Voyage dans les entrailles de la Chine

Mon premier voyage en Chine était un peu un voyage à la lune, tellement le pays était défini comme «ailleurs» pendant que je grandissais aux États-Unis. Même aujourd’hui, le pays mène ses propres affaires pas mal indépendamment du reste du monde. En même temps, nous la connaissons de mieux en mieux, et elle est de plus en plus devenue un pays «normal». Sauf que, par sa taille, elle est plutôt «anormale» dans le sens que tout ce qu’elle fait comporte aujourd’hui des incidences sur le reste du monde, sur la planète.

DSC08104

 

Les deux premiers voyages

Je suis une personne qui ne se stresse pas facilement, mais mon premier voyage en Chine en 2009 était finalement la période la plus stressée de ma vie, tellement les communications étaient difficiles, voire impossibles. En même temps, il m’a fourni mes premières perceptions d’un pays fascinant, d’une part par l’omniprésence de masses de Han, ethnie dominante dans le pays avec plus de 90% de la population, autant dans des villes grandes et petites qu’à la campagne, d’autre part par les différentes minorités qu’elle héberge (une cinquantaine) et qui maintiennent encore et en bonne partie leur culture propre dans les coins reculés où elles ont été poussées dans le passé. Suivant un guide Lonely Planet pour le sud du pays, je l’ai traversé de Hong Kong sur la côte sud-est jusque dans le piedmont des Himalayas, à Shangri La (…!) dans le Yunnan.

Pour mon deuxième voyage, en 2010, je me suis donné comme tracé pour l’itineraire le bassin du fleuve Yangtze. Partant de Shanghai, je me suis dirigé vers l’ouest, en passant par de nombreuses villes sur le parcours (en même un peu en dehors du parcours) : Hangzhou, Nanjing, Suzhou et Wuhan, pour terminer à Chengdu, encore une fois au pied des Himalayas et un retour par Chongqing. En comparaison avec le premier voyage, c’était sans stress : j’avais un guide/interprète qui, même s’il ne connaissait pas les endroits par où nous passions, rendait possibles les communications tout au long du voyage.

Les perceptions que j’ai pu emmagasiner lors de mon premier voyage se voyaient étoffées quelque peu par des contacts directs avec les gens, grâce à mon interprète. Autant c’était un privilège pour moi de pouvoir entrer en contact avec des gens à de nombreux endroits, autant c’était fascinant pour eux de me voir, une sorte de lunatique, un étranger manifestant un intérêt pour leur coin de pays, et pour eux.

Le troisième voyage

Mon troisième voyage, en 2011, s’est dessiné en fonction de l’expérience des deux premiers. Cette fois, c’était en bonne partie le bassin du fleuve Jaune qui orientait les déplacements. Encore une fois, avec mon interprète, nous passions une journée ou deux à marcher différents quartiers d’une ville, pour ensuite passer une journée ou deux à nous aventurer à la campagne autour. La technique : prendre un autobus à partir d’une ville pour aller jusqu’au bout de la ligne, ensuite louer un taxi local pour une visite de quatre ou cinq heures dans la région environnante, assez souvent et encore source de l’alimentation de la ville. Les rencontres que cette approche permettaient sortaient des visites touristiques ordinaires, pas les moindres celles avec les chauffeurs de taxi, fascinés par mon intérêt pour leur coin de pays…

Au début de ce troisième voyage, une première semaine dans le nord-est de la Chine, en Manchourie, était saisissante dans ses perspectives. Des visites (évidemment rapides et sans prétension à une compréhension quelconque) de villes clé, Shenyang, Changchun et Ha’erbin, étaient entrecoupées par les trajets entre elles en autobus. Sur des centaines de kilomètres, nous ne voyions que des champs de maïs, en train d’être récoltés – sauf que nulle part nous ne voyions de la machinerie normale. Et voilà, notre approche pour les contacts nous a permis (i) de rentrer carrément dans ces champs pour échanger avec les paysans qui étaient en train de faire la récolte – à la main, et cela sur des milliers de kilomètres carrés – et (ii) de réaliser que les villes s’extensionnaient loin à la campagne, de façon tentaculaire, dans ces mêmes champs…

Le reste du voyage nous a permis des incursions dans la Mongolie intérieure, histoire de voir quelques vestiges d’une autre culture, et dans le Gansu, autour de Zhangye et dans le sud-ouest, une sorte de Tibet intérieur presque dans les Himalayas et siège d’un des grands monastères buddhistes du pays à Xiahe, le monastère Labrang; la ville musulmane de Linxia était également une découverte. Le retour nous a permis de compléter la boucle du fleuve Jaune, passant par Xi’an, Yan’an et Pingyao pour d’autres expériences. Nous avons vu les traces de l’immensité du Plateau du loess et de l’érosion qui l’a marqué au fil des siècles, tout comme des indications des efforts de reforestation en œuvre depuis des décennies.

Pour mitiger le stress expérimenté lors du premier voyage, j’ai suivi deux ans de cours de Chinois (débutant même un troisième que j’ai dû abandonner parce que le cours était tellement exigeant qu’il entrait en conflit avec mon troisième voyage…). Ces cours ne m’ont pas rendu compétent ni en Chinois oral ni en Chinois écrit. Par contre, et comme les voyages eux-mêmes, ils m’ont fourni de nouvelles perceptions, un contact avec un autre monde, ici linguistique, où les caractères fournissent une toute autre idée d’une langue et des liens entre l’oral et l’écrit, les caractères n’ayant presque aucun lien direct avec la prononciation, avec la langue orale qu’ils représentent.

Voyage à l’intérieur…

Voilà, je m’en vais en Chine pour une quatrième fois. Cette fois-ci, ayant acquis un sens minimal de la géographie du pays, je rentrerai dans ses entrailles. Une première semaine (entrecoupée d’une visite d’une région où résident des populations des minorités Miao et Dong) se fera dans la province de Hunan (population 66 millions), la plus grande productrice de riz du pays – sauf que le riz s’avère hautement contaminé par des sols syant subis les assauts de milliers d’entreprises polluantes aux alentours, au su de tout le monde. Le riz du Hunan n’est presque pas vendable, et les paysans sont en train (ce sera à voir) de s’adapter à cette réalité. Une autre semaine permettra la visite d’une autre région de riziculture, le Henan (population 94 millions), histoire de voir des contrastes, si possible.

La semaine suivante s’orientera vers le Shanxi (34 millions), une province qui contient le tiers de toutes les réserves de charbon du pays; elle est entourée de plusieurs autres provinces qui viennent d’adopter des engagements pour une réduction importante, souvent en termes absolus, de leur consommation de charbon. Note intéressante à cet égard, une récente étude indique qu’il y aura plus d’emplois créés dans le processus de transformation du secteur de l’énergie que d’emplois perdus dans les mines, le transport du charbon et dans les aciéries. Restera à voir si les nouveaux emplois seront capables de remplacer ceux perdus dans les provinces affectées. Pour le moment, le Shanxi ne participe pas dans le processus. Voir le graphique.

La suite du voyage ciblera de plus près des régions du Shaanxi (38 millions) où le Plateau du loess a été reforesté et où je pourrai essayer de voir comment le pays a réussi ou pas à endiguer ce fléau. Un film documentaire de 2008 en fournit d’intéressantes perspectives visuelles, et plusieurs études, dont une de 2013, tracent l’historique des problèmes d’érosion dans la grande région ainsi que les défis et les acquis de plusieurs décennies d’afforestation ciblant un contrôle de cet énorme problème. Nous aurons une journée pour (re)visiter le fascinant quartier musulman de Xi’an, autrefois le début (ou la fin) de la Route de la soie.

Chine voyage iv15  Shanxi via Greenpeace

 

Fin du voyage : 3 jours à Shanghai, ville fascinante d’environ 20 millions de personnes où, en 2010, j’ai pu visiter le quartier Zhabei qui a servi de centre de l’histoire de La condition humaine d’André Malraux, quartier en train d’être démoli en 2010 (voir photo plus haut). Ce n’était pas pour rien qu’il y avait un arrêt de métro qui nous y donnait accès…

Derrière les perceptions recherchées

Il est peu connu, mais en 2004 la Chine a calculé un PIB vert, une sorte d’IPV pour l’ensemble du pays et tout récemment, par la voie de ChinaDialogue, webzine avec sièges à Londres et à Beijing, j’apprends que la Chine a repris les travaux  sur le PIB vert ou IPV – en fait, j’avais des sources qui indiquaient qu’elle ne les a jamais abandonnés. Élément important dans la reprise, une approche à l’évaluation des responsables provinciaux et municipaux basée sur autre chose que la croissance du PIB dans leur juridiction, et incluant les coûts des dommages environnementaux. Pour les dommages sociaux, le pays est extrêmement conscient des risques de la situation actuelle mais, en contrepartie – comme pour les pays riches – il est également conscient d’une réaction profonde à tout changement qui comporterait une baisse dans les espoirs maintenus par la population. Une telle baisse est probablement inévitable, mais une redistribution est tout aussi possible en Chine que dans les pays riches…

NOTE: Je n’aurai pas accès direct à mon site pour publier des articles, mais je me suis arrangé pour que ma fille mette en ligne les courriels que je me propose de faire pendant le trajet – si je trouve quelque chose qui pourrait possiblement intéresser des lecteurs.

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Manifeste: élan global pour un nouveau modèle

Plusieurs signataires d’un Manifeste pour un (nouvel) élan global ont tenu une conférence de presse ce midi pour essayer de relancer des idées et des objectifs laissés peut-être trop dispersés, trop flous. Je n’y étais pas, mais je l’ai signé, parce qu’il va, dans toute sa rhétorique, dans presque la bonne direction.

Le Manifeste s’exprime en fonction de l’économie, sans bien cerner ce qui est en cause. On veut «écologiser» et «humaniser» cette économie, mais il n’y a pas de véritable vision de ce qui est en cause dans notre texte. Le Manifeste critique la croissance, mais surtout la croissance infinie et à tout prix. Il y a risque que la croissance anémique voulue – désespérément recherchée – par les élus de la planète soit celle jugée nécessaire pour l’effort de donner un nouvel élan à notre société. À tort.

En effet, le parti pris pour l’économie s’insère dans la volonté de «lancer un vaste chantier de développement véritablement durable, viable, juste et équitable», mais il est clair que les critères pour ce chantier, énoncés à même l’énoncé, doivent être respectés sans rester dans le flou de l’énoncé. C’est pourtant un nouvel élan global qui est nécessaire.

DSC09656

 

Des précisions absolument nécessaires

La Manifeste prétend que les solutions existent, mais ne fournit aucune indication de celles-ci. Ce que nous disons est que nous devons agir dans l’espérance de pouvoir faire quelque chose, de nous tromper quant au destin que nous pensons voir se dessiner. Beaucoup de paroles frôlent la rhétorique, mais le fond et les constats sont assez solides : nous sommes dans la dèche, et devons agir.

Le seul élément précis du chemin pour l’action, partant d’une «noirceur nouvelle qui se répand», est l’objectif d’atteindre une réduction de notre consommation de pétrole de 50% d’ici 2030 et de couper nos liens avec le pétrole. Ce qu’il ne dit pas est que – à moins de poursuivre comme des enfants gâtées et ne voir que nos propres intérêts – cela est probablement la moitié de ce qui est requis. L’IRIS nous a déjà fourni l’objectif presque incontournable, une réduction de 40% de nos émissions d’ici 2020 et une baisse presque vertigineues par la suite.

Pour respecter son « espace atmosphérique », le Québec doit réduire ses émissions de CO2 de 3,6 % en moyenne, et cela pour chaque année entre 2000 et 2100. Cela implique une réduction de moitié des émissions dès 2025, par rapport au niveau de 2000. L’empreinte carbone du Québec devrait ensuite passer sous la barre des 20 Mt dès 2040.

Si on la compare avec les objectifs gouvernementaux actuels de réduction de GES, qui s’établissent à 25 % [maintenant 20 % HLM] de moins que le niveau de 1990 d’ici 2020, l’approche par budget carbone implique une action beaucoup plus ambitieuse, soit une cible de 40 % sous le niveau de 1990 d’ici 2020.

Cet élément plutôt défaillant du Manifeste, qui se veut ambitieux, donne une idée de l’ampleur de ce que nous y appelons «la transition». Déjà, le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a suggéré que le maximum que nous pourrons atteindre, avec une approche réaliste, est une réduction de 15 % en 2025…

L’élan global que nous recherchons comporte beaucoup plus que des changements dans nos relations avec l’énergie fossile. Il comporte des changements radicaux dans notre façon de vivre, dans notre consommation, dans notre reconnaissance de la situation vécue par les trois quarts de l’humanité. Le deuxième chapitre que j’ai écrit pour Les indignés pour mettre en relief les indicateurs qu’il nous faut comme guides met un accent sur l’empreinte écologique et l’Indice de progrès véritable. Il donne du mordant à la volonté de quiconque s’identifie comme «objecteur de conscience» dans le contexte actuel, qui exige davantage que l’on soit «objecteur de croissance».

Objecteurs de conscience, objecteurs de croissance

Le Manifeste réunit les objecteurs – de conscience, de croissance – qui en même temps signifient leur refus de l’abandon. J’y suis, mais mes co-signataires, pour plusieurs, n’ont pas d’idée de l’ampleur du défi. Ils signent en insistant qu’ils vont faire ce qu’il faut, et voilà l’intérêt. Maintenant, il faut commencer par dessiner le chemin. La première étape du parcours : le Conférence des parties à Paris en décembre. Il est écrit dans le ciel que les parties ne réussiront pas à s’entendre sur une programmation qui respectera ce que le GIEC nous dit est essentiel si nous n’allons pas céder notre espérance à l’incontournable.

Cela pose d’énormes défis pour le projet de «développement durable, viable, juste et équitable», expression où le Manifeste empile tout ce qui semble bon dans notre espérance. Par contre, le langage du Manifeste semble rejeter le discours lénifiant de l’économie verte, de la croissance verte, et voilà un fondement me permettant de signer. Le Manifeste prétend que notre territoire «regorge de sources d’énergies renouvelables», presque sûrement un élément fondamental pour le développement proposé dans la tête des rédacteurs, mais passe immédiatement à des objectifs de conservation. Le texte débute, par ailleurs, en insistant sur une situation où les ressources de la biosphère sont limitées et en déclin. Pour le répéter, il veut «créer un modèle de transition écologique» sans aucune précision quant à ce qui est en cause.

Le modèle de développement voudrait peut-être donc se fonder pour certains sur de nouveaux chantiers d’énergie renouvelable. Par contre, dans un contexte où les surplus sont prévisibles pour plus d’une décennie et où de tels chantiers élimineraient les fondements de la volonté de réduire la consommation d’énergie fossile – nécessaire pour de tels chantiers –, il va falloir beaucoup d’imagination pour montrer le caractère écologique et équitable d’une telle «transition».

Le Manifeste accepte l’imaginaire de la Révolution tranquille, contre l’IRIS dans Dépossession, et ils prônent même les objectifs de Brundtland comme si rien ne s’est passé depuis 25 ans : on doit procéder «à la construction d’une économie qui permettra l’amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en protégeant l’environnement». Ce sera une économie où on consommera moins et produira mieux, comme disait-Brundtland. Un regard approfondi sur le sens de l’élan global voulu suggère – montre – que la transition «révolutionnaire» ne pourra être tranquille.

L’espérance presque source de désespoir

À la lecture du Manifeste, je n’arrive pas à bien cerner la «pensée unique» et la «pensée magique» qu’il cible pour identifier le changement voulu, et ma principale crainte face aux initiateurs du Manifeste est que le flou du texte se maintienne dans un flou d’action et d’engagement.

Je n’aurais pas survécu mes décennies d’engagement dans de tels efforts si j’étais porté au désespoir et, pourquoi pas, à la dépression (comme celle subie par plusieurs amis). Reste qu’il est presque désespérant de voir les groupes environnementaux et sociaux maintenir le même discours qui les a animé pendant ces décennies et contourner la nécessité de voir la nouvelle situation en face. Et que dire des 100 000 personnes que le Manifeste veut réunir?

Le Manifeste ne propose rien qui puisse ressembler à des solutions, si ce n’est que le discours en place depuis déjà trop longtemps. Maintenant que c’est lancé, il nous faut connaître les solutions, et les mettre en oeuvre.

 

 

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

L’IRIS à la recherche d’un nouveau modèle: le secteur de l’énergie

Ceci est le quatrième et dernier d’une série d’articles portant sur Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain publié récemment par l’IRIS. L’objectif est d’essayer de rendre explicites les composantes d’un nouveau modèle que le livre semble pressentir mais ne présente pas explicitement.

 

Énergie : De la nationalisation è la privatisation, par Eve-Lyne Couturier et Bertrand Schepper-Valiquette

L’histoire de l’électricité au Québec; La petite histoire des hydrocarbures au Québec

Il faut aller dans les sous-sections de chaque partie du chapitre pour voir les détails mais, comme les titres l’indiquent, le chapitre ne fournit que par indirection les pistes pour une vision de la façon dont l’énergie devrait être régie dans la société. L’histoire débute avec des problèmes de corruption, de collusion et de mauvaise gestion au sein des entreprises privées qui opéraient dans le secteur de l’électricité et du gaz il y a 100 ans. Suit une présentation des étapes menant à la nationalisation des compagnies d’électricité (mais non des compagnies possédant leurs propres barrages) sous les régimes de Duplessis, de Godbout et finalement de Lesage.

Un modèle d’affaires pour le service public

Avec les interventions du gouvernement Lesage, dont le travail de René Lévesque, le Québec reconnaît comme un service public l’approvisionnement en électricité aux abonnés résidentiels et commerciaux. Couturier souligne qu’avec l’attribution à Hydro-Québec d’un nouveau statut en 1981 par Jacques Parizeau, l’État devient l’unique actionnaire, Hydro-Québec devient une entreprise à fond social et commence une gestion plus commerciale. Ce processus enlève à la population son rôle comme propriétaire (direct, mais je ne comprends pas très bien la distinction) et met en place l’effort de développement où, en plus «d’offrir le meilleur service au meilleur prix, il faut aussi trouver le moyen de développer le marché tout en étant de plus en plus profitable» (193).

DSC05480

 

C’est justement à partir des années 1980 que l’influence grandissante des courants néolibéraux mène progressivement à des changements dans ce sens. La volonté d’intégrer le marché nord-américain mène, dans les années 1990, à la création de la Régie de l’énergie et de l’Agence d’efficacité énergétique et le début de la déréglementation du marché de l’électricité. Hydro-Québec se scinde en quatre entités distinctes «selon un modèle imposé par un marché externe privé, dans le but avoué de maximiser son profit» (198).  Suivent des années de contestation entre Hydro-Québec et la Régie de l’énergie, alors que le gouvernement redéfinit sa place dans le portait. En 2000, la Régie perd son autorité sur les lignes de transmission et leur entretien, et en même temps, avec la Loi 116, elle perd toute juridiction réglementaire sur Hydro-Québec Production, décision qui enlève beaucoup de pouvoir au gouvernement aussi. Le processus de déréglementation comporte l’instauration d’un engagement «patrimonial» et une sorte de redistribution par la voie de l’interfinancement..

(suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

L’IRIS à la recherche d’un nouveau modèle: le secteur minier

Ceci est le troisième d’une série d’articles portant sur Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain publié récemment par l’IRIS. L’objectif est d’essayer de rendre explicites les composantes d’un nouveau modèle que le livre semble pressentir mais ne présente pas explicitement.

 

Mines : L’histoire d’une triple dépossession, par Laura Handal Caravantes

Les rôles du secteur public dans le mode d’administration des ressources minières au Québec; La législation minière québécoise : la place des citoyennes et citoyens, de l’État et de l’environnement; La dépossession économique : l’impact fiscal

Handal Caravantes a déjà présenté en avril 2010 un rapport de recherche pour l’IRIS qui mettait en question le soutien financier par l’État du secteur minier, soulignant le peu de bénéfices pour l’État associé à l’expérience au fil des décennies. Dans le chapitre du livre actuel, elle trace l’histoire du modèle productiviste inacceptable fondé sur le processus de dépossession des ressources, soulignant l’ampleur de la dépossession (169). Dans les deux premières sections, elle met l’accent sur la façon dont l’administration publique a joué un rôle de soutien au développement minier, sans y participer activement, et sur la législation qui favorise le développement à la faveur du secteur privé qui y opère.

Comme son titre l’indique, l’expérience comporte trois dépossessions: matérielle (142 s.), politico-écologique (146 s.) et économique (157 s.). Elle trace entre autres la création de sociétés d’État comme la SOQUEM et la SOQUIP et le rôle de la Caisse de dépôt et de placement et de la Société générale de financement (SGF) dans le financement de différentes interventions. Elle revient régulièrement sur le fait que ces interventions visaient à favoriser le développement par le secteur privé plutôt qu’un «véritable processus de réappropriation populaire de l’exploitation des ressources minérales» (121). Même en termes de développement économique, les résultats étaient mitigés et peu satisfaisants. À partir des années 1980 et la dominance du néolibéralisme, elle note un «recul du rôle commercial et industriel de l’État … il n’y conserve que les fonctions utiles au privé, c’est-à-dire un rôle de bailleur de fonds et la responsabilité d’assumer les risques» (129). C’est le même portait fourni par Pierre Dubois pour le milieu forestier.

L’intervention du gouvernement Marois n’a fait que poursuivre le «modèle extractiviste axé sur l’exploitation et l’exportation massive et à l’état brut des ressources naturelles» (134). Le gouvernement Couillard continue dans cette orientation «vers un modèle de développement risqué et de nature instable» en visant un rôle de partenaire-actionnaire des entreprises (137). Dans la présentation de l’histoire de la législation fondée depuis toujours sur le free mining, elle rentre dans ce qui est mieux connu et qui, comme trame de fond, insiste sur la main-mise des entreprises sur le développement.

Osisko Malarctic photo

Une section de ce chapitre porte sur la carence démocratique qu’il associe au fait que le BAPE n’est pas décisionnel, ce qui contribuerait à la dépossession matérielle et politico-écologique (146-152). Elle note concernant les consultations du BAPE que, «loin de permettre un plus grand contrôle sur l’aménagement de leur territoire d’appartenance, cette insistance aurait plutôt pour fonction d’«encadrer un processus de négociation en continue des conditions de réalisation» des projets» (149). L’implication est claire que le BAPE devrait avoir un pouvoir décisionnel. Le processus de consultation ne donne pas toujours, sinon jamais, les résultats escomptés. (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

L’IRIS à la recherche d’un nouveau modèle: le milieu forestier

Ceci est le deuxième d’une série d’articles portant sur Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain publié récemment par l’IRIS. L’objectif est d’essayer de rendre explicites les composantes d’un nouveau modèle que le livre semble pressentir mais ne présente pas explicitement.

 

Forêt : Une histoire d’aliénation, par Pierre Dubois

Brève histoire des conditions de travail en forêt au XXe siècle; Brève histoire de l’économie forestière et du rôle de l’État

Comme ses deux divisions l’indiquent, suivant l’approche de tout le livre, le chapitre fournit une analyse de la situation en foresterie à travers une présentation intéressante de son histoire telle que vécue sur le territoire par les travailleurs, par les industriels et par l’État. Dubois met un accent sur le «constat révoltant» de l’exploitation des travailleurs, faisant une distinction importante ainsi avec l’exploitation forestière, qu’il ne mentionne à peine. «La foresterie a été la voie de prolétarisation de la population rurale d’autrefois» et les suites décrites dans la première section suggèrent que cette situation n’a guère changé.

Une syndicalisation partant des années 1950 a permis des «pas de géant», mais la Loi sur les forêts de 1986 a créé un vide juridique relatif aux conditions permettant la syndicalisation et ses bienfaits pour les travailleurs dans les années précédentes. Le résultat a été l’anéantissement de la syndicalisation (77). Les travaux de reboisement et de sylviculture qui débutent dans les années 1980 finissent par recréer les conditions de travail d’avant la syndicalisation, dont la sous-traitance, et le résultat est que ce sont surtout des immigrants qui travaillent en forêt à ces postes; même la Loi sur les normes de travail n’y est pas respectée.DSC04883

Pour ce qui est de l’histoire de l’économie forestière, Dubois la résume comme celle d’«un monde merveilleux où les profits sont privés et les coûts – sylviculture, protection, voirie, etc. – sont pris en charge par l’État» (81). Il trace l’histoire des entrepreneurs en bois rond et en bois de sciage, d’une part, et de ceux de pâte de bois et de papier, d’autre part. La distinction s’impose dans cette histoire entre les activités en forêt – la foresterie – et les activités de transformation – l’économie forestière. Les entrepreneurs dans la transformation du bois et la fabrication du papier nécessitent le bois comme matière première, mais opèrent dans un monde à part, le monde où il y a du profit à faire.

Une tentative de réforme menée par le ministre Kevin Drummond en 1972 marque un moment important où l’État essaie d’intervenir pour s’assurer de retirer des bénéfices de l’exploitation de ses forêts (90% de la forêt québécoise est publique). Le premier choc pétrolier et d’autres perturbations des milieux économiques ont fait que l’initiative a progressé plutôt lentement, en 1984 ayant repris en main seulement le tiers des concessions allouées aux entreprises privées.

Par contre, l’expérience a créé le secteur du sciage sous le contrôle d’entrepreneurs francophones relativement indépendants des papetières, dont le capital est surtout américain et canadien. Reste que, «à cause de l’absence de volonté politique du gouvernement et du fait du puissant lobbying de l’industrie papetière, les privilèges des industriels demeurent presque intacts» (88). L’étape suivante, avec la Loi sur les forêts de 1986 qui transforme les anciennes concessions en CAAF (contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier) «ne change pas grand’ chose : la gestion du patrimoine forestier public demeure privée» (89). La politique qui en découle «sonne le glas d’une industrie de sciage indépendante» (90), les papetières procédant à l’acquisition des scieries avec leurs capitaux plus importants.

Un nouveau modèle à caractériser (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

L’IRIS à la recherche d’un nouveau modèle : le milieu agricole

La publication récente par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) de Dépossession : Une histoire économique du Québec contemporain marque une étape intéressante dans la nécessaire identification d’un modèle pour remplacer celui de notre système économique actuel qui est dépassé par ses contradictions. Contrairement à d’autres interventions, les essais dans ce livre ne se limitent pas aux crises occasionnées par la domination du néolibéralisme depuis les années 1980, montrant que le fond du problème remonte plus loin et met en question le modèle économique lui-même dont le néolibéralisme n’est qu’une variante particulièrement néfaste.

L’IRIS propose une intervention en deux étapes, celle-ci, le volume 1, portant sur les enjeux associés aux ressources de la province; un volume 2 en préparation portera sur des enjeux sociaux à travers une critique de la technocracie héritée de la Révolution tranquille. Selon le coordonnateur du projet, Simon Tremblay-Pepin, la démarche «s’attaque à l’idée selon laquelle la Révolution tranquille aurait permis d’atteindre les objectifs d’appropriation économique qui étaient les siens dans l’imaginaire québécois» (16). Contrairement à l’idée que cette initiative a marqué un âge d’or, l’IRIS propose plutôt qu’elle a mis en place deux groupes sociaux qui ont maintenu la dépossession déjà en cours à cette époque, les technocrates et les entrepreneurs québécois. Il s’agissait d’élites dont les compétences leur permettaient de passer facilement entre les sphères politique, de la fonction publique et de la direction d’entreprises privées. Les véritables processus «émancipateurs» venaient des mouvements sociaux et étaient la libération des femmes, le mouvement ouvrier et celui de la libération nationale. Les phénomènes des années 1980 ont mis fin à ce qui restait du rêve, et depuis, la gestion des affaires supplante finalement le service public. Même Fondaction de la CSN et le Fonds de solidarité de la FTQ passent à la trappe, avec les conflits d’intérêt engendrés par leurs doubles mandats.

DSC01866

 

Finalement, la proposition de l’IRIS est que «les immenses ressources» du Québec devraient servir à «la création d’une économie nationale qui aurait pour but de répondre aux besoins de la population» plutôt que d’être assujetties à l’intérêt d’investisseurs de l’économie mondialisée. On a une idée peut-être du nouveau modèle recherché avec le commentaire de Tremblay-Pepin à l’effet que «la dérive vers le néolibéralisme était au coeur même du projet de création d’une bourgeoisie nationale et d’une technocratie d’État» (23). Comme tous les articles montreront, et pour le répéter, l’intervention de l’IRIS met en question le modèle économique capitaliste lui-même, presque sans jamais le dire. L’élite est le «chantre» du social-libéralisme agissant dans le sens de l’économie actuelle.

Comme Tremblay-Pepin souligne, à travers l’ensemble de dépossessions de ressources et de moyens que le livre présente, c’est finalement «de l’action politique que le peuple a été dépossédé» (274). La fin de l’Introduction en fournit des paramètres de la pleine possession du pouvoir souhaitée et des conditions minimales pour mettre fin à la dépossession présentée : «1) le contrôle sur la façon dont l’exploitation des ressources est effectuée et son objectif; 2) la capacité de décider si un profit doit être ou non tiré de cette exploitation et la capacité de déterminer qui recevra ce profit et à quelles fins; 3) la possibilité de poser une limite à cette exploitation» (24).

C’est dans sa Conclusion que Tremblay-Pepin présente le plus explicitement le but de cet exercice collectif : «Cet ouvrage avait pour ambition de faire advenir les raisons de ce sentiment [de dépossession] à la conscience collective, de fournir des explications objectives afin de décrypter les discours dominants et se donner les moyens d’agir» (266).

À la lecture du livre, les deux premiers objectifs semblent bien réalisés, mais les moyens d’agir semblent laissés, dans chacun des chapitres, à des constats implicites dans les textes et aux quelques pages de leurs conclusions respectives. (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite
Translate »