Maurice Strong, l’optimiste opérationnel

Dans son allocution pour ouvrir la conférence Globe90 à Vancouver en 1990, Maurice Strong s’est identifié comme un «optimiste opérationnel». Déjà, il fallait comprendre, l’optimisme comme tel ne se justifiait pas, mais sa motivation comme être humain, notre motivation, nous appellent à l’action. Strong est mort il y a quelques semaines à l’âge de 86 ans, nous mettant en contact direct avec la fatalité qui sévit dans nos vies; pour l’avoir suivi depuis près d’un demi-siècle, j’étais rendu à penser qu’il y était pour rester…

Strong photoDepuis 1990 je fonce, suivant Strong, en m’appellant souvent un optimiste opérationnel. J’ai parlé de lui à plusieurs reprises dans ce blogue, une première fois justement en soulignant l’importance de cette approche qu’il maintenait jusqu’à la fin. Strong était impliqué pendant sa longue vie dans de multiples activités, comme entrepreneur et administrateur dans le secteur privé mais aussi et surtout comme organisateur et négociateur avec de multiples chapeaux à l’échelle internationale. Une entrevue avec The Guardian en 2010 permet de jeter un coup d’oeil à ses orientations et ses réponses à des critiques; un coup d’oeil sur Google trouvera l’ensemble.

Les préoccupations pour les changements climatiques doivent s’insérer dans un cadre plus global 

La relecture de mon texte permet quelques constats dans cette période «après COP21». Entre autres, on voit la difficulté de gérer une situation où les effondrements projetés par Halte à la croissance, ou tout simplement ceux associés aux changements climatiques, sont toujours bien difficiles à cerner dans notre vie de tous les jours. Nous sommes confrontés par les médias à des interventions presque quotidiennes d’actions terroristes et, plus généralement, à des dégâts humains occasionnés par un ensemble de perturbations sociales et politiques, dont, actuellement, la guerre en Syrie.

Finalement, ce qui semble nécessaire dans cette période «après-COP21» est de maintenir un regard sur l’ensemble de la situation sociale, politique et économique aussi bien qu’environnementale. Pour revenir à ce qui sort des projections de Halte, ce ne sont pas les changements climatiques qui initieront l’effondrement, mais des perturbations dans la production industrielle, dans l’économie elle-même. Et de nombreuses tendances à l’écart de nos préoccupations en matière de développement comportent des risques probablement aussi grands, suivant le résultat des sondages du Forum économique mondial dont les résultats sont publiés dans Global Risks 2016. J’en ai fourni une esquisse dans un article de septembre dernier. Nous nous apercevons de ces risques plus ou moins bien, puisqu’ils ne se manifestent pas dans tout leur potentiel dans notre vie de tous les jours; les changements climatiques sont loin d’être le seul cas d’aveuglement.

Strong a fait le pari dès le début qu’il fallait essayer de domestiquer l’économie capitaliste et la croissance qui lui est intrinsèque. Il a fait des efforts énormes en ce sens, convoquant et animant la première conférence des Nations Unies sur l’environnement, à Stockholm, en 1972. Il était le représentant canadien au sein de la Commission Brundtland dans les années 1980 et l’âme du Sommet de Rio en 1992, convoqué poir reconnaître les 20 ans depuis Stockholm et les 5 ans depuis la publication du Rapport Brundtland. Par la suite, il a présidé la Commission du développement durable que l’on voulait une sorte de processus de suivi de Rio. À travers toutes ses interventions, Strong réunissait les plus importants joueurs du domaine économique, les mettant en contact avec ceux des gouvernements et de la société civile, en ciblant sans cesse la nécessité de prendre en compte les enjeux environnementaux.

Dix ans après son discours à Globe90 en 1990, il a écrit son autobiographie, Where On Earth Are We Going? Le premier chapitre de ce livre est écrit dans la forme d’un discours à l’humanité comme les actionnaires de la planète, en date du 1er janvier 2031. Un des buts du présent article est de suggérer que le lecteur passe en priorité à ce texte, celui d’un promoteur du développement durable pendant des décennies et pessimiste quant à la possibilité de le réaliser. Il s’agit d’un portrait de l’effondrement global de notre civilisation que Strong craignait déjà il y a 15 ans, décrivant une situation pour la période d’ici 15 autres années. Il n’est pas difficile de nous y retrouver, en 2016…

J’en ai déjà parlé dans ce blogue en soulignant que c’est l’ensemble de l’activité humaine qui doit être la préoccupation des gens qui prônent le développement, tout en réalisant que le terme même renvoie à ce qui en cause l’échec, le «développement» associé presque partout à la croissance économique. Même si nous mettons l’accent sur des interventions associées à l’effort de reconnaître les contraintes imposées par notre planète finie, nous vivons dans un moment où beaucoup d’autres interventions interpellent notre vie en société, notre vie comme humains. Strong ne les oublie pas. Comme il dit:

This is not just a technical issue. Everybody’s actions are motivated by their inner life, their moral, spiritual and ethical values. Global agreements will be effective when they are rooted in the individual commitment of people, which arises from their own inner life.

Le défi: concevoir un nouveau modèle…

J’ai perdu le contact avec l’homme pendant plusieurs années, mais il était interviewé en 2012 à Rio+20 en 2012 où il a réaffirmé qu’il était «pessismiste sur le plan analytique mais optimiste sur le plan opérationnel : aussi longtemps qu’il semble possible d’effectuer le virage vers un mode de vie soutenable, il faut continuer à essayer». De mon coté, j’ai cru également que c’était le bon pari, cherchant à maintenir le dialogue avec les joueurs économiques et politiques dans le but de faire avancer la prise en compte des enjeux et des exigences environnementaux. Même si, comme Strong, je sentais les problèmes s’accroître, les difficultés se multiplier, il m’a pris mes deux années comme Commissaire au développement durable en 2007-2008 pour voir qu’il faut passer outre le constat d’avoir échoué dans le travail sur le développement durable. Il faut aujourd’hui mettre l’accent sur un effort de concevoir et de mettre en oeuvre ce qui s’impose dans le nouveau contexte.

Comme Yves-Marie Abraham semble souligner (article à venir là-dessus) dans son épilogue au livre Creuser jusqu’où? Extractivisme et limites à la croissance, un jugement sur le pari de Strong comporte qu’il faut finalement reconnaître que l’effort de dompter le modèle économique, pour lequel la croissance constitue la pierre d’assise, était la mauvaise piste. Bien asseoir les assises d’un nouveau modèle, suivant finalement les pistes esquissées par les décroissancistes, n’est pas une évidence, mais Abraham fournit un portrait des failles du modèle actuel dans son article de Creuser (dont il est co-éditeur), «Faire l’économie de la nature». J’ai l’impression que Strong n’a jamais viré dans ce sens, dans cet effort de bâtir un nouveau modèle.

On m’a récemment invité à participer au début d’un processus de planification stratégique pour la période 2016-2020 d’un important groupe environnemental, avec le mandat de sortir les administrateurs de leur «zone de confort». J’ai décidé de faire une présentation en trois étapes. Tout d’abord, j’ai présenté une série de diapositives montrant différents aspects des crises contemporaines, des constats dont les administrateurs sont en grande partie au courant, dont j’étais au courant en commençant mon mandat comme Commissaire au développement durable et Vérificateur général adjoint en 2007-2008. Le retrait obligatoire de l’activisme pendant ces deux années m’a fourni l’occasion de réaliser ce qui est impliqué dans ces diapositives, dans ces constats, et je m’adressais à des activistes.Rockström et al 2009 Sept seuils

Une deuxième partie de ma présentation cherchait à fournir quelques pistes pour une planification qui sortirait justement des zones de confort, qui comporteraient de nouvelles orientations. Comme plusieurs ont souligné lors de l’échange qui a suivi, confronter un ensemble de comportements dans les pays riches qui sont liés aux causes de l’effondrement qui s’annonce passe proche d’être suicidaire pour n’importe quel groupe. Je leur rappelais que, aux débuts du mouvement environnemental, les groupes – tout comme les auteurs de Halte – étaient bien marginaux, mais cette marginalité était probablement moins risquée que celle qui est requise aujourd’hui.

La deuxième moitié de la présentation PowerPoint, non couverte lors de la rencontre, porte sur certains éléments de ce qui est en cause lorsque nous parlons de résilience, approche qui me paraît fondementale dans l’effort de chercher les grandes lignes du modèle qu’il faut essayer de concevoir et de mettre en branle.

…et ne pas rester dans les seules préoccupations environnementales

Dennis Meadows, le chef d’équipe derrière les travaux, souligne la situation autrement dans son court discours lors de la célébration du 40e anniversaire de la publication de Halte, au Smithsonian en 2012.

What we know is that energy, food and material consumption will certainly fall, and that is likely to be occasioned by all sorts of social problems that we really didn’t model in our analysis. If the physical parameters of the planet are declining, there is virtually no chance that freedom, democracy and a lot of the immaterial things we value will be going up.

 

 

 

 

 

 

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Et si on ne veut pas la décroissance?

À l’approche de la COP21, j’ai eu l’occasion d’échanger avec une journaliste sur ma position telle que résumée dans mon dernier article: l’humanité ne pourra pas respecter le budget carbone sans un chambardement majeur des sociétés, surtout des riches. L’échange m’a frappé par le constat qui s’imposait : je ne pouvais la référer à personne en position d’autorité en soutien à ma position. Je lui ai suggéré que Normand Mousseau, ancien co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, aurait peut-être des choses intéressantes à dire, sans vraiment savoir où il se positionne.Les réserves de pétrole: le défi

Par la suite, j’ai réalisé que seuls les «décroissancistes» se positionnent comme je le fais dans cet article et qu’ils manquent justement d’autorité. Les environnementalistes, dont certains ont une certaine autorité, se maintiennent sans exception, je crois, dans leurs tendances historiques cherchant à améliorer le modèle actuel.

Un livre par les décroissancistes sur l’extractivisme, y compris sur l’exploitation à grande échelle des gisements d’énergie fossile

Au moment de l’échange, j’avais justement commencé à lire Creuser jusqu’où? Extractivisme et limites à la croissance, intéressant ouvrage collectif publié chez Écosociété et dirigé par Yves-Marie Abraham et David Murray. Le positionnement des milieux environnementaux y est critiqué explicitement mais sans élaboration dans l’épilogue du livre, signé par Abraham sous le titre «Moins d’humains ou plus d’humanité?›[1].

Ce positionnement est critiqué aussi dans un article de Mousseau dans cet ouvrage qui couvre un ensemble de problématiques touchant le secteur de l’énergie et que je ne l’avais pas encore lu au moment de l’échange. Les grandes lignes sont exprimées dès le début : les projections de prix élevés pour le pétrole en fonction de sa rareté croissante (par Jeff Rubin, entre autres) étaient erronées, les «désirs» des environnementalistes de voir les énergies alternatives rendues possibles en fonction de ces prix élevés faussaient leur analyse du défi des changements climatiques, et l’espoir face à ceux-ci se trouvent dans les technologies.

Dans un livre consacré à une critique en profondeur de l’extractivisme (l’exploitation abusive des ressources non renouvelables) et de son rôle dans l’effondrement en cours, le positionnement de Mousseau semble finalement aller plus loin même que celui des environnementalistes. Reste qu’il faut vraiment travailler le texte pour sortir les fondements de sa pensée.

  • Mousseau soutient qu’il reste des quantités d’énergie fossile pouvant nous approvisionner pendant des centaines d’années (183-184), sans distinguer au début entre réserves et ressources, ensuite en parlant de réserves, pour retirer la proposition dans l’analyse des coûts et des technologies pour ce qui est de l’énergie non conventionnelle (188-190). Il propose cela sans même tenir compte de l’ÉROI trop bas de nombre de ces sources d’énergie.
  • En fonction de ce premier constat et d’une suggestion que cela lui enlève toute crédibilité, Mousseau rejette l’argument de Jeff Rubin à l’effet que le prix de plus en plus élevé de l’énergie fossile en fonction du pic de pétrole conventionnel va nuire dramatiquement aux économies des pays dépendant d’énergie fossile. L’argument de Mousseau y est surtout ad hominem.
  • Mousseau rejette, ce faisant, sans jamais y faire référence, l’argument de Halte à la croissance à l’effet qu’une rareté progressive de ressources naturelles va aboutir à l’effondrement de la production industrielle dans nos sociétés.
  • Pour l’énergie fossile non conventionnelle, Mousseau avance que «la véritable révolution se trouve … dans l’utilisation de techniques de fracturation hnydraulique … [qui] permet d’augmenter à la fois le rythme d’exploitation et la quantité disponible, propulsant les réserves vers de nouveaux sommets. Déjà, ces avancées ont fait exploser les réserves exploitatables» (190). Il faut regarder le graphique ci-haut (cliquer dessus pour l’explication) pour comprendre l’importance de ce rejet des analyses de nombre d’experts en matière d’énergie; Mousseau semble rejoindre la présomption de l’Agence internationale de l’énergie à l’effet que l’humanité va pouvoir répondre au déclin dans les réserves traditionnelles.
  • Un objectif de cette série de propositions est d’insister : «l’accès aux ressources et leur prix de production n’a [n’ont] rien à voir avec le réchauffement climatique; le souhait des environnementalistes [de voir les énergies renouvelables remplacer celles fossiles et ainsi répondre au défi des changements climatiques] reflétait plutôt le désir de pallier l’inaction des gouvernements» (184). Exprimé ainsi de façon apparemment voulue mais délibérément confuse, Mousseau prétend, après un autre argument ad hominem, que l’effort de confronter la menace des changements climatiques «devra se faire de manière délibérée … plutôt que par manque de ressources» (184).
  • Ce constat fait, Mousseau propose que l’approche délibérée propre aux économistes, de donner un prix au carbone pour gérer la menace, est trop limitée, entre autres parce qu’elle «risque de perturber fortement l’économie mondiale en plus de rendre l’énergie difficilement accessible pour les plus pauvres», résultat qu’il juge inacceptable. Il poursuit en insistant qu’une «transition en douceur» qui reconnaît «la nécessaire équité énergétique … devra s’appuyer sur des changements technologiques profonds» et «sur une compréhension plus fine de la demande d’énergie» (185). Cela fournit le plan pour le reste de l’article, curieusement à contre-courant des autres contributions du livre et de ce que je connais des tenants de la décroissance.

Table rase des analyses actuelles, sans véritable proposition de rechange

Dans les trois pages de cette première section, sans argument de soutien, Mousseau fait donc table rase de l’ensemble des analyses contemporaines qui suggèrent que des processus structurels vont déterminer le sort de l’humanité face aux changements climatiques, que ces processus soient imposés par la force des choses ou par l’intervention (surtout économique) des sociétés. Deux courtes sections suivent (185-188) qui ciblent «l’équité mondiale [comme] le véritable défi de l’abandon du pétrole» et une distinction entre les pays riches et les pays pauvres quant à la décroissance.

  • Il prétend qu’il est «techniquement possible pour la plupart des pays développés de viser une transition énergétique menant à la réduction signficative de l’utilisation des énergies fossiles et des émissions de GES» (185) mais cela ne sera pas le cas pour les pays pauvres. Mousseau rejette ainsi le récent travail du Deep Decarbonisation Pathways Project de Jeffrey Sachs qui aboutit à la conclusion que les technologies ne permettront pas de confronter avec suffisamment de capacité la menace tout en maintenant la croissance économique; cette conclusion semble intuitivement claire déjà. Pour les pays pauvres, il faudrait par ailleurs une augmentation de 40% de la production mondiale d’énergie, suivant les indications des Nations Unies, même s’il reviendra sur cette idée en insistant sur l’importance d’une approche ciblant la demande plutôt que l’offre.
  • Pour ce qu’il y a de l’offre, une plus longue section qui cherche à couvrir la question de «la transformation possible par la technologie» (188-193) aboutit finalement au constat qui aurait pu se faire dès le début, à l’effet qu’un ensemble de problèmes associés à l’exploitation de l’énergie fossile non conventionnelle «n’assurent pas un avantage insurmontable à ces sources d’énergie» (190 – sic, plutôt incompréhensible) et qu’il y a beaucoup d’inconnus quant au potentiel des énergies renouvelables, même si celles-ci comportent «une technologie qui avance beaucoup plus vite qu’on ne le croit» (191). Mousseau revient ici à certaines propositions des environnementalistes qu’il rejette plus tôt parce que ceux-ci se font berner par leur désir de régler la menace des changements climatiques.

L’ensemble va directement à l’encontre des deux articles intéressants de Philippe Bihouilx dans la collection; on peut bien comprendre l’inclusion d’articles de points de vue différents, mais la qualité des textes de Bihouilx aurait permis de conclure que celui de Mousseau n’avait pas sa place. Dans une dernière section (193-199), Mousseau aborde «la transformation du rapport énergie-citoyen» pour cibler (i) l’importance pour l’avenir des pays pauvres de la production distribuée d’énergie, (ii) la transformation de la demande qui est majeure mais toujours mal comprise et qui n’offre donc pas, actuellement, un scénario de remplacement pour ceux rejetés par Mousseau et (iii) la tendance de remplacement de la propriété par le service.

  • Il propose comme alternatives dans ces courtes sous-sections ce qui finalement revient en bonne partie aux propositions de la Commission Brundtland, il y a plus d’un quart de siècle, de reconnaître et de régler en priorité les inégalités en matière d’énergie, cela jumelé aux propositions du mouvement environnemental pendant aussi longtemps; il y rejoint même différents éléments des travaux de Rubin.

Le rejet de Rubin est tellement fort, tout en étant presque gratuit, que j’ai relu Why Your World Is Going To Get a Whole Lot smaller : Oil and the End of Globalization (2009, le livre de Rubin qui lui sert de référence) ainsi que The End of Growth : But is That All Bad? (2012, successeur du livre de 2009 dont la traduction est parue en 2012, dont Mousseau ne parle pas). Le deuxième livre consacre un chapitre complet sur les enjeux pour les pays pauvres de la sortie du pétrole. Rubin y flotte entre le recours à ‘zero growth’ et ‘slower growth’, confusion qui marque de façon frappante la conclusion.

Cette confusion, qui se trouve partout dans le premier livre aussi, semble résulter, comme pour Mousseau, d’un refus par Rubin de voir un effondrement des sociétés en cours; Rubin juge les auteurs de Halte à la croissance des «prophètes de malheur» (204) et cible surtout la croissance démographique comme le défi principal des pays pauvres dans l’ensemble du chapitre 9, ‘All Bets Are Off’.

La volonté de l’humanité – celle de la COP21?

L’article de Mousseau termine en reprenant le thème du début à l’effet que «la fin de l’ère fossile ne surviendra pas par manque de ressources, mais bien par la volonté de l’humanité de limiter la catastrophe climatique… La décroissance énergétique ne peut être une cible planétaire. Il faudra, avant d’y arriver, permettre à tous d’avoir accès à suffisamment d’énergie pour atteindre une qualité de vie satisfaisante tout en trouvant le moyen de limiter le coût environnemental global de cet effort social» (199-200).

Autant Mousseau rejette avec ce qui passe proche d’un mépris les interventions trop simplistes ou tout simplement erronées de nombreux intervenants dans le débat, qui manient «une baguette magique» (185), autant il se montre lui-même pris par un tel «mirage» (185) en prenant un ton moralisateur qui n’aboutit pas à la moindre proposition convaincante de solution. Tôt dans l’article et jusqu’à la fin, il aborde la question des inégalités énergétiques et sociales, mais nulle part il ne reconnaît que de telles questions ont déjà été abordées de façon assez directes par le GIEC dans son calcul du budget carbone complété par Gignac et Matthews dans leur recours (suivant Brundtland) par l’approche contraction-convergence à l’allocation de ce budget parmi les nations. Il est, par ailleurs, surprenant de ne pas voir de mention des contraintes suggérées par l’empreinte écologique, qui complète le portrait en soulignant que l’humanité dépasse déjà de moitié la capacité de support de la planète.

Le défi ainsi présenté n’est ni reconnu ni abordé par Mousseau, qui semble insister que toute approche qui «perturbe fortement l’économie mondiale» (185) est inacceptable, rejoignant en cela les négociateurs à Paris lors de la COP21. Mousseau semble rejeter les analyses de Rubin et de beaucoup d’autres plus en raison de leurs conclusions qui voient comme inévitables de telles perturbations qu’en raison de la faiblesse de leurs arguments, qu’il n’analyse pas dans son court texte et présente comme évidente. Il insiste que nous sommes loin de la «révolution énergétique annoncée» par Rubin (186 – Rubin n’utilise pas le terme) et exigeant des diminutions importantes dans notre consommation d’énergie en raison du prix élevé associé à l’arrivée au pic du pétrole. Pourtant, le contraire semble vraisemblablement être le cas: les contraintes associées à l’énergie fossile perturbent grandement l’économie mondiale actuellement, cela indépendamment de mesures à venir qui pourraient cibler les changements climatiques.

Finalement, Rubin ne semble pas se tromper dans ses principaux constats, soit que le prix du pétrole est voué à une hausse en permanence, entrecoupée de récessions occasionnées par les hausses, et que le prix plancher avec chaque récession risque d’être plus haut que celui de la récession précédente – c’est la tendance à la hausse qui importe. Il est frappant que le retrait du pétrole qu’il décrit comme nécessaire n’aboutit pas à ses yeux à l’effondrement des économies des sociétés fondées sur le pétrole. Plutôt, les sociétés de l’avenir doivent surtout revenir «simplement» à des économies locales et apprendre à vivre avec certaines restrictions. Autant il critique les économistes dans leur adhésion au modèle de l’offre et de la demande, autant il rejette l’idée (en 2009) que la situation représente la fin de la croissance (97, 192, 206-207), se montrant finalement un économiste lui-même dans ses intuitions.

Ceci semble expliquer l’absence de presque toute préoccupation majeure pour les impacts du retrait du pétrole et d’un portrait qui serait à tirer d’une telle préoccupation. Ceci à son tour semble expliquer l’absence dans les deux livres de toute reconnaissance de limites dans les cycles de récessions et de reprises et donc de l’identification – du moins, la reconnaissance – d’un prix limite au-delà duquel l’économie risque de s’effondrer. En 2016, six ans après la sortie de son premier livre, nous devrions nous attendre selon cet argument à une nouvelle reprise et une nouvelle hausse du prix, allant plus loin que la dernière.

La principale difficulté pour récupérer Rubin semble être le fait que le prix actuel et prévisible sur plusieurs années est plutôt bas, situation dont Rubin est bien au courant. Soit il semble que nous serions dans le creux d’un autre cycle, soit que nous serions dans le processus d’effondrement de Halte que Rubin et Mousseau rejettent. Gail Tverberg offre une perspective intéressante à cet égard dont Rubin ne parle pas, à l’effet que la baisse du prix suggère que l’économie mondiale a frappé dans les dernières années le maximum qu’elle est capable d’absorber, et que la baisse actuelle représenterait un élément dans l’effondrement du système concernant lequel le Club de Rome reste toujours beaucoup plus convaincant que Mousseau, voire Rubin.

À la recherche d’une vue de la décroissance en ce qui concerne l’énergie

On reste perplexe quant à la place de l’article de Mousseau dans le livre, voire dans les perspectives de décroissance mises de l’avant par de nombreux intervenants. Ceux-ci partagent la conviction de Mousseau qu’il faut s’attaquer aux inégalités, énergétiques et sociales, mais cela sans insister sur la «transition en douceur» qui est loin de se montrer une évidence, sans insister sur un recours aux technologies comme composante critique de la transition et sans insister sur la nécessité d’une économie mondiale non perturbée et où les défis dans l’accès aux ressources déterminent les options pour une transition non en douceur.

Abraham, co-éditeur du livre, fait référence à Halte à la croissance dans son intéressant article «Faire l’économie de la nature», placé juste après celui de Mousseau. Il l’associe à l’arrivée de la critique écologique dans les années 1960 et 1970 et à la remise en question de la théorie économique où «la nature ne compte pas». S’y joignent des analyses du travail complémentaire de Georgescu-Roegen sur la loi de l’entropie et de Daly sur l’économie écologique (213-223). Il s’agit du début d’un ensemble d’interventions signalées dans ce blogue.

Pour conclure, et pour souligner un élément fondamental de ma critique de l’analyse de Mousseau, il y a lieu de revenir sur son rejet de base, soit des liens entre les problèmes associés à l’accès aux ressources coûtant de plus en plus cher, la progression des changements climatiques et l’effondrement du système économique lui-même; en fait, pour Mousseau, il n’y a pas de problème de ressources, et il n’y aura pas d’effondrement.

Turner LtG graphique

Graham Turner, dans sa mise à jour de Halte (LtG) en 2012 en fonction des données sur 40 années d’expérience réelle, conclut dans le sens contraire:

The data review continues to confirm that the standard run scenario represents real-world outcomes considerably well. This scenario results in collapse of the global economy and population in the near future. It begins in about 2015 with industrial output per capita falling precipitously, followed by food and services. Consequently, death rates increase from about 2020 and population falls from about 2030 – as death rates overtake birth rates… The collapse in the standard run is primarily caused by resource depletion and the model response of diverting capital away from other sections in order to secure less accessible resources. Evidence for this mechanism operating in the real world is provided by comparison with data on the energy required to secure oil. Indeed, the ÉROI has decreased substantially in recent decades, and is quantitatively consistent with the relevant parameter in the World3 model. The confirmation of the key model mechanism underlying the dynamics of the standard run strengthens the veracity of the standard run scenario. The issue of peak oil has also affected food supply and evidently played a role in the current global financial crisis. While the global financial crisis does not directly reflect collapse in the LtG standard run, it may well be indirectly related.[2]

La contribution de Mousseau à un livre consacré à différents aspects de la décroissance qui est en train de s’imposer se trouve presque en marge du portrait d’ensemble présenté, et on reste sur sa soif quant à la vue de l’énergie dans le portrait de la décroissance. Finalement, il s’agirait d’un portrait où l’analyse suivrait les pistes d’Abraham et où du Club de Rome servirait de balise et de défi. On verra les limites des interventions morales et politiques dans notre progression vers une décroissance imposée, un effondrement du système économique presque inéluctable.

 

[1] J’y consacre un assez long article pour Québec humaniste à paraître sous peu dans un effort de décoder le fond de sa pensée, que je commenterai sur le blogue. Ici, c’est le fond de la pensée de Mousseau qui est la cible de mon attention.

[2] Source : Graham Turner http://www.smithsonianmag.com/science-nature/Looking-Back-on-the-Limits-of-Growth.html#ixzz1t4wdwc7g  et, plus généralement   http://www.csiro.au/files/files/plje.pdf

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

La COP21 – et l’après…

Les articles récents produits pour ce blogue et ciblant les enjeux pour la COP21 ont été plutôt longs, plutôt compliqués, plutôt rébarbatifs pour certains lecteurs. À  l’arrivée de l’événement, j’ai saisi l’occasion de produire une version synthèse de mes réflexions, et de mes conclusions.

Tout d’abord, commercemonde.com, piloté par Daniel Allard, m’a offert une tribune pour un texte éditorial. Je me suis permis de centrer l’article sur une intervention du groupe financier Mercer, qui préparait déjà ses conseils pour les investisseurs en fonction de quatre scénarios, dont trois présumait l’échec de la COP21; Mercer soulignait que les engagements de la Chine dans l’entente «historique» de décembre 2014 comportaient une hausse de la température de 3°C… J’intitulais le texte «COP21 : un échec annoncé».

J’ai décidé par la suite d’adapter le réflexion pour un texte à soumettre aux journaux. Le Soleil a retenu le texte, et l’a publié le 2 décembre. Je l’intitulait «L’échec de la COP21 : le scénario du réel», ce que Le Soleil a modifié pour «Se préparer pour l’échec de la COP21».

US Energy Information Administration: projections jusqu'en 2035

Les suites

Voilà donc une lecture moins fastidieuse que celle des récents articles. Clé de l’analyse que je propose: un budget carbone calculé par le GIÉC et un travail d’allocation de ce budget par des chercheurs québécois. La conclusion me paraît incontournable..

Issue prévisible, presque inévitable, même si c’est sûr qu’il y aura une entente quelconque à la sortie de la COP21 : les pays riches vont décider de courir le risque de continuer à mitiger les impacts de leur développement économique en espérant que les pays pauvres seront forcés de rester dans leur situation de pauvreté relative. C’est ce qui marque nos relations depuis près d’un siècle (ou plus) et il y a peut-être de l’espoir à leurs yeux que le développement économique de la Chine et de l’Inde, pour ne mentionner que ces deux pays qui hébergent presque la moitié de l’humanité, s’effondrera. Sinon, les pays riches vont accompagner les pays pauvres dans l’effondrement.

Les conséquences de l’échec à Paris, les implications de cette conclusion, me paraissent également incontournables. J’ai eu l’occasion de les esquisser en répondant à une question d’un journaliste: «Est-il possible, comme le souhaite Mme Figueres, même si COP 21 n’atteint pas la cible, qu’on arrive au but lors des rencontres subséquentes, dans les années à venir?». La réponse:

Cela fait deux ans, à peu près, que les responsables français et des Nations Unies travaillent vigoureusement et bien pour que la COP21 réussisse; le rapport du GIÉC est sorti septembre 2013 et début 2014. Le calcul du budget carbone – admettons qu’il puisse être approximatif, comportant toutes sortes d’hypothèses, tout comme le travail du GIÉC en général – représente la balise de base, et non pas la date de la COP21.
Sauf que le budget carbone est contraignant dès sa conception, comme le montre l’article de Gignac et Matthews, et comme l’a souligné Figueres en admettant, à ma surprise, qu’ils n’ont pas réussi à atteindre la cible pour Paris en dépit de tous leurs efforts, et en dépit de l’urgence que les personnes qui connaissent le dossier reconnaissent. L’urgence vient du fait que les émissions sont toujours en croissance, et plus on tarde à les contrôler, plus le contrôle est difficile parce que plus le budget est diminué.
Le problème de base est qu’il n’y a presque personne qui veut reconnaître que nos économies dépendent presque absolument du pétrole et du charbon et du gaz pour fonctionner. La référence au court texte de Gaël Giraud aide à voir l’importance de ceci, même si on doit admettre qu’il critique la position de la grande majorité d’économistes (qui méritent d’être critiqués!); je prends l’échec des travaux de Jeffrey Sachs et du DDPP comme indication que Giraud a raison. L’argument à l’effet que les énergies renouvelables ne peuvent remplacer l’énergie fossile est peut-être plus compliqué, mais presque pas reconnu. La photovoltaïque fournit un rendement pas beaucoup plus élevé que les sables bitumineux, et dans les deux cas, le rendement est beaucoup trop bas pour maintenir les activités de nos sociétés comme l’énergie fossile le fait.
Plus nous tardons, plus l’impossibilité de maintenir notre activité économique deviendra évidente, je crois, et plus difficile il sera d’organiser la transition qui s’impose. Voilà à mon avis pourquoi l’échec de Paris représente un vrai échec et que l’idée de poursuivre les travaux comme avant représente une illusion.
Confronter l’échec: travailler pour une réduction de notre consommation d’énergie de moitié?
Presque la seule coupure que je vois dans la parution au Soleil est cette phrase:

Les manifs, les marches, les intenses efforts de sensibilisation auprès des populations menés depuis plusieurs années par une multitude d’organismes de la société civile, avec 350.org à la tête, ne tiennent tout simplement pas compte de cette contrainte [du budget carbone].

J’avais circulé un lien au récent texte de Gaël Giraud fourni par Thérèse Lavoie dans un commentaire sur l’article sur Dépossession, qui se penche sur la relation entre la croissance économique et l’utilisation de l’énergie, «l’élasticité» de la relation. Pour les économistes, cette élasticité est d’environ 10%, rien pour nous préoccuper; Giraud montre que c’est plutôt de l’ordre de 60%; il n’y aura pas de croissance virtuelle. Notre dépendance est ainsi soulignée, et il ne reste d’espoir pour les promoteurs de l’économie verte que la capacité des énergies renouvelables de remplacer l’énergie fossile – entendons-nous, à presque 100% – et cela à court terme, cela à l’échelle planétaire.
Il me semble raisonnable de présumer que l’ensemble de l’humanité ne réussira pas à se sevrer de l’énergie fossile à temps et que des perturbations importantes se profilent à l’horizon comme conséquence. Le Québec se trouve quand même dans une situation extrêmement favorable face à cette situation: pour le moment, nous avons des surplus d’électricité, et pour les moyen et le long termes, nous avons dans le réseau hydroélectrique un approvisionnement stable et fiable. L’alternative à l’espoir dans les énergies renouvelables semble s’imposer: commencer rapidement à planifier une diminution radicale de notre consommation d’énergie, ciblant environ la moitié en termes absolus = notre électricité. Il ne semble même pas nécessaire que cela comporte une transformation défavorable de la société…
On se souhaite bonne chance…
Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Découverte, la Chine et la COP21

Le printemps dernier, le groupe financier Mercer a publié un rapport pour ses investisseurs qui ciblait les risques et les occasions d’affaires associés au changement climatique. Pensant à ce qui pouvait sortir de la Conférence des parties (COP) sur la question du changement climatique, le rapport formule quatre scénarios pouvant guider les décisions d’investissement: (i) Transformation, dans le contexte d’une hausse maximale de 2°C, (ii) Coordination (sic), en présumant d’une hausse de 3°C,(iii) Fragmentation avec dommages limités et (iv) Fragmentation avec dommages importants, ces deux derniers présumant d’un contexte d’une hausse de peut-être 4°C.

Le rapport de Mercer note que le respect de l’entente de décembre 2014, qui verrait la Chine maintenir son engagement «historique» de réductions à partir d’un pic de ses émissions en 2030, rendrait probable le scénario Coordination et une hausse de température catastrophique de 3°C…

Chongqing en 2010

La Chine mise au pilori par Découverte

Ce n’était pas dans mes intentions de regarder la trajectoire pour la Chine développée par le DDPP. Le visionnement de l’émission Découverte du 22 novembre dernier m’a changé d’idée. L’émission portait sur Solar Impulse 2, l’avion mu entièrement par énergie solaire, en train de faire le tour de la planète, et actuellement à Hawaïi en attendant le retour au printemps d’une météorologie favorable à la poursuite du voyage.

En soi, le projet est intéressant, réunissant de nombreux travaux contemporains en matière d’énergie renouvelable, en l’occurrence l’énergie solaire : le fuselage et les ailes de l’avion sont couverts de paneaux solaires pour capter le rayonnement et il est équipé de batteries capables d’emmagasiner l’énergie nécessaire pour le vol pendant la nuit. En général, l’initiative représente une aventure high tech qui cherche à relever le défi de faire le tour du globe sans énergie fossile.

L’émission prétend dès le début que le projet «démontre qu’il est possible de relever le défi des énergies renouvelables»; «l’objectif de ce défi historique est de prouver que les technologies propres permettent d’accomplir l’impossible et apporter des solutions pour une meilleure qualité de vie sur la planète» (texte tiré de la description sur le site). Ceci passe proche d’être une connerie, et il n’est pas digne de Découverte de se faire le promoteur sans nuances d’un tel discours.

Et voilà la raison de mon intervention. L’émission se transformait, finalement, en une tribune offerte aux deux grands responsables de l’aventure, Bertrand Piccard et André Borschberg, des personnes qui, dans les années 1990, ont réussi à faire le tour du globe en ballon. Lors de l’étape du voyage de Solar Impulse 2 passant par la Chine, un arrêt à Chongqing nous montre Piccard en train de traverser la ville en voiture alors que la ville connaissait une journée de smog important. L’aventurier se lance dans un discours soulignant comment l’énergie solaire (et les autres énergies propres) constituent la réponse aux problèmes du monde. L’animateur Charles Tisseyre intervient en décrivant l’arrivée en Chine :

Les choses sérieuses vont commencer. Avec 35 millions d’habitants, Chongqing [est] une mégalopole gorgée d’énergie fossile … et dont l’air est saturé de particules fines. Le projet prend ici plus qu’ailleurs tout son sens. (vers la minute 8).

Cela sert d’introduction pour Piccard, qui poursuit :

Tout ce qu’on voit ici pourrait très bien exister avec un taux de pollution acceptable, pourrait très bien exister avec très peu d’émissions de CO2, à condition que ces maisons [dont des édifices de 40 étages partout!] soient isolées [comme si elles n’en avaient aucune…], qu’elles aient du double vitrage, qu’elles puissent économiser du chauffage et d’air climatisé, à condition que toutes ces voitures soient électriques, à condition qu’on ait des systèmes d’éclairage au LED, de nouveaux processus industriels. Il ne faut pas se battre contre tout cela. Il faut simplement voir que cela peut exister avec 75% d’émission de CO2 en moins… Ça montre jusqu’où on peut aller dans le possible avec les technologies propres.

C’est indigne de Découverte que de diffuser de tels propos simplistes, voire méprisants, digne du discours d’anciens colonisateurs qui savaient en arrivant qu’ils comprenaient mieux que les colonisés ce qui était et est dans leur intérêt. Je me trouve à utiliser cette image exagérée tellement l’émission manque son coup ici – et cela à 10 jours de la COP21 où ces enjeux pas si simples que cela seront à l’ordre du jour.

Les défis de la Chine (qui sont les nôtres)

À aucun moment pendant l’heure les responsables de l’émission ne se pensent obligés de commenter le discours de Piccard, sauf en louanges. La Chine est pourtant parmi les plus importants producteurs d’énergie renouvelable au monde, que ce soit des chauffe-eau solaires qui se trouvent partout dans le pays, des parcs d’éoliennes qui se trouvent également partout, des usines de production de panneaux photovoltaïques – le pays est de loin le principal producteur de panneaux solaires au monde (voir par exemple ceci), cette situation contribuant à la baisse importante du prix de fabrication de ces panneaux, en raison du coût moindre de main-d’œuvre en Chine par rapport aux pays européens.

Même si Solar Impulse 2 finit par contribuer du nouveau dans le domaine de l’énergie solaire, il est tout simplement invraisemblable que celles-ci aient la moindre contribution à faire aux énormes défis auxquels la Chine est confrontée. Découverte a laissé passer le discours sur le potentiel des énergies propres et renouvelables pour laisser l’impression – c’était presque explicite – que Solar Impulse 2 offrait le potentiel de sauver le monde face aux changements climatiques et aux pollutions occasionnées partout par les énergies fossiles, cela par la contribution qu’il est en train de faire et qui n’est même pas expliqué en détail devant le plus grand intérêt de l’aventure elle-même.

Nul arrêt non plus pour une réflexion sur le fait que toute la recherche sur l’énergie solaire photovoltaïque [1] indique que son retour sur l’investissement en énergie, son ÉROI, est tellement bas, en bas de 5, qu’elle ne représente aucun avenir par rapport à nos énormes défis, quitte à reconnaître qu’elle offrira sûrement certaines opportunités bien spécifiques.

J’ai donc décidé de regarder le DDP pour la Chine, puisqu’il s’agit d’une composante d’une initiative très sérieuse qui cherche à s’attaquer aux défis esquissés par Piccard. Le rapport permet de situer le discours rêverie du promoteur de Solar Impulse 2. Cela sans oublier que, dès le départ dans le résumé exécutif, nous nous trouvons devant des orientations à l’échelle nationale qui visent, suivant le travail fait par le gouvernement de la Chine et la Banque mondiale, à rendre la Chine un pays à revenu élevé (comme nous…).

DSC06358Le rapport rend clair pourquoi le DDPChine n’arrivera pas à faire mieux que le DDPCanada face aux défis des changements climatiques, mais ce n’est pas parce que les responsables chinois manquent quelques éléments scientifiques et technologiques que Solar Impulse 2 pourrait leur fournir… En même temps, il ne fournit aucune information sur le niveau de réductions que la trajectoire pourrait atteindre et ne parle même pas du budget carbone et du défi de rester en-dessous de 2°C. Il faudrait embarquer dans des calculs pour y arriver; le rapport sort du moule du DDPP tellement un cas à part, cherchant à rendre sa population, 20% de la population mondiale, l’égale de la nôtre en termes de niveau de vie. Même si l’on n’arrive pas à un chiffre dans le document, l’entente Chine-États-Unis, repris plutôt dans le détail dans le rapport, nous en fournit. Le groupe financier Mercer l’a analysé et conclut, pour le rappeler, qu’il permettrait une contribution laissant la hausse de température à 3°C ou 4°C…

Finalement, le rapport DDPChina en est un d’un pays qui se voit comme à l’époque de Kyoto, n’étant pas ciblé pour les réductions requises des pays riches. En fait, depuis ce temps, la Chine est devenu un pays où l’empreinte écologique par personne et les émissions globales font qu’elle fait partie maintenant du problème et sujette aux réductions.

Ce qui manque à Solar Impulse 2

Piccard n’est même pas dans le jeu. La Chine veut devenir comme nous (une ancienne colonie voulant devenir comme les métropoles…), cela devant le défi impressionnant de le faire pour une population de près de 1,4 milliards de personnes, dont nous considérerions les trois quarts pauvres… Ses ressources sont limitées pour cela, tout comme le temps dont elle dispose en raison des contraintes résultant d’un siècle de développement extravagant des pays riches, fonction en grande partie des énergies fossiles. Une belle lecture de la situation est représentée par In Line Behind a Billion People: How Scarcity will define China’s Ascent in the Next Decade. C’est tout un contraste avec ce qui a été présenté de manière simpliste le 22 novembre…

En ce qui concerne les énergies renouvelables, le discours de Piccard et de Découverte profiterait de la lecture de L’âge des low tech, de Philippe Bihouilx, produit par un ingénieur qui connaît quelque chose des enjeux associés, entre autres, à la disponibilité (limitée) et à l’utilisation (problématique) des ressources impliquées nécessairement dans tout effort de développer les énergies renouvelables à grande échelle. Le livre commence à nous fournir quelques éléments du portrait de rareté que Piccard jette par-dessus bord (pour le ramener à terre/à l’eau avec l’image) dans ses propos. On peut en trouver le résumé dans deux chapitres qu’il a contribué à Creuser jusqu’où, récente publication chez Écosociété.

Plus généralement, ce qui manque dans le discours de Piccard est une reconnaissance des travaux du GIÉC qui seront au coeur des pourparlers (et de l’échec) de la COP21. Le GIÉC avait publié les différentes parties de son cinquième rapport d’évaluation de la situation en 2013 et 2014. Ce rapport tablait sur un consensus établi par les quelque 200 pays réunis dans les COP à l’effet qu’il est essentiel de garder la hausse de température sous les 2°C et calculait le «budget carbone» qui est en cause.

Il s’agit d’un nouvel élément dans les processus marquant nos décisions d’affaires et dans nos décisions comme sociétés, comme pays. Les représentants des gouvernements qui sont à Paris pour la COP21 pendant les 10 prochains jours se butent aux contraintes dramatiques qui sont en cause. Une étude québécoise nous fournit des explications de cette situation. En juillet 2015, Renaud Gignac et Damon Matthews ont publié leurs calculs sur les implications du budget carbone pour l’ensemble des pays sous le titre «Allocating a 2°C carbon budget to countries»; l’article est intéressant dans le contexte de ce billet par le fait qu’il suit la situation de la Chine à travers ses calculs. En bref: le respect du budget carbone dans le contexte du maintien de notre modèle de développement est impossible… On est loin du constat de Piccard: «Il faut simplement voir que cela peut exister avec 75% d’émission de CO2 en moins»…

 

 

 

[1] Charles A. S. Hall et Pedro A. Prieto ont fait une étude en fonction de données réelles pour l’énergie photovoltaïque installée en Espagne : Spain’s Photovoltaic Revolution : The Energy Return on Investment (Springer 2013). Ils avaient auparavant présenté un sommaire des résultats des travaux dans une présentation à l’Association for the Study of Peak Oil (ASPO) en 2011 et y fournissent les conclusions : l’ÉROI pour l’énergie photovoltaïque est entre 2 et 4, de la même importance que celle des sables bitumineux, et insuffisante pour soutenir la civilisation.

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

La trajectoire pour le Canada du DDPP: on exploite les sables bitumineux, mais…

Les travaux du DDPP incluent des documents qui présentent des trajectoires possibles pour les 16 pays qu’il réunit pour le moment. Il établit le contexte pour son travail en divisant le budget carbone résiduel en 2050, tel qu’établi par le GIÉC, par la population projetée pour cette année; les principes de l’approche contraction/convergence sont implicites dans le calcul. Il s’agit d’une allocation de 1,7 t/personne pour toute l’humanité, alors que, actuellement, les Canadiennes sont responsables d’une consommation de 21 t/personne. Le travail du groupe canadien (qui n’a aucun lien avec le gouvernement) est d’identifier des pistes – une trajectoire – qui permettraient d’atteindre la cible, ce qui comporte une réduction de plus de 90% des émissions actuelles.

L’équipe a produit un rapport en septembre 2014 et a publié un rapport de deuxième phase en septembre 2015. Dans les deux cas, les rapports publiés ne sont que de quelques dizaines de pages, mais sont basés sur une documentation volumineuse qui ne semble pas être disponible.

Suncor Greenpeace

Concevoir l’avenir du Canada en fonction de l’exploitation des sables bitumineux

Tout le document de 2014 se fonde sur le jugement que l’exploitation des sables bitumineux constituera un élément de base de l’économie canadienne pour les prochaines décennies, ainsi «taking into account national socio-economic conditions, development aspirations, infrastructure stocks, resource endowments, and other relevant factors.»

The focus of this analysis has been to identify technically feasible pathways that are consistent with the objective of limiting the rise in global temperatures below 2°C. In a second—later— stage the Country Research Partner will refine the analysis of the technical potential, and also take a broader perspective by quantifying costs and benefits, estimating national and international finance requirements, mapping out domestic and global policy frameworks, and considering in more detail how the twin objectives of development [lire: croissance économique] and deep decarbonization can be met. (p.1)

Le rapport signale trois caractéristiques particulières pour le Canada: (i) la taille du territoire, le climat et – surtout, doit-on dire – l’importance du secteur de l’extraction des ressources, en particulier des sables bitumineux; (ii) la nécessité d’inclure à toutes les étapes des mesures technologiques pour contrer les émissions en cause; (iii) des contraintes politiques, économiques et technologiques importantes. Comme les auteurs soulignent:

It is important to remember that this pathway is not a forecast, but rather an illustrative scenario designed to identify technology-related needs, challenges, uncertainties, and opportunities. …  current political realities were suspended, and important assumptions were made …

The Canadian deep decarbonization pathway achieves an overall GHG emission reduction of nearly 90% (651 MtCO2e) from 2010 levels by 2050, while maintaining strong economic growth (see Table 1). Over this period, GDP rises from $1.26 trillion to $3.81 trillion (real $2010 USD), a tripling of Canada’s economy. (p.6)

Le travail, tenant compte du contexte fourni par une croissance démographique assez importante et cette augmentation majeure de l’activité économique, porte une attention particulière aux secteurs industriel et des transports; les perspectives pour les secteurs du bâtiment et des transports s’avèrent plutôt positives. Il identifie des interventions en matière de technologies, d’utilisation d’énergie et de structures économiques pour fournir les pistes permettant d’atteindre la cible.

Au Canada, les principales sources d’énergies deviennent les énergies renouvelables et la biomasse et, comme le texte souligne, le tout n’est pas dépendant d’une seule approche; différentes alternatives sont envisageables selon les circonstances. Complémentaire à ce changement de source d’énergie, l’efficacité énergétique et l’intensité en énergie de l’activité économique amène une hausse de seulement 17% dans la consommation d’énergie avec une hausse du PIB de 203% (p.7 – il semble y avoir confusion avec le 302% mentionné à la page 6).

Le portrait est hallucinant, mais l’objectif est de nous fournir les options envisageables dans le cadre de la volonté de maintenir la croissance; même la technologie de la capture et séquestration de carbone (CCS) n’est pas jugée essentielle, surtout devant le coût prévisible qui la rendrait non viable sur le plan commercial (p.12). Dans la trajectoire esquissée, la production de pétrole et de gaz double, mais c’est surtout pour exportation. Le recours à la CCS à un coût abordable est jugée essentielle dans le cadre d’une trajectoire qui restreint les réductions à des interventions canadiennes, cela en soulignant que la production de pétrole est surtout pour exportation et qu’une collaboration internationale est à rechercher à ce sujet (p.14).

Le rapport identifie quatre hypothèses pour gérer les incertitudes reliées aux secteurs problématiques: la demande pour le pétrole et le gaz va rester importante, même avec la décarbonisation profonde; toutes les réductions des émissions se font au Canada, un point de départ pour le DDPP mais jugé préoccupant; il n’y a pas de changement dans le commerce international pour l’économie canadienne; il y aura beaucoup d’innovation pour stimuler les réductions.

As mentioned previously, the Canadian deep decarbonization pathway assumes that international demand for crude oil and natural gas remains substantial. If international oil prices remain above the cost of production, continued growth of the Canadian oil sands sector (with decarbonization measures) can be consistent with deep emission reduction efforts and would support continued economic development.

The literature conflicts on whether production from the oil sands can be cost-effective in a deep decarbonization scenario; the answer depends on policy, the cost of reducing production emissions, and assumptions regarding transport energy use and efficiency. However, the International Energy Agency’s World Energy Outlook 2013 indicates that even in a 450 ppm world, oil sands production could remain at levels similar to today or higher. (p.12)

Finalement, ce premier jet conclut en soulignant que le coût des réductions dans les deux secteurs problématiques de l’industrie lourde et de l’extraction et du raffinage de l’énergie reste toujours très élevé. En dépit du constat que tout est possible, ils proposent d’y revenir dans la deuxième étape du travail, en ciblant le rôle d’une approche  internationale (en fait, un retour aux types de mécanismes associés au Protocole de Kyoto).

Le prix du pétrole plus déterminant pour l’économie canadienne que le défi de la décarbonisation profonde (p.22)

Dans le rapport de 2015, on projette les tendances actuelles vers 2050, sauf que la base des projections est le prix projeté du pétrole sur les 35 prochaines années: la structure de l’économie canadienne est tellement liée à l’exploitation des sables bitumineux que le rapport se trouve obligé de construire ses scénarios tout en soulignant que «dans un monde en train de se décarboniser, nous ne savons tout simplement pas comment la demande et l’offre pour le pétrole et pour d’autres biens intensifs en émissions vont interagir et où les prix vont se trouver» (19, 20).

Le rapport de 2015 comporte donc une première section sur l’impact du prix du pétrole sur le développement des sables bitumineux. Ce faisant, il donne suite au constat de 2014 à l’effet que le contexte international pourrait être déterminant pour la trajectoire canadienne, pensant à la nécessité de trouver les mesures les plus économiques pour les réductions des GES sans être obligé d’effectuer les réductions au Canada, surtout dans le secteur de l’extraction (sables bitumineux). En 2015, cette approche semble être transformée en partie en reconnaissant l’importance de la baisse dramatique du prix du pétrole sur l’économie canadienne, frappant directement le secteur de l’extraction mais également les industries lourdes.

Le DDPCanada part avec cette énorme incertitude pour l’avenir de l’économie canadienne, en utilisant le scénario de l’Office national de l’énergie (ONÉ) qui comporte l’hypothèse d’un prix bas pour le pétrole dans les prochaines décennies.

Reflecting the 2014 collapse in oil prices, we adopted the NEB [ONÉ] low price scenario, which at the time of report writing was the only publicly available and credible long-term forecast reflecting current market trends. In our reference case, the long-term price of oil stabilizes at a yearly average of $83 after 2030, rising from an average of USD $67 for 2015 (in 2014 dollars), driving 4.3 million barrels per day of oil production. Henry Hub natural gas prices are about USD $4.8 per million British thermal units (MMBTU) with production of 11 billion cubic feet per day. This reference case essentially has production ramping up to 2020 then more or less stabilizing in the longer-term, with GHG emissions more or less stabilizing from today. (p.11)

Avec la perspective pour un prix de pétrole qui reste bas, l’économie canadienne verra une exploitation des sables bitumineux d’environ 4,3 millions de barils par jour pendant les prochaines décennies. Reconnaissant la fragilité de la projection du prix, le DDPCanada formule un deuxième scénario avec l’hypothèse d’un prix à la hausse pour le pétrole, fondé sur la projection moyenne de l’ONÉ.

The basis for the high oil price assumption is the 2013 NEB [ONÉ] medium reference benchmark. In this scenario, oil prices climb to USD $114 in 2035, which we then assume remains constant through 2050. Oil production consequently increases to 7.6 million barrels per day by 2050. Natural gas prices rise to USD $6.7 per MMBTU and natural gas production increases to 17.4 billion cubic feet per day. In this scenario, emissions are about 20 Mt higher in 2020, but then stay about 50 to 60 Mt greater than the reference case to 2050 (Figure 3)…

Figure 5 compares the GHG trajectory of the two scenarios, highlighting the significant impact that oil and gas prices have on Canada’s emission trajectory through production and consumption. The net impact of higher oil prices and production is to increase Canadian emissions by 47 Mt in 2050 or 7 per cent. (p.11)

Il s’agit d’une exploitation 3 fois supérieure à ce qui se fait aujourd’hui. Dans les deux scénarios, les auteurs décrivent ce qu’ils jugent comme une vision plutôt réaliste de l’avenir en termes des politiques et des comportements actuels. Le prix plus élevé voit l’exploitation des sables bitumineux, et les émissions, augmenter. Le réalisme inclut le jugement que, comme c’est le cas depuis des décennies, les défis environnementaux ne changeront pas les orientations économiques.

J’inclus ici pour faciliter le suivi de l’argument un long extrait qui explique la pensée derrière les deux scénarios de référence (avec prix bas et pris élevé):

Overall, net emissions are dominated by the upstream fossil production in either oil price scenario, with transport emissions [en baisse] only somewhat offsetting upstream emissions [en hausse]. The key dynamics are threefold. First, the higher oil prices scenario drives more fossil energy extraction, boosting sector emissions relative to our reference case by 82 Mt in 2050, or 12 per cent higher. Second, there is an offsetting net effect on emissions as oil prices impact long-term technology deployment on the consumption side. Higher oil prices discourage the consumption of gasoline and diesel, with emissions in the NEB medium scenario down 4 per cent or 27 Mt. Ongoing energy-efficient regulations dampen the transport emissions rebound as the fuel economy of the transport fleet significantly improves to 2050. The large relative drops of GHGs in both scenarios reflect Ontario’s coal electricity phase-out, which delivers emission reductions before 2015, but also the federal coal-fire power electricity regulations that reduce the emission intensity of electricity after 2020, despite a 50 per cent expansion in electric demand between now and 2050. Third, changes to energy prices induce minor fuel switching and changes to emissions in other sectors of the economy, such as buildings and industry. (p.11-12)

Voilà pour le réalisme du rapport, qui suit ici la même approche que le Conférence Board. C’est cette vision à laquelle Dialogues pour un Canada vert prétend répondre... Le rapport conclut en retournant aux travaux sur les trajectoires de référence.

In sum, oil prices, and not national decarbonization policy, are the key determinant of Canadian oil production and therefore our regional economic structure. Overall GDP is relatively unaffected, but with strong regional effects. Domestic deep decarbonization is feasible in all cases. (p.23)

2015: La DDPC, la trajectoire pour le Canada: On cherche à atteindre la cible du GIÉC ou Comment réaliser la croissance économique en respectant un rôle important pour les sables bitumineux

Le texte poursuit en rappelant la cible de 1,7 t/personne, à partir de 21 t/personne aujourd’hui, et maintient le seuil de probabilité de 67% (contrairement à ce que le projet global du DDPP se trouve obligé de faire avec leur mise à jour globale de 2015). La travail tient compte d’une population qui aurait augmenté de presque 50% (33M à 48M) et use croissance du PIB per capita qui le verrait passer de $37,000 à $78,000, plus du double.
La trajectoire pour une décarbonisation profonde de l’économie canadienne comporte plusieurs politiques: réglementation la meilleure de classe: contrôle de l’intensité de consommation d’énergie et d’émissions pour les bâtiments, les véhicules et les appareils ménagers ainsi que pour le transport personnel et de marchandises; contrôles exigeant des réductions de 99% des sources de méthane que constituent les sites d’enfouissement et les industries; établissement du prix de carbone différencié entre l’industrie lourde et le reste de l’économie; politique d’aménagement du territoire qui intègre la prise en compte des émissions.
La trajectoire compte six composantes sous trois régimes. Le premier régime est constitué des tendances actuelles en mode hautement accélérée, et comporte des interventions dans les processus d’électrification décarbonisée, dans la productivité (ou efficacité) énergétique et dans l’étanchement des fuites dans les sites d’enfouissement et dans les équipements et infrastructures pour le gaz. Un deuxième régime est décrit comme «nextgen» – «prochaine génération» – et comporte des interventions ayant recours à des technologies non encore disponibles; il touche la développement de carburants zéro émissions pour les transports et des procédés industriels décarbonisés. Le troisième régime est structurel et touche le fonctionnement de l’économie en relation avec l’évolution du prix du pétrole; il s’agit de la première section déjà esquissée.
 Le transport comporte des incidences différentes dans l'exploitation des sables bitumineux...
C’est un ensemble de mesures extrêmement contraignantes, allant à l’encontre de ce que les auteurs jugent la norme par le contrôle extrême qui serait exercé par l’État. Ils laissent entendre – c’est très clair – que la trajectoire développée es plutôt illusoire…
Our analysis and modelling indicate that this is truly a stretch scenario relative to current and forecast policy stringency. … These rather aggressive measures need to be implemented essentially immediately if deep decarbonization is to be achieved by 2050, which we as analysts realize is pushing the limits of plausibility. (p.13)
Bref, ils réussissent à concevoir une trajectoire qui pourrait permettre les réductions de GES de 90% tout en maintenant l’activité dans les sables bitumineux. Par contre, cette trajectoire n’est tout simplement pas plausible. On se bute à la faille de tout le processus du DDPP: il s’agit d’un exercice qui cherche à fournir aux décideurs en ensemble de mesures qu’ils ne pourront pas mettre en oeuvre selon les conditions établies – du moins dans le cas du Canada. Devant l’échec, aucune piste n’est fournie pour les gestes qu’il faudrait poser dans le cadre d’une décroissance prévisible de l’économie.
et l’auto dans tout cela
Le Conference Board, se penchant uniquement sur le secteur des transports, n’a même pas jugé pertinent d’esquisser dans le détail un scénario qui respecterait le budget carbone. Il jugeait que les mesures requises seraient beaucoup trop contraignantes et autoritaires pour le cadre canadien. Le DDPP le rejoint dans son jugement à cet effet ainsi à l’effet que sa trajectoire n’est pas plausible, mais fonce dans le détail.
À travers le rapport, les perspectives pour les transports personnels sont jugés plutôt capables de progresser dans la bonne direction (p. 6, 29s.); cela serait justement en raison de l’ensemble d’autres mesures proposées. À l’instar du DDPP, nous sommes devant une des contraintes fondamentales dans les travaux visant la formulation d’un accord à Paris: des projections qui se butent à un monde inconcevable, où il y aurait, par exemple, des milliards de véhicules personnels (incluant 1,2 milliard high tech) circulant dans l’imaginaire à travers une activité économique mondiale trois fois et demi celle d’aujourd’hui, mais décarbonisée.
Nulle part dans les travaux ne voyons-nous une réflexion sur les implications de tout cela, avec la consommation de ressources que nous pouvons dire inimaginables; nulle part nous n’y trouvons une réflexion sur l’alternative qui s’imposera de force – ou possiblement avec notre intervention… – une restructuration de l’économie canadienne, de l’économie mondiale, de la civilisation contemporaine dans le cadre d’une baisse permanente et dramatique de son activité.
Finalement, c’est un peu le pendant du tableau de la Fortune 500, où onze des douze plus importantes corporations du monde en 2012 étaient dans le secteur de l’énergie (fossile). Le nouveau gouvernement Trudeau va-t-il vraiment abandonner le rêve d’exploiter les sables bitumineux, de maintenir l’industrie automobile? Déjà, nous voyons le DDPCanada se plier aux dérapages qui auront lieu à Paris et après.
La baisse du prix du pétrole pourrait entraîner l’abandon imaginable de l’exploitation des sables bitumineux et d’autres sources d’énergie non conventionnelle. Est-ce que l’abandon imaginable de l’industrie de l’automobile, complément de celle de l’énergie fossile, fait partie de la réflexion qui s’impose. Est-ce que cela préfigure l’effondrement de la production industrielle projetée par le Club de Rome dans Halte à la croissance?

Quand même, dans un prochain article: L’émission Découverte, et le DDP pour la Chine…

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Le DDPP: la décarbonisation profonde est «plus ou moins» atteignable

NOTE Le 3 septembre: David Roberts, blogueur de Grist pendant 10 ans et maintenant de Vox, avait souligné comme moi l’importance des travaux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) : il s’agit d’une initiative de dernière chance qui cherche à concilier les exigences du budget carbone du GIÉC avec la volonté de maintenir le modèle économique actuel fondé sur une croissance économique contre-intuitive devant l’ampleur du défi. Je l’ai contacté pour voir s’il en connaissait quelque chose concernant le retard d’une demi-année dans la sortie du rapport 2015, le délaissement du site web et une  adresse courriel qui ne fonctionnait pas. Pour moi, tous les moyens de contact étaient bloqués, les auteurs du rapport canadien ne répondant pas plus que ceux du DDPP. La réponse de son contact dans l’organisation n’a pas tardé: «The 2015 @Pathways2Decarb report will be released in late 2015 before COP21 & we’re relaunching the site in a few weeks!» – aucune explication fournie. Un résumé exécutif du document synthèse est sorti discrètement en septembre; on attend toujours le rapport lui-même.

En date du 25 novembre, le site web du DDPP est bloqué, avec le message (en espagnol): «Transferencia mensuel superada – Actualmente esta página se encuentra desactivada por haber superado la transferencia total contratada. – Por favor, vuelva a intentarlo más tarde. – Gracias por visitarnos.» Et il semble que le rapport promis pour le début de la COP21, le 30 novembre, n’est toujours pas sorti. Et voilà, en date du 27 novembre: le site est toujours bloqué en passant par une voie, mais est ouvert en suivant une autre; j’y trouve maintenant une version française du résumé exécutif 2015 que j’utilise pour fournir les citations en français dans mon texte, en laissant l’original en anglais.

Disons que c’est une initiative extrêmement exigeante, et que cela explique qu’il y ait des retards… Soulignons surtout que déjà le résumé exécutif de septembre nous informe que le DDPP a abandonné son objectif initial (voir plus bas). 

Le DDPP a publié son premier rapport (après un rapport préliminaire quelques mois plus tôt) pendant la rencontre aux Nations Unies en septembre 2014 convoquée par Ban Ki Moon pour préparer la COP21 et a promis, «dans la première  moitié de 2015», un rapport plus complet qui aborderait les enjeux sociaux, politiques et économiques encore plus problématiques que ceux, technologiques, du rapport de 2014:

In the first half of 2015, the DDPP will issue a more comprehensive report to the French Government, host of the 21st Conference of the Parties (COP-21) of the United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC). The 2015 DDPP report will refine the analysis of the technical decarbonization potential, exploring options for even deeper decarbonization, but also better taking into account existing infrastructure stocks. At this stage, we have not yet looked in detail at the issue of the costs and benefits of mitigation actions, nor considered the question of who should pay for these costs. The 2015 DDPP report will take a broader perspective, and go beyond technical feasibility, to analyze in further detail how the twin objectives of development and deep decarbonization can be met through integrated approaches, identify national and international financial requirements, and map out policy frameworks for implementation. (p.vi-vii)

DSC09434

Pour avoir une explication partielle de l’échec annoncée de la COP21, il semble utile de regarder l’état des travaux du DDPP sur 16 pays représentant environ 85% de l’activité économique mondiale et 75% des émissions, et en incluant les pays du BRICS. Je propose de le faire en regardant les sous-sections du court résumé exécutif publié en septembre; les rapports par pays sont également disponibles et je reviendrai plus bas sur celui pour le Canada. Les sous-sections se présentent sous forme de questions. (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite
Translate »