Même Terre-Neuve et Labrador

Pendant les années du gouvernement Harper, l’économie canadienne roulait sur l’exploitation des ressources énergétiques non renouvelables, surtout le pétrole. À titre d’exemple, en partant des données de l’Institut de statistique du Québec, l’atteinte des objectifs de croissance était dopée par les résultats dans trois provinces productrices de pétrole, l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve et Labrador (TNL). Ces résultats viennent en bonne partie du fait que ces trois provinces exploitaient le pétrole alors que le prix de celui-ci était à la hausse jusqu’en 2014.

http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/comparaisons-economiques/interprovinciales/tableau-statistique-canadien.pdf (page 20)

Figure 1: Croissance du PIB du Canada et des provinces 2004-2016                   Pendant près d’une décennie, l’exploitation du pétrole a marqué l’économie canadienne. Les provinces productrices ont montré des hausses de leur PIB quand le prix était élevé et des baisses depuis 2015 avec un prix bas. Le Québec et l’Ontario ont montré une toute autre tendance, plutôt stable et avec une croissance du PIB plus bas.

L’énergie fossile et l’économie canadienne

Cette situation explique presque directement l’orientation du gouvernement Harper à plusieurs égards, favorisant le développement de ces ressources et contestant les efforts de gérer les changements climatiques en général et la croissance des émissions de GES en particulier. Cela permet de comprendre aussi aujourd’hui, dans une toute autre situation où le prix du pétrole est bas et prévu par plusieurs pour rester bas (voir mon dernier article), la volonté des gouvernements de cibler quand même le maintien de cette exploitation, sans relâche pour les deux provinces des Prairies, et tout récemment, avec le lancement d’Advance 2030, pour Terre-Neuve et Labrador.

Ce qui frappe est que les sables bitumineux à la base de l’économie de l’Alberta et de la Saskatchewan, et l’exploitation en mer à TNL, se situent dans un contexte que certains analystes décrivent comme une tendance vers un pic de la consommation du pétrole, cela d’ici peut-être, justement, 2030. Comme je l’ai indiqué dans mon dernier article, cela risque de restreindre les ambitions des différents gouvernements et entreprises à accroître leur production, voire à la maintenir, lorsqu’il s’agit de ressources non conventionnelles. Il est intéressant à cet égard de voir l’Institut économique de Montréal (IEDM) sortir un texte sur les retombées positives de la croissance économique tout aussi déconnecté de la réalité que les voeux des gouvernements: l’IEDM souligne la contribution des provinces productrices (dans le passé…) à ces retombées.

L’exploitation en eaux profondes (une autre source de pétrole non conventionnel)

J’ai abordé la question de l’exploitation pétrolier dans l’Ouest dans mon dernier article, et j’ai décidé de voir ce qui pouvait se dire des efforts dans l’Est, à TNL. C’est dans le contexte baissier actuel que nous avons vu le gouvernement de TNL sortir donc son Advance 2030, sans qu’il y ait mention de la banqueroute qu’occasionne actuellement le désastre fiscal du projet Muskrat Falls. Le dépassement par le double du budget de ce méga-barrage, et une absence de marchés prévisibles pour son énorme production d’électricité, soulignent la tentation que représente pour l’ensemble des gouvernements la «contribution à l’économie et à la prospérité» des grands projets. C’est comme cela, par ailleurs, que le Premier ministre Couillard a décrit le projet du REM de la Caisse de dépôt – c’est un «grand projet» – , plutôt que de mettre de l’avant sa raison d’être, sa prétendue contribution à une amélioration du transport en commun dans la métropole. Contrairement à TNL, le Québec va apparemment pouvoir vendre une partie de ses surplus d’électricité, venant entre autres de son projet de barrages sur la Romaine.

C’est plutôt décourageant de voir les efforts de l’«opposition» à TNL de proposer des Reflections on a Sustainable Post-Oil-dependent Newfoundland and Labrador. Il s’agit d’un travail d’un groupe d’experts qui voient plutôt bien l’ensemble des défis sociaux, environnementaux et économiques de notre développement s’enfoncer dans le piège restreignant de la croissance économique. Leurs orientations sont toutes inscrites dans l’économie verte (en se référant à Dialogues pour un Canada vert, dont j’esquisse les faiblesses dans mon livre) et une absence d’expertise, d’après mes lectures, quant aux enjeux fondamentaux pour le pétrole. Le document est un rapport découlant d’une conférence tenue en novembre 2016 et contient une série d’articles sur l’ensemble des problématiques.

L’intervention a été suivie par une entrevue avec une des responsables, la professeure Neis, dans The Annual, où elle remarque que, en dépit de leurs efforts, il y a un mouvement de fond, via le NL Research Development Corporation, vers de nouvelles explorations et si possible exploitations offshore – des «energy mega-projects» – qui va donner lieu, en janvier 2018, à Advance 2030 où la province cible une production offshore le double d’aujourd’hui. Le travail de concertation me rappelle mes efforts avec Les indignés, mais il est orienté dès le début vers une vision d’une économie verte. Dans son entrevue, Neis conteste par ailleurs les «doom and gloom scenarios we encounter on an almost daily basis» où je dois bien me trouver.

L’approche de l’économie verte, suivant des critiques faites tout au long des dernières années, propose que le développement économique pourra se poursuivre, mais en intégrant les contraintes environnementales (et sociales) qui n’ont jamais été intégrées pendant les décennies d’effort du mouvement environnemental; le recours à un nouveau terme pour décrire l’effort n’en diminue pas les obstacles. L’expérience récente en TNL avec l’initiative de Reflections représente ce qui est presque une évidence, que les promoteurs de la croissance économique se trouveront dans les postes décisionnels et ne pourront intégrer les propositions d’une vision plus holistique. C’est presque en même temps que l’annonce d’Advance 2030 et le rappel de Reflections se sont présentés.

De retour à l’IPV – deux façons

Contrairement à ma petite recherche sur l’Ouest, celle sur l’Est n’a pas encore abouti. Je vais poursuivre ma recherche dans les jours qui viennent, mais il me paraît pertinent de sortir ce court article pour souligner non seulement la volonté des gouvernements de poursuivre le développement pétrolier mais l’explication de cela, l’espoir de pouvoir maintenir la croissance économique. Il est intéressant de voir dans la Figure 1 le lien entre les deux, avec les provinces productrices maintenant en-dessous de seuil de rentabilité, montrant – au moins temporairement, mais je crois de façon permanente – que nous sommes en train d’être rattrapés par la non prise en compte de l’environnement, de la planète, de ce que veulent sauver les promoteurs de l’économie verte.

Le chapitre de mon livre sur l’IPV sur l’activité minière esquissait l’approche de l’économie écologique à cette activité: l’extraction représente une soustraction dans l’actif d’une juridiction, et ne devrait donc pas être attribuée au «progrès» que le PIB prétend indiquer. Il faut plutôt l’investir (voir l’exemple de la Norvège) dans l’espoir de pouvoir générer par les retombées des investissements une contribution soutenable au développement long terme. On voit un résultat de la décision – partout – d’agir autrement: le PIB des provinces productrices étaient en hausse pendant les années fastes, mais rien ne reste après, quand le prix chute et on se trouve avec la ressource disparue.

Il est certainement illusoire de penser que les gouvernements agiront autrement, mais nous sommes en train actuellement, à travers le Canada, de voir le défi du «développement» lorsque celui-ci doit être fondé sur des activités ayant un potentiel de long terme. Entretemps, le calcul de l’IPV indique assez clairement que le PIB, en excluant le coût des externalités, ne fournit pas un bon indice, même pour les provinces non productrices comme le Québec et l’Ontario. M. Couillard voudrait bien que ce soit autrement, mais l’agriculture et la foresterie, sous un autre régime, peuvent représenter des bases plus soutenables d’un développement approprié…

 

MISE À JOUR le 2 mars 2018

Le secteur en eaux peu profondes Jeanne D’Arc (voir la carte) est au cœur de l’activité de production pétrolière à Terre-Neuve et Labrador (TNL). La plateforme Hibernia, la plus grande au monde, y produit du pétrole  (elle est dans environ 80 mètres d’eau) avec forages à plus de 3700 mètres sous le fond) et l’activité s’approche plutôt d’opérations conventionnelles. La production y a commencé en 1997.

Le champ White Rose représente d’autres aires d’intérêt en eaux peu profondes d’environ 120 mètres. Il se trouve près de Hibernia et est en opération depuis 2005. Husky Oil (partenaire avec Suncor et Nalcor) proposait en mai 2017 des extensions des activités du site.

Carte

De plus récentes découvertes se trouvent dans le Flemish Pass (voir la carte), en eaux profondes plus au large. Statoil, qui s’est retiré des sables bitumineux, annonçait en février 2017 qu’elle prévoyait faire des forages exploratoires dans le secteur. Il s’agit de ce qui est communément considéré comme des gisements non conventionnels, en raison des coûts importants associés à l’exploitation. Cela représente le changement d’orientation pour ses investissements par rapport à ceux dans les sables bitumineux, qu’elle a maintenant abandonnés. Les annonces semblent très prudentes, devant les coûts très importants connus d’avance pour toute exploitation dans un tel secteur. On peut bien se poser des questions quant à l’annonce du gouvernement de TNL d’Advance 2030…

MISE À JOUR  le 27 juillet 2018

Statoil, sous le nom de Canada Equinor, a annoncé son projet de développer le gisement dans la Bay du Nord dans le Flemish Pass. Terre-Neuve et Labrador indique que l’exploitation, dans 1100 mètres d’eau, serait rentable au prix actuel.

 

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L’abandon de Kinder Morgan (et même de Keystone XL)? L’avenir de la voiture personnelle

Cet article déborde presque naturellement de son questionnement initial concernant l’avenir du pipeline Kinder Morgan, pour arriver à des réflexions sur l’avenir de l’automobile individuelle. De nombreuses références peu connues au Québec représentant une contribution du texte. Il est plutôt long justement parce que j’ai décidé de laisser le lien entre les deux thématiques plutôt que d’en faire deux articles.

Le conflit entre le NPD de l’Alberta et le NPD de la Colombie Britannique concernant le projet de pipeline de Kinder Morgan nous met devant la sorte de litige qui divise la société depuis des décennies, et auquel le mouvement environnemental s’est consacré corps et âme. En effet, le conflit entre les deux gouvernements reflète de nombreuses interventions des dernières années en opposition à ce projet de pipeline. J’ai décidé d’enquérir sur les fondements économiques du projet, incluant ceux de Kinder Morgan même. Ma petite enquête a abouti, à ma surprise, à une réflexion sur l’avenir de la voiture personnelle, thème phare de mon livre. Le lien vient d’une projection d’une baisse de la demande – et de la production – de pétrole et de l’arrivée de nouvelles innovations technologiques dans les transports.

L’avenir des sables bitumineux

Je ne suis pas allé très loin avant de trouver une situation – celle décrite dans mon livre – qui suggère fortement que, à l’instar de TransCanada et son projet d’Énergie Est, il y a une forte probabilité que le pipeline Trans Mountain ne sera pas construit, cela pour des raisons n’ayant rien à voir avec l’opposition environnementale et autochtone, même si celle-ci est bien fondée.

Certains constats se sont manifestés rapidement:

  • il n’est pas rentable actuellement d’ouvrir une nouvelle mine dans les sables bitumineux devant les coûts d’exploitation et le prix sur le marché  (voir les rapports annuels du Canadian Energy Research Institute (CERI)) pour des mises à jour régulières de la situation);
  • presque toutes les grandes pétrolières se sont retirées des sables, suggérant qu’elles ne voient pas une remontée des prix à un niveau qui rendrait l’investissement rentable dans un avenir prévisible;
  • peu importe la faiblesse de leurs engagements, l’ensemble des pays semblent conscients des menaces engendrées par les émissions de GES et il y a au moins une chance que la consommation des énergies fossiles diminue dans les années à venir, même si cela sera loin de ce qui est nécessaire en suivant les travaux du GIÉC;
  • le pétrole venant des sables bitumineux est non conventionnel et est parmi le plus cher de toutes les sources de pétrole actuelles à exploiter et à raffiner dans un monde où la consommation globale tendra à diminuer, laissant de moins de moins de jeu pour les acteurs à la marge.
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Beaucoup est en cause dans l’incertitude quant à la consommation dans les                       années à venir.

Ces constats comportent d’importantes incertitudes, notamment celles associées à l’idée qu’il pourrait y avoir une diminution volontaire de la consommation d’énergie fossile dans les années à venir. Reste que se pose dans ce contexte la question de l’intérêt pour de nouveaux pipelines alors que, sans croissance de la production, l’industrie aura de la difficulté à remplir les pipelines existants.

Ce dernier constat vient de Jeff Rubin, ancien financier de CIBC et maintenant auteur bien connu au Canada, qui a publié en mars 2016 un document choc The Future of Canada’s Oil Sands in a Decarbonizing Global Economy précédé par un texte d’opinion dans The Globe and Mail. En novembre de 2016, Rubin a consacré un autre article dans The Globe and Mail, intitulé « New pipelines: The oil sands may have trouble filling the ones it has ». Plus récemment (septembre 2017), Rubin a complété sa vision de la situation dans un autre document Evaluating the Need For Pipelines: A False Narrative For the Canadian Economy.

Les documents de Rubin couvre plusieurs composantes d’une analyse complète du contexte économique et social, voire environnemental, dans lequel l’avenir des sables bitumineux se joue. Son argument de fond comporte les réflexions suivantes par rapport à ce qui vient des pétrolières et des gouvernements qui leur font confiance pour leur avenir économique:

  • la volonté d’atteindre d’autres marchés que celui des États-Unis se confronte au fait que les prix offerts dans ses autres marchés, dont l’Asie, sont inférieurs à ceux obtenus des raffineries le long du Golfe du Mexique déjà insuffisants, même si celles-ci sont adaptées pour pouvoir traiter le bitumen, un produit pétrolier de bien moins bonne qualité;
  • la réduction récente dans la production de l’OPEP a bénéficié à l’exploitation de pétrole de schiste, dont la période nécessaire pour la mise en production est beaucoup plus courte que celle requise pour une mine dans les sables bitumineux, ce qui désavantage l’exploitation de ces derniers – cela dans un contexte où les coûts d’exploitation de ceux-ci sont élevés;
  • les investisseurs, tout comme les grandes pétrolières elles-mêmes, quittent les sables bitumineux, se disant que ce qui n’est pas rentable aujourd’hui ne le sera pas plus dans les années à venir – c’est-à-dire que le bas prix va se maintenir;
  • en juillet 2017, Transcanada signalait qu’elle pourrait décider de ne pas construire Keystone XL, devant des difficultés d’obtenir le capital requis des investisseurs, sans parler de son évaluation probable à l’effet que le pipeline ne serait par nécessaire et ne serait pas rentable face à la baisse projetée dans la production des sables bitumineux;
  • le déclin dans la production pétrolière sera rapide, entre 5 et 15 ans, selon Shell;
  • une croissance de la production dans les sables bitumineux, à l’encontre de ces projections, rendrait impossible l’engagement canadien dans l’Accord de Paris et il y a raison de croire qu’il y aura au moins un peu plus d’accent à l’avenir sur ces engagements, déficients déjà.

Le fait que les prix sur les marchés extérieurs à l’Amérique du Nord sont inférieurs à ceux obtenus en envoyant le produit au Golfe du Mexique fait que l’intérêt économique du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan est bien difficile à cerner dès le départ. De leur coté, les surplus de pétrole (de schiste) aux États-Unis représente un facteur important contre la construction de Keystone XL: les États-Unis n’ont pas besoin (pour un certain temps…) d’importations. Le pétrole de schiste se montre en effet le concurrent actuel des sables. La production dans le schiste était associée à une hausse de la demande mondiale, mais moins que celle de la production – qui était en baisse constante en 2015. Le pétrole de schiste est moins cher à produire et de plus grande qualité. En complément, j’entends régulièrement que les entreprises qui exploitent le pétrole de schiste aux États-Unis font faillite très souvent, et ce secteur de croissance de la production, derrière les surplus sur les marchés qui affectent à la baisse le prix, n’est pas voué à un avenir de long terme.

Pour Rubin, il y a plusieurs pistes qui peuvent être envisagées en pensant à l’avenir économique en fonction des sables bitumineux, mais il ne suggère pas qu’elles soient viables. Pour une approche qui cherche à envisager une transition plus soutenable du modèle de croissance économique (c’est son mandat au Center for International Governance Innovation et probablement personnel aussi, lui qui est économiste), mieux vaut plus de raffinage d’un produit actuellement envoyé à l’état presque brut que plus d’extraction et d’exportation de ce produit brut – sauf que les coûts pour se lancer dans la construction de nouvelles raffineries seraient prohibitifs. Probablement plus pertinent, il faut viser les énergies renouvelables comme remplacement de l’énergie fossile, plutôt que de cibler une augmentation de la production de cette dernière. Ici, Rubin ne fournit aucune indication qu’il comprend les limites de cette option.

Seba Fig 16

Pour Seba et Arbib, les sables bitumineux représentent la source de production la plus à risque.

L’automobile personnelle en voie de disparition?

Dans son document de septembre 2017, Rubin cible directement les pipelines, mais complète aussi son portrait de l’avenir. Le secteur des transports compte pour les deux-tiers de la consommation actuelle du pétrole, et le déclin projeté (…) viendra de l’élimination du pétrole comme fuel. Rubin réfère à des fabricants d’automobiles qui sont intervenus de différentes façons en insistant  sur une transition rapide, quittant l’essence et le diésel, et une décision de la Chine à l’effet que 25% des voitures du pays seront électriques ou hybrides en 2025 et de passer rapidement à l’élimination complète des véhicules à essence et au diésel… C’est la période prévue pour une croissance dans les sables justifiant le besoin de nouveaux pipelines.

Un travail par Geoff Dembicki, journaliste d’expérience du webzine The Tyee, pousse l’analyse plus loin, en fait, fournit une piste pour essayer de bien analyser une possibilité intéressante pour l’avenir des transports. Here’s How Canada’s Oil Sands Could Collapse by 2030, publié en août 2017 dans le webzine Vice, se fie à un rapport de James Arbib et de Tony Seba de l’Université Stanford. Spécialistes des perturbations technologiques inattendues, ces auteurs voient comme déclencheur d’une «transition» rapide trois tendances lourdes: celle vers le transport électrique; celle vers un modèle des transports visant les services plutôt que la propriété; celle vers les véhicules autonomes. Rethinking Transportation 2020-2030 : The Disruption of Transportation and the Collapse of the Internal Combusion Vehicle and Oil Industries propose que, face à cet ensemble de pressions et d’innovations technologiques – on peut penser à celles d’Über, Tesla, Lyft, Car3Go et Google – et le constat que l’on peut sauver peut-être $6000 avec la décision de ne pas acheter une nouvelle voiture personnelle, le véhicule à combustion interne disparaîtra de nos routes d’ici 2030 (ils ciblent les États-Unis). Ma lecture se faisait à la suite de la lecture de Transport Revolutions: Moving People and Freight Without Oil, de Richard Gilbert et Anthony Pert, qui remonte à 2010, esquisse d’importants défis mais représente la pensée traditionnelle, même si à la fine pointe, que Seba et Arbib suggèrent dépassée devant la rapidité, l’envergure et l’impact des innovations technologiques perturbatrices. On peut voir une présentation de Seba sur l’ensemble de ces questions ici.

Dans mon travail pour Trop Tard, j’étais amené de différentes façons à cibler la disparition de l’automobile personnelle comme élément clé dans la réduction nécessaire des émissions de GES et la résolution de nombreux problèmes actuels, dont la congestion et le mauvais aménagement de nos villes. Il s’agissait d’un élément quasi mythique dans les sociétés riches depuis la Deuxième Guerre mondiale. Face à un possible effondrement du système économique, il vaut la peine de cerner le mieux possible l’avenir transformé par cette quasi disparition de la voiture personnelle à essence. Il semble que cela doit venir de choix de société difficiles, voire inimaginables, mais Seba et Arbib fournissent un scénario où cela pourrait arriver dans le cours normal des choses, et rapidement. Et il ne s’agit pas, en dépit du titre de leur rapport, du véhicule  à essence; le véhicule personnel plus généralement y est mis en cause.

Un scénario 

Dans leur scénario, Seba et Arbib proposent que l’arrivée de la voiture autonome électrique jumelée à des réductions importantes de coûts de fabrication et d’opération de ces voitures pourrait aboutir à l’abandon, assez rapidement – d’ici 2030 dans leur scénario, la transformation débutant avec l’autorisation du véhicule autonome (en Californie) en 2021 – , de la voiture personnelle. Clé dans le portrait est une vision des transports comme des services (Transportation as a Service – TaaS) et non pas comme jouant un rôle dans la société de consommation. Les incidences d’une telle transformation radicale mais en ligne avec des tendances actuelles seraient impressionnantes: une baisse de la flotte américaine d’environ 250 millions de véhicules à moins de 50 millions; la quasi disparition de la congestion, fonction d’une surabondance de véhicules personnels; la libération de grandes superficies dans les villes actuellement consacrées au stationnement de ces véhicules personnels. En 2030, selon le scénario de Seba et Arbib, 60% des véhicules seraient ainsi alloués aux services de transports et non à embellir la réputation de leurs propriétaires.

Seba Fig 5

Dans le scénario de Seba et Arbib, la propriété d’une voiture personnelle sera en déclin précipiteux dans les 15 prochaines années.

La transformation des transports en services permettrait de réduire plusieurs des obstacles associés dans la pensée courante au remplacement des véhicules à essence par des véhicules électriques (voir aussi à cet égard «Voiture électrique écologique? À chacun de se faire une idée», du même auteur, Stéphane Lhomme, directeur de l’Observatoire du nucléaire en France, et que je ne trouve pas en ligne en dépit de posséder l’article), dont une consommation beaucoup moindre de matières premières (dont le lithium et le cobalt) pour le nombre beaucoup moindre de véhicules. Le recours à l’électricité comporterait une hausse de 18% de la consommation, mais cela serait accompagné d’une baisse dans la demande totale d’énergie pour les transports de 80% (cela toujours pour le cas des États-Unis). Les véhicules autonomes pourraient courir 500 000 milles dans leur vie et ainsi répartir l’investissement dans leur construction et les émissions qui seraient en cause sur deux fois et demi plus de distances et de services rendus.

Les auteurs envisagent une situation où une flotte de véhicules de service finirait par être offerte gratuitement, tellement elle répondrait à un service de base dans la (nouvelle) société. C’est une variante de Halte: le problème avec l’approvisionnement difficile en énergie fossile bon marché est transformé par des innovations qui diminuent radicalement le besoin pour cette énergie. Le résultat est que des moyens de transport pourraient continuer à desservir les sociétés, en dépit d’effondrements dans l’industrie pétrolière et dans l’industrie manufacturière de l’auto, un effondrement dans le modèle économique, quoi…

Seba et Arbib situent l’avenir ainsi décrit dans la poursuite de ce modèle économique, mais ce qui est fascinant est qu’il n’y a aucune nécessité pour cela et, au contraire, cet avenir se situe bien dans les fondements de cette nouvelle société que j’essaie d’esquisser dans mon livre. L’effondrement de l’industrie pétrolière et de l’industrie de l’automobile, qu’ils cherchent à relativiser, serait l’effondrement projeté par Halte. Également plus que pertinent, le scénario pourrait plus facilement être vu comme applicable dans les pays pauvres dans la mesure où les transports qu’il décrit sont des services, bon marché par comparaison à la possession d’une voiture personnelle.

Récapitulation: Un avenir plutôt incertain pour l’exploitation des sables bitumineux

L’intérêt pour la rentabilité ou non du pipeline Kinder Morgan amène loin! Reste qu’il se situe dans une compréhension de la situation dans le monde contemporain en ce qui concerne l’énergie fossile bon marché et facile d’accès qui a marqué nos sociétés depuis des décennies. Ce que Seba et Arbib fournissent est une sorte de bénéfice non comptabilisé de l’effondrement, lorsqu’il est jumelé à une prise en compte de certaines composantes de nos sociétés actuelles qui peuvent se transformer dans celles à venir.

Seba et Arbib cherchent des solutions pour les défis des pays riches, ne suggérant aucune préoccupation pour les transports dans les pays pauvres. Reste que leur conclusion de base est à l’effet que les flottes de véhicules autonomes électriques – disons le transport en commun au niveau du véhicule individuel – sont bien plus efficaces que l’ensemble de véhicules personnels qu’elles peuvent justement remplacer, ceux-ci restant inutilisés plus de 90% du temps. Il s’agit d’innovations qui pourraient vraisemblablement être applicables dans les pays pauvres.

Finalement, une question de fond à laquelle personne ne peut répondre concerne le bas prix des énergies fossiles actuellement: est-ce qu’il résulte des importants surplus générés par le retrait partiel de l’OPEP du marché, ou est-ce qu’il résulte d’une baisse de demande que l’on peut associer à la perte de capacité de consommer? En complément à la scène animée par les premières ministres de l’Alberta et de la Colombie Britannique, il est intéressant à cet égard de voir le comportement des premiers ministres canadien et québécois face à ce que ces auteurs, ce que l’ensemble de la communauté scientifique et de la société civile, considèrent comme une crise dont il faut chercher des pistes de sortie ou de gestion.

Le lendemain de son élection, il était fascinant d’entendre l’éminence verte du gouvernement Trudeau, Stéphane Dion, maintenir en entrevue que c’était regrettable que Keystone XL n’ait pas été approuvé et qu’Énergie Est soit dans le trouble. Mëme si ce gouvernement a fait du mileage avec la signature de l’Accord de Paris sur la réduction importante des émissions de gaz à effet de serre pour l’ensemble des pays de la planète, il maintient toujours les objectifs du gouvernement Harper pour les réductions de GES (beaucoup trop faibles) et ne montre aucun succès dans la gestion des problèmes du secteur comme la taxe sur le carbone (entendons-nous: à un niveau pouvant aboutir aux résultats recherchés).

Pour maintenir la confusion, en fait, l’incapacité de trancher devant une problématique qui ne pardonne pas et qui ne permet pas le maintien de notre «business as usual» en même temps que des réductions importantes de nos émissions, The Globe and Mail a couvert le Premier ministre lors d’une entrevue en avril 2017 où il suggérait que l’exploitation des sables bitumineux allait connaître un déclin (un «phasing out»). La réaction de l’Alberta était immédiate, mais personne ne semble avoir demandé sur quelle période le déclin allait s’opérer, et il est sûr que Trudeau, si on lui posait la question, serait de l’avis que cela va prendre longtemps…

Du coté du Québec, la Politique énergétique de 2015 fournissait tout ce qu’il fallait pour comprendre la vision du gouvernement Couillard en voulant faire les «vraies affaires». Cela va prendre du temps. À titre d’exemple que j’ai déjà souligné, la Politique prévoit pour 2030 qu’il y aura un million de voitures électrique sur les routes de la province, et quatre millions de voitures à essence. Intéressante orientation alors que même des pétrolières et des constructeurs d’automobiles prévoient la disparition de leurs flottes et de leur production d’ici peut-être 15 ans, d’ici 2030…

 

 

 

 

 

 

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Et après l’abandon d’Énergie Est…?

Une bonne partie de ce texte vient d’un document plus court soumis à différents éditeurs au moment du lancement du livre Trop tard en novembre dernier. Le texte n’a pas été retenu et il me paraît opportun de le publier moi-même ici.

 

La décision de TransCanada d’abandonner la construction du pipeline Énergie Est (comme par ailleurs celle d’abandonner l’exploitation sur Anticosti…) ne devrait pas constituer une grande surprise. Si l’opposition citoyenne au projet l’avait évidemment rendu problématique, il était aussi clair qu’il était devenu pour la compagnie une source de grande préoccupation sur le plan financier, ce qu’une connaissance des enjeux économiques en cause aurait permis d’entrevoir. Voir par exemple cet article de l’automne dernier dans Alternatives Journal. Or, l’ensemble de la classe politique qui est intervenu (et qui intervient toujours) dans le dossier pétrolier affiche curieusement un manque de connaissances de ces enjeux.

Peak oil, declining EROI and the new economic realities:: New limits to growth?Charles Hall, Stephen Balogh and Jessica Lambert 2012

Avec la baisse constante du rendement des nouvelles sources d’énergie (leur ÉROI), plus de ressources de la société doivent être consacrées à la production d’énergie (la composante noire)  et moins reste pour les autres activités de la société, sociales et économiques (la composante rouge). Source: Charles A. S. Hall et al, 2012 – Une variante de cette figure est utilisée par Alain Vézina dans le texte dont il est question à la fin de cet article.

Pétrole conventionnel, pétrole non conventionnel

De leur coté, les entreprises pétrolières ne semblent pas prendre la pleine mesure des défis. Les grandes agences internationales de l’énergie reconnaissent certes que la production du pétrole «conventionnel» va subir un déclin précipité d’ici une quinzaine d’années (à moins de nouvelles découvertes finalement imaginaires), avec un épuisement progressif mais rapide de ce qui reste des énormes réserves conventionnelles qui ont propulsé l’économie mondiale depuis près de cent ans. Mais on peine à reconnaître le fait que le potentiel du pétrole et des autres énergies fossiles dites «non conventionnelles» – le pétrole et le gaz de schiste, les gisements exploités en eaux très profondes, les sables bitumineux – est insuffisant pour compenser le déclin du conventionnel.

Pire, ces énergies non conventionnelles ont un rendement sur l’investissement en énergie (ÉROI) très bas par rapport aux rendements stupéfiants du pétrole conventionnel, ce qui est malheureusement très peu reconnu. Par conséquent, elles seront non seulement incapables de remplacer les énergies conventionnelles, mais leur propre production sera incapable de soutenir notre système économique fondé sur un accès à des sources d’énergie bon marché à haut rendement. Depuis 2014, la baisse du prix du pétrole est le fruit d’une réaction des sociétés à des prix élevés et insoutenables dans la période précédente, combiné à un surplus de production du pétrole et du gaz de schiste de moins en moins rentable. Cette situation est loin d’être inédite. Depuis les années 1970, le prix élevé du pétrole a régulièrement coïncidé avec les périodes de récession dans les pays industrialisés, incluant la Grande Récession, qui à été précédée par des prix du pétrole records. La question se pose si le faible prix sur les marchés depuis plus de trois ans est le reflet d’une demande risquant d’être en baisse pour longtemps et un ralentissement des économies en conséquence.

De nombreuses indications nous portent à croire en fait que les économies des pays riches soient sur le point d’entrer dans la période décrite par les projections du rapport Halte à la croissance en 1972, soit le début de l’effondrement du système économique autour de 2025. Le modèle informatique utilisé à l’époque par les chercheurs du MIT était assez simple, mais décrivait de façon très juste le fonctionnement de base du système, totalement dépendant d’un approvisionnement en ressources naturelles, et en particulier en énergie, dépendance inconciliable avec les limites de cet approvisionnement qui se manifestent de plus en plus. Un ensemble de «matières premières» sont rendues de moins en moins facilement accessibles et de moins en moins bon marché.

À la recherche d’outils pour y répondre

Le public semble totalement dépourvu d’outils pour bien prendre la mesure de cette situation. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le transport basé sur des véhicules privés et l’étalement urbain se conjuguent avec le rôle du pétrole et de la construction automobile dans l’économie mondiale. À titre d’indication, la liste des 12 premières entreprises du Fortune 500 de 2012 incluait Walmart et 11 entreprises du secteur de l’énergie (fossile) et du secteur automobile. Si la prise de conscience démarre lentement, la montée d’un discours centré sur les véhicules électriques ne tient pas compte du fait que la production électrique dans le monde industrialisé provient toujours d’énergie fossile (à raison d’environ 80%) et que les ressources nécessaires pour constituer une flotte de véhicules électriques à même de remplacer les véhicules à essence nécessitera un approvisionnement énorme en matières premières.

Pire, cette approche ne reconnaît d’aucune façon les énormes inégalités dans le monde actuel, entre autres en matière de transports privés. Des milliards d’humains dépendent actuellement de transports actifs ou, pour une minorité, de mobylettes et de petites motocyclettes. L’Europe connaît aujourd’hui le défi des migrations provenant non seulement de zones de guerre, mais d’une partie importante de l’Afrique subsaharienne dont la population risque de doubler dans les prochaines décennies. Le président Trump a centré une partie importante de sa campagne sur la crainte que suscite la venue possible d’un flot de migrants du sud de la frontière des États-Unis. Alors que nous cherchons à maintenir notre mode de vie, fondé sur notre modèle économique, des milliards d’être humains n’arrivent pas, n’arrivent plus à envisager un avenir semblable au nôtre, et n’acceptent plus cette situation. Le potentiel pour un effondrement social qui accompagnera l’effondrement économique est énorme.

En décembre 2015, l’ensemble des pays signataires de l’accord de Paris ont montré leur incapacité de concilier ce modèle économique avec les énormes réductions de gaz à effet de serre nécessaires pour limiter le réchauffement climatique. Et particulièrement leur incapacité à diminuer leur consommation d’énergies fossiles. Prétendre que Paris a été un succès est un déni devant la nécessité de réduire notre consommation d’énergies fossiles, et ce, rapidement. Il est temps pour la société civile de reconnaître ce déni et de procéder à un changement de discours (et de pensée) susceptible d’amener la société à confronter l’imminence d’un effondrement.

Une nouvelle société à mettre en oeuvre

Une nouvelle société doit s’imposer rapidement, et avec elle un nouveau modèle économique qui devra d’abord abandonner la fixation sur la croissance et sur le PIB comme indicateur de progrès à cet égard. Notre modèle économique montre actuellement des signes d’épuisement. On peut déjà le constater dans les régions où le secteur forestier prédomine, lequel se serait effondré selon les indicateurs des marchés n’eut été le soutien de l’État. On le voit dans les territoires où domine une agriculture industrielle totalement dépendante des énergies fossiles, ce qui provoque une dégradation des milieux de vie. Et on l’observe finalement dans les régions minières où l’industrie, soutenue par nos gouvernements, exploite nos ressources non renouvelables sans que ne soit comptabilisé cet appauvrissement de notre capital naturel.

Ces diverses activités sont maintenues et subventionnées par nos gouvernements, notre société, parce qu’elles maintiennent de nombreux emplois et participent du maintien de la croissance économique, qui à son tour donne l’impression de générer les revenus nécessaires. Mais c’est finalement l’important endettement de notre société qui soutient cette illusion, à travers l’endettement gouvernemental et celui des ménages, comme de l’endettement écologique. Et c’est justement cet endettement, dont le remboursement éventuel relève de l’illusion, qui est mis en cause par l’effondrement projeté.

Nos vies citadines, pour la grande majorité d’entre nous, dépendent entre autres d’un approvisionnement continu en énergie – pour nos transports, pour nos activités commerciales et manufacturières, pour nos logements, pour tout. Nous sommes à la veille de perdre une bonne partie de cet approvisionnement avec la raréfaction des énergies fossiles conventionnelles et l’effondrement de l’économie qui en dépend. Face à cela, il est temps, pour la société civile, de s’y mettre : il faut initier un effort de planification d’une société qui vivra, tout d’abord, avec la moitié moins d’énergie. Dans cet effort, l’hydroélectricité, une énergie sûre et permanente («durable» dans un langage dépassé) fera l’envie de nombreuses sociétés totalement dépendantes de l’énergie fossile. Il n’est plus le temps de chercher à planifier le maintien de notre mode de vie, qui dépasse de loin la capacité de support de la planète, qu’il y ait effondrement ou non. Il est temps d’accepter la vision du monde réel qui se présente, dans laquelle nos dépassements sont en train de nous rattraper. Nous n’avons pas 50 ans pour le faire; nous avons à peine 10 ou 15 ans.

D’autres réflexions sur le sujet en cours

Le sociologue Alain Vézina travaille depuis un certain temps sur un texte suivant les grandes lignes de cet article et qui permet de voir plusieurs arguments de mon livre en version abrégée; son texte est en révision plutôt permanente… En attendant que la rubrique pour le suivi de mon livre sur ce site soit prête – il n’y a pas de grande demande! – , j’ai convenu avec Alain de mettre en ligne son texte dans sa version actuelle, que voici. On ne trouve pas au Québec beaucoup de textes en ce sens…

Jeudi dernier, j’ai fait une présentation dans un cours de sciences politiques de l’Université de Montréal portant sur les politiques environnementales; la présentation constituait ma vision de l’histoire du mouvement environnemental à travers mon expérience personnelle, pour cerner les enjeux actuels. Pour cette deuxième partie, il s’agissait d’une autre variante de la pensée du livre. Pour le moment, je ne réussis pas à mettre le document en ligne, mais cela viendra.

Christoph Stamm, le chargé de cours qui m’a invité [à faire la présentation aux étudiants], a produit un article dans le cadre de ses recherches qui s’intitule «Si la transition écologique avait lieu … Une prospective sociologique pour élargie la discussion sur la responsabilité des entreprises» (Revue de l’organisation responsable, vol. 10,(2), 75-87). Il est intéressant dans la perspective de mon livre, et mérite lecture; vous pouvez en obtenir une copie en le contactant à christoph.stamm@umontreal.ca

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Nos présuppositions de base doivent être questionnées

Dans mon dernier petit article, je soulignais l’absence d’analyse critique de la part des journalistes et même des spécialistes d’un élément fondemental dans la récente annonce par l’administration Trump de l’ouverture de grandes régions des côtes américaines à l’exploration pétrolière. Une analyse des coûts de l’exploration et des capacités des pétrolières d’investir les fonds nécessaires mérite d’être faite, devant des informations des dernières années indiquant que ces coûts sont excessifs en termes de la capacité des sociétés à consommer ce pétrole à un prix qui génère un profit aux investisseurs.

Absence d’analyse du modèle économique

De façon plus générale, il y a une absence généralisée de réorientation des critiques de projets de développement économique face à un constat tout aussi général à mon avis de l’échec de l’influence voulue de ces critiques sur les décideurs. Il est très rare que ces critiques soulignent un fondement de la prise de décision en démocracie, soit que les candidats à des postes décisionnels répondent aux attentes des citoyennes dans leurs propositions et leurs programmes; il y a aussi une absence de reconnaissance que ces attentes sont définies dans la grande majorité des cas par la conviction que leurs vies de «consommateurs» ne permettent pas les réorientations requises par les critiques, soit des réductions dramatiques dans leur «niveau de vie» qui est fonction du dépassement de l’empreinte écologique et d’une surconsommation de produits matériels au cœur des crises contemporaines.

Le sommet des plus hauts édifices de la ville chinoise de Wenling émerge du smog. Selon l’OCDE, la pollution atmosphérique «devrait devenir la principale cause environnementale de décès prématurés», surtout en Asie, où plusieurs villes dépassent les normes de l’Organisation mondiale de la santé.

Source: Agence France-Presse via Le DevoirLe sommet des plus hauts édifices de la ville chinoise de Wenling émerge du smog. – C’est rare que les véritables enjeux ressortent du smog des revendications environnementales et sociales.

Le 12 décembre, Stéphane Brousseau a introduit dans son réseau de contacts et d’échanges le rappel d’un document de l’OCDE de 2011 couvert par un reportage du Devoir. Il l’a fait sans commentaire autre que son jugement que c’était «toujours d’actualité»… J’ai esquissé une courte réponse :

J’ai lu l’article, de plus en plus rapidement au fur et à mesure que je reconnaissais les propos, mais sans avoir noté que tu nous fournissais un article de 2011. En effet, dans le temps, j’ai eu l’occasion de commenter cet article, en commençant avec le constat que l’OCDE prévoit des problèmes environnementaux qu’il faut éviter alors qu’elle présumait comme inéluctable une croissance économique qui aboutit en 2050 à une activité économique quatre fois celle d’aujourd’hui!

Je suggère que l’article est toujours d’actualité, non pas parce que nous nous montrons toujours incapables de «compenser les impacts liés à la croissance économique» (citation du rapport) – c’est certainement vrai quand même – , mais parce qu’il nous montre un leadership mondial toujours incapable de se défaire de l’illusion que cette croissance (et celle démographique aussi) vont continuer nécessairement, en dépit de l’extravagance du portrait, et du concept…

Personne à ma connaissance n’a répondu ni au message de Brousseau ni à ma réflexion là-dessus. Curieusement, par contre, un autre message de Brousseau (du 20 décembre) a généré une série de réactions. Il s’agissait d’un autre travail de l’OCDE – la même organisation que celle de 2011 qui fait ses évaluations en fonction d’une visée pour la croissance qui va la voir quadrupler d’ici 2050 – en prenant ses constats comme du cash. Il s’agissait d’une critique à l’effet que «le Canada [a été] pointé du doigt par l’OCDE pour son irresponsabilité climatique…» C’est une critique qui peut être adressée à l’ensemble des pays ayant signé l’Accord de Paris, pour qui l’objectif (raté) est de mettre en place des mesures pouvant mitiger les changements climatiques (lire: réduire les émissions de GES) alors que le développement économique se poursuit en générant ces mêmes émissions.

Le réseau semble plus motivé par des interventions à caractère environnemental dans l’actualité, et il est frappant de constater jusqu’à quel point celles-ci sont celles prônées par l’OCDE: ne pas freiner le développement mais le rendre plus vert. Il est plus que surprenant, après tant d’expériences, après tant d’années, de voir la société civile acheter l’approche des instances économiques, acceptant en même temps implicitement cette vision d’un monde en 2050 de sociétés dont l’activité économique sera quatre fois plus importante qu’aujourd’hui. Sauf que l’OCDE constate la catastrophe en 2050 suivant ces mêmes tendances. Est-ce que la société civile québécoise, dans ses interventions, pense vraiment  que nous allons pouvoir nous rendre à quatre fois plus de cette activité économique qui est, dans son fondement même, destructrice?

Les réponses à la deuxième intervention de Brousseau peuvent peut-être être résumées par une à l’effet que «les solutions technologiques ne peuvent être efficaces sans une nécessaire révolution sociale écologique! C’est sur cette question que les écolos doivent centrer leurs réflexions et engager un débat social radical». Une telle vision semblerait sortir du moule de l’OCDE, mais en fait, les implications d’une telle posture me paraissent peu reconnues, noyées dans une vision qui s’appellent l’économie verte. Mon livre cherche à mettre en évidence les faiblesses de cette vision. La réplique de Brousseau a du sens, et rejette explicitement le paradigme de l’OCDE: «les faits actuels tendent à démontrer, avec la tendance des stratégies comportementales qui se maintiennent, que le réel débat est de stopper l’économie mondiale et de revoir complément le fonctionnement en société de l’espèce humaine!».

Le problème inhérent dans les critiques

J’ai relu mon analyse du rapport de l’OCDE de 2011. Avec tout ce qui tournait autour de Rio+20 en 2012, non seulement sommes-nous venus à considérer la croissance et le progrès comme allant de soi, mais «si nous ne voulons pas voir s’interrompre la progression du niveau de vie que nous connaissons depuis cinquante ans», il faut maintenir la croissance, en la rendant (ou plutôt en l’appellant) «verte». Le rapport souligne ceci tout en constatant que ses projections pour 2050 sont catastrophiques, presque à l’instar des projections de Halte à la croissance [1] dans son scénario «business as usual».

Les constats ne sont pas sans contradictions :

Des stratégies sont nécessaires pour parvenir à une croissance plus verte. Si nous ne voulons pas voir s’interrompre la progression du niveau de vie que nous connaissons depuis cinquante ans, il nous faut trouver de nouveaux moyens de produire et de consommer. Et même redéfinir ce que nous entendons par le «progrès», et comment nous le mesurons.

Tout en insistant sur une redéfinition du notre conception du «progrès», le rapport est fondé sur la volonté de maintenir «le progrès que nous connaissons depuis cinquante ans». C’est la quadruture du cercle pour les auteurs: maintenir le progrès tout en redéfinissant le progrès. Et il est à noter que cet aspect fondamental du rapport est laissé à sa toute fin, présumément comme un défi à long terme et différent des autres.

Quatre politiques majeures sont nécessaires pour renverser ces tendances, selon l’OCDE. On y voit une série de propositions qui circulent depuis des lunes, et qui sont censées permettre à l’économie à se maintenir.

D’abord, rendre la pollution plus coûteuse que les solutions plus vertes, au moyen d’écotaxes ou d’échanges de permis d’émissions. Les gouvernements doivent aussi mettre un prix sur les biens et services produits à même le patrimoine naturel ou sur les «services écosystémiques», comme tarifer les grands usages de l’eau ou les ressources rares.

Les gouvernements doivent aussi supprimer les subventions préjudiciables à l’environnement, qu’il s’agisse d’irrigation ou de combustibles fossiles, et concevoir des réglementations et des normes efficaces pour enrayer le déclin de la biodiversité, comme les milieux humides, tout comme ils doivent assujettir leurs politiques économiques aux priorités de conservation des écosystèmes et des ressources vivantes. Ils doivent aussi encourager l’innovation verte dans la foulée du débat qui doit se faire à Rio, par exemple, en juin prochain, où on tentera de lancer une politique économique mondiale et verte.

Voilà la définition presque de l’économie verte, la poursuite des interventions du mouvement environnemental depuis des décennies en changeant de nom ce qui est en cause. L’OCDE ne reconnaît pas que le geste d’insérer dans l’activité économique des mesures qui tiennent compte de la pollution et des services écosystémiques, voire qui cherchent à maintenir la biodiversité de la planète, annulent cette activité avec des coûts qui dépassent les rendements (voir par exemple mon livre sur l’IPV). On peut citer un seul passage de mon texte de 2012 où on voit les capacités des économistes, toujours dernière de telles interventions, de manquer la cible en décrivant le virage nécessaire:

«Une action précoce est rationnelle, du point de vue environnemental et économique», insiste le rapport. Par exemple, un prix du carbone qui refléterait les dommages infligés au climat «pourrait réduire les émissions de GES de près de 70 % en 2050» par rapport au scénario du laisser-faire. La croissance économique serait ainsi réduite de 0,2 % par an en moyenne, soit environ 5,5 % du PIB mondial en 2050.

Vraiment?

Source http/www.af-info.or.jp/blog/b-info_en/img/BPL-Paris-Night-1000.jpg

Extrait de la déclaration de novembre 2017 des lauréats du prix Blue Planet   Source Asahi Glass Foundation

La mise à jour pour 2018: Un «virage» autre que celui de l’OCDE?

Cette relecture m’a amené à revoir la récente intervention des 15 000 scientifiques publié le 13 novembre dans la revue BioScience dans l’activité autour du One Planet Summit à Paris. J’étais curieux de voir s’ils intervenaient de la même façon que l’OCDE et la société civile en général. Couvert par un reportage du Devoir, le texte constate parmi une multitude de passages: «il faut réviser notre économie pour réduire les inégalités et veiller à ce que les prix, la fiscalité et les systèmes incitatifs tiennent compte des coûts réels que les modes de consommation imposent à notre environnement». C’est la répétition des revendications du mouvement environnemental depuis des décennies, y compris pour une économie verte. La manifeste termine avec la liste explicite (sans ordre ni priorisation) de que ce que ces scientifiques ont pensé nécessaire pour éviter la catastrophe. Vers la fin, on note deux recommandations qui comportent «(l) revising our economy to reduce wealth inequality and ensure that prices, taxation, and incentive systems take into account the real costs which consumption patterns impose on our environment; and (m) estimating a scientifically defensible, sustainable human population size for the long term while rallying nations and leaders to support that vital goal.»

Ces 15 000 scientifiques sont strictement dans le moule des innombrables autres au sein des interventions de la société civile (celles-ci fondées au fil des décennies justement sur les connaissances scientifiques) et ne font, finalement, que mettre en évidence ce qui a été mis en évidence sans cesse depuis longtemps. La seule mention de l’économie dans la liste ne représente qu’un vœu pieu, à la différence du nombre de signataires, et cela ne change strictement rien ni à l’analyse ni aux résultats.

Depuis la publication de mon livre en novembre, le pdg de la Fondation Suzuki du Canada a réussi à faire passer un texte dans Le Devoir qui (i) permet à des lecteurs au Québec de le connaître un peu (il est nouveau, je crois, et spécialiste en gestion de crises) et (ii) énonce ce qui semble être de nouvelles orientations pour l’organisme pan-canadien qui vont dans le sens de mon livre.

Faisant suite à la dernière analyse de l’année par Gérard Bérubé du 28 décembre dans le même journal, mettant l’accent sur l’échec de la COP21 et de l’Accord de Paris, Stephen Cornish annonce une année 2018 «de décisions». Le texte est rafraichissant, tellement cette intervention de la Fondation Suzuki à son siège social semble aller beaucoup plus loin que d’habitude.

Le texte de la Fondation met en question plusieurs mauvaises orientations qui marquent la faiblesse du positionnement des groupes. Dans une note que je lui ai adressée, je cite plusieurs de ces orientations:

  • «Il n’est plus acceptable d’affirmer que la transition prendra du temps. Nous n’en avons plus.»
  • «Il faut également cesser de prétendre que les transformations à venir se feront dans le confort et que la technologie à elle seule nous fournira une panacée. Nous ferons bientôt face à des chocs climatiques et à des contraintes écologiques qui non seulement limiteront notre développement économique futur, mais auront un impact sévère sur notre qualité de vie.»
  • «Dans ce contexte, notre modèle économique, érigé sur le gaspillage et la surconsommation, tire à sa fin, que nous le voulions ou non.»
  • «Devant cet état de fait, nous devons sortir de nos ornières et remettre en cause certains fondements de notre modèle de développement économique qui nous condamnent à l’inertie et à l’effondrement.»

Ces (nouvelles) orientations mettent en cause l’ensemble des interventions traditionnelles de la société civile: l’idée d’une transition y est omniprésente, permettant une acceptation de la lenteur des changements; une confiance dans le rôle des énergies renouvelables à remplacer l’énergie fossile qui fonde notre niveau de vie y est fondamentale, permettant de ne pas s’inquiéter; la remise en question de notre modèle économique y est absente (remplacée par l’idée de l’économie verte) – à moins que la restriction à «certains» de ses fondements représente l’abandon de ces nouvelles orientations qui iront clairement à l’encontre de ce que le public est prêt à entendre…

Le texte termine avec ce qui est quand même presque inquiétant, tellement il abonde dans une sorte d’optimisme capable de faire dévier tout le reste :

Vous mettez un accent à la fin, je lui dis, sur «l’extraordinaire solidarité humaine» et notre «capacité de nous réunir et de nous entraider». Je conviens qu’il faut garder une attitude positive, mais sans se permettre de baigner dans l’illusion. J’ai justement eu l’occasion cette semaine d’échanger avec un autre pdg d’un autre organisme de la société civile (celui-ci ayant reçu le prix international Planète Bleue). J’étais consterné par une intervention signée par plusieurs de ces récipiendaires du Prix qui baignaient justement dans le déni. Je me permets de terminer en citant mon message à cet autre pdg.

Et voilà, l’occasion pour souligner ce défi, en citant cette autre note.[2]

La COP21 passait proche d’être une tromperie, les Nations Unies ayant échoué, après d’intenses efforts sur plusieurs années, à obtenir des engagements des différents gouvernements de réductions des émissions de GES permettant de cibler avec confiance une hausse maximale de la température de 2°C. Les «contributions» volontaires derrière l’Accord de Paris, qui parle d’un objectif mais non de véritables engagements, nous met devant une hausse probable de 3°C. Je ne suis pas de l’avis des lauréats du Blue Planet à l’effet de le maintien de la hausse à 2°C est possible. Le texte de la déclaration [résumé dans la figure ci-haut], s’insère dans les nombreux cris d’alarme qui ne veulent pas affronter le défi et mettre en question le système économique qui est derrière les crises, et les échecs. Vous avez tout simplement ajouté vos voix à celles récentes des 15 000 scientifiques et aux centaines d’interventions similaires au fil des ans, maintenant la même approche alors que la situation s’aggrave et aucun changement n’est opéré.

Votre texte propose qu’il est possible technologiquement de remplacer notre énergie fossile avec des énergies renouvelables – ce qui n’est pas possible et qui – probablement pire – représente and soutient la volonté de maintenir notre niveau de surconsommation grossière identifié par l’empreinte écologique depuis deux décennies – et est désirable économiquement – quelque chose que la COP21 de Paris a montré une impossibilité sans la prise de mesures qui sont incompatibles avec le maintien de ce même système de surproduction et surconsommation (alors que des milliards de pauvres dans de nombreux pays ne participent pas à cette surconsommation).

Votre texte propose même le mythe que les possibilités humaines sont infinies et ainsi glisse tout simplement dans le déni.

Mon livre est un effort de (i) fournir les fondements  pour la reconnaissance que nous avons échoué et (ii) fournir quelques idées quand à des pistes vers une nouvelle société radicalement différente, société que les pays riches vont être obligés d’accepter, qu’ils le fassent volontairement ou qu’ils soient forcés de le faire.

Ils nous faut urgemment de nouvelles interventions qui admettent l’échec et endossent la rejet du maintien de notre système économique… Cela n’est pas très populaire… Mes cibles depuis des années maintenant sont celles dans l’arène économique, presque désespérément prise par l’idéologie de la croissance. My prochain article sur le blogue va partir d’une intervention de l’OCDE en 2011 qu’un ami a circulé récemment. Celle-ci lance le cri d’alarme pour une énième fois, constate que nous devons faire plus pour mitiger les impacts de la croissance économique et accepte les projections des économistes à l’effet que nous allons quadrupler notre activité économique d’ici 2050 tout en réduisant nos émissions à zéro…

[1] Voir aussi http://gaiapresse.ca/analyses/le-paradigme-economique-et-ses-defis-une-reductio-ad- absurdum-pour-rio20-280.html, « Le paradigme économique et ses défis : Une reductio ad absurdum pour Rio+20 » et «en finir avec l’illusion de la croissance» http://www.harveymead.org/ecrits-2/etat-du-quebec-2011/

[2] The COP21 came close to being a hoax, with the United Nations having failed, after rather intense efforts over several years, to obtain the agreements from the world’s governments that would be necessary to keep the rise in temperature under 2°C. The agreements obtained, behind the Paris Agreement which talks about an objective but not a commitment, have us heading towards 3°C. Contrary to the claim made by the Blue Planet laureates, I argue that the 2°C is not achievable. Your text in the box below, from the original mailing, fits into the large number of cries of alarm that are afraid to take on the challenge of challenging the economic system which is behind the problems, and the failures. You’re simply adding your voices to those of the 15 000 scientists recently and the hundreds of other similar interventions over the years, continuing with the same approach as things get worse and no change is achieved.

Your text even proposes that it’s technologically feasible to replace our fossil fuels with renewables – something that is not possible and which – probably worse – represents and endorses the desire to maintain our present state of gross overconsumption which the footprint has been identifying for two decades now – and economically desirable – something that the Paris COP21 showed us is an impossibility without taking measures which are incompatible with the maintenance of that system of overproduction and overconsumption (even as billions of people remain poor in numerous countries not able to participate in that gross overconsumption).

Your text even endorses the myth that human possibilities are infinite and thereby simply slips into denial.

My book is an attempt to (i) provide the foundations for the recognition that we’ve blown it and (ii) provide some ideas as to the radically new society which rich countries are going have to convert to, whether they do it on purpose or have it forced on them.

We’re in radical need of new interventions that admit failure and endorse a rejection of the maintenance of our economic system… That’s not popular… My targets have been for years now those in the economic arena, almost hopelessly caught up in the growth ideology. My next post for the blog is going to pick up on an intervention of the OECD in 2011 that a friend has recently circulated and which launches the alarm for the umpteenth time, notes that we have to do more in dealing with the impacts of our economic growth, but assumes the projections of the economists that we’ll quadruple our economic activity by 2050 while reducing our emissions to zero…

 

 

 

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Ouverture de trois océans à l’exploration pétrolière, vraiment?

Je ne puis résister cette brève intervention.
Voilà un reportage dans Le Devoir sur l’annonce de Trump d’ouvrir les zones pour l’exploration (et l’exploitation) pétrolière qui, avec le sous-titre et le texte, met l’accent traditionnel sur l’aval de ces opérations. Aucune indication que la plateforme de Shell dans la photo est probablement celle qui a été enlevée alors que Shell se retirait de la zone parce que l’opération ne s’avérait pas rentable.
À cela on peut ajouter le retrait des « majors » de la zone des sables bitumineux, pour la même raison. Pour des raisons différentes, la volonté de Trump de rouvrir les mines de charbon aux États-Unis risquent de se buter au même phénomène: cette exploitation n’est plus rentable face au gaz de schiste bon marché qui va durer encore quelque temps, mais seulement quelque temps.
Il est temps que nos interventions – celles des journalistes, des militants, des scientifiques – ciblent mieux l’enjeu économique associé au fait que nous sommes devant une énergie fossile non conventionnelle et très coûteuse à exploiter pour notre ressource à l’avenir. Cet avenir va être très différent de ce que nous souhaitons voir.

Trump veut ouvrir trois océans à l’exploration pétrolière

Le plan américain est aussitôt dénoncé par des scientifiques, des environnementalistes et même au moins un gouverneur républicain.

5 janvier 2018, Alexandre Shields

Photo datant de 2013 qui montre une plateforme pétrolière de Shell dans la baie Kiliuda, en Alaska.
Photo: James Brooks Associated Press Photo datant de 2013 qui montre une plateforme pétrolière de Shell dans la baie Kiliuda, en Alaska.

Le gouvernement Trump a dévoilé jeudi un vaste plan visant à permettre les forages pétroliers et gaziers dans la quasi-totalité des eaux côtières américaines. Les océans Atlantique, Pacifique et Arctique sont visés par le projet, conçu pour favoriser l’exploitation en mer pendant plusieurs années, malgré les risques environnementaux.

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L’effondrement social, menace de complément à l’effondrement économique

NOTE: Je viens de mettre à la page d’accueil une nouvelle section

où vous pourrez sous peu faire part de vos commentaires

sur le livre Trop Tard.  Voir à droite.

Les illusions, selon…

Lors de la rédaction de Trop Tard, j’étais amené par deux ou trois raisonnements différents à l’élimination de l’auto privée comme seule «solution» aux problèmes qu’elle nous occasionne, cela presque sans tenir compte de la nécessité de cela pour réduire nos émissions de GES, mais en tenant compte des exigences de l’effondrement que je crois à nos portes.

Les débats pendant les élections municipales à Québec cet automne étaient fascinants dans leur accent sur un troisième lien, mettant en évidence l’engouement pour l’auto qui domine la radio poubelle de la Capitale. Il importait peu qu’une telle infrastructure ne réglera pas les problèmes de congestion et d’aménagement, dont l’origine est cette volonté d’investir temps, argent et cœur dans le luxe que représente l’automobile privée. Le monorail de l’IRÉC ne faisait pas partie des débats à Montréal, où la ligne rose et des autobus prenaient la place, mais Robert Laplante, directeur de l’IRÉC, a néanmoins réussi à passer à travers les filtres du Devoir pour faire paraître un article sur le sujet le 6 décembre dernier sur le sujet. Comme le troisième lien, le monorail qui serait placé entre les voies des autoroutes de la province représente une non solution à un probléme mal défini.

http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/516077/happy-noel-mon-vieux

Source Josée Blanchette, Le Devoir, le 22 décembre 2017

Même s’il n’est presque pas nécessaire de faire la promotion de la proposition à l’effet qu’il faut abandonner l’automobile privée, tellement elle ira de soi dans un avenir rapproché, je pense qu’il est essentiel que la société civile réoriente ses interventions dans le but de préparer le public pour le déclin et, ce faisant, qu’elle fasse des propositions pour un véritable transport public ni hi-tech ni exemplar de développement industriel qui seraient à encourager pour simplement aider à la «transition» qu’il faut envisager, qui s’imposera.

Plus j’y pense, plus je trouve que cette vision d’un avenir rapproché n’est pas autant l’illusion qu’elle me semblait il n’y a pas si longtemps. L’extravagance du raisonnement de l’IRÉC et le manque total de ciblage des promoteurs d’un troisième lien me paraissent bien plus coupés de la réalité, celle définie par les grandes tendances de fond dans le monde actuel.

Les inégalités, à mettre dans le portrait

Trop tard met l’accent sur l’effondrement prochain du système économique qui définit notre développement depuis des décennies, et ne fait référence qu’en passant à l’importance des inégalités croissantes qui définissent nos sociétés mêmes, cela aussi depuis des décennies. Je n’ai pas essayé d’aborder les énormes enjeux auxquels sera confrontés l’ensemble des sociétés de la planète à cet égard, mais dans une note du manuscrit préliminaire, j’ai souligné l’importance de ces enjeux, de ces défis :

Tropic of Chaos: Climate Change and the New Geography of Violence de Christian Parenti (Nation Books, 2011) présente une vision d’ensemble de ce qu’il appelle la «convergence catastrophique», où un nombre important de pays présentent les conditions de pauvreté et de violence pour rendre la venue des changements climatiques une situation source de grandes déstabilisations sociales. The Security Demographic: Population and Civil Conflict After the Cold War, de Richard P. Cincotta. Robert Engelman and Danièle Anastasion (Population Action International, 2003) fournit des perspectives complémentaires, les 14 ans depuis sa publication n’ayant rien changé quant aux analyses.

Dans une autre note préliminaire pour le chapitre 3, j’ai poursuivi la référence à ce qui pourrait s’avérer très important pour le portrait de l’avenir (ce l’est déjà…):

La question des inégalités, à l’échelle internationale autant qu’à l’échelle du Québec, représente une sorte de toile de fond pour toute notre narration, et un facteur déstabilisant majeur dans le monde contemporain cherchant de nouvelles formes de société.

Dans The Spirit Level: Why More Equal Societies Almost Always Do Better (Allen Lane, 2009), Richard Wilkinson et Kate Pickett présentent une synthèse d’un grand nombre d’études en psychologie, en sociologie et en économie pour montrer que plusieurs perturbations dans nos sociétés sont fonction d’inégalités, plutôt que le contraire.

Inégalités WID 2018

Source: Rapport sur les inégalités mondiales 2018, Alvaredo, Chancel, Piketty, Saez, Zucman (pour plus de clarté pour ces figures, consulter le document d’origine dont le lien est fourni dans le texte – http://wir2018.wid.world/files/download/wir2018-summary-french.pdf)

Parmi les perturbations, celles associées à: la vie en communauté; la santé mentale; la santé et l’espérance de vie; l’obésité; la performance en études; les naissances chez les adolescentes; la violence; le recours à l’emprisonnement; la mobilité sociale. On y constate que les États-Unis se distinguent tout au long de la présentation comme manifestant les pires résultats dans tous les domaines, cela à partir des plus grandes inégalités de tous les pays de l’OCDE. On peut penser que Trump a eu l’intuition de cette situation dans ses démarches pour la présidence, aussi fourvoyées soient-elles ses démarches prévisibles comme président.

Éric Desrosiers a consacré son analyse du 15 décembre dans Le Devoir à un tout récent rapport portant sur les inégalités dans le monde, fondé sur le World Wealth and Income Database (WID). Il limite son reportage sur les chiffres du Rapport sur les inégalités mondiales 2018, présumant, doit-on soupçonner, de leurs conséquences à la Pickett et Wilkinson.

WID 2018 E#

Il y a peut-être un peu d’espoir du côté de l’Europe, si elle peut être épargnée des migrations massives qui rendront celle du passé récent faibles par comparaison. Source: Rapport sur les inégalités mondiales 2018

La romance avec l’auto, la pointe de l’iceberg

La moindre réflexion sur ces questions aboutit assez rapidement à un constat de fond: l’auto privée ne rentrera jamais dans la vie des milliards de pauvres de la planète – même les économistes les plus fermés ne pourraient que constater cela, tellement le changement comporterait une augmentation de la consommation de matières premières et d’énergie à des niveaux stratosphériques. L’inégalité ainsi reconnue aboutit rapidement au constat d’une nouvelle situation: la cible de notre réflexion est plutôt mal orientée lorsque nous soulevons des questions concernant notre romance avec l’auto. C’est notre romance avec la richesse matérielle  dans les pays riches qui doit constituer notre principale cible.

Il faut situer les débats sur l’auto dans leur contexte global, ce que l’on ne fait presque jamais. J’y reviens assez souvent: l’empreinte écologique actuelle de l’humanité, avec des milliards de pauvres dans le monde, dépasse la capacité de support de la planète. L’application du budget carbone du GIÉC, auquel je reviens assez souvent aussi, est calculée en fonction d’une distribution égalitaire du droit d’émettre des GES, allant carrément à l’encontre de la situation actuelle en termes de distribution du fardeau.

Personne ne pense vraiment que les pays riches vont réduire leur empreinte écologique ou leur empreinte carbone, même s’il y a beaucoup de discours en ce sens. Effectuer de telles réductions comporterait finalement l’abandon de notre modèle de vie (voir l’insistance sur cela par George H.W. Bush à Rio en 1992…), cela fondé sur notre modèle économique. Et au cœur d’un tel abandon se trouverait l’abandon de l’automobile privée, symbole et manifestation dans la réalité de notre surconsommation et de notre contribution au réchauffement planétaire. Là aussi, j’en parle assez souvent, citant entre autres la place des compagnies d’énergie et d’automobile dans la liste d’entreprises de la Fortune 500.

L’effondrement social

Les deux citations plus haut, de Parenti et de Wilkinson et Pickett, décrivent une situation hautement problématique. Cela inquiète grandement les organisateurs du World Economic Forum de Davos, qui publie une étude des risques chaque année. Celle de 2017 est éloquente, montrant que les inégalités de revenu et la polarisation croissante des sociétés y figurent au même niveau que le changement climatique comme tendances lourdes, et l’impact préoccupant le plus important signalé est l’instabilité sociale profonde dans le monde.

Global Risks 2017 Fig 1 https://www.weforum.org/reports/the-global-risks-report-2017

Source: Global Risks Report 2017, World Economic  Forum

Ma propre recherche m’amène à conclure – c’est le cœur de mon récent livre – que le système économique responsable, finalement, des changements climatiques et d’un ensemble d’autres crises environnementales et sociales, va s’effondrer de lui-même à plutôt brève échéance, fonction de son incapacité de se transformer.

Ce que les citations ci-haut et le portrait fourni par le Forum économique mondial de Davos ajoutent au portrait est l’identification d’une autre source d’effondrement, celui d’un ensemble de pays dont les institutions qui les soutiennent se déstabilisent progressivement, mais assez rapidement. Il s’agira surtout des pays pauvres, mais des pays riches comme les États-Unis risquent de se trouver du nombre alors qu’il risque d’être question de migrations massives de personnes quittant les pays en voie de perdre leurs fondements sociétaux – et ces personnes ne se rendront pas chez nous en auto…

Aurélie Lanctôt le 29 décembre et Josée Blanchette le 23 décembre ne s’aventurent pas explicitement sur les implications des inégalités pour les sociétés, mais on sent la présence d’un nouveau portrait frôlant l’effondrement dans leurs textes. Blanchette écrivait alors qu’elle accompagnait son mari économiste qui participait à une conférence à Paris à laquelle était associé Thomas Piketty, un des principaux auteurs du rapport sur lequel Desrosiers faisait porter sa chronique et du World Wealth and Income Database dont il est tiré (je ne vois aucun économiste québécois associé à l’équipe derrière cette initiative).

Gérard Bérubé, journaliste couvrant les dossiers économiques, constate le refus et le déni face à la situation depuis au moins deux ans dans une série de chroniques dans Le Devoir. La plus récente fait l’enterrement de l’Accord de Paris, cela en tenant compte des enjeux économiques. Son intervention allait de pair avec celle du Groupe de réflexion sur le développement internationale et la coopération du même jour.

L’arrivée et la disparition de la croissance américaine

Robert Gordon, économiste et professeur à l’University Northwestern aux États-Unis, a récemment consacré quant à lui un livre costaud sur cette question, en utilisant les mêmes types de données que celles utilisées par le rapport couvert par Desrosiers mais se restreignant à celles pour les États-Unis, pays où les inégalités sont parmi les plus importantes au monde en dépit de son statut comme le pays ayant la plus grande activité économique de tous les pays (voir la figure plus haut).

À cet égard, il importe de souligner que les inégalités ne sont pas la même chose que les niveaux de revenu; elles peuvent exister entre des gens plus ou moins bien dans le grand portrait des choses, comme aux États-Unis, et entre des gens très pauvres et des riches, comme c’est le cas en Inde et de nombreux autres pays pauvres. Desrosiers termine son analyse avec un aperçu de cette situation:

Les inégalités de richesse n’augmenteraient toutefois pas partout aux États-Unis, disaient les chercheurs. Elles se seraient notamment réduites au sein des ménages les plus pauvres. En 2007, les Blancs les plus pauvres disposaient de cinq fois plus d’actifs nets (42 700 $) que les ménages hispaniques (8400 $) et de dix fois plus de richesse que les Noirs (4300 $). Aujourd’hui, ces écarts ont fondu de moitié. Malheureusement pas parce que les ménages appartenant aux minorités visibles ont tellement amélioré leur sort, mais parce que durant la crise les Blancs ont vu leurs avoirs fondre de moitié et que rien n’a véritablement changé depuis.

Le livre de Gordon, The Rise and Fall of American Growth: The U.S. Standard of Living Since the Civil War (2016) aborde les enjeux d’une perspective qui souligne des tendances lourdes dans l’accroissement des inégalités au fil des décennies, finalement sur plus d’un siècle. Gordon n’aborde pas la question de la croissance dans le cadre que je mets en question depuis longtemps, celui où le bien-être des populations dépend de la croissance de l’activité économique ne tenant pas compte de nombre de ses impacts. Il corrige le PIB pour ces défaillances nombreuses comme outil pour bien cerner le bien-être, y compris la question des externalités corrigées par l’IPV, en suivant sa réflexion sur le bien-être, sans approche théorique à la question.

Son analyse montre que les inégalités révèlent une situation où le bien-être – le «niveau de vie» – connu pendant les Trentes Glorieuses est en déclin inéluctable aux États-Unis. Il termine le livre avec une série de recommandations (salaire minimum adéquat, impôt sur les riches, financement adéquat de l’éducation à tous les niveaux, prise en main des conditions aboutissant à un niveau très important d’emprisonnement, correction des iniquités fiscales…) qui pourraient contrer les tendances, mais ne suggère d’aucune façon qu’elles seront adoptées; elles vont à l’encontre de tout le positionnement des Blancs et des Républicains américains, qui passe proche de dominer l’agenda politique dans ce pays.

Indirectement, ses constats suggèrent un effondrement du système, fournissant une perspective plutôt complémentaire à celle fournie par le modèle de Halte à la croissance: le modèle qui incarne le rêve américain dans les interventions du gouvernement, voire de la société, aboutit à la destructuration des fondements économiques de cette même société.

Je ne connais pas de modèle qui cherche à projeter ces perturbations sociales dans l’avenir, et il n’y a pas de date cible qui circule comme celle de Halte. Le Rapport sur les inégalités 2018, comme le rapport de Davos, projettent quand même les tendances, peu reluisantes. Reste que l’effondrement social, avec ses propres composantes décrites entre autres par Wilkinson et Pickett, ira en s’accentuant avec l’arrivée des problèmes du modèle économique, alors que ce modèle est au coeur même des problèmes que vivent les sociétés pauvres.

Inégalités WID 2018 E11

Source: Rapport sur les inégalités mondiales 2018

Le rapport WID de 2018 note que «si l’aggravation des inégalités ne fait pas l’objet d’un suivi et de remèdes efficaces, elle pourrait conduire à toutes sortes de catastrophes politiques, économiques et sociales.» Cela ressemble drôlement aux cris d’alarme lancés par le milieu environnemental depuis des décennies…

Le livre de Gordon était écrit avant l’élection de Donald Trump, mais fournit un ensemble de données et d’analyses qui permettent de comprendre la vigueur de sa base contre toute prise en considération d’autres critères que leur propre survie dans le rêve américain. C’est une situation qui est assez bien décrite aussi par Hillbilly Elegy: A Memoir of a Family and Culture in Crisis (2016), de J.D. Vance, également écrit avant l’élection de Trump, également fournissant des perspectives sur le désarroi de la population Blanche des États, celle qui a connu le déclin, relatif et en termes absolus, décrit par Desrosiers dans son dernier paragraphe.

 

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