de notre mode de vie en général revient à la nécessité incontournable d’un approvisionnement en énergies fossiles faciles d’accès. Ce qui s’impose, en ligne avec les quelques précisions sur les objectifs maintenant un peu plus explicites tels que mentionnés plus haut, est la disparition de cet approvisionnement, et le problème non reconnu par presque tous les intervenants est que les énergies renouvelables – éolien, solaire … – n’arrivent pas, et n’arriveront pas, à remplacer les énergies fossiles pour nous permettre de continuer notre vie de riches en faisant abstraction de la vie des pauvres.
Voilà ce qui est derrière l’appel de Greta, par exemple, qui insiste que nos vies doivent changer, cela rapidement, cela en se «privant» de ce qui les soutient en priorité, une abondance d’énergie. D’une part, on entend ces appels, d’autre part on entend les promoteurs du modèle économique et de la production industrielle, incapables de penser autrement que selon leur modèle, insister pour que cela se fasse par un processus de mitigation des impacts qui s’est finalement avéré un désastre au fil des ans. Bref, nous pensons vouloir changer notre façon de vivre, mais nous n’avons finalement presque aucune idée de ce qui serait en cause, parce que cela exigera des changements insoupçonnables dans le vie que nous connaissons depuis trop longtemps.
Un avenir inattendu
En pensant à la révolution sociale immédiate requise et recherchée sans le savoir, ce qui ne fait pas partie des débats, des réflexions et des appels, est que nous n’arriverons pas à pouvoir poser les gestes requis. Par contre, la réponse semble bien arriver subtilement. Connu dans le déni par l’industrie est que l’approvisionnement en pétrole achève, dans les quantités, les prix et les rendements nécessaires. Déjà, depuis une dizaine d’années, l’Agence internationale de l’énergie, bras de l’OCDE, organisation des pays riches, reconnaît que les réserves de pétrole conventionnel sont en déclin et que le déclin va continuer (voir la page 145 de mon livre). Comme une sorte de mise à jour, la banque HSBC a publié en 2017 un rapport étoffé qui arrive au même constat.
Ce déclin n’est pas pour 2050 et au-delà, il est déjà en cours et inéluctable, et frappera à la base même de notre civilisation, notre production industrielle. Cela est précisément la projection de Halte à la croissance, qui voyait en 1972 un effondrement du système aux environs de 2025 si nous suivions la lubie signalée par Greta, un modèle qui dépend de la croissance économique continuelle. Nous ne réglons pas les défis associés aux réductions dramatiques de nos émissions de GES parce que celles-ci frapperaient directement à la base de notre système.
Tout semble indiquer que la réponse aux crises qui sévissent ne viendra pas de nos efforts, et Greta souligne ceci en insistant sur le fait que notre civilisation industrielle a détruit sa jeunesse et celle de l’ensemble des jeunes, les «générations futures» du rapport Brundtland. La réponse viendra plus probablement, et assez rapidement, d’une «récession permanente», ainsi désignée par Tim Morgan dans sa Tempête parfaite et associée aux problèmes dans l’approvisionnement en énergie de notre système économique. Il faut que nous nous y préparions, jeunes, vieux, gouvernements, entreprises.
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Je pensais bien que j’allais pouvoir enfin faire une différence. Mon premier objectif en devenant Commissaire au développement durable en 2007 était d’entreprendre des démarches (contacts en Alberta, en Nouvelle Écosse et en Californie) pour m’assurer que j’allais pouvoir calculer l’empreinte écologique du Québec et que j’aurais les ressources nécessaires pour le faire. Finalement, cela a pris neuf mois de travail de deux personnes, une comptable et un économiste spécialement recruté.
Pendant ce travail, nous avons découvert que l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) ne possédait pas des données pour les secteurs des ressources, clé pour les travaux sur l’empreinte, ni pour les externalités, soit les impacts environnementaux et sociaux de nos activités «économiques» qui seraient clé pour le travail sur l’Indice de progrès véritable (IPV)[1]. Suivant le modèle, ces activités économiques étaient considérées prioritaires, et l’ISQ avait les données pour le calcul du Produit intérieur brut (PIB), l’indicateur fétiche de ces activités. Une partie du travail sur l’empreinte comportait la réduction des 2500 catégories d’activités du PIB suivies par l’ISQ aux 1200 catégories utilisées dans la méthodologie pour le calcul de l’empreinte. Une autre partie consistait en la recherche et la cueillette des données sur nos ressources naturelles, dans les ministères sectoriels comme Ressources naturelles, Agriculture et Environnement.
Le résultat, jugé suffisamment robuste pour devenir officiel, était à l’effet que le Québec, dans l’ensemble de ses activités sociales et économiques, dépasse par trois fois la capacité de support de la planète en reconnaissant une distribution équitable de cette capacité parmi les quelque 7,5 milliards d’êtres humains.
C’était le coup d’envoi pour me lancer dans le travail sur mon deuxième objectif, prioritaire. Je voulais calculer un IPV pour le Québec, suivant une méthodologie assez robuste mais peu reconnue et comportant le calcul – et implicitement les approches pour faire le calcul – de l’ensemble des externalités associées à l’ensemble des activités jugées «économiques». Je me proposais par la suite d’utiliser les informations recueillies et les approches développées, et l’IPV lui-même, pour réorienter le travail de vérification qui incombe au Commissaire ainsi qu’au Vérificateur général du Québec (VGQ) lui-même.
Dans le temps – et toujours aujourd’hui – l’ensemble des vérifications suivent une approche qui reconnaît implicitement le modèle économique omniprésent comme l’indicateur de base pour évaluer l’état du développement de la société, soit le mandat de base du VGQ. L’empreinte écologique nous dit déjà que cet état de développement est grossièrement sous-estimé quant à ses impacts et ne représente d’aucune façon un développement qui peut être considéré «durable» selon la compréhension de la Commission Brundtland (CMED) acquise durant les années 1980.
L’IPV comme constat d’échec du développement
J’avais donc identifié l’IPV comme le guide pour le travail de (i) nous faire comprendre que notre développement n’est pas durable et (ii) nous fournir des pistes pour concevoir des changements assez radicaux dans le but de réorienter le développement au sein du gouvernement et, finalement, de la société. Cela commence par une bonne compréhension des défauts du développement actuel en fonction d’un examen des défauts du PIB comme façon de le suivre.
Les données n’existent pas pour évaluer les externalités avec la précision possible pour le PIB dont les données, et les méthodologies pour les chercher et les organiser, sont recueillies et développées depuis des décennies. On peut donc reconnaître que le calcul de l’IPV manque d’une certaine précision, selon les secteurs et la qualité des données disponibles. Il reste qu’un PIB qui surestime la valeur du développement de 75% (notre résultat) et d’autres calculs plus précis arrivant peut-être à des situations où il surestimerait de 60% ou de 80% ne change pas le constat de base, que l’exclusion des externalités dans le modèle économique actuel est désastreux et contribue à l’ensemble des crises en cours qui peuvent être justement associées à des mauvais calculs dans les décisions de poursuivre différents projets de développement, et finalement, dans l’évaluation du développement lui-même.
L’IPV aboutit à ce constat d’un coût des externalités à la hauteur de 75% de ce qui est proposé comme progrès économique et social. Nos activités en foresterie, en agriculture et en extraction minière constituent une somme nulle pour la société en termes de bénéfices – des emplois – et cela au dépens de la dégradation majeure des forêts, des sols et des cours d’eau et une perte sèche de capital naturel. Quant aux activités industrielles associées à la manufacture, les coûts associés aux impacts de leurs émissions de GES sont tels que cet ensemble d’activités jugées économiques serait voué à des restructurations radicales si la comptabilité se faisait de façon plus réaliste et raisonnable.
Que faire? Comment en prendre compte?
Il n’en est jamais (ou presque) question dans les interventions cherchant à pousser les décideurs à poser les gestes nécessaires, comme, je crains, lors de la manifestation mondiale organisée pour le 27 septembre [2]. Justement, l’ensemble des acteurs de la société ne semblent avoir aucune idée de l’importance des mesures requises, selon l’échéancier qui s’impose, pour ramener notre développement à une taille soutenable, et cela pour l’ensemble de l’humanité. Je mentionne régulièrement le calcul de Normand Mousseau en 2011, alors qu’il était co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec: pour essayer de respecter la cible du gouvernement Marois d’une réduction de 25% dans les émissions de GES pour 2020, il aurait fallu envisager entre autres le retrait des routes de la moitié de notre flotte d’automobiles. Les interventions récentes du GIÉC double la taille du défi, suite à l’adoption de l’Accord de Paris en décembre 2015, maintenant ciblant 2030.
Probablement la principale intervention de la société civile face à cette situation est de cibler le développement des énergies renouvelables pour remplacer les énergies fossiles dont notre utilisation est derrière les impressionnants coûts associés aux changements climatiques. Après des décennies de développement, ces énergies renouvelables ne représentent toujours pas plus que 5% de l’énergie utilisée dans le monde, cette utilisation continuant à croître dans une sorte d’inconscience totale.
Les actions requises pour ramener notre développement à un niveau acceptable (sur les plans humain et environnemental) sont tellement importantes que, soit les intervenants se montrent incapables de les concevoir, soit qu’ils décident de ne pas en parler parce que les décisions politiques et sociales qui seraient en cause seraient tout simplement inimaginables [3]. Tous les agissements couverts par les médias se font dans un vide presque complet, et semblent représenter finalement une sorte de déni face à l’effondrement qui se prépare.
Dans Trop Tard, je propose en Annexe un communiqué de presse/déclaration d’échec imaginaire qui s’attache directement à ce manque d’identification des actions nécessaires, signé de façon imaginaire par les organismes de la société civile qui ne font pas leur travail actuellement, restant dans le flou. L’effort, qui se voulait l’esquisse d’«un programme pour une nouvelle ère», s’est montré imaginaire aussi, avec absolument aucun retour de la part des groupes.
L’IPV comme guide pour un autre développement respectueux des limites de la planète
Ce qui est fascinant est que l’IPV nous fournit, par sa méthodologie et les résultats des calculs, des pistes pour mieux comprendre le sérieux de notre «prédicament» (Halte à la croissance a été publié dans le cadre du projet du Club de Rome portant sur le «prédicament» de l’humanité). La « valeur » de notre développement tel que conçu par l’IPV s’estime à environ la moitié de celle suggérée par le PIB. Important, voire dramatique dans ses implications pour la nouvelle société qu’il nous faudra chercher, la moitié de la valeur de l’IPV est fournie par ce que Statistique Canada identifie et suit à la trace comme le travail non rémunéré.
Statistique Canada est tout aussi clair quant à la provenance de cette contribution à notre développement: elle provient en bonne partie du travail des femmes à la maison et dans le soin des enfants, cela, disons-nous, au détriment d’une autre activité, économique et «réelle».
Nous voilà donc avec le début d’une vision de notre défi face aux changements structurels qui s’imposent, qui vont s’imposer que nous agissions ou non. La moitié de notre développement à l’avenir pourrait bien devoir provenir du bénévolat. Lorsque nous pensons à l’importance des grands secteurs de la santé et de l’éducation, par exemple, dont le financement (obtenu dans la société actuelle en recourant assez souvent à des dettes qui ne seront vraisemblablement jamais remboursées) ne sera pas disponible pour un gouvernement dans une société «sobre» n’ayant pas de sources de revenus comme c’est imaginé aujourd’hui. À l’époque, avant la Révolution tranquille, ces secteurs étaient gérés et comblés en main-d’œuvre par des religeuses et religeux bénévoles, et il est difficile d’imaginer comment nous pourrons les maintenir à l’avenir autrement, surtout pour ce qui a trait à l’enseignement supérieur et aux soins de santé dépendants de technologies sophistiquées et dispendieuses.
Pour le premier, il s’agit presque explicitement d’activités visant à fournir des connaissances et des expertises aux acteurs économiques plutôt que d’efforts favorisant le développement de l’esprit humain dans une vision générale et globale. J’ai passé toute ma vie professionnelle comme enseignant/professeur dans cet effort de former des esprits et non d’éventuels travailleurs sur le plan technique. C’était clé par ailleurs dans la vision qui a mené à la création des cégeps et l’importance qui y est accordée aux cours communs, l’enseignement général. Cet enseignement ne nécessite pas de laboratoires dispendieux ni de recherches coûteuses, et irait de pair avec la reconnaissance obligatoire à l’avenir de notre place dans l’univers, de notre place sur cette planète que nous avons trop longtemps considérée comme seulement une source de ressources et non comme notre milieu de vie finalement plutôt fragile.
Pour le deuxième, il s’agit d’une atteinte à la qualité de vie et à l’espérance de vie de toute la population à l’avenir, alors que, actuellement, nous commençons à reconnaître la taille du défi avec la reconnaissance que le résultat de notre croissance démographique excessive dans le passé aboutit aujourd’hui à ce que l’on appelle le vieillissement de la population et une augmentation prévisible des coûts des soins de santé dans le système. C’est à noter, mais ne fait pas partie de la réflexion courante, qu’à moins d’avoir pu continuer à augmenter la population sans limites, un tel vieillissement en était un aboutissement inévitable.
Devant l’effondrement
Cela fait un bout de temps que les articles de ce blogue, et les contributions des commentateurs, ont souligné la difficulté de bien cerner ce qu’il faut faire face aux constats d’un effondrement imminent de notre système de production industrielle. Je l’associe à une sorte de paralysie. Une bonne partie de la réflexion, au sein du public en général et dans les médias, cible les gestes pour essayer d’enrayer l’avancement des changements climatiques, cela en fonction de réductions massives (pas toujours quantifiées) dans nos émissions de GES, dans un effort de maintenir le système mal foutu qui est en place. C’est presque par indirection que la taille excessive de notre empreinte écologique, reflétée par le constat d’échec du recours au PIB comme guide, entre dans la réflexion.
Finalement, même cet ensemble de paramètres des crises qui sévissent n’aboutit pas à l’effondrement tel que projeté par Halte à la croissance et tel que confirmé par des mises à jours des projections avec les données réelles et – plus récemment – par la reconnaissance même par les acteurs du secteur de l’énergie que le pétrole conventionnel commence un déclin qui est perçu, par ces acteurs, comme un nouveau stress à gérer plutôt que le début de la fin (voir les graphiques tirés du rapport de HSBC qui figurent dans mes deux derniers articles)…
Lectures recommandées:
Le rapport de la banque HSBC de 2017: Global Oil Production: Will Mature Field Declines Drive the Next Supply Crunch?
La mise à jour en août 2018 des réflexions de Jeremy Grantham: « The Race of Our Lives Revisited »
Philippe Gauthier: «La transition énergétique comme justification de la décroissance»
[1] Voir pour les détails Harvey L. Mead, avec la collaboration de Thomas Marin, L’indice de progrès véritable : Quand l’économie dépasse l’écologie (MultiMondes, 2011)
[2] La couverture des manifestations prévues oublie complètement l’organisation, par le même organisme 350.org, de manifestations similaires à New York le 21 septembre 2014, juste avant un (autre) sommet sur les changements climatiques convoqué par le secrétaire général à ce moment-là Ban Ki-Moon. La cible précise de ces manifestations était le projet de pipeline Keystone XL, abandonné par la suite par le promoteur pour des raisons économiques. La cible plus globale était la COP21 prévue pour Paris en décembre 2015, où des années d’efforts (et de manifestations) ont abouti à un échec, les engagements volontaires des pays signataires de l’Accord de Paris permettant d’espérer une hausse de températeure de la planète d’environ 3°C, la catastrophe.
[3] Voir par exemple l’intervention de certaines parlementaires américaines avec le Green New Deal, auquel Naomi Klein fait référence lors d’une entrevue à CBC le 17 septembre. Klein se trouve à mi-chemin dans sa décennie zéro, échéancier marquant son livre Tout peut changer de 2014.
by Lire la suiteMISE À JOUR LE 1ER FÉVRIER 2020
La conférence se retrouve maintenant sur Youtube à https://youtu.be/PAzH-T_ze5U
La fin de semaine du 7-8 septembre à Montréal était consacrée à un colloque constituant une sorte de suivi du Festival de la décroissance conviviale, cela avec plus d’une centaine de participants. Il s’agissait de faire un pas plus loin, en ciblant, avec le titre et le programme, «L’effondrement: Fin d’un monde, construire un nouveau», la vision d’une décroissance qui ne se fera pas de façon planifiée et structurée. La première journée cherchait à comprendre les composantes de l’effondrement qui semble inéluctable, et la deuxième à imaginer le nouveau monde qui viendra.
En dépit des apparences
J’étais conférencier pour lancer la réflexion pour la première journée et j’insistais sur la pertinence du travail des informaticiens de Halte à la croissance qui projettaient – je propose avec raison – que l’effondrement ne viendra pas des crises qui semblent les plus apparentes, dont les changements climatiques et la pauvreté, font l’objet d’une couverture constante des médias, mais d’un déclin dans l’approvisionnement en pétrole de notre énorme et complexe système de production industrielle pendant la prochaine décennie.
Nouveauté dans ma présentation, reprenant le cœur de la première partie de mon livre Trop Tard, est la contribution d’une analyse approfondie par la banque HSBC (autrefois Hong Kong Shanghai Bank of Commerce) datant de 2017 et qui met à jour, avec les mêmes résultats, les projections de 2012 de l‘Agence internationale de l’énergie que j’utilise dans le livre: les gisements de pétrole conventionnel actuellement exploités vont diminuer de peut-être la moitié d’ici 2030 (Figure 1).
Comment aborder le défi?
Comme je cherchais à suggérer dans la réflexion du dernier article du blogue, le constat global est tel que les gestes concrets pour éviter l’effondrement semblent n’avoir aucun impact, tellement l’inertie est devenue forte, et des gestes pour nous préparer pour ce qui s’en vient sont extrêmement difficiles à cerner, comme la journée de dimanche a bien montré. La rencontre s’est terminée avec une présentation de Francis Dupuis-Déri sur l’intérêt de l’action directe, prenant différents exemples du mouvement anarchiste plutôt récents.
J’ai bien eu l’impression que mes courts commentaires sur les manifestations qui sont planifiées pour septembre contre la paralysie face aux changements climatiques, à l’effet qu’elles sont en continuité avec ce qui dure maintenant depuis un demi-siècle et qui par son échec nous a laissés face au mur de l’effondrement, n’étaient pas perçus comme très conviviaux par plusieurs. En fait, je ne m’y oppose certainement pas, cela stimulant l’engagement, mais elles ne donneront pas plus que leurs prédécesseurs.
J’aurais pu ajouter que ces manifestations ciblent justement un défi qui n’est pas celui qui sera central dans les prochaines années – en dépit de ses impacts déjà énormes – , soit le déclin des réserves en pétrole conventionnel face à notre insatiable demande toujours en croissance et qui ne paraît tout simplement pas, cela peut-être parce que les pétrolières et toute la communauté économique qui gravite autour se montrent aussi incapables que les politiciens (voire les environnementalistes) à saisir la situation et les gestes qui s’imposent face à elle.
Je souligne à cet égard l’intervention sur le blogue de Raymond Lutz rendant personnelles les difficultés du positionnement de bon nombre de participants au colloque. Dans les jours suivant le colloque de Montréal, j’ai eu l’occasion de collaborer au tournage d’un balado avec Marisol Drouin, écrivaine en résidence à la Maison de la littérature logée à l’Institut canadien à Québec. Marisol avait publié son premier roman Quai 31 en 2011 qui cherchait à fournir l’imaginaire d’un réfugié climatique.
Le thème de sa résidence est l’effondrement, rien de moins, et le défi qu’elle décrit pour l’imaginaire de son deuxième roman Je ne sais pas penser ma mort semble similaire à celui de trouver des façons de s’insérer dans l’imaginaire de l’effondrement – je vais le lire! La Maison va utiliser le balado dans le cadre du Festival Québec en toutes lettres, qui tient cette année sa 10e édition sous le thème Pour la suite du monde, en octobre. Voilà des efforts, je crois, d’imaginer le défi de l’effondrement, par comparaison aux efforts pour contrôler les dérapages du système actuel, qui continuent.
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Lors de son émission à Radio-Canada le samedi 10 août, Boucar Diouf a lancé une série de questions à son jeune auditoire portant sur des gestes qu’il serait prêt à poser pour contribuer à la cause de la réduction des émissions de GES, Entre autres, il a demandé: Seriez-vous prêts à abandonner les voyages en avion? (Figure 1) Très peu de personnes dans l’auditoire, pourtant jeune et ayant probablement peu d’expériences avec des voyages en avion, ont répondu dans l’affirmative. La même question était posée pour l’émission du Téléjournal du dimanche 18 août, avec les mêmes réponses.
La place de l’aviation civile dans nos vies
Pendant cette même période, l’émission Découverte de Radio-Canada faisait une série de trois reportages sur l’aviation civile (1, 2, 3), couvrant entre autres les technologies de construction des appareils de plus en plus grands, l’organisation derrière les 100 000 vols quotidiens dans le monde, la préparation des repas pour des millions de voyageurs, et les questions de sécurité.
Presque comme trame de fond revenaient régulièrement les projections pour les années 2030 où l’industrie s’attend à ce que l’activité soit le double d’aujourd’hui. La série se termine avec quelques réflexions sur le développement de l’aviation civile d’ici quelques décennies; l’émission avait déjà consacré deux ou trois reportages au Solar Impulse, avion expérimental entièrement solaire qui – de toute évidence – ne semble offrir aucune chance réaliste de représenter l’avenir (Figure 2).
Pendant les reportages de Découverte, il n’y avait aucune mention du défi des changements climatiques associés aux émissions de GES, pour lesquelles l’aviation est responsable d’environ 5%, seulement une sorte d’obéissance à la nécessité de rendre les appareils moins consommateurs de kérosène. Contexte pour moi dans ceci, le livre Heat: How to Stop the Planet Burning (2006) où l’auteur George Monbiot, journaliste du Guardian, cherche à voir les potentiels pour des réductions des émissions de GES dans les différents secteurs d’activité; il constatait un seul véritable échec dans sa recherche, justement dans le secteur de l’aviation, où il ne voyait pas de véritables pistes de solution.
L’incompréhensible défi personnel
Ce portrait général situe la plupart des options suggérées pour des actions concrètes de la part des individus face aux défis des changements climatiques. Certaines activités sont tellement inscrites dans les comportements sociaux, dans le fonctionnement normal des sociétés, que les interventions des individus s’avèrent finalement presque inutiles alors que des transformations radicales de ces sociétés semblent être la seule piste possible pour répondre aux défis. Je puis arrêter de prendre l’avion, abandonner l’auto, vendre la maison pour vivre dans une plus petite, etc. Si les gestes ne sont pas à l’échelle de la société, je ressens que cela ne changera rien.
En même temps, à moins d’être vraiment déjà retiré de la société – très peu de monde – les actions suggérées nous rentrent directement dans le corps, dans notre mode de vie, même si de nombreux comportements, comme la mode VUS répondant à une priorité énoncée des manufacturiers, par exemple, ne se justifient d’aucune façon. George H. W. Bush pouvait bien sembler très égoïste en disant à Rio en 1992 qu’il ne fallait pas toucher au mode de vie américain en cherchant des solutions inscrites à l’ordre du jour de l’humanité lors de ce Sommet; nous réagissons presque de la même façon face aux options offertes par Diouf, par exemple.
Je me posais moi-même la question, ayant entre autres fait quatre voyages en Chine depuis dix ans, en plus d’un voyage en Amérique centrale l’an dernier. Je ne pouvais justifier mes voyages en Chine, même si l’objectif était de me donner des balises pour une meilleure compréhension de ce pays clé pour l’avenir de l’humanité. Quant au voyage en Amérique centrale, je retournais au Honduras, où j’ai eu un projet pendant six ans dans les années 1990, soutenu par l’ACDI et parrainé par Nature Québec, le voyage se faisait après plus de 20 ans d’absence; je voulais voir ce qui avait changé, ce qui ne le justifiait pas plus. C’est à noter que le projet au Honduras comportait deux voyages en avion par année pendant les six années…
Des enjeux de société
J’entends qu’un voyage aller-retour Montréal-Paris comporte l’émission d’autant de GES que l’utilisation d’une voiture (un VUS?…) pendant une année, et j’ai récemment entendu qu’une croisière d’une semaine – peut-être pas le quotidien pour la plupart des gens, même dans les pays riches – représente l’équivalent d’un vol Londres-Tokyo aller-retour… En fait, plus nous regardons notre vie quotidienne, plus nous avons de la difficulté à voir comment réduire sensiblement notre empreinte écologique, qui pourtant et de façon générale dépasse la capacité de support de la planète par trois ou quatre fois. Il est impossible de concevoir comment nous pourrions réduire cette empreinte à un niveau équitable pour toute l’humanité et adaptée à la vie sur cette terre avec ses 8 milliards d’autres humains (Figure 3).
Nous pouvons cesser de voyager en avion, cesser d’acheter des véhicules privés (pas juste des VUS…), cesser de manger de la viande. Dans l’ensemble, rien dans des changements de comportement de notre vie quotidienne n’aboutirait à une empreinte du niveau à cibler. Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant que nos gouvernements, que nos sociétés riches n’arrivent pas à prendre les décisions nécessaires pour répondre aux appels du GIÉC pour des réductions massives dans nos émissions de GES.
C’est dans ce contexte que l’on doit situer la critique constante des gouvernements pour leur inaction face aux défis et à l’urgence. Les actions gouvernementales nécessaires iraient directement à l’encontre des comportements sociétaux et la volonté des gens de préserver leurs conforts. Elles seraient rejetées, même si les responsables gouvernementaux y pensaient, ce qu’ils ne sont presque pas capables de faire de toute façon.
L’effondrement?
Nous ne vivons pas un effondrement actuellement, en dépit des indications que les changements climatiques sont sur le bord d’être hors de contrôle, que les inégalités entre pays et entre populations sont soulignées par les immigrations qui deviennent massives, que l’approvisionnement en eau potable pour les grandes villes de la planète s’annonce de plus en plus problématique; ces thèmes dominent pourtant l’agenda et l’actualité. L’effondrement projeté par Halte à a croissance, que j’essaie de mettre à jour dans mon livre et dans ce blogue, n’en sera pas tout d’abord un dans ces grands secteurs de crise, mais surviendra plutôt de déstabilisations économiques associées à un approvisionnement déclinant en énergie qui est pourtant totalement nécessaire pour le système et dont l’utilisation est de plus en plus exagérée (voir la Figure 4). Encore une fois, et en dépit des préoccupations actuelles pour une possible récession économique dans le court ou le moyen terme, ces problèmes en cause dans l’actualité ne semblent pas être associés à une déstabilisation structurelle de l’économie, des économies.
Aux États-Unis, tout comme maintenant au Canada aussi, l’orgie de dépenses dans des résidences cossues et souvent secondaires, ainsi que dans des véhicules allant carrément à l’encontre de toutes les propositions pour des réductions importantes des émissions dans le secteur des transports, donne l’impression d’une sorte de déni, d’une dernière répudiation face à l’ensemble des crises qui sévissent. Nulle part il n’y a d’indications qu’il y a possibilité de changement structurel et radical dans l’approvisionnement en énergie, ce qui permet le fonctionnement de tout cela. Voir à cet égard un article récent dans La Presse+ où la journaliste interviewée se montre encore fixée sur la venue d’énergies renouvelables et d’interventions gouvernementales comme source de salut. On cible, à la place de ces pistes, les sachant illusoires, l’élimination des pailles de plastique.
by Lire la suiteRien de nouveau dans cet article. On peut remonter à 1991 pour une chronique de Jean-Pierre Drapeau et Luc Gagnon, «Une politique familiale… ou nataliste?», soulignant l’intérêt pour un ou deux enfants, dans le volume 8, numéro 4 de Franc-Nord, publication de l’UQCN (devenue Nature Québec), et la réplique de Pierre Foglia dans La Presse, «Les crétins de Franc-Nord», (l’échange était intéressant, et je cherche les liens). Je poursuis le soutien à ce crétinisme ici, mais en tenant compte entre autres d’une réflexion entretemps de la Banque mondiale menée par une équipe sous Kirk Hamilton en deux volumes, Where is the Wealth of Nations: Measuring Capital for the 21st Centurys? (2006) et The Changing Wealth of Nations : Measuring Sustainable Development in the New Millenium (2011) mettant le défi démographique dans le contexte mondial.
La question concernant la population optimale du Québec ne semble jamais posée. Pendant des décennies, la population du Québec a continué de croître, sans jamais qu’on se soit demandé: Y a-t-il une limite à la population qui devrait ou pourrait habiter le Québec?
Les projections
La présomption d’une croissance démographique comme normale fait partie des habitudes, comme c’est le cas depuis toujours – je ne crois pas qu’il n’y ait jamais eu de mémoire d’homme (voire de femme) une période de décroissance démographique, ni mondiale, ni canadienne, ni québécoise, même comme conséquence des deux guerres mondiales du XXe siècle.
La croissance démographique contribue de façon importante à celle économique: plus de monde fait plus d’activité et plus de consommation. C’est le pendant de la croissance économique, sauf que celle-ci se voit coupée périodiquement par des récessions, des périodes de décroissance économique (voir Desrosiers à cet égard – https://www.ledevoir.com/economie/558579/analyse-la-recession-qui-n-arrive-pas-).
Les projections sont établies pour une population humaine qui continuera de croître (jusqu’à environ 10 milliards de personnes en 2050…), et cette croissance se réalisera presque exclusivement dans les pays pauvres. L’analyse de cette situation démographique indique qu’elle comportera d’énormes défis pour notre époque, même pour les populations des pays riches, alors que sa progression au fil des dernières décennies en comportait peut-être moins.
Depuis environ 40 ans, l’empreinte écologique de l’humanité dépasse la capacité de support de la planète, cela peu importe le fait que l’humanité connaissait, et connaît toujours, d’énormes inégalités entre les quelques milliards de pauvres et peut-être un milliard de riches. Plus la population s’accroît, moins il y a de support planétaire pour chaque personne: ni la planète ni ses ressources biologiques derrière le calcul de l’empreinte écologique ne connaît de croissance. Moins il y a de chances donc pour une réduction des inégalités, même si on risque d’y voir de toute façon une obligation de réduction marquée de l’empreinte des populations riches.
Et au Québec
Pendant des décennies, la croissance économique se maintenait en fonction, en partie, de la croissance démographique. Avec le temps, cette croissance démographique s’est mise à ralentir dans les sociétés riches, reflet de ce qui est nommé la «transition démographique» où une population – surtout les femmes – arrivée à un certain niveau de richesse cherche à profiter personnellement de cette richesse en mettant moins d’accent sur l’idée de faire des enfants.
Le Québec se trouve dans cette situation depuis environ 20 ans, alors que les jeunes Québécoises ont décidé de ne plus chercher à assurer le «remplacement des générations». Voilà l’origine de l’incapacité de la population à répondre aux appels des milieux économiques, voire des responsables gouvernementaux. La situation était prévisible depuis des décennies, et la principale réponse semble avoir été des efforts pour encourager la natalité, ce qui n’a pas réussi.
Regardant la situation d’un autre œil, le calcul fait quand j’étais Commissaire du développement durable a montré que notre empreinte dépasse par trois fois la capacité planétaire de support sur une base équitable pour la population humaine. Cette situation est une composante de mon constat, dans la première partie de mon livre, de l’échec de nos efforts de gérer notre vie sur la planète en tenant compte des exigences des limites environnementales.
Face à cet échec et à l’effondrement probable, je suggère que ce qui est important aujourd’hui n’est surtout pas de maintenir la croissance démographique (par l’immigration) et la croissance économique (par tous les moyens possibles), ni de maintenir les efforts de recherche de mitigations possibles par le mouvement environnemental (et le mouvement social) déployés pendant des décennies. C’est d’intervenir en essayant de comprendre, d’influencer et de nous préparer pour ce qui nous arrive.
Des pistes dans la vieille tradition
L’importance de la croissance démographique dans la croissance économique est telle que nous sommes aujourd’hui confrontés à une des implications de la situation curieusement non préparée mais qui est arrivée, à l’effet que, sans maintien de la croissance de la population, celle-ci vieillit. Instinctivement (et avec l’aide des médias et, finalement, d’un ensemble d’institutions), nous trouvons cela inquiétant… C’est seulement avec l’immigration que la situation n’aboutira pas à une véritable décroissance de la population dans les sociétés riches.
Comme Commissaire, mon objectif en faisant le calcul de 2007 n’était pas celui de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et ses constats statistiques, faits en présumant du modèle économique actuel. Le récent rapport de l’ISQ publié le 11 juillet dernier (avec un communiqué qui le résume) n’aborde presque pas les problématiques sociales et environnementales associées à ses projections, centré comme il l’est sur le portrait statistique pour la période 2016-2066. Les faits saillants résument les projections, avec comme presque seule thématique le vieillissement et – presque une recommandation – le recours à l’immigration pour maintenir la croissance (démographique et économique).
Ces projections ne semblent pas très positives dans leur ensemble, augmentant des problèmes sociaux et environnementaux déjà la source de défis importants pour la société. L’importance aux yeux des gouvernements de maintenir la croissance économique fait que l’approche retenue est de trouver des solutions ailleurs à ces défis, soit dans l’immigration.
Tout ceci était plutôt implicite aussi lors d’une entrevue par Manon Globensky à Midi-Info le 11 juillet de Chantal Girard, démographe de l’ISQ. Tout au long de l’entrevue, il semble s’y trouver (même si, après une deuxième écoute, rien ne semble aussi explicite que je pensais) une sorte de préoccupation, non pas face à la croissance de la population prévue pour les prochaines décennies, mais plutôt face à une réduction du taux de croissance et du «vieillissement», le taux passant de 1% par année à environ 0,3% (selon les projections). On constate généralement et un peu partout une volonté complètement irréfléchie de voir la population du Québec augmenter et surtout ne pas vieillir.
L’immigration
Le débat sur le nombre d’immigrants à recevoir semble ouvrir une brèche dans cette absence de réflexion. La baisse du taux de natalité «naturelle», voire de la population globale incluant l’immigration, n’arrive pas au Québec à fournir la main-d’œuvre jugée nécessaire pour le fonctionnement de l’économie. Bon nombre des travailleurs étrangers déjà en place, mais temporaires, œuvrent dans le secteur agricole où la population locale ne veut pas travailler – histoire entre autres de salaires bas pour maintenir des prix que les consommateurs locaux seraient prêts à payer – , mais la volonté explicite maintenant est de chercher (jusqu’à 70%) des immigrants à caractère économique, cela en pensant aux postes nécessitant certaines expertises. Cela s’accompagne, sans que l’on n’en parle, d’une perte dans les pays d’origine de ces personnes et de leurs capacités à participer à l’économie de ces pays. Quand il s’agit d’autres pays riches, cela ne soulève peut-être pas beaucoup de préoccupations, mais quand il s’agit de pays plus pauvres, l’effort de maintenir notre «développement» économique va carrément à l’encontre de tels efforts dans ceux-ci, et ne fera qu’accroître les inégalités qui mènent actuellement à des immigrations (illégales) massives.
En même temps, le débat sur la laïcité a soulevé des réticences dans la population – au Québec, apparemment pas au Canada – face à des immigrants d’origines ethniques autres qu’européennes. Et les immigrants illégaux qui font la manchette partout, ici, aux États-Unis, en Europe, comportent clairement une diversité ethnique qui complique davantage le portrait.
Rien de cela n’est vraiment discuté dans le rapport de l’ISQ, mais mérite une attention assez spéciale face au fait (entre autres) que les populations des pays pauvres – 85% de la population humaine – n’ont pas connu encore une transition démographique, parce qu’elles vivent toujours dans la pauvreté, et de plus en plus cherchent cette «transition» par une migration vers les pays riches.
Un cul de sac
Le modèle économique qui était en partie responsable des écarts de richesse entre les populations riches et pauvres, ainsi que des inégalités qui passent proche de définir les rapports entre les pays riches et pauvres, aboutit à une conséquence plutôt directe de ses orientations. C’est une situation où il n’y a presque plus de possibilité pour les pays pauvres de croître, en partie en raison de la dominance structurelle des pays riches, en partie en raison d’une déplétion de plus en plus répandue des différentes ressources naturelles (surtout celles non renouvelables) nécessaires pour la croissance économique et où il y a de grandes populations qui se trouvent donc dans un cul de sac.
Dans ce contexte, on peut comprendre la réflexion de Luc Ferrandez qui – je n’ai pas entendu l’entrevue – indiquait qu’une première réponse à la crise actuelle est de cesser de produire des enfants et – un complément que j’ajoute et dont il est bien conscient – porter une attention plus grande à l’ensemble des populations en besoin au sein même des sociétés riches, comme celle du Québec. De mon côté – cela remonte aux années 1960 – nous avons arrêté notre famille à deux enfants, histoire de respecter un objectif évident, celui de ne pas dépasser «le remplacement des générations» alors que toute ma génération, et davantage celle qui l’a suivie, celle des babyboomers, ont allègrement fait le contraire. Mes deux enfants n’ont pas eu d’enfants, pour des raisons et dans des contextes différents, mais cela reflète l’objectif d’origine qui est toujours pertinent, voire très important.
NOTE le 3 septembre. Je viens de relire l’essai de Jeremy Grantham, The Race of Our Lives Revisited, une mise à jour en 2018 d’un essai antérieur. Sa réflexion sur les enjeux démographiques, qui vient vers le milieu de l’essai, mérite lecture.
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C’est probablement peu connu que j’ai gagné ma vie comme professeur de cégep, et j’étais pleinement engagé pendant les 25 ans que j’y étais, fasciné par le défi et l’énorme satisfaction que procure l’enseignement. Plus précisément, ma profession était l’interprétation de textes et une aide fournie à mes étudiants pour qu’ils deviennent de bons interprètes. Un récent texte d’Yves-Thomas Dorval, pdg du Conseil du patronat du Québec (CPQ), dans Le Devoir du 21 juin m’a frappé par l’occasion qu’il présente pour une analyse – pas très difficile – d’un texte typique d’un trop grand nombre qui polluent notre quotidien et qui vont être encore plus nombreux dans les mois qui viennent.
Nos enfants se trouvaient assez rapidement ailleurs après – voire pendant – leurs études et j’ai pu poursuivre pleinement, pendant mes années d’enseignement, mon autre engagement qui remontait aux années 1960, celui qui cherchait à éviter la réalisation des projections d’un avenir sombre pour notre civilisation si elle n’apprenait pas à tenir compte des exigences qu’impose l’environnement. Là aussi, je crois qu’une partie importante de mon effort était la correction de tir de nos dirigeants, voire de notre société.
Quelques réflexions donc sur le texte de Dorval.
«À quelques mois des élections fédérales, les principaux partis se sont exprimés en faveur de l’Accord de Paris afin que le Canada atteigne, d’ici 2030, son objectif de réduire ses émissions de gaz à effets de serre (GES) de 30 % par rapport à 2005.»
Il n’y a aucune indication du fait qu’aucun des partis ne fournit un plan d’action chiffré qui fournit les moyens d’atteindre cet objectif. Par ailleurs, et plus important, la signature de l’Accord de Paris a été possible parce que les engagements des différents pays à cet égard ne représentaient pas ce que le GIÉC a calculé comme nécessaire pour éviter une catastrophe climatique. Les différents partis fédéraux (et le CPQ) peuvent se permettre d’y adhérer pour la même raison, soit que l’Accord vise beaucoup trop bas.
Pour le Canada, l’objectif est celui du gouvernement Harper, décrié dans le temps (i) parce qu’il n’utilisait pas l’année de référence 1990 mais celle de 2005, qui (ii) comportait des augmentations importantes des émissions par rapport à 1990 et donc réduisait le défi des diminutions.
«La question qui tue: comment accompagner les entreprises, les employeurs et leurs salariés pour les aider à innover dans une démarche qui tient compte de la réalité de M. et Mme Tout-le-Monde ainsi que de leurs contraintes?»
Dorval passe donc à une question qui touche ses préoccupations, mais qui n’est pas celle qui tue, celle de viser des objectifs beaucoup trop bas, ce qui va tuer beaucoup plus… Dorval introduit des éléments économiques en nommant ses cibles, et prépare un détournement en mettant l’accent sur l’innovation, un des fondements de l’économie basée sur la croissance. Il prépare d’autres détournements en mettant sur la scène la «réalité» et les contraintes des individus, c’est-à-dire le dépassement dans leur réalité du niveau de consommation qui tiendrait compte de la capacité de support de la planète, soit de l’empreinte écologique.
«Entre la poussée des générations montantes et la prise de conscience des moins jeunes, il est indéniable que la question climatique et la transformation de notre économie seront sur toutes les lèvres pour les années à venir, chez nous, comme dans le reste du monde d’ailleurs. Lorsque les jeunes descendent dans la rue, c’est pour nous inciter à les écouter et à les aider à mettre en place les conditions pour créer une société prospère, dans un contexte de grands bouleversements, tout en permettant à nos entrepreneurs de tirer leur épingle du jeu. Ce faisant, au-delà des clivages idéologiques, des antagonismes et de la joute politique, nous avons tous le devoir d’entretenir l’espoir d’un lendemain meilleur pour nos jeunes et les générations futures.»
Léa Ilardo, une des co-porte-paroles du collectif La planète s’invite à l’université, faisait savoir dans un texte dans Le Devoir du 3 juillet que la routinière référence aux années à venir est maintenant dépassée, ces années de crises étant déjà arrivées – il n’y a plus de confortable planification patiente possible. Comme je dis assez souvent, les «générations futures» sont maintenant celle des jeunes d’aujourd’hui, et on doit cesser de recourir à cette référence apaisante et confortante.
Par ailleurs, Dorval peut bien le penser, mais les jeunes et les moins jeunes qui protestent dans les rues et dans les conseils municipaux ne cherchent pas la mise en place des «conditions pour une société prospère» mais des changements de fond dans notre société, déjà trop prospère.
Ils ne présument pas que les bouleversements vont permettre à nos entrepreneurs de tirer leur épingle du jeu, c’est-à-dire poursuivre en maintenant notre système économique alors que ce système est la principale cause des problèmes et doit être justement transformé. Cela ne signifie pas non plus, pour les protestataires (qui se joignent aux gens qui interviennent depuis des décennies avec le même objectif), la recherche d’un «lendemain meilleur», c’est-à-dire pour Dorval une société encore plus prospère, plus destructrice, suivant le modèle d’aujourd’hui.
«Certes, les différentes voix qui s’élèvent aux quatre coins du pays ne s’entendent pas nécessairement sur les gestes à accomplir. Il demeure néanmoins un point positif: le Canada cherche des solutions pour préparer l’économie de demain et préserver la capacité de la société à prospérer.»
Toujours, la recherche d’une prospérité toujours améliorée comme si celle que nous connaissons, dans laquelle les jeunes ont grandi, ne comporte pas déjà de l’exagération. Il faudrait bien que Dorval nous indique ce qui lui fait croire que le Canada cherche des solutions aux véritables défis, avec (i) un premier ministre qui cherche à pérenniser l’exploitation des sables bitumineux, (ii) un candidat du parti conservateur qui reste dans le flou même après son intervention en matière de climat, (iii) un Nouveau parti démocratique qui évite dans son plan d’action toute référence aux sables bitumineux, sujet clé dans les débats au sein du parti en 2015 et (iv) un Parti vert du Canada qui propose (voir l’action 13) de remplacer nos importations de pétrole (en bonne partie du pétrole des États-Unis résultant du fracking) par du pétrole des sables bitumineux, mettant sciemment de côté le fait que tout ce pétrole non conventionnel marque la fin de rendements énergétiques adéquats pour nous soutenir dans nos excès.
C’est malheureux, mais nous savons déjà que nous ne verrons pas une recherche de solutions à la crise énergétique et aux changements climatiques pendant la présente campagne.
«À cet égard, il faut se féliciter de la mobilisation qui prend forme au Québec, et qui implique l’ensemble des parties prenantes. En plusieurs occasions depuis l’élection du gouvernement provincial, et au sortir de la COP24, nous avons insisté sur l’importance de mettre en œuvre rapidement une démarche coordonnée, mobilisant l’ensemble des ministères, afin d’élaborer un plan climat concret et efficace. En ce sens, les engagements du gouvernement provincial sont pleins de bonnes intentions, et la démarche annoncée cette semaine, qui doit mener à un Plan d’électrification et de lutte contre les changements climatiques en 2020, mérite d’être appréciée.»
Dorval passe au provincial avec le même flou qu’avec le fédéral. On peut bien essayer d’apprécier les bonnes intentions, mais nous sommes toujours loin des interventions souhaitées, avec un gouvernement au Québec élu par la population mais qui n’avait même pas mis l’environnement – lire les changements climatiques – à son ordre du jour et qui trouvera que les interventions requises vont à l’encontre des orientations profondes de la plupart de ses députés.
«Nous appuyons totalement les stratégies gouvernementales qui visent à décarboniser graduellement notre économie, et ce, tant au Québec, qu’au Canada et même dans les États voisins. Nous avons la chance de pouvoir produire une électricité propre et avons tout à gagner à en faire profiter nos voisins également. Il faudra aussi compter sur le potentiel d’autres filières, notamment au bénéfice des régions. Pensons, notamment, à la filière des biocarburants, de la biomasse, du gaz naturel renouvelable (GNR), de l’hydrogène, ou, encore, de l’économie circulaire, surtout pour nos matières résiduelles et secondaires.»
Tout en souhaitant la mise en œuvre rapide d’une mobilisation gouvernementale comportant tous les joueurs, l ‘appui de Dorval ici est mis sur le caractère graduel des interventions attendues, et il est même difficile de voir de quelles stratégies il est question tellement les gestes gouvernementaux ne vont nulle part depuis un bon bout de temps. Le rêve que les énergies renouvelables puissent remplacer dans le monde les énergies fossiles s’avère justement une illusion, ces énergies n’ayant servi jusqu’ici qu’à alimenter la croissance de la consommation. Quant à l’idée qui circule depuis des décennies de voir notre hydroélectricité (temporairement en surplus) remplacer l’énergie fossile de nos voisins, cela s’est avéré depuis longtemps justement un rêve (à suivre avec attention: l’intention de la ville de New York de procéder à un véritable plan de réduction importante de ses émissions en ayant recours à des importations du Québec).
Et voilà, pour sortir du dossier de l’énergie, Dorval nous sert la nouvelle illusion, l’économie circulaire, absolument essentielle et d’un véritable intérêt, mais qui prendra beaucoup de temps à mettre en place et n’offrant donc aucune solution pour notre situation de crise. Dorval voit cette économie circulaire comme intéressante pour les déchets, mettant l’accent sur son rôle comme approche à la gestion de ceux-ci, sans réaliser les contraintes qu’elle comporte pour l’ensemble de l’activité économique, son véritable intérêt.
«Le secteur des transports aura besoin de mesures pour réduire ses GES, la congestion et le nombre de déplacements. Pour le transport collectif, l’électrification est une très bonne initiative, mais elle doit se faire de pair avec une augmentation massive de l’offre globale, qui souffre de besoins criants. En ce qui concerne le transport des marchandises, la croissance des échanges internationaux et du commerce en ligne nécessite plusieurs initiatives qui ne peuvent pas être des copier-coller des mesures destinées au transport des personnes. Il faudra également revoir nos pratiques d’aménagement et d’urbanisme, avec des aléas climatiques plus marqués.»
Cela fait tout un agenda, avec une proposition pour une augmentation massive de l’offre pour le transport en commun qui reste néanmoins dans le flou et qui ne se commet pas sur l’avenir de l’automobile privée. À cet égard, il est presque encourageant que Dorval ne mentionne pas une «transition» en cours ou à venir. Ce qui sera requis pour le transport des marchandises et le commerce en ligne est également laissé dans le flou, sauf pour insister sur la croissance de ces activités comme présumée. Nulle part on ne trouve des chiffres, et je soupçonne que nous n’en trouverions pas au sein du CPQ.
«Dans vingt ou trente ans, la société ne sera plus du tout la même, les attentes des citoyens et les habitudes de vie non plus. C’est pourquoi le Québec, par exemple, s’active actuellement à réviser ses leviers pour s’adapter et se transformer, afin de reproduire le succès mondial de sa filière hydroélectrique dans d’autres secteurs. Cette vision du changement ne se bâtit pas toute seule, elle suppose l’adhésion de la société civile. Le Canada et chacune de ses provinces doivent faire de même, tous partis politiques confondus.»
Partant des impacts à venir des changements climatiques, Dorval fait référence à un changement en profondeur de la société, sans jamais chercher à indiquer ce qui pourrait être en cause, alors que de toute évidence ce changement ne portera pas, pour lui, sur les fondements de l’économie. Fidèle à notre tradition vieille maintenant de presque 100 ans, il propose l’idée de nouvelles initiatives économiques pouvant rivaliser avec le développement hydroélectrique que nous avons connu depuis 50 ans. C’est une vision qui nécessite l’adhésion de la société civile, dit-il, mais celle que je connais ne réagira pas devant une telle vision. Différents acteurs cherchent à rendre la nouvelle vision plus claire.
Et maintenant, la campagne électorale fédérale
La campagne électorale fédérale est déjà en cours, et on peut s’attendre à des discours omniprésents plus flous même que celui de Dorval. Seule exception, peut-être: l’insistance du gouvernement Trudeau sur la contradiction entre la réduction des émissions de GES (la «protection de l’environnement») et le développement des sables bitumineux. Il ne s’y trouve pas d’ambiguïté, ni dans le discours, ni dans la contradiction. S’étant opposé à l’agrandissement du pipeline TransMountain, Steven Guilbeault va apparemment contourner la contradiction en maintenant cette opposition – il s’est annoncé candidat après la décision du fédéral de procéder -, même s’il est élu et se trouve au sein d’un nouveau gouvernement libéral.
by Lire la suiteLe Festival était organisé par le Collectif décroissance conviviale de Montréal, et regroupait de nombreuses participantes bien réseautées dans ce mouvement marginal où je me trouvais bien à l’aise. La réalisation que je n’étais pas bien réseauté avec ce mouvement, en dépit de nombreux contacts par mon blogue, m’a amené à la décision de créer une page Facebook (à venir)…
C’était dans la plus grande informalité que le Festival de la décroissance conviviale a eu lieu à Montréal le 1er juin. Il tenait lieu sur un chantier du campus MIL de l’Université de Montréal, sujet d’une certaine préoccupation des résidents du secteur en raison de ses impacts potentiels sur la vie du quartier, et cela a permis plusieurs interventions pendant la journée.
Ma présentation utilisait une approche informelle – pas de projecteur fonctionnel disponible – en circulant des feuilles imprimées d’une série de graphiques qui me paraissaient résumer mieux qu’un long discours la situation qui nous mène à l’effondrement. En cela, j’étais identifié comme un collapsologue (terme plus courant en France), centrant mon discours sur ce que je juge l’inévitabilité de l’effondrement, en suivant l’argumentaire de mon livre.
Cela était plutôt en complément à plusieurs autres discours, où je sentais une volonté de s’y préparer en pensant cette nouvelle société qui va s’imposer mais pour laquelle nous serons bien mieux placés si nous travaillons activement à en mettre en place quelques éléments.
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